Les âges de l’entreprise
Comme toutes les personnes et les groupes humains, les entreprises passent par différents âges de maturité. A chacun correspond une façon de voir, de comprendre et d’agir et un niveau de management. L’évolution ne va pas de soi et bien des malentendus viennent du niveau d’appréhension des choses et de la difficulté à changer de niveau.
L’évolution des entreprises se caractérise par
des phases de développement encadrées par des moments
ou seuils de transition.
Cette évolution correspond au niveau d’évolution
du dirigeant et avec la façon dont il conçoit son
rôle.
Une analogie est possible avec des phases de développement
de la personne. L’aventure de l’entreprise peut représenter
pour un dirigeant un parcours complet de développement
personnel ou bien traduire le stade d’évolution auquel
il est fixé. L’entreprise est à l’image du niveau
de maturité du dirigeant et forme toujours avec lui un
couple cohérent sauf dysfonctionnement majeur.
La séquence, type du modèle d’évolution,
comprend quatre seuils de transitions et trois phases de développement.
La création
La phase primaire
Le seuil d’indépendance
La phase secondaire de structuration
Le seuil d’autonomie
La phase majeure
La succession-transmission.
I – LE CYCLE D’EVOLUTION DE L’ENTREPRISE
La création
Comme pour une venue au monde, le créateur doit accoucher
de son projet. Celui-ci le démarque du statut antérieur
et le lance dans un état nouveau où il aura tout
à apprendre malgré ses compétences.
L’effort d’arrachement que constitue une création peut
être aidé par des facilitations externes dont le
créateur aura aussi à s’arracher. Il se trouve
dans une situation ambivalente entre l’assistance et la volonté
de voler de ses propres ailes.
La phase primaire du développement
Le dirigeant est aux prises avec son outil et avec l’environnement.
Il se conçoit surtout comme un opérateur et son
approche des problèmes est purement opératoire.
Confus avec son entreprise, celle-ci est un prolongement de lui-même,
par rapport auquel il ne peut prendre de recul. Les méthodes
sont le plus souvent empiriques et n’évoluent que sous
la pression des nécessités.
Le chef f’entreprise, chef de commando, n’attend de l’extérieur
que des recettes ou des solutions immédiates. La dépendance
à l’environnement est totale et, s’il est favorable, la
croissance de l’entreprise ne sera que quantitative jusqu’aux
limites de la capacité d’omniprésence du dirigeant
. C’est donc par l’environnement que peut être favorisé
le développement de l’entreprise.
Le seuil d’indépendance
Vient un moment où le chef d’entreprise souhaite que son
entreprise fonctionne par elle-même et lui laisse prendre
du recul. Il cherche à s’assurer une certaines liberté
personnelle et pour cela il faudra qu’il se détache du
quotidien et qu’il apprenne à déléguer.
C’est souvent un moment de crise, au passage entre tout contrôler
soi-même et trouver des moyens de pilotage plus distants
de l’opérationnel. Beaucoup ne franchissent pas ce cap,
régressant ou perdant le contrôle de leur entreprise
qui leur échappe. Ils aspirent à s’ouvrir à
l’extérieur mais se trouvent débordés par
le quotidien.
La phase secondaire de structuration
S’il a franchi le seuil, le chef d’entreprise devient dirigeant.
Il entreprend une structuration de l’entreprise sur le plan de
l’organisation des fonctions, confiées à des spécialistes,
et sur le plan des méthodes et des techniques.
Un effort de rationalisation le rend demandeur des savoirs-faire
techniques performants aussi bien que d’un savoir diriger plus
élaboré.
En même temps se développe une identification entreprise/dirigeant
tournée vers l’extérieur où l’image réciproque
compte beaucoup. La recherche de modèles les rend sensibles
aux modes. Fort de la qualité et des performances de l’entreprise,
le dirigeant se trouve identifié aux yeux de ses pairs
et du public comme un bon dirigeant.
Le développement de l’entreprise peut aller jusqu’aux
limites de la faculté du dirigeant à maîtriser
son organisation dans le cadre des modèles techniques
les plus courants, en-deça d’un certain seuil de complexité.
Le seuil d’autonomie
Vient un moment où le dirigeant s’interroge sur son oeuvre
et sur l’autonomie de son entreprise vis-à-vis des modèles
en vigueur. Il aspire à perréniser son entreprise
dans l’esprit qu’il lui a donné et à maîtriser
son avenir plus que son fonctionnement. Sur le plan personnel,
il prend conscience de don rôle de référent
faisant la distinction entre son aventure personnelle et l’avenir
de son entreprise. Cette automatisation réciproque passe
par celle des ses proches collaborateurs. Ce seuil peut ne pas
être franchi, l’entreprise s’enfermant dans une expansion
technique et organisationnelle qui la met à la merci d’une
conjoncture changeante.
Une insuffisance de ressources : financières, personnelles,
professionnelles rendra difficile la négociation de changements
ou d’alliances avec des partenaires, avec le risque d’absorption
ou de perte de contrôle du capital. Ce risque peut conduire
à une régression et une limitation du développement
à un stade d’entreprise moyenne.
La phase majeure
Le chef d’entreprise développe un rôle plus politique
qui l’amène à prendre des responsabilités
dans l’environnement et à se soucier plutôt de gouverner
l’entreprise en tant que communauté d’hommes. Elle le
conduit aussi à développer des « concourances »
avec des partenaires pour inscrire son entreprise dans un ensemble
plus vaste (groupe réseau, etc…). Son rôle consiste
à signifier la vocation et le métier de l’entreprise,
à en affirmer la culture et les valeurs originales tant
pour sa cohésion que pour la négociation de ses
rapports avec l’environnement.
Le chef d’entreprise, impliqué dans la vie socio-économique,
est partie prenante des politiques qui s’y développent.
Il devient une personnalité dont le champ d’action dépasse
l’entreprise qu’il gouverne. Celle-ci devenue autonome se réfère
à lui pour cultiver ses relations de partenariats.
Le seuil de transmission-succession
Arrivant au bout de l’oeuvre que constitue son entreprise son
dirigeant se trouve confronté à sa succession.
Lorsque ce seuil se présente accidentellement ou par une
limite d’âge alors que l’évolution n’a pas atteint
son apogée, une crise est inévitable. Elle peut
conduire au « suicide » de l’entreprise ou à une
rupture brutale et traumatisante pour les deux parties.
Lorsque l’évolution s’est faite convenablement reste au
dirigeant à accepter de se séparer de son oeuvre
ce qu’il n’aura pu faire qu’en préparant son successeur
dans un esprit de filiation qui laisse à celui-ci pleine
autonomie le moment venu. Le dirigeant, investi par ailleurs,
pourra alors jouer un rôle social éminent ou se
consacrer à des aspirations d’intérêt général.
La transmission-succession n’est pas synonyme de retraite.
II – LE RYTHME DE DEVELOPPEMENT DE L’ENTREPRISE
La durée de chaque phase comme celle du franchissement
des seuils critiques est éminemment variable. Elle peut
être très rapide comme se bloquer à un certain
stade. Rares sont les entreprises qui arrivent à leur
pleine maturité. Cela dépend de deux facteurs de
l’environnement :
– Le niveau général des acteurs socio-économiques.
Il est évident que dans un environnement primaire les
entreprises auront du mal à atteindre le second stade.
Cela est souvent le cas dans certaines branches professionnelles,
ou dans l’agriculture par exemple, ou encore chaque fois que
l’entreprise reste fixée à une culture de production.
En outre les appuis à l’entreprise l’interpellent à
un certaine niveau de développement, un acteur public
ou privé, lui-même fixé au niveaux deux ne
pourra aider l’entreprise à devenir majeure (niveau 3).
– Le deuxième facteur est celui de la « culture »
des dirigeants. Au delà du niveau 2, il n’existe
pratiquement aucun appui pédagogique, aucune formation
qui permette aux dirigeants de progresser sur le plan personnel.
Cette progression ne sera alors le fait que de personnalités
exceptionnelles qui savent se remettre en question et remettre
en question les acquis. Il faut aujourd’hui l’interpellation
de cultures différentes (Europe, Japon, USA, etc…) pour
provoquer des évolutions d’un plus haut niveau de recul,
de discernement et de créativité.
III – LES CAS PARTICULIERS DE L’EVOLUTION DE L’ENTREPRISE
Le cycle normal d’évolution peut être bousculé
par des phénomènes exceptionnels et par exemple
:
– Une création d’entreprise par un dirigeant qui a déjà
atteint une phase d’évolution avancée. L’entreprise
sera directement créée au même niveau d’évolution.
– L’arrivée d’un nouveau dirigeant ou d’une nouvelle direction
(transmission, fusion, absorption, etc…), d’un niveau d’évolution
différent.
Il y aura des difficultés d’adaptation réciproques
qui peuvent être sanctionnées par un échec
rapide.
Si, cependant, le niveau du dirigeant est supérieur à
celui de l’entreprise, celle-ci vivra une phase de mutation accélérée.
– La confrontation a un milieu de niveau différent (partenaires,
clients, fournisseurs, nouveau marché). Les entreprises
« en retard » vivent des difficultés. Si elles
ne s’adaptent pas rapidement cela peut les conduire à
un grave échec. Celles qui se trouvent avec une certaines
avance pourront développer un leader-ship et jouer un
rôle d’entraînement. Il ne peut y avoir cependant
de partenariat fécond qu’entre des entreprises majeures,
capables d’assumer et d’associer leurs différences et
leurs valeurs réciproques
IV – LES ATTENTES DES ENTREPRISES VIS-A-VIS DES ACTEURS
EXTERIEURS
Niveau d’évolution Niveau attendu Niveau souhaitable
Niveau primaire Hommes de terrain Spécialistes
expérimentés
Niveau secondaire Spécialistes, Experts
techniciens confirmés
Niveau majeur Autorité d’expertise Autorité d’auteur
Il est en effet souhaitable que les acteurs extérieurs
du développement de l’entreprise se trouvent eux-même
à un stade plus avancé. Il faut bien reconnaître
que c’est rarement le cas.
En outre, le chef d’entreprise aura tendance à ignorer
les compétences qui le dépassent et le remettent
en question. Un trop grand décalage de niveau est préjudiciable
à la relation et à la compréhension mutuelle.
La meilleure analogie est celle de l’enseignement où un
professeur qui dépassé par ses élèves,
ne peut les aider à progresser.
De même il n’est pas dans la fonction d’un professeur d’université
d’enseigner dans une école primaire. Par contre, ce dernier
peut très bien former des professeurs du primaire ou du
secondaire.
Il serait nécessaire de repenser la hiérarchie
des niveaux de compétences en rapport avec le niveau d’évolution
des entreprises qui détermine l’ampleur de leur rôle
et de son développement dans l’environnement socio-économique.
Cela suppose une vision dynamique de l’évolution des entreprises,
moins enfermées dans le quantitatif et ouvrant à
une échelle de maturité différenciée
et hiérarchisable. Cela éviterait de tenir des
langages inadaptés ou de considérer les entreprises
selon un modèle uniforme dans lesquelles seules certaines
peuvent se reconnaître.
On éviterait aussi un « nivellement par le bas qui
règne dans certains milieux économiques plus motivés
par la défensive et la préservation des intérêts
immédiats que par le progrès et l’ambition à
long terme.