044 – L’homme responsable
Ces deux positions existentielles opposées touchent à des questions cruciales. D’une part toute la problématique de l’individualisme fruit des visées de la modernité et centre des critiques de l’homme contemporain, d’autre part la problématique de la participation au bien commun et de la responsabilité de chacun dans les affaires communes traditionnellement valorisées alors que les fondements en restent le plus souvent dans l’obscurité. Comment concilier les enjeux individuels de l’existence, y compris le bien personnel, avec les enjeux communs et le bien commun ? Les pensées modernes sont dans l’impasse. Comment la participation aux affaires communes peut servir le bien personnel et le bien personnel le bien commun. De même comment ce qui ne sert pas le bien personnel dessert le bien commun et ce qui ne sert pas le bien commun dessert le bien personnel. Il y a une réponse à cela celle de la seule gestion de l’équilibre des échanges existentiels ou bien celle que propose l’Humanisme Méthodologique qui montre que le Sens du bien commun est le Sens du bien personnel partagé en conSensus. La clé est là, les modalités existentielles en sont des traductions culturelles. Ainsi, la responsabilité de chacun est engagée dans le bien commun et donc dans le bien des autres dont l’engagement personnel et commun répond du bien de chacun. Sont en opposition deux positions de vie, d’une part le Sens de l’individualisme et d’autre part le Sens communautaire, celui de la responsabilité personnelle.
Le Sens de l’individualisme.
L’individualisme c’est la quête de souveraineté de l’individu, identifiée à son vouloir, sur son existence dans le monde. L’individualité est le fait que l’existence de chacun est distincte de toute autre mais participe du même monde dont elle est dépendante. L’individualisme récuse cette dépendance et agit dans cette perspective. Cette position existentielle se traduit par la captation de ce qui ne dépend pas de soi pour le faire sien. Captation des biens autres, captation des autres par toutes sortes d’emprises. La séduction (séduire c’est détourner de son Sens) en est un vecteur, la spéculation un autre qui est fondé sur le principe d’une mise-appât minimum pour un gain maximum. Pour l’individualisme l’intention propre est arbitraire et auto légitimée. On l’appellera le libre arbitraire pour le distinguer du libre arbitre. Celui-ci supposerait un discernement qui n’est pas jugé nécessaire. Le bon vouloir c’est le vouloir toujours bon. Chacun ses propres valeurs mais dans son monde à soi seules les siennes propres valent réduisant le champ des autres à ce qui n’est pas de son monde à soi, un hors frontières. L’individualisme est réduction de l’être à l’existant et celui ci à une dépendance du seul sujet intentionnel. L’idée d’émancipation de l’individu comme libération des dépendances anciennes, famille, communautés, religions est une expression de l’individualisme moderne. Cependant il y a toujours une volonté qui se veut souveraine qui cherche à s’imposer si bien que la souveraineté de l’individu est un leurre. L’individualisme est des uns est toujours contredit par l’individualisme des autres.
Dans cette même logique des individualités complexes sont conçues et constituées pour légitimer ou faciliter l’accès à une souveraineté promise. Des groupes, collectivités, nations, etc. sont constituées sur la logique individualiste captatrice, séductrice, spéculatrice. Ils veillent à ne dépendre de rien mais à faire dépendre les autres y compris par rapport à leur propre population. Dans le passé le colonialisme en a été une expression, le souci des droits de l’homme sans les devoirs une manifestation ambigüe, l’arrogance occidentale une démonstration. L’individualisme n’est pas une spécificité occidentale mais y a été largement cultivé.
Un autre aspect de l’individualisme c’est la logique de l’intérêt particulier et du profit lorsqu’ils sont conçus comme relevant d’un libre arbitraire. Profiter des autres et des situations pour capter des ressources ou des biens revient à «prendre sur eux» dans cette logique. Les notions de profit ou d’intérêt ont bien d’autres Sens que celui-là mais leur dénonciation est souvent le fait de ceux qui veulent profiter à la place des autres dans la même logique qui dénonce l’individualisme chez les autres au service de ses propres intérêts.
Le Sens communautaire de la participation responsable
L’individualisme sait se draper dans un angélisme séducteur qui est quelques fois de suggérer une soumission aux intérêts de quelque collectif posé comme supérieur. Or le Sens communautaire repose sur la reconnaissance implicite de la participation de soi au conSensus qui fonde la communauté de Sens. Cette participation est responsable doublement d’une part parce qu’elle est co-constitutive de la communauté par le partage de Sens et d’autre par le Sens privilégié dans ce conSensus. Participer à la communauté et à l’orientation de son devenir sont ainsi liés. Cependant cette participation responsable au conSensus qui dépend du discernement et des engagements comme on le verra, s’actualise dans un monde commun et aussi sa propre existence individuelle qui en fait partie et en est dépendante. Ainsi le libre arbitre est ici l’exercice d’une responsabilité dans et pour la communauté sans pour autant lever les dépendances existentielles. L’autonomie accepte les dépendances dont dépend son existence individuelle dans le monde commun sauf à quitter la communauté.
Toutes les affaires humaines sont communautaires, et cette position d’être se conçoit comme participation aux affaires communes et à la responsabilité de leur traitement. Tous les domaines du politique, de l’économique, de l’éducation, etc sont concernés évidemment mais aussi tout ce qui concerne l’existence des individus et la sienne propre. Ainsi les affaires individuelles sont-elles toujours communautaires et les affaires communautaires se traduisent-elles dans les existences individuelles. C’est ainsi que parmi les affaires individuelles figurent les relations humaines, les relations avec les autres ou avec un autre. On verra alors que les relations interpersonnelles sont toujours situées dans un contexte communautaire ce qui explique les rituels sociaux et règles associés aux relations inter-individuelles. Les relations inter-individuelles participent de l’existence communautaire et celle-ci se traduit par un faisceau de relations interpersonnelles.
Il en va de même pour de petites communautés qui s’inscrivent dans de plus grandes.
Ce qui est sans doute nouveau pour une culture individualiste c’est le fait que le libre arbitre des personnes se construit et s’exerce dans la participation au conSensus communautaire et à ses implications ou dépendances existentielles. Mieux que cela il contribue au devenir communautaire dans une sorte de réciprocité intrinsèque. De même la responsabilité communautaire se traduit par la responsabilisation des personnes. Ce que gagne l’un enrichi l’autre et vice versa. Le profit de l’un est le profit de l’autre et il n’intervient là aucune balance des comptes. Par contre dans le monde des dépendances associé, les échanges existentiels (matériels par exemple) sont possibles comme marquant symboliquement les participations communautaires. Ainsi par exemple le Sens du bien commun, communautaire, est dans le conSensus des membres de la communauté par leurs Sens propres et il se traduit par des biens et services existentiels qui eux s’inscrivent toujours dans des échanges qui les déterminent.
Ces quelques repères montreront sans doute au lecteur combien le monde de l’individualisme nous est plus familier que celui de la participation communautaire plus idéalisée ou mythifiée que pensée.