002 – Pourquoi un nouvel humanisme ?
Deux types de raisons y invitent. D’une part la défaillance constatée de la référence à un humanisme quelconque pour traiter les problèmes humains dans ce temps de mutation. D’autre part l’ouverture d’une conscience et de possibilités nouvelles avec l’entrée dans un nouvel âge d’humanité où différents visionnaires ont vu l’avènement d’un âge de l’homme, d’un âge de l’esprit.
Parmi les défaillances la première est celle de l’incomplétude des visions et propositions. Pas d’humanisme sans les trois piliers : conception explicite de l’homme, conception du bien de l’homme en conséquence, proposition cohérente de l’agir humain dans les affaires humaines. Les déclarations du bien nécessaire se passent souvent de dévoiler les conceptions implicites de l’homme. L’efficacité pratique emprunte des méthodes sans liens avec les déclarations éthiques. Des conceptions du monde et de l’homme ne disent pas quels maux humains elles préparent au nom d’un humanisme, quelques fois le masque d’un antihumanisme à peine voilé.
La seconde est la réduction de l’humanisme à une dimension de l’expérience humaine clivée d’avec les autres. Par exemple un humanisme sentimental des bons sentiments, un humanisme «moral» du bien faire traditionnel, un humanisme idéologique des idées et formules idéales, un humanisme social des bonnes relations conventionnelles. Leur cohérence est une exigence humaniste, pas leur suffisance. Brave bête, bon instrument, beau parleur, gentille personne ne font pas à eux seuls des hommes de bien, humanistes.
Viennent maintenant les trois grandes plaies de l’humanisme contemporain.
Le matérialisme d’abord soumet l’homme aux seules contraintes de la nécessité et de l’adversité dont le bien c’est de se soumettre aux premières et de se défendre contre la seconde. Le bien de l’homme est manichéen, la lutte contre le mal, fatale et inéluctable. Primo Lévi avec «Si c’était un homme» montre le parallèle entre le traitement de la matière par le chimiste qu’il était et la réduction à la matière subie dans les camps. Le vide intérieur de son escalier a été l’issue fatale de son expérience. Et on dit que l’humanisme c’est la lutte contre le mal, l’autre bien sûr. La notion humaine d’altérité est absente de cette logique.
Le rationalisme déclare que tout s’explique par la raison, universelle, qui s’impose à tous. La normalité est le critère du bien et le conformisme sa méthode. Si les Lumières ont pensé que la raison et sa culture étaient la voie de l’émancipation de l’individu d’avec les dogmes et emprises de l’ignorance, c’est une déviance que d’avoir évacué le libre arbitre. Après tout, avoir mis la raison au-dessus de l’homme jusqu’à en faire une divinité relayée par la sacralité scientifique, juridique ou administrative est d’un anti-humanisme caractérisé.
L’individualisme déclare souverain le bon vouloir et privilèges dus, les droits revendiqués. Déviance de l’individu et de son chemin de maturation et d’apprentissage de l’humanité, il se trouve des alliés pour justifier par des calculs rationnels la recherche de bénéfices matériels illimités. La spéculation est sa logique, domestique, relationnelle, corporatiste, professionnelle, institutionnelle. On y cultive un humanisme de la bonne conscience et de la spéculation morale.
Protestant chacune de son humanisme ces logiques réduisent l’homme à une inhumanité radicalement anti-humaniste. Le respect des dimensions matérielles, rationnelles, individuelles sont, elles, parties prenantes d’un véritable humanisme.
Il serait possible d’invoquer aussi les «valeurs» dont le maniement révèle d’un évitement de toute profondeur, profondeur humaine, pour justifier autant de dénis d’humanité.
Mais qu’est ce que l’humanité, l’humanité de l’homme qui explique et justifie un devenir, un bien individuel et collectif un bien commun et en même temps personnel. C’est la condition pour savoir comment s’y prendre au travers de toutes les affaires de l’existence ou du moins de s’y efforcer.
Nous sommes dans un temps de mutation où s’ouvrent de nouvelles configurations de la condition humaine qui renvoient à la question de sa nature, de son devenir, de ses enjeux et pratiques. Ce questionnement est acte d’humanité. Il ouvre sur un temps que Michel Serres appelle «hominescence» considérant que le monde qui vient est de part en part de nature humaine. Les réseaux relationnels communautaires, la quête de modes de gouvernance démocratique, d’autonomie responsable des communautés et des personnes, la reconnaissance des différences comme principe des communautés majeures, l’intégration des valeurs communes dans l’évaluation de la valeur des choses sont autant de champs d’aspiration humaine.
Disons par anticipation que la conscience de soi de l’humanité en chacun et dans les communautés humaines, franchit un nouveau pas. Celui de l’accès à la conscience individuelle a été le pas précédent, l’accès au Sens humain, au Sens du bien commun celui de la mutation en cours. Il ne faut pas que les crises, les résistances, les troubles, les inquiétudes, les diversions nous empêchent d’engager l’avenir comme une histoire humaine. Pour cela il nous faut un nouvel humanisme que beaucoup on attendu. Ce nouvel humanisme doit être fondé sur une conception de l’homme qui rende compte aussi de la multiplicité des conceptions et logiques de son histoire et son actualité. Ce nouvel humanisme doit expliciter ce qu’il en est d’un accomplissement possible qui rende compte aussi des figures qui lui ont été données. Ce nouvel humanisme doit construire les méthodes et pratiques de l’agir humain qui vise à construire le bien humain dans tous les domaines de l’existence.
Ce nouvel humanisme ne doit être ni un angélisme qui ignore les anti-humanismes et les maux associés, ni une spéculation qui se voudrait plus intelligente que les autres, ni un édifice rationnel artificiel mais l’expression d’une expérience humaine de l’humanité qui relit les situations humaines, leur Sens, et les voies et moyens de vivre ensemble une nouvelle marche d’humanité. Cet humanisme n’invente rien mais le découvre déjà là, il ne se contente pas de comprendre mais assume la liberté responsable à laquelle les hommes sont appelés. Il ne jette rien de l’expérience humaine mais en discerne les sources, les enjeux et les voies du bien humain dans chaque situation, anciennes ou nouvelles.
L’Humanisme Méthodologique est de cette nature.
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