Le Sens de l’éducation
L’éducation est à la fois une question universelle dans l’histoire et les sociétés humaines et en même temps le lieu d’une incompréhension massive tellement les conceptions implicites de l’homme sont multiples et le niveau de discernement faible. Notre pays en est l’exemple criant par son incapacité à doter l’Education Nationale d’une finalité éducative et des professionnels de l’éducation d’en formuler une définition partagée avec la nation.
La carte des cohérences et des Sens de l’éducation a été réalisée il y a plus de 25 ans. Il fallait en communiquer les analyses, exemplaires des apports de l’Humanisme Méthodologique, dans un texte synthétique.
L’éducation est une notion des plus courantes à laquelle on attache beaucoup d’importance pour le devenir humain des personnes et des populations. On en vient à construire une « Éducation nationale » et à débattre de la bonne méthode éducative. Le terme évoque d’ailleurs aussi bien l’action et les pratiques associées, les fruits et les effets de cette action, et aussi les niveaux atteints. On peut voir l’éducation du côté des éducateurs, des méthodes, des éduqués, de leur comportements.
Cependant dès que l’on veut donner un Sens ou une définition à l’éducation, ne serait-ce que pour pouvoir discuter, élaborer ou conduire un projet éducatif, rien ne va plus. En fait tout semble aller de soi lorsque chacun se réfère à un semblant de consensus ambiant mais il apparaît vite bien difficile d’approfondir la question si bien qu’un pays comme la France est dans l’incapacité de donner à l’Education Nationale des finalités éducatives et d’en tirer les conséquences sur ses pratiques et ses méthodes.
L’analyse des cohérences et donc des Sens est une pratique de discernement que l’on peut appliquer à un tel concept. Elle débouche notamment sur une « carte des Sens » sorte de boussole pour s’orienter en discernant les différentes voies qui s’offrent à nous, autant de conceptions et de pratiques de l’éducation.
Il y a toujours une problématique humaine sous-jacente qui vient éclairer la question à laquelle au fond elle se rapporte. Il nous faut d’abord repérer cette problématique qui engage les différents Sens que l’on peut adopter, les différentes positions que l’on peut prendre et, en conséquence, la cohérence des conceptions, des pratiques et des valeurs associées à chacun de ces Sens.
L’éducation c’est la question du contrôle des comportements humains spontanés. On imagine aisément que la non éducation s’associerait à un désordre des comportements et l’éducation à des comportements policés. On imagine aussi que l’éducation puisse être subie ou libératrice. L’idée de comportements naturels auxquels se substitueraient, par l’éducation, des comportements culturels est aussi présente. Les « sciences de l’éducation » fourniraient-elles des conceptions et des méthodes étalonnées bien assurées? Il ne semble pas que les éducateurs en aient souvent entendu parler. Et d’ailleurs qui sont « les éducateurs »? Les parents, les professeurs et enseignants, les « maîtres », des professionnels ou des personnes d’autorité? Seraient-ce tous ceux qui, disposant d’une certaine éducation, peuvent aider les autres à progresser. S’adresse-t-elle aux enfants qu’il faut « élever »? Est-ce alors synonyme d’éduquer? On parle maintenant d’éducation tout au long de la vie… ou bien de formation; est-ce la même chose? S’agit-il alors de se cultiver comme on cultiverait des légumes ou bien comme on cultiverait un talent, un art, une compétence?
La question est pourtant toujours liée à une transformation humaine, une amélioration, mais selon quelle échelle de valeurs? C’est bien là la question difficile parce qu’elle implique une conception de l’homme, de son devenir et des façons de favoriser son développement, son accomplissement. L’impasse jetée sur la question ou les non dits associés rendent l’exercice de discernement ou de définition impossible. C’est tout comme le bien de l’homme. L’Humanisme Méthodologique montre ces liens et donc permet de les discerner. Il montre aussi que c’est sous le mode du Sens du bien commun que la question, générale, va pouvoir et devoir se traduire en réponses « culturelles » spécifiques et justifier l’engagement communautaire dans l’éducation des membres de la communauté, en commençant par les plus jeunes. Mais qu’arrive-t-il lorsque les éducateurs sont mal éduqués?
La question centrale, on l’a posée avec cette idée de contrôle du comportement humain. C’est ce contrôle qui a plusieurs Sens et le comportement humain est pris entre une spontanéïté souvent impuissante et une maîtrise de soi plus ou moins développées. Ce contrôle est aussi celui exercé sur le comportement des autres ou sur le sien propre ou encore un contrôle collectif co-géré pourrait-on dire. On peut s’entendre sur ce fait que les comportements en question sont ceux de la vie individuelle et collective, ceux qui permettent de maîtriser les conditions de son existence et les affaires humaines auxquelles on participe ou dont on est appelé à assumer la responsabilité, celle d’éducateur parmi d’autres.
Le contrôle du comportement humain est une autre façon de parler de conduite, de se conduire, tant sur le plan des expressions extérieures mais aussi des disciplines intérieures. Les enjeux du comportement sont physiques et matériels, ils sont intellectuels et mentaux, ils sont affectifs et relationnels, tous les apprentissages, classiques ou non, y participent.
La carte des Sens de l’éducation
Tout d’abord un premier couple de Sens, opposés, pour la conception et la pratique de l’éducation.
La normalisation et l’éveil. Conflit bien connu sans être toujours éclairé.
A – La normalisation.
D’un côté l’éducation est un long effort de conformation, de réduction à des normes, des modèles, des règles. Il s’agit d’un cadrage qui demande un encadrement de plus en plus rigoureux, jusqu’à une conformation suffisante (comportementale intégrant aussi le mental). Le philosophe allemand Peter Sloterdijck jette un pavé dans la marre en parlant à ce propos de « Règles pour le parc humain » reprenant une expression de Platon (2000). Il tend à montrer que chaque pays inculque des modèles au travers d’une littérature de référence notamment. Il est aussi tout à fait nécessaire de comprendre qu’une certaine conception de la raison qui pose celle-ci comme la cause des choses, implique une attitude de réduction normative tant de l’éducateur que de l’éduqué. La répétition est évidemment un exercice classique et l’objection de ne rien comprendre et rejetée justement par l’argument de rationalité, de conformité. Il faut bien s’en remettre à la raison des choses. Savoirs établis, formules académiques, classicismes et permanence des modèles, des catégories s’opposent aux tentatives de réformes sauf à être dument normalisées au préalable. La créativité n’y a pas une place d’honneur mais plutôt les examens de conformités. On peut même penser que lorsque le monde évolue rapidement, ce type d’éducation s’en éloigne rapidement n’intégrant pas le temps de la génération mais celui de l’établissement d’états successifs comme dans nos écoles.
B – L’éveil
A l’inverse on a choisi le terme d’éveil parce qu’il correspond à une tendance de l’époque évidemment vilipendée par les tenants de la précédente. Celle-ci considère, au fond, que la spontanéité est le degré zéro de l’éducation, du contrôle donc, alors que l’éveil crois que cette spontanéité est l’alpha ou bien l’oméga de l’éducation. Ce n’est pas équivalent on le verra. L’éveil c’est la découverte du monde, des autres, de son propre comportement, de ses effets, de ses réactions aux situations, des réactions de l’environnement collectifs à ses propres comportements. L’idée est que cela est indispensable pour que l’éduqué apprenne les attitudes et les comportements les meilleurs pour lui tout en en faisant l’expérience et l’apprentissage. On parle de pédagogies expérientielle pour souligner que l’expérience vécue est la matière première de toute éducation. Il y faut des conditions qui le permette, une permissivité, des mises en situation pour favoriser expériences et découvertes. Les classes de découverte en seraient-elles la formule emblématique? Il y a un biais que l’expression pourrait laisser entendre. En effet beaucoup de classes de découvertes sont conçues pour s’en rapporter à des formes naturelles déjà là et dont s’y conformer. L’endoctrinement passe souvent par ces faux semblants où la spontanéité est soigneusement barrée par des conditionnements, « naturels » dit-on.
Ces deux logiques se croisent avec deux autres pour former quatre conceptions de l’éducation que l’on identifiera ensuite.
L’éducation comme orientation, contrôle de direction qui s’oppose à une logique d’immobilisation.
C – L’orientation
L’éducation consiste à savoir se tenir, prendre les bonnes voies, se positionner ou prendre des positions pertinentes face aux situations de l’existence. Cela engage les motivations, les choix, les orientations et, on s’en doute, les bonnes en renonciation aux mauvaises.
Il faut pour cela deux choses renoncer à une réaction spontanée sans discernement pour s’orienter et s’engager dans une bonne direction et être capable de le faire. Cela suppose une certaine maîtrise de soi comme auteur de ses actes et de ses positions et les dirigeant. Une certaine responsabilité consistant à répondre de ses engagements et positions prises, une certaine autorité personnelle qui assume d’être auteur de ses actes. Bien sûr cette conception de l’éducation suppose un chemin de croissance en maturité et réclame la confrontation à des personnes d’autorité qui témoignent de cette capacité et son exercice. Les éducateurs sont des autorités repères et c’est par cela que, en situation, ils provoquent la position de l’élève appelé à se situer, s’orienter, depuis sa propre place. L’exercice et le témoignage du maître valent moins par leur contenu qui en est l’expression circonstanciée que par ce qu’ils disent de la volonté humaine, intention orientée. Très banalement lorsqu’un parent dit à un enfant qu’il ne faut pas faire ceci ou cela ou que c’est bien d’avoir fait cela, il tiens une parole d’autorité qui renvoie à celle, en gestation, encore potentielle de l’enfant. Bien sûr s’il s’agit de ne pas le contrarier, de l’approuver à côté de son propre engagement sur un simple réflexe, ou encore de lui expliquer le pourquoi et le comment et les bonnes raisons qu’il doit s’imposer alors on est à côté du sujet, dans une crise d’autorité, un déni de l’autorité d’être humain.
D – L’immobilisation
A l’inverse justement le contrôle des comportements est envisagé comme une immobilisation des réflexes spontanés sans doute jugés comme dangereux, à combattre donc. Etonnamment cette éducation là se retrouve dans le comportement abusif de l’éducateur ou dans son absence. L’éducation abusive cherche à s’imposer de façon à prendre la place de l’autre, déterminer ce qu’il doit être ou faire non pas de lui même mais de par la volonté de l’éducateur ou encore « la nature des choses ». Son pouvoir est un pouvoir d’empêchement de la personnalité de l’autre, son autorité son jugement, sa volonté. Cet empêchement s’opère en y substituant sa propre volonté. Il est vrai qu’une injonction comme arrêtes-toi! peut être tenue comme une immobilisation de toute capacité chez l’autre ou comme une sollicitation ferme (dans la tenue de l’éducateur) d’un acte auquel l’autre est invité; ce n’est pas du tout pareil, le Sens n’est pas le même. La différence est subtile comme entre l’éducation abusive, fusionnelle et l’éducation à la maîtrise qui pose l’autre dans son altérité où deux volontés sont présentes. L’éducation abusive a aussi une forme qui apparaît inverse, comme un laxisme, comme si seul le désir de l’autre prévalait en toutes circonstances. Au fond la toute impuissance et la toute puissance sont vécues dans la confusion des êtres et c’est cela qui est l’enjeu de cette « éducation »: immobiliser l’être en propre pour y substituer une source hétéronome.
Il faut parler d’une forme tellement classique de cette « éducation » celle qui consiste à faire planer une menace, une inquiétude permanente, mettre en situation de non maîtrise. C’est l’éducation délivrée par les médias et leurs sources qui inquiètent par leur catastrophisme et les culpabilités humaines associées. C’est aussi le cas des organisations qui peignent la vie en noir au-delà du vécu réel des gens, ceux qui les provoquent à adopter les sentiments qui leurs sont stipulés comme dans les manichéïsmes ou l’injonction d’une non prise de risques. Il est important de considérer qu’il s’agit bien là d’éducation collective, de l’éducation de masse, de l’éducation des masses, un effet induit d’actes et de méthodes qui révèlent alors leur véritable but : l’immobilisation par « la prise en masse ». Pourquoi tant de discours sur la liberté, l’autonomie, la responsabilité se sont-ils transformés en dictatures immobilisatrices? Parce que c’est l’énucléation de l’être en soi qui en est le vecteur. On ne peut pas s’en étonner pour des pensées matérialistes qui, justement, ne voient pas de quoi il peut s’agir. Le déni d’autorité devient une méthode systématique dite de prise de conscience, comme on le dit de la prise du béton. On en verra des variantes.
Quatre conceptions de l’éducation
Elles sont fondées sur la conjugaison des axes précédents figurés sur la carte des Sens. Ce sont d’autres Sens que nous portons en chacun et partageons dans des «situations éducatives», à toutes les échelles.
On les présentera par couples d’oppositions mais aussi par différenciation de voisinage pour bien discerner les principes, les enjeux et les conséquences. On commencera cependant par une explicitation intrinsèque, sur laquelle on exercera un discernement approprié.
1 – l’éducation sauvage, libertaire.
C’est aussi « l’éducation de la rue » ou sur le tas. Il s’agit bien de favoriser l’expérience mais dans un contexte de non maîtrise et d’absence de repères. Confrontés à des situations chargées émotionnellement, c’est par des réactions spontanées qu’est supposé se faire l’apprentissage. Sa qualification est surtout comprise par la capacité de se sauver ou d’imposer sa loi. Valorisant les instincts et leur acuité nombre de modèles nous en sont fournis et il ne faut pas s’étonner si les comportements animaux y sont mis en valeur. Les héros de ces « combats pour la vie » y trouvent leurs modèles. Cette éducation est celle d’une sorte de laxisme qui valorise l’expérience sans impliquer l’autorité et la responsabilité de la personne, éducateurs comme éduqués. Elle privilégie les réactions immédiates sons orientation de l’avenir.
L’éducation libertaire produit des personnalités qui fréquentent les paroxysmes pour mieux en déjouer les dangers. A la limite du supportable ils s’endurcissent mais au bord de la psychose que les débordements manifestent. Vandalismes et auto destructions, délinquances ou dérapages, addictions et confrontations à l’autorité en sont les symptômes. Cela peut finir à la case prison qui est un cadrage et une soumission à l’autorité, au fond sécurisant pour quelques-uns. Il y a bien sûr toutes sortes de prisons possibles.
Il sera facile de dénoncer les parents et autorités défaillantes ou alors les chefs de gang comme figures de pouvoir. Il ne faut pas perdre de vue que nous sommes à la croisée d’une logique d’éveil et d’une logique d’immobilisation qui ont leurs promoteurs sans voir ce que la combinaison produit. Cette fantasmatique d’une éducation naturelle, faites des expériences de la vie et de l’absence de contraintes ou plutôt de positions d’autorité orientées, est assez répandu dans une société qui s’étonne ensuite des conséquences.
2 – L’éducation civilisatrice.
Il a des comportements qui ont été élaborés au cours des siècles et il s’agit pour ceux qui en sont les représentants de les inculquer aux plus jeunes à éduquer. Que leur est-il signifié? D’un côté il y a une maîtrise des comportements dans une société civilisée dument représentée et de l’autre la possibilité d’en acquérir les gestes physiques, intellectuels, moraux et mêmes émotionnels en s’y conformant.
La répétition et l’évitement de l’implication personnelle dans les situations, conjugués avec la révérence due aux maîtres et autres experts et en définitive aux modèles préétablis, structure ce type d’éducation. Si elle est classique par essence elle est moderne par définition même de cette modernité, bien classique, à laquelle on ne cesse de faire référence. Cette éducation est bien connue ayant été la norme pendant des siècles. Cependant elle suppose un contexte stable qui permet une non implication personnelle dans des situations bien établies, une forme d’évitement de soi et des autres qu’on rencontre chez ceux qui en sont les élites. C’est le cas de contextes professionnels où d’ailleurs les titres associés aux comportements acquis confèrent des droits indépendants des situations nouvelles qui pourraient advenir, notamment dans un monde en mutation. Elle suppose aussi un contexte de comportements sociaux, culturels donc où les modèles ont été établis et leur transmission érigée en vertu. C’est évidemment une éducation conservatrice que certains qualifieraient de bourgeoise. Mais qui est le conservateur? Qui est le libertaire?
On notera qu’une certaine insistance sur les contenus des modèles ou savoirs supportés et légitimés par la seule « rationalité » font disparaître la position d’autorité. La maîtrise n’est plus son exercice mais la reproduction d’un savoir. On se désole alors de la disparition de l’autorité des maîtres, ignorée par les élèves et les parents et on cultive la disqualification de l’autorité publique par les mêmes qui s’en plaignent. Ils scient la branche sur laquelle ils étaient assis. Les lycées napoléoniens et leur encasernement, comme aussi dans d’autres milieux, ont pu tomber ainsi dans une éducation à la dépersonnalisation, un autre type à envisager maintenant.
3 – L’éducation dressage
L’éducation consiste ici à transformer l’éduqué en une sorte de marionnette, c’est-à-dire à lui faire adopter des comportements stéréotypés, mécaniques souvent en abdiquant de toute initiative et de toute volonté propre, la nécessité ou les procédure s’y substituant. Il est facile de trouver des exemples dans la caricature militaire ou industrielle et même administrative. Elle est présente aussi dans la recherche de comportements réflexes intellectuels ou physiques ou même affectifs. C’est pour cela une forme d’idéal dans certain milieux. Associant pouvoir abusif ou menace ambiante avec des normes de comportements on retrouve ici les « expériences de laboratoire », celles des rats, des chiens ou de ceux que l’on soumet aux tests de Milgram. Ils consistent à faire infliger des décharges électriques à des cobayes pour voir jusqu’où l’obéissance « à l’autorité » peut aller. Il ne s’agit pas là d’autorité personnelle mais de pouvoirs institutionnels. Le conditionnement sous le régime « de la carotte et du bâton » est du même type et les thèses de sociobiologie, de comportementalisme ou certaines conceptions modernes de l’homme machine ou l’homme cerveau vont dans ce Sens.
Par rapport à l’éducation civilisation celle-ci confond autorité personnelle, détermination responsable avec pouvoir d’empêchement (ou de séduction ce qui revient au même). Cette conception apparaît dès que l’éducation n’est plus le fait de « maîtres » mais de techniques, de procédés, de systèmes ou simplement de répétition des savoirs sous la menace de l’examen et de l’échec.
A l’éducation sauvage le dressage apporte son bagage normatif notamment lorsque les « comportements naturels » sont considérés comme le produits de « lois de la nature » et de rationalités standards qui s’imposent donc, au risque de devoir en traiter les dysfonctionnements. La médecine se substituera peut-être à la prison pour réguler les comportements.
On voit là que les images archaïques d’une dépersonnalisation éducative n’appartiennent pas seulement au passé des « centres disciplinaires » mais aussi à la modernité la plus arrogante, systémiste par exemple.
4 – L’éducation humaine ou personnalisation.
Il reste le plus difficile, l’intelligence du Sens de l’éducation le meilleur. On retrouvera cependant des éléments bien connus mais pas toujours compris.
L’éducation vise à développer l’autonomie personnelle dans le contexte de la vie communautaire. Le terme d’empowerment traduit par « autonomisation » en est un indicateur. Il s’agit donc de croiser ce qui est de la maîtrise personnelle avec la contextualisation que constitue une communauté environnante. Celle-ci offre l’expérience de l’altérité des personnes conjuguée à la similitude des situations partagées. Elle se conjugue avec l’expérience de l’autorité, celle des maîtres et la sienne par identification, non pas normative, mais considérée comme pro-vocation, pro-position, tenue de Sens., le Sens du bien commun
L’éducation est un cheminement, une discipline de culture qui consiste à cultiver des potentiels propres en situation communautaire. De ce fait l’éducation personnelle est simultanée d’une éducation collective, en situation. On notera que le terme de communauté évite de se réduire à l’image d’une collection d’individus. Par exemple une classe vue comme collectif n’est pas tout à fait la même chose qu’une communauté inscrite dans une communauté d’école, celle de la cité et même de la nation et au-delà.
De ce fait il y a une corrélation étroite entre l’éducation personnelle et l’évolution communautaire. Que l’on parle de développement personnel ou d’accomplissement personnel cela ne va pas sans développement communautaire ( l’activité initiale de Barack Obama) ou accomplissement communautaire que l’on peut aussi rapporter à l’empowerment communautaire.
L’humanisme méthodologique en offre des moyens de compréhension notamment en montrant qu’il n’existe pas de comportement humain en dehors du rapport avec la communauté. Ainsi l’éducation est une action communautaire qui s’adresse à des personnes en communauté pour des bénéfices communautaires qui passent par le progrès des personnes tant pour leur propre vie que pour leur concours à la vie communautaire.
On voit bien que les défaillances dans la conception de la collectivité ou de l’individualité débouchent sur des conceptions et pratiques éducatives d’un autre ordre que celle-ci. Une conception formaliste (structuraliste ou rationaliste) de l’universalité remplace la communauté d’expérience par des « lois de la nature » et des savoirs normatifs a-culturels. Nos institutions scolaires et universitaires y sont vouées tant que la révolution de l’autonomisation n’est pas engagée. Une conception matérialiste exclue la compréhension d’une maîtrise personnelle, d’une autorité à cultiver, du fait de grandir en maturité donc, au profit d’une menace d’exclusion si la « conscience de masse » est contestée. Ainsi le déni de la fonction paternelle par la dominante mater-ialiste et le déni de la communauté comme seul lieu d’expérience humaine par la dominante rationaliste normative sont les principaux obstacles à une éducation proprement humaine.
L’éducation personnalisation ne peut pas poser des comportements préétablis qui ne soient pas compris comme des situations d’expériences à vivre en sécurité (logique maternelle). Elle ne peut pas imposer des positions qui ne soient pas proposées, jusque dans l’expérience de la fermeté d’intention (logique paternelle). Elle doit les conjuguer : expériences en situation communautaire, détermination personnelle. Les pédagogies différenciées, pédagogies par projet, expérientielles, la maïeutique de Socrate, et toutes les pratiques inventées par de véritables éducateurs, conjuguants leurs rôles, dessinent cette tendance.
Pour cette logique éducative il s’agit de cultiver l’originalité dans la culture commune des semblables, pas la conformité dans un individualisme exacerbé. Cette culture est une discipline pas une injonction disciplinaire. Elle suppose aussi la considération des âges de développement, des niveaux de maîtrise, de la succession des apprentissages. L’enfance, l’âge adulte, l’âge mur ont leurs enjeux spécifiques. Ce qu’il faut retenir ici c’est que l’éducation est engagée pour toute la vie et que la responsabilité éducatrice vis-à-vis des autres aussi.
Pour conclure cette analyse des cohérences de l’éducation il faut noter la convergence personne/communauté dans le dernier Sens développé. L’éducation la tisse en même temps qu’elle le cultive et l’accompli. Ainsi l’éducation ne peut être la seule affaire de l’école ni celle d’une catégorie d’enseignants, ni se limiter à des affaires de savoir où d’apprentissage. L’activité politique, l’activité économique, l’activité dite culturelle (elles le sont toutes), et toutes les activités de la cité ont aussi une vocation éducative de par leurs finalités et leur exercice même. Exercice de l’autorité responsable, engagements et expérience communautaires y sont partout présents. Du coup tous les actes y ont une valeur éducative. Alors à quoi bon prétendre éduquer les enfants si ils sont rendus témoins de comportements qui ne s’en soucient pas. La responsabilité symbolique de toutes les figures d’autorité est engagée. Les ravages provoqués par la disqualification de l’autorité, les croyances dans l’existence d’un « état des choses » qui s’impose à tous, naturellement, devraient alerter ceux qui prétendent assumer une fonction éducatrice. Nous en sommes loin comme nous sommes loin d’une intelligence de l’éducation humaine qui soit largement partagée.