Groupements d’entreprises et développement

SPL, pôles de compétivité, clusters sont les dernières appelations de groupements d’entreprises et d’acteurs qui veulent aussi souvent relier territoires et innovations. Nous avions déjà les technopoles mais la nouveauté c’est un mouvement du monde celui du développement communautaire. Mais comme le disaient déjà d’éminentes personalités « si ces évènements nous dépassent feignons d’en être les organisateurs ». Telle semble être la nouvelle devise.

Les groupements d’entreprises ont le vent en poupe. SPL, clusters, pôles de compétitivité, tous participent à un mouvement mondial dont les différents promoteurs ne connaissent pas forcément le Sens. En effet, comme dans tous les domaines de la mutation actuelle, le mouvement du monde apporte ses émergences pendant que les élites du monde précédent s’efforcent de s’en prétendre les organisateurs.

Ce monde précédent a ses rationalités. Rassembler entreprises, universités, laboratoires de recherche, doit déboucher fatalement sur l’innovation technologique et industrielle et le succès des pôles de compétitivité.

Ce schéma n’est rien d’autres que celui des technopôles conçues à la fin des années 60 avec le sénateur Laffitte et qui ont donné Sophia Antipolis. Seulement on ne tire pas les enseignements de l’expérience et on oublie le “Sophia” du projet d’alors qui fait appel à l’esprit, à une philosophie, à une sagesse bien étrangers aux concepteurs des nouveaux pôles.

C’est toute une religion: la raison est la cause des phénomènes, la rationalité est son culte et la rationalisation son exercice. Il ne s’agit pas de dénigrer la Raison, mais son culte. Celui-ci légitime toute une cléricature qui tente là de se sauver malgré le mouvement du monde. La raison n’est pas la cause mais l’ordonateur des phénomènes en question. C’est du côté du Sens, du consensus, des communautés de Sens qu’il faut aller chercher l’origine et l’initiative qu’il sera bon ensuite de structurer, d’ordonner.

La rationalisation c’est aussi la justification des groupements d’entreprises pour les clercs en question. C’est évidemment quelque peu irrationnel qu’un ensemble de PME ne mettent pas en commun leurs moyens, leurs compétences, leurs stratégies mêmes.

Il faudrait donc tendre vers cela. La Raison supérieure doit commander aux entreprises et leurs dirigeants s’y résoudre. Voilà l’idée première. L’idée seconde, c’est que la taille des ensembles organisés ainsi constitués doit leur permettre économiquement non seulement d’innover technologiquement mais aussi, grâce à cela, de développer leur activité sur le marché mondial.

Qu’on est loin de la réalité. De la réalité humaine dont les motivations, la créativité, l’ambition, les vocations sont tout simplement ignorées. On est loin de la réalité tout court qui montre que de simples artisans, que des PME minuscules ont déjà accès au marché mondial.

Leur succès tient peut être à la souplesse que des groupements n’auront pas et surtout à l’originalité que les standards et les normes qui coifferont rapidement les groupements vont vite stériliser.

Alors faut-il renoncer aux groupements d’entreprises ? Au contraire ils participent au mouvement du monde.

Ce sont les “récupérations” ou interprétations fallacieuses de ce “mouvement du monde” qu’il faut éviter. Celle des clercs du culte de la Raison (à chacun de se rappeler notre histoire) dont l’interprétation opportuniste méconnaît tant les phénomènes communautaires que les processus de créativité et ceux de l’innovation et qui s’accrochent à un “modèle industriel” et bureaucratique dépassé depuis plusieurs décennies.

Il faut aussi craindre les récupérations stérilisantes d’un contre mouvement du monde qui ne sait pas distinguer l’avant et l’arrière, le haut et le bas et qui pense que l’interconnection résiliaire est la source des phénomènes humains d’innovation et d’engagement collectif. La rationalité industrielle est remplacée par une rationalité systémique mais le Sens et la responsabilité humaine dans les processus humains restent toujours ignorés.

Interprétation et conditions de réussite des groupements d’entreprises

Le mouvement du monde est une mutation à l’échelle des siècles, une renaissance après un siècle qui proclamait il y a peu la fin de l’histoire et dont les enfants criaient “no future”.

Cette mutation est en train de bouleverser profondément nos rapports à l’espace, autrement que l’automobile et les transports au 20ème siècle.

Au-delà des déplacements physiques ce sont les relations à distance, donc toutes les activités et les affaires humaines, qui sont en pleine mutation. Ces mutations ne sont pas toujours très visibles, très lisibles et encore moins compréhensibles. Aussi il est bon d’en connaître quelques clés.

La période précédente a privilégié le face à face individualisme, collectivisme dont les structures formelles du rationalisme sont une figure.

La période qui s’amorce articule le devenir personnel et le devenir communautaire comme lieu et support du premier.

Les “communautés de Sens”, communautés de devenir, communautés de projets, communautés de développement, communautés entreprenantes sont l’un des clés du mouvement du monde.

Communautés de personnes, communautés de communautés différentiées, ensembles communautaires sont à la base de toutes les émergences. Les “communautés virtuelles” ou communautés dédiées à un but commun ou à une finalité partagée en sont le modèle avancé (bien que souvent balbutiant).

Les “communautés territoriales”, les “communautés culturelles” sont au premier rang de ces émergences. Elles sont des communautés d’habitants, des communautés d’acteurs et d’entreprises, des communautés de communautés de tous ordres.

C’est là que les communautés d’entreprises trouvent leur lieu d’émergence et leur raison d’être. C’est là aussi que leur formation participe tant au développement de leurs membres qu’à celui des communautés territoriales auxquelles elles se rapportent.

Leur propre développement en est le gage et leur empowerment (capacité de maîtriser son devenir) la finalité et la méthode.

Voilà donc à quel mouvement du monde participent plus ou moins consciemment les groupements d’entreprises, celui du développement communautaire.

Quelles en sont les caractéristiques ?

1) Toute personne, toute communauté, tout groupement s’inscrit dans une ou plusieurs “communautés de référence”.

2) Chaque communauté de référence dispose d’une identité originale, différenciée et d’un potentiel de développement et de rayonnement original.

3) Chaque communauté peut dégager le “Sens du bien commun” et les valeurs propres qui l’expriment comme moyen de cohésion et de mobilisation.

4) L’identité communautaire doit comporter:

– des racines rétrospectives liées à une histoire, sa genèse,

– des qualités introspectives qui déterminent ses potentiels spécifiques

– des ambitions prospectives qui traduisent un positionnement et une vocation pour le futur.

5) Les réalités actuelles de la communauté (ou du groupement) ne sont que le révélateur d’un stade d’évolution communautaire et les conditions de départ des nouveaux projets.

Il ne suffit donc pas de réaménager des conditions actuelles pour assurer le développement et le succès communautaires.

C’est pourtant ce que tendent de faire les “récupérations” précédentes:

– tout organiser et régler pour que ça marche automatiquement

– ne rien organiser, ni régler pour que la magie du désordre opère.

Quelques recommandations pour les groupements d’entreprises

1) Savoir où ils habitent

Habiter une communauté territoriale (locale, régionale, nationale) ou bien une communauté professionnelle ou autre, c’est la condition d’établir une légitimité et une motivation qui transcende les intérêts particuliers sans les ignorer.

2) Enraciner leur raison d’être

Il s’agit de dégager “le Sens du bien commun” de la communauté d’appartenance et les valeurs qui s’y rapportent.

(Idéalement c’est une “analyse de cohérences culturelles” et l’élaboration partagée d’un référentiel de valeurs identitaires et d’un référentiel de valeurs opérationnel qui sont à réaliser).

Il s’agit d’un travail en rapport avec les nécessités nouvelles de la mutation, un travail d’intelligence symbolique ou intelligence du Sens dont l’ingénierie découle des travaux de l’Humanisme Méthodologique).

3) Déterminer un positionnement, une vocation et une ambition prospective

Il s’agit d’un croisement entre les ressources et potentiels originaux et les opportunités qu’offre à terme la mutation. L’état d’évolution collective du groupement joue un rôle dans la capacité de formulation ou d’appropriation de l’ambition.

4) Établir un processus de gouvernance ad hoc

Il dépend des modes culturels de travail en commun, différents selon les communautés de référence. Il dépend aussi du stade d’évolution et de maturité du groupement et ses difficultés éventuelles. Il réclame enfin d’intégrer une certaine évolution pour des raisons pédagogiques d’apprentissage collectif et aussi pour franchir différentes étapes indispensables.

5) Engager l’élaboration d’un projet cadre.

Il est à la fois le fruit d’une créativité, d’une rationalisation et d’une mise en mouvement collectives. La réflexion prospective est évidemment indispensable (voir méthodes des cercles de prospective opérationnelle).

6) Passer de la stratégie, du projet cadre, au plan d’action

C’est l’affaire des parties prenantes dés lors qu’elles en ont acquis la maturité collective suffisante.

Quelques commentaires

Il est clair que tous les groupements n’en sont pas au stade de maturité qui leur permet de prendre le recul nécessaire et d’engager tout ce qui serait utile à leur développement. Il est ainsi indispensable de prendre en compte le niveau de préoccupations accessible.

Cependant rien n’empêche qu’un petit noyau d’animation assume lui le travail fondateur et stratégique.

Il est possible de faire appel ensuite à la sensibilité, à l’intuition, au pragmatisme et à l’intelligence des parties prenantes pour susciter motivation, créativité et appropriation collective. C’est aussi l’un des enjeux de la “gouvernance”.

Par ailleurs il est possible de faire participer à tel ou tel stade du processus d’autres parties prenantes. Celles de la communauté de référence, du territoire par exemple. Celles de partenaires ou même de clients concernés par les valeurs du groupement.

De ce fait les animateurs du groupement peuvent coaliser des forces qui sont bien utiles pour soutenir le projet de différentes manières.

Enfin deux préoccupations doivent être sans cesse considérées :

– L’animation de la dynamique communautaire qui passe par la conscience d’une identité collective et l’appropriation d’une ambition commune,

– Un marketing de l’offre où les questions : “qu’avons nous à offrir?”, “qui sont nos clients?” (qui apprécient nos valeurs) engage à une créativité et une innovation permanente, une innovation humaine et de service avant même d’être éventuellement technologique.

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