Quelles sont donc nos valeurs ?
La question des valeurs est de plus en plus présente. Cependant ce n’est pas toujours avec la profondeur et la compréhension voulues que la question est traitée. En conséquence, c’est l’efficacité et la puissance mobilisatrice qui sont dilapidées. On en donnera ici quelques indications utiles.
Les plus grandes entreprises affichent leurs valeurs sur leurs sites web. Toutes cherchent à les faire partager tant à leur personnel pour assurer cohésion et mobilisation qu’à leurs clients pour qu’ils les apprécient et leur voue fidélité, mais aussi pour toutes les “parties prenantes” dont elles dépendent.
Les territoires sont en quête d’identité et d’attractivité. Leurs valeurs sont ce quelles ont à offrir aux visiteurs, aux acteurs économiques et aussi pour la mobilisation de leurs habitants.
Seulement la montée en puissance de cette quête de valeurs pour des raisons d’ancrage identitaire, d’éthique et de confiance ou d’efficacité collective s’accompagne plus discrètement d’un certain scepticisme surtout au vu d’expériences peu probantes.
Quelques scènes classiques: affichage tonitruant, impact très faible. Contradiction entre valeurs affichées et valeurs vécues. Divergences entre un système de valeur voulu et les systèmes d’évaluation en place. Mimétisme banalisant de “valeurs” à la mode. Formules sans contenus vraiment intégrés.
Or plus que jamais la force de l’engagement collectif est le gage de réussite comme la capacité de rassembler autour de valeurs partagées. Le temps des communautés de projet, des communautés de devenir, des communautés d’ambition est venu.
Il met en cause les “calculs” d’une vision individualiste dont les organisations se délitent. Il répond à une attente de personnalisation, d’implication pour ce qui en vaut la peine dans le choix de communautés de Sens, multiples et conjuguées (communautés de communautés).
Cela correspond à un changement des “espaces vécus” et donc des “espaces à vivre” dont l’unité tient aux valeurs propres partagées. L’architecture en devient celle d’un monde où la “mondialisation” est un pôle, la “proximité” l’autre et entre les deux les multiples communautés d’engagement, entreprises, associations, territoires, équipes, pays, communautés virtuelles.
Quelles sont nos valeurs ? suppose, un nous, donc une communauté à laquelle s’identifier. Y a-t-il des valeurs propres à chaque communauté, communauté donnée ou communauté choisie pour cela ?
Il faut avoir recours à une anthropologie philosophique pour répondre sur le fond par l’affirmative (celle de l’Humanisme Méthodologique). C’est aussi ce qui permet de comprendre les erreurs et les fausses valeurs dont font commerce évidemment les faussaires.
Quelques indications vont aider à cadrer la question et la réponse finale.
D’abord les valeurs propres sont des indicateurs de contribution au “Sens du bien commun”. C’est pour cela qu’il est si important de les partager, tant au sein de la communauté pour qu’elle progresse, se développe, réussisse que pour bénéficier de l’enrichissement que justifie une attractivité vers des “clients” choisis pour cela. Le marketing des valeurs est d’ailleurs l’instrument de cette promotion d’échanges et d’établissement durable de relations fructueuses.
Mais alors quelles valeurs propres, y en a-t-il d’impropres ?
Oui d’abord l’adoption de valeurs correspondant à un niveau de communauté inadéquat. Imposer des valeurs “universelles” pour mobiliser une communauté de projet est une erreur. Même une adhésion idéologique ou sentimentale ne permet pas de gérer les affaires propres de la communauté et l’environnement relationnel qui s’y attache. Cette dissociation est préjudiciable tant à l’identification collective (le nous) qu’à l’implication pertinente de “concourances”. Elle provoque dispersion plus que cohérence, distraction plus qu’implication.
Alors comment articuler par exemple des micro communautés et une macro communauté, des communes et une communauté de communes, des équipes, des établissements et une grande entreprise ou même un groupe? Le premier principe, à chacun son niveau de valeurs propres, son référentiel de valeurs partagées. Le second principe, il existe un lien possible entre les valeurs “de groupe” et les valeurs locales. Les secondes se déduisent des premières par “traduction” en conservant leur Sens, celui du bien commun (méthode MRVP).
Il y a aussi les valeurs de proximité, celles du vécu quotidien, familial, d’un petit groupe d’habitués. Le problème est le même. La confusion des niveaux est une erreur assez générale soit par adoption de valeurs d’un niveau trop large, soit par adoption des valeurs d’un niveau trop étroits.
Une autre erreur provient d’une confusion sur la notion de valeur. Si les valeurs ne sont pas des indicateurs de contribution au Sens du bien commun alors elles ne servent pas le bien commun, la réussite collective et même les desservent.
Deux indications d’erreurs classiques.
La promotion de valeurs “individualistes” (chacun ses valeurs selon ses préférences individuelles) ne favorisent pas les concours et synergies nécessaires à l’établissement d’une puissance collective, d’agir et de progresser (du moins avec des gens majeurs).
La promotion de valeurs “idéales” (images universelles) conduit à des identifications mimétiques, à des postures, à des faux semblants peu propices à l’efficacité durable du groupe en le décentrant de ses valeurs propres et donc d’une consistance possible des valeurs d’emprunt.
Reste à signaler le caractère régressif ou immature de valeurs souvent affichées qui empruntent leur formulation à des mobiles infantiles ou adolescents. Les personnes qui sont invitées à s’y retrouver s’en trouvent consciemment ou inconsciemment dévalorisées ce qui peut susciter des comportements incontrôlables en tout cas peu responsables comme dans les sociétés mineures.
Quelles sont donc nos valeurs propres ? Maintenant que l’on sait ce qu’elle ne sont pas, voyons ce qu’elles sont.
D’abord les trois sources.
La mémoire historique dont se dégage à l’analyse des repères du “bien”: mythe des origines, événements, pratiques, réussites, personnages, etc. Elle prévaut même lorsque les groupes sont issus de recombinaisons ou d’importations récentes dans l’imaginaire collectif. Les valeurs sont là narratives, elles racontent quelque chose qui touche et n’est pas impersonnel.
La “culture” comportementale et le caractère d’une personnalité propre, une mentalité, une sensibilité dont il faut une “sociologie de profondeur” pour en comprendre et dégager les talents, les potentiels, les compétences et les richesses propres. C’est dans l’art et le métier que s’expriment des logiques comportementales “de valeur” ou dans des usages prometteurs de services.
La projection dans le futur qui exprime aussi sous forme de promesses ce que peuvent “valoir” pour demain les potentiels précédents et qui fait des valeurs des vecteurs d’entraînement attractifs. L’évaluation prospective des potentiels conduit à cette analyse.
Les “valeurs” expriment le Sens du bien commun qui transcende ces trois sources où elles trouveront leur consistance significative. Exemplarité, potentialité, espérance, liées entre elles, constituent donc les racines de ces valeurs.
Ensuite les valeurs doivent toujours conjuguer trois modes d’expression.
Les valeurs essentielles (ou expression essentielle des valeurs). C’est de l’ordre de l’esprit, des finalités, des motivations profondes, des aspirations. Sans cela pas de mobilisations ni de convergence.
Les valeurs projectives (ou expressions projectives). Ce sont les buts et marches de progrès qui constituent l’échelle de valeur avec laquelle on pourra “mesurer” objectifs et réalisation. En dépend la possibilité d’une cohérence concrète de l’action.
Les valeurs objectives (ou expression objective). Ce sont les critères significatifs de performance que l’on pourra effectivement mesurer. En dépend la confrontation à la réalité des résultats concrets.
La défaillance de l’une des trois dimensions ou bien leur existence dissociée (des critères quantitatifs incohérents avec l’esprit général ou les buts fixés par exemple) rend le recours à des “valeurs de référence” inefficace et même préjudiciable.
C’est pour cela que l’établissement d’un référentiel de valeurs à partager est la condition d’une opérationalité du recours aux valeurs.
Les valeurs propres en définitive expriment l’originalité d’une histoire singulière, de potentiels (métier personnalisé), d’un positionnement sur le futur. Leur expression authentique va donc être tout sauf banale.
Elles sont des indicateurs du Sens du bien commun ce qui les rend propice à faire converger les forces et les énergies dans le même Sens.
Elles doivent intégrer le volet subjectif (motivation), projectif (cohérence), objectif (performance) sans quoi elles ne peuvent être opérationnelles.
Le management par les valeurs (une fois dégagé de sa version utilitariste sans âme) est l’art d’assurer les dynamiques humaines de l’entreprise en développant une puissance collective bien supérieure à l’addition des seules capacités individuelles.
Pour les territoires, c’est leur développement qui y trouve un vecteur d’action majeure ainsi qu’une justification essentielle.
Le paradigme de la valeur n’a pas fini de dévoiler ses potentialité pour renouveler les possibilités de l’action collective dans le Sens du bien commun. La méthode MRVP en est l’exemple pour les entreprises et les organisations.
La méthode MICP en est elle une traduction pour les territoires pour le développement durable approprié ou le “tourisme des valeurs” par exemple.
En conclusion, dans la recherche des valeurs propres il faudra en définitive distinguer trois plans. D’abord l’intime de la recherche rétrospective, introspective et prospective. Ensuite l’appropriable qui doit se traduire dans le langage propre et opérationnel de ceux qui vont partager à leur niveau ou dans leur domaine le même référentiel. Enfin le communicable pour faire passer toute la portée des valeurs propres au travers de représentations parlantes. Ne confondons pas les valeurs avec leur expression médiatique.