« Le religieux après la religion »
En janvier 1999 une discussion a eu lieu au Collège de philosophie sur ce thème entre les deux auteurs du livre ainsi titré qui vient de paraître aux éditions Grasset (Octobre 2004).
Le point de convergence sur la question de l’homme et d’un « absolu » mystérieux en l’homme source de son « autonomie » possible la laisse en suspens. L’Humanisme Méthodologique y répond très précisémment.
Lettre ouverte à Luc FERRY et Marcel GAUCHET
à propos de leur discussion sur “Le religieux après la religion”
Merci pour le risque de la discussion qui dévoile tant la force de la quête que la faiblesse de certains arguments, qui dévoile le Sens de l’humain autonome en vous et la contingence hétéronome du langage et des références.
Vous êtes, semble-t-il, d’accord entre vous sur ce qui suit:
1) Le constat de la fin d’une emprise sociale et politique historique des religions (en Europe de l’Ouest principalement).
2) La mise en question des religions comme affirmation d’une hétéronomie radicale.
3) La mise en question des réductionnismes, depuis les matérialismes jusqu’aux socio-biologismes.
4) L’existence d’une sorte d’”absolu” en l’homme qui fait de son humanité autre chose que d’être de la seule “nature” (des choses).
Vous êtes en désaccord sur le fait que pour aborder cet “absolu” et ses implications le discours religieux puisse offrir des ressources pertinentes comme la “transcendance” dans l’immanence ou les références terminologiques, conceptuelles ou métaphoriques que Luc Ferry emprunte explicitement au christianisme. Marcel Gauchet en réfute la nécessité mais ne propose pas (ou pas encore) d’alternative.
Nous sommes en 1999, l’édition revue et corrigée est d’octobre 2004.
L’un et l’autre insiste sur l’urgence d’une réponse à cette question d’une conception de cet “absolu” (le terme est reconnu comme problématique par les deux).
Cette réponse elle existe, c’est l’Humanisme Méthodologique.
Elle montre bien comment l’homme est capable d’autonomisation de par son humanité même, telle qu’elle lui est donnée et malgré les interdépendances auxquelles les réductionnismes, eux, le réduisent.
En cela c’est une anthropologie humaniste, c’est-à-dire une science de l’homme qui met en évidence les conditions de son autonomie intrinsèque dans un champ de contingences. Elle est humaniste parce qu’elle reconnaît que cette “autonomisation” n’est pas “fatale”, ce qui serait contradictoire, mais une possibilité qui implique une sorte de choix et donne valeur à cette autonomisation.
Notons qu’il est assez commun de penser que l’autonomie du nouveau né est moindre que celle qu’il peut acquérir dans son existence et notamment sa maturité.
L’Humanisme Méthodologique est aussi un éclairage et une pratique qui porte sur tous les domaines de l’expérience humaine et, en particulier, toutes les situations et les affaires humaines où, de ce fait, se joue concrètement la question de son autonomisation.
L’auteur n’est ni un philosophe professionnel, ni un historien, ni un intellectuel au sens d’une appartenance sociale. Par contre il bénéficie de “l’expérience d’être humain” partagée avec tous les autres y compris des philosophes, des historiens, des intellectuels et bien d’autres “éclaireurs”, sinon des réponses du moins des questions.
C’est comme cela qu’une “pensée pour l’action”, née voici plus de 25 ans s’est développée et identifiée à un “humanisme méthodologique”.
Elle s’éprouve dans l’action et se pense dans l’expérience.
Les nombreux domaines de mise en pratique montrent qu’il y a là une certaine fécondité et que celle-ci est le signe de la manifestation de quelque “absolu” d’humanité en l’homme. La puissance et la diversité des éclairages en est un autre signe.
Quelques indications sur l’Humanisme Méthodologique:
– Le Sens (singulier et pluriel), propre de l’homme, constitutif de son humanité, lieu même de la question de la liberté humaine, c’est-à-dire l’autonomie responsable (dont il peut répondre).
– Les ConSensus ou Sens partagés, clés de la relation d’altérité et fondements de toute expérience humaine elle-même théâtre de toute contingence hétéronome (ça dépend des autres) et de toute autonomie (liberté de Sens possible).
– La structure de toute expérience humaine, de toute “réalisation” du monde et pas seulement “des conditions à priori de l’entendement” (structure cohérencielle, trialectique sujet-objet-projet).
– Le discernement des Sens, condition de liberté et de maîtrise d’une certaine autonomie responsable. Le discernement des Sens en est comme la révélation et non pas la production “en avant”. Ce qui est (ou peut être) “en avant”, c’est le développement de l’autonomie responsable.
Quelques commentaires sur les positions tenues.
1) La fin de l’emprise sociale et politique des religions.
Ce qui me semble vrai pour une grande partie de l’Europe et sans doute d’autres régions du monde ne l’est pas pour la majorité des humains. En outre l’emprise sociale et politique de systèmes tout à fait homologues à ce qui est reproché aux religions (mêmes procédés) a connu au 20e siècle un éclatant succès avec les résultats que l’on connaît.
N’y aurait-il pas effectivement là l’expression d’une dimension intrinsèque à l’humanité de l’homme.
L’Humanisme Méthodologique montre qu’il s’agit d’un Sens particulier dit de la “possession” toujours actif avec ou sans religions.
Les religions sont elles réductibles à ce seul aspect d’une “possession” hétéronome?
Non semble-t-il si on en croit simplement les ressources qu’y trouve Luc Ferry.
Qu’est-ce qui est condamnable ? Les religions ou l’hétéronomie possessive auxquelles elles se sont elles aussi identifiées ?
2) La mise en question des religions comme affirmation d’une hétéronomie radicale
L’hétéronomie est cette affirmation que ce qu’il en est de l’existence humaine est entièrement exo-déterminé.
Nous voyons bien là que ce n’est pas le seul fait de religions mais de tous les “réductionnismes”. Ne pourrait-on pas dire que réductionnisme veut dire ici négation de ce qu’il y a d’autonomie et de liberté en l’homme, ce qu’il y a d’humanité “donnée à elle-même”?
Alors pourquoi l’attribuer en premier lieu aux religions (hormis pour des raisons historiques sociales et politiques) qui offrent en quelque sorte le choix d’un refus, condamné certes, mais possible alors que les réductionnismes matérialistes, scientistes, etc. en nient jusqu’à la possibilité même. Leur incohérence est patente dès qu’une “position humaine” veut s’affirmer ou se voir dénoncée (contre nature) alors que la possibilité en a été niée.
3) La mise en question des réductionnismes actuels
Comment expliquer le rejet de l’hétéronomie des religions et l’acceptation candide sinon militante de celle des réductionnismes?
Les premières semblent dire: “si vous désobéissez vous serez puni”, voilà de quoi réagir et rappeler les affres d’une enfance et d’une adolescence aux prises avec une autorité parentale, même soucieuse de “l’autonomisation” de ses enfants.
Les seconds semblent dire “vous n’y êtes pour rien, tout ce qui vous anime est naturel”. Bien sûr ce message ne se tient pas longtemps et notamment dès qu’une “altérité” responsable, une “autorité” autonome vient dire, “je” et prend position sur la crédibilité même du message.
Il y a là aussi une constance, dessiner les règles de la nature des choses et stigmatiser leur transgression, incohérence de tous les réductionnismes.
Les réductionnismes sont en fait des interprétations de l’humanité réduite à l’une ou l’autre des dimensions de son expérience posée elle comme réalité première extrinsèque et négatrice donc de tout “absolu” en l’homme.
L’humanisme Méthodologique en met en évidence des variantes en même temps qu’il montre qu’il s’agit, au fond, de variantes de Sens, qu’il s’agit bien toujours ainsi de postures humaines fondées dans le même “absolu” et donc auto négatrices. La déclaration d’hétéronomie absolue est une auto négation de l’autonomie possible.
Dimensions de l’expérience humaine susceptibles de participer à un réductionnisme (citées ici en désordre)
– dimension subjective, intentionnelle (subjectivisme)
– dimension objective “matérielle », (objectivisme)
– dimension projective rationnelle, (rationalisme)
– dimension affective émotionnelle, (animalisme, emprise du Sens de la possession)
– dimension factuelle comportementale, (matérialisme)
– dimension mentale représentations, (idéalisme)
4) L’existence d’un “absolu” en l’homme
Le terme d’absolu pose un problème parce qu’il ne répond pas au questionnement.
Il semble bien que celui-ci puisse être cerné par, d’une part, ce qui échappe en l’homme à tout déterminisme (fusse-t-il celui de l’aléatoire), à toute hétéronomie ou exo-détermination et, d’autre part, ce qui est le lieu, la source, et en définitive l’enjeu ultime de toute liberté, pensée comme autonomie.
Il est vrai qu’il y a de l’éxo-détermination, de l’hétéronomie en l’homme et aussi de l’endo-détermination, de l’autonomie. (On conviendra facilement que certaines figures de l’endo détermination individuelle liée à la programmation génétique ou aux facéties neuronales ne sont que de l’hétéronomie bien vendue).
Les questions que l’on peut se poser sont celles-là. Ce qui est le lieu de l’autonomisation et ce qui est le lieu de l’hétéronomie sont-ils de même nature? Si le second s’identifie à la réification de l’expérience humaine collective, le premier doit y échapper, se trouver en deçà ou/et au-delà de l’expérience contingente.
Quel rapport y-a-t-il entre ce qui est lieu d’autonomisation et ce qui est lieu d’hétéronomie?
L’Humanisme Méthodologique propose ceci.
L’hétéronomie humaine est l’expérience de l’altérité, l’autonomie celle de l’autorité (auteur). Ce qui est lieu et source possible d’autonomie (qui ne semble pas s’exercer sans un cheminement long et sans fin) est dit “l’Instance” et ce qui est expérience, hétéronome, est dit “l’existence” de l’homme dans le monde.
La relation est celle là.
L’existence est l’expérience de l’Instance qui s’ignore et qui croit, au départ, cette existence toute hétéronome (ou tout autonome). Cette expérience est celle des Sens en conSensus avec d’autres Instances (L’Instance est l’être de Sens, de plusieurs Sens).
L’existence est “réalisation” des conSensus.
Les réalités de l’existence sont susceptibles d’un discernement des Sens en consensus et c’est comme cela que le Sens parait se révéler “en avant”. En même temps il se découvre source, vecteur d’autonomie, d’une autonomie engagée dans l’hétéronomie de l’altérité, condition de réalisation et condition de révélation de l’humanité de l’homme.
Ce sont là quelques éléments de l’anthropologie de l’Humanisme Méthodologique.
Vue de l’esprit? certes, si l’esprit est Sens. Mais, s’il l’est, alors toute réalisation, toute action dans la réalité humaine est actualisation de Sens. C’est ce qui se passe en pratique avec l’Humanisme Méthodologique.
Conclusions
Il y a un autre point d’accord entre les deux débatteurs, semble-t-il, c’est une commune référence aux “Lumières” et sans doute à la Raison.
Observons que ces “Lumières” laissent pourtant dans l’obscurité le “mystère” de ce qu’ils disent l’”absolu” en l’homme (un absolu bien relatif). Comment expliquer cela?
Où est l’erreur?
L’Humanisme Méthodologique reconnaît la raison comme l’une des dimensions de l’expérience humaine dimension dont d’ailleurs les formes à priori sont bien celles de l’espace et du temps (de l’espace-temps nous a suggéré depuis Einstein).
Cependant il existe des expériences a-temporelles, a-synchrones, celles qui vont au-delà de toute raison, elle diachronique, sans l’ignorer d’ailleurs. Il existe aussi des expériences u-topiques dont l’une est étonnamment celle de la physique quantique.
Il y a aussi un réductionnisme rationaliste, celui dont les failles laissent présager sinon apparaître d’autres lumières celles de l’humanité de l’homme et pas simplement les reflets (réflexifs) de ses représentations mentales.
Qu’en est-il de Dieu pour l’Humanisme Méthodologique ? On retiendra volontiers cette pensée de St Irénée de Lyon au 2e siècle. “Nul homme n’est assez grand pour en savoir quelque chose des affaires de Dieu”. Laissons ici la question en suspens.
Cependant tout homme est assez grand pour accéder à son humanité à ce qui parait “comme un absolu” depuis son existence contingente et qui seul rend pensable et actualisable l’autonomie humaine.
Reste à considérer quelques questions:
– Comment l’homme accède-t-il à une autonomie qui lui apparaît si souvent illusoire ou encore comment l’homme choisit-il la liberté et à quoi renonce-t-il pour cela ?
– L’homme est-il libre d’être humain, capable de liberté et de sa négation? ou encore comment éviter de faire dériver l’absolu d’une conjonction d’hétéronomies réductionnistes?
L’Humanisme Méthodologique en propose quelques réponses possibles en théorie et en pratique dont rend compte notamment son “Journal Permanent”
http://journal.coherences.com