Politique cultures et sociétés

Le politique se définit par la cité et la cité est une communauté humaine dont le devenir est l’affaire du politique dans son rapport à la communauté. La problématique du pouvoir a exténué toute pensée du politique en occupant avec l’économie tout l’espace où on aurait pu comprendre les communautés humaines et les phénomènes qui s’y rattachent. Pour cela il faut aller « au coeur du sujet » l’homme et penser les communautés comme étant de nature humaine. Tout le reste en découle.

Une illustration de la théorie des Cohérences Humaines est ici développée dans le champ du politique mais à partir aussi de différents aspects de la question de la constitution et du développement des sociétés ou communautés humaines.

Nous sommes, précisons-le, dans une perspective tout à fait particulière qui considère que l’homme est à l’origine des sociétés humaines en même temps qu’il en est la finalité.

Nous affirmons donc que les phénomènes de société ont une origine humaine et qu’il en va de la responsabilité humaine de conduire nos sociétés dans un sens bénéfique pour les hommes. C’est l’enjeu du politique.

Nous pourrions ici aussi mettre en évidence différents sens de la conception du politique et des sociétés humaines.

Nous y retrouverions nos vieilles références et ces discours, toujours les mêmes, qui s’affrontent en témoignant des cohérences humaines qui les fondent.

Oui il y a un lien entre des positions de vie et des positions politiques c’est un lien de Sens (plus que de forme)!

Oui il y a un lien entre les visions de l’homme et de l’accomplissement humain et la conception des sociétés humaines!

Oui les sciences humaines et politiques sont productions humaines et par là empreintes de subjectivité et d’objectivations subjectives!

Non il n’y a rien de fatal qui oblige à s’enfermer dans les mêmes errements!

Nous n’envisagerons pas la question du niveau ou de « l’âge » des discours politiques les plus fréquents, nous situant dans la perspective d’un sens et d’un niveau dignes de sociétés avancées.

La théorie des Cohérences Humaines entraîne cependant à une révision profonde de nos certitudes les plus fréquentes et à relire autrement ces questions. On verra que cela débouche sur des éclairages et des possibilités qui peuvent aider à la résolution des problèmes majeurs de notre époque.

Nous traiterons successivement quatre questions :
a) la notion de culture selon la théorie des Cohérences Humaines avec l’exemple de l’Europe.
b) le problème de l’intégration, exacerbé par la multiplication des exclusions et la sollicitation d’étrangers à l’immigration.
c) le développement local rural ou urbain
d) le politique, sa vocation et son action.

LA THEORIE
DES COHERENCES CULTURELLES

Une des conséquences importantes de la théorie des Cohérences Humaines est le renouvellement de la notion de culture, culture humaine il va sans dire. Le plus intéressant, au-delà de la compréhension des phénomènes culturels et des rapports entre cultures, c’est le caractère opérationnel de ce concept qui permet, et une connaissance intime des cultures dans leur profondeur d’humanité, et l’utilisation de cette connaissance pour entreprendre des actions politiques, stratégiques, économiques culturellement fondées.

Nous allons envisager cette question tout d’abord sur le fond. Qu’est-ce qui constitue la racine d’une culture humaine ?

Ensuite, nous verrons ce que sont les modes d’expression d’une culture en même temps que le caractère strictement culturel de toutes réalités humaines.

Après avoir envisagé les conséquences de la multitude des communautés culturelles auxquelles nous participons et sommes confrontés, nous terminerons par un exemple de cohérence culturelle : celle de l’Europe

LES RACINES ANTHROPOLOGIQUES
DES CULTURES HUMAINES

Toute communauté humaine, dès lors qu’elle est identifiée, s’inscrit dans une histoire. Celle-ci peut être brève mais aussi durer des millénaires. Ce qui fonde l’unité, la permanence et la particularité de chaque communauté c’est sa culture ou plus exactement ses racines : le consensus entre les instances humaines.

Il nous faut rappeler ce point de la théorie des Cohérences Humaines qui est que les sens sont rassemblés en centres de rayonnement (des cohérences) que l’on peut imaginer comme une infinité hétérogène de tendances, propensions, orientations, dispositions comme autant de rayons partant d’un centre : les sens de ces entités appelées ici « cohérences ».

L’Instance de chaque personne est faite de toutes les « cohérences » qui forment son « capital d’humanité » et à partir desquelles il établit ses consensus avec d’autres.

Selon son histoire et le contexte de son existence chacun inscrit une part importante sinon majeure de lui-même dans le consensus de la société ou il vit ( ou des communautés où il existe : famille, ethnie, etc…).

Ainsi on peut dire que :
– chaque communauté a une culture fondée sur une cohérence humaine en consensus, qu’on appellera la Cohérence Culturelle,

– cette cohérence humaine est partagée par une partie de l’humanité : la population qui s’y retrouve et s’y reconnaît plus au moins consciemment.

– cette cohérence humaine représente une part de l’humanité de l’homme une part d’Instance humaine parmi d’autres.

Ainsi chaque culture est fondée dans une part d’humanité et concerne, de façon principale, une partie de l’humanité.

Cependant on peut déduire de ce qui précède que :
– chaque personne peut participer à plusieurs cultures investissant alors des parts de son humanité différentes (et qui quelques fois s’ignorent).
– nous pouvons rejoindre au plus profond de nous-mêmes la culture de communautés étrangères (sous réserve d’une « approche » authentique).
– l’ensemble des cultures constitue l’universalité mais une universalité différenciée en multiples cultures.
– chaque culture (et donc chacun de ses membres) a en héritage sa part d’humanité et que c’est par cela qu’elle participe à l’universalité humaine (à sa manière propre et non pas selon un standard formel qui lui demanderait d’être autre).
– c’est par sa culture que l’homme accède à l’universel humain.

Tout ceci doit être nuancé par le fait que chacun participe de plusieurs cultures et qu’il faut donc se référer à chaque fois à la culture de prédominance dans laquelle on est investi à un moment donné.

Il faut encore rajouter une considération sur ces cohérences qui constituent l’Instance humaine. Si la connaissance de la nature humaine éclaire sur la consistance des cultures humaines, inversement ce sont les réalités culturelles qui témoignent de l’humain qui y est investi et auquel on peut accéder par cette médiation.

La culture c’est ce qui, par le rapport aux autres, nous fait accéder à nous-mêmes et inversement peut nous permettre de servir les autres au sein même de la communauté d’humanité et de culture.

Enfin il faut s’approcher un peu plus de ce qui constitue le fond de chaque culture, cette cohérence qui est un ensemble de Sens rayonnants d’un même centre.

Chaque cohérence en l’homme est une problématique humaine. En effet l’enjeu, à chaque fois, est celui du discernement et de l’engagement du « bon » sens, engagement de la personne dans le sens du bien. Les autres sens n’étant pas « bon » sens parce que ne visant pas le « bien » humain sont donc sources de difficultés et de problèmes.

Ainsi le lot de chaque culture, faisant consensus sur une problématique qu’elle a en héritage, c’est de trouver et cultiver son « bon sens » et donc d’y ajuster son consensus et ainsi son existence.

Le « bon » sens de chaque culture est le sens de sa « vocation », le sens de sa « civilisation », le sens de la culture qu’elle a à faire d’elle-même.

C’est aussi le sens selon lequel elle déploie ses meilleurs talents, meilleurs potentiels, meilleures oeuvres.

C’est le sens par lequel elle permet à ses membres de s’accomplir au mieux en tant que tels et par lequel elle peut établir les meilleures relations avec d’autres cultures, leur apportant ainsi le service d’une vocation originale dont le mérite est la résolution d’une problématique humaine. Si chaque culture en a une en héritage cela veut dire que toute son histoire témoigne des problèmes, conflits, tendances et aussi vertus correspondantes.

Chaque culture porte ses tares et ses vertus en portant la problématique humaine qui la justifie pour elle même et pour toutes les autres. Chaque culture est investie d’une certaine problématique particulière mais sa vocation a une partie universelle dans la mesure où elle vise tous les hommes concernés par cette problématique.

Ainsi, pour résumer, chaque communauté humaine est une culture, elle est basée sur une cohérence en consensus. Cette cohérence est une part de l’Instance humaine et constitue l’une des problématiques de l’humain. Les sens de cette cohérence qui fonde chaque culture, rayonnent autour d’un centre et parmi eux se trouve le sens de la vocation de cette culture à résoudre sa problématique. C’est le sens à cultiver pour le service de ses membres et des autres hommes.


LES MANIFESTATIONS DE LA CULTURE

La théorie des Cohérences Humaines montre que toutes les réalités humaines sont le fait d’un consensus, celui simplement d’une communauté de culture. Ainsi le consensus d’une culture s’actualise-t-il dans le monde manifeste de celle-ci , ses réalités.

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STRUCTURE COHERENCIELLE DES REALITES CULTURELLES


C’est donc selon la structure cohérencielle que l’on peut envisager comment se manifeste une culture dans la réalité.

L’intention – Vocation
Le sens de la culture se traduit en intention, aspiration, en vocation, système de valeurs etc…
Chaque culture est fondée sur tout un ensemble de sens formant Cohérence parmi lesquels le Sens de sa vocation, qu’il s’agisse d’une culture locale, régionale, nationale, de celle d’une ville, d’une organisation, d’une entreprise, la vocation commune est à rechercher parmi toutes les tendances inhérentes à cette vocation Un choix, éminemment « politique », consiste à privilégier cette vocation, à cultiver comme intention collective ou volonté politique.
L’objet et l’univers d’existence
Les cultures humaines ont souvent été associées à un territoire ou bien un centre géographique comme une cité (Rome). Elle ont pu l’être à un livre : La Thora ou une religion; l’Islam…

Chaque culture a ainsi un objet autour duquel semble se vouer l’existence de cette culture. Les peuples se sont dotés d’objet ou lieux symboliques, marques de leur unité .

Plus généralement chaque culture se vit dans un espace qui est le sien, qu’elle l’érige en universel ou qu’elle le réfère à un universel c’est toujours un trait, une manifestation de cette culture que de se déterminer par son domaine et ce qui fait son unité.

Lorsqu’une culture par là même se confond avec son territoire ou sa race alors on n’est pas loin des nationalismes meurtriers.

Le développement de l’histoire
Cette troisième dimension est celle qui permet de caractériser une culture par le développement de son histoire ou encore l’histoire de son développement. On y puisera des rationalisations rétrospectives pour expliquer, comment la culture s’est constituée, développée, a subi avatars et gloire. On y puisera aussi des ambitions et des projets jusqu’à l’expérience d’une « mission » qui réalise la conscience d’une raison d’être originale.

Le développement dans une région, une cité, par exemple, n’est rien d’autre que la poursuite de l’histoire de la communauté, si possible dans le sens de son bien, mais en tout cas selon les buts et les manières propres à cette culture.

Usages et moyens
Le plan factuel nous fait envisager les usages et pratiques qui caractérisent une culture, ce sont les façons de faire, de produire, les produits et les techniques forgées ou appropriées.

Il faut, bien souvent, un oeil exercé pour se rendre compte de l’existence de ces usages culturels persistants là où il semble y avoir eu banalisation des produits et des techniques.
Représentations
Depuis les mythes fondateurs jusqu’aux façons de comprendre le monde et de s’exprimer, le champ des représentations a souvent été assimilé à celui spécifique de la culture. Il s’agit encore là d’une réduction. Son identification aux yeux de la communauté comme aux yeux des autres est une caractéristique et quelque fois un souci des communautés culturelles.

On notera que la crise des représentations du monde moderne bouleverse les référents identificatoires ce qui se traduit par une sorte de dissolution des cultures ou par une crispation identitaire quasi pathologique. Les « mentalités » sont les modes de représentations culturelles.

Sensibilités et moeurs sociales
Chaque culture apprécie selon ses valeurs subjectives ses conditions objectives, les choses, les affaires humaines et de la vie en société. Cela s’exprime dans ses sensibilités. D’une culture à l’autre les personnes sentent les choses différemment jusqu’à la douleur qui semble-t-il n’est pas la même selon les cultures pour ce qui semble être la même maladie. Cette sensibilité culturelle se traduit de façon élaborée dans les moeurs sociaux, les rôles et leurs relations, les responsabilités et leurs architectures, leurs hiérarchies etc…

La construction de la société est une dimension culturelle et on aurait tort de vouloir normaliser toutes les sociétés humaines quant à ce qu’elles estiment important ou secondaire et aux rôles et responsabilités qu’elles en déduisent.

La tendance à préconiser des modèles standards est, pour certains occidentaux, une manière de se détourner du fond d’humanité des cultures pour en faire une question de formes (réductions culturelles ou idéologies politiques).

LA MULTIPLICITE DES CULTURES ET LEURS RELATIONS

LE CAS DE L’EUROPE

La multitude des communautés culturelles et leurs rapports est un des problèmes les plus complexes et les plus transversaux de ce temps, compte tenu de la rapidité et de la généralisation des relations.

Problèmes entre les nations, les pays, les régions, les ethnies; problèmes dans les organisations multiculturelles, problèmes même entre cultures professionnelles, philosophiques, sociales, etc.

On sait, d’expérience, ces problèmes solubles mais aussi qu’aucune solution classique n’est véritablement valide.

Annuler le fait culturel c’est renoncer à une identification du lien social ancré dans l’humanité de l’homme. Comment renoncer à sa personnalité pour participer à un jeu collectif abstrait de ces racines humaines. On voit bien que des décennies ou des siècles après les cultures sont toujours là..

Enfermer le fait culturel dans une réalité close, territoire, formes culturelles ou religieuses, débouche sur les nationalismes et intégrismes meurtriers.

Établir une vaste circulation des objets culturels déconnectés de leurs racines propres pour, au mieux, en faire le support d’images folkloriques, cela aussi est dommageable. L’universalisation de la société marchande, lorsqu’elle est réduite au fonctionnement du système économique et seulement régi par ces lois supposées économiques est toujours une solution démentie par l’histoire. Ce sont toujours les cohérences humaines qui régissent les rapports humains et l’histoire et non pas des lois économiques résidant dans quelques cieux abstraits d’où elles régneraient.

La théorie des Cohérences Culturelles éclaire ce problème du multiculturalisme autrement.

Tout d’abord si le lot de chaque culture est d’être ancrée dans un consensus sur la cohérence d’une problématique humaine alors c’est au coeur de chacun, en son Instance que se situe déjà le multiculturalisme. Il faut donc le résoudre en soi-même si on veut le résoudre dans la réalité.

Ainsi il faut reconnaître en soi ou se reconnaître dans les autres cultures pour, déjà, apercevoir la pluralité en question. L’absence de cette reconnaissance est alimentée d’ailleurs par ce qui relève du simple descriptif, ne témoigne pas ou ne parle pas au coeur, au plus profond de soi, constituent ainsi ces savoirs dépourvus de connaissance véritable.

Cette ignorance qui peut aller avec force érudition entraîne à une sorte de clivage où la personne ne sait plus lorsqu’elle est d’une culture ou d’une autre. Les personnes dites biculturelles vivent souvent ce problème d’un déplacement intérieur, d’une coupure entre deux mondes.

Les relations multiculturelles impliquent aussi cette sorte de reconnaissance de la culture de l’autre mais aussi de la sienne qui dépasse celle que l’on en a en général. On verra dans un prochain chapitre comment la pratique des cohérences humaines permet ces découvertes par l’analyse des cohérences culturelles.

On peut en définitive concevoir quatre solutions pour les relations entre deux cultures.

– ou bien la rencontre dans l’une des cultures ce qui suppose un déplacement de l’autre qui renonce (provisoirement) à la sienne.

– ou bien un double déplacement sur une culture commune plus profonde et surplombante si bien que la différence entre les cultures devient une différence dans la culture commune.

– ou bien encore un double déplacement sur une culture tierce, éventuellement créée pour la circonstance autour d’un objet commun et qui sera de ce fait beaucoup plus superficielle. C’est un peu le cas des relations internationales qui s’établissent sur un jeu d’échanges relativement réduit ou bien qui tentent d’établir des règles régissant un espace commun où personne ne se retrouve réellement. Cette solution est juste suffisante pour des rapports contingents.

L’étude des cohérences culturelles de l’Europe à un double intérêt ici. D’une part elle illustre ce qu’est une culture dans ses différents sens à partir de la problématique qu’elle a en charge. D’autre part il se trouve que la problématique de la culture européenne, liée à la question du rapport à l’étranger, déploie en tous sens des tentatives de résolution de ce problème des relations entre cultures.

On peut même conclure que la vocation de l’Europe, son meilleur sens et sa possible vertu (comme ses principaux vices), c’est justement d’avoir à résoudre cette question en étant déjà communauté de communautés. La question du lien social et de la constitution des communautés humaines est aussi l’une des plus européennes qui soit, ce qui fait qu’en Europe se jouent des questions auxquelles il va falloir répondre à nouveaux frais.

La Cohérence de la Culture Européenne et ses sens
Europe ou le rapport à l’inconnu.

étude réalisée en 1989

Dès l’origine l’identité de l’Europe est un mystère. La phénicienne mythologique, séduite par Zeus déguisé en un taureau étrange qui a donné son nom à l’Europe n’y avait jamais mis les pieds. Dès le VIIe siècle avant Jésus-Christ le terme désigne le territoire formé par le péninsule de l’Asie et les « terres inconnues » du nord de la Grèce.

Terme de géographie, ce n’est qu’épisodiquement, avec de longues éclipses que l’idée d’une communauté, d’une culture, d’une unité politique différenciée se fait jour.

Ce que l’étude nous révèle c’est que le lien commun, le lieu de la rencontre des consensus européens est cette problématique humaine du rapport à l’Inconnu.

L’Inconnu c’est ce qui est et que l’on ne connaît pas, le mystère, le coeur ou la vérité des choses, l’Etre, derrière les apparences, l’inconscient en nous-même et les autres, l’Autre être, étrange étranger qui nous est présent sans que l’on puisse le saisir, le connaître absolument. C’est une présence invisible que l’on manque à maîtriser, un défaut de maîtrise, un manque au coeur du visible et qui tient lieu d’Etre.

Culture de l’Etre, de l’Etranger, elle est la culture de la personne comme être singulier original et unique, insaisissable dans sa radicalité.

Philosophie grecque et anthropologie chrétienne en font la terre d’élection d’une pensée humaniste et d’un personnalisme qui peuvent ainsi tourner à l’anti-humanisme et à l’individualisme.

L’Inconnu est ce qui interpelle l’européen et suscite ses réactions, les réactions en tous sens qui caractérisent sa culture aux frontières si floues, au coeur si insaisissable, et pour cause.

La carte de cohérence servira pour cela de guide ou plutôt de boussole dont les directions sont autant de sens pour les réactions à cette interpellation par l’Inconnu. Autant de sens pour des sensibilités, des mentalités, des usages différenciés. Autant de sens pour des logiques, des dynamiques et des valeurs diversifiées, pour le pire et le meilleur.

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Chaque sens de la carte de Cohérences se comprend par opposition à son inverse et par conjugaison de ses latéraux.

Horizontalement
A gauche, l’Europe est celle des contrastes, de l’aventure, aux frontières du connu, de l’entreprise incertaine et du saut dans l’inconnu. Elle est celle du courage, de la rencontre de l’étranger, du mystérieux. Culture d’aventuriers et d’entrepreneurs et culture de la confrontation… des cultures, de la rencontre des différences.

A droite, au contraire, l’inconnu suscite recul et retrait, crainte et défensive. Il appelle sécurité et protection derrière ce qui efface la différence, élimine l’incertain, l’inconnu. Idées toutes faites, idéologies, goût de l’ordre établi sont autant de défenses. La réduction du réel au conscient, de l’univers au connu, font partie des défenses que la psychanalyse (bien européenne) a mis en évidence et que les sociétés européennes savent cultiver par toutes sortes d’artifices.

Verticalement
En haut, l’Europe est celle du formidable désir de connaissance qui en fait le berceau de grandes découvertes et de la science moderne par exemple. L’inconnu appelle la curiosité, l’ouverture et celles-ci débouchent à la fois sur l’humanisme et la tolérance et sur la recherche du nouveau. Le manque de maîtrise provoque le désir de compréhension; le problème: le désir de résolution. Connaissances et techniques fleurissent sous la gouverne de cette réaction.

En bas, à l’inverse, il y a en Europe une réaction négative face à l’inconnu et l’étranger. Tout simplement il n’existe pas, c’est quantité négligeable et bon à être ignoré. L’Europe s’enorgueillit d’autant plus d’être LA culture, LA civilisation qu’elle refuse de voir et d’entendre ce qui lui est étranger et qu’elle ne peut que subordonner. L’individualisme est avant tout rejet de l’autre dans son étrangeté, son altérité. L’égocentrisme est refus de l’être, de l’inconscient, de la profondeur source de différence. Le manque de maîtrise se résout par la fermeture sur le territoire de l’égo, celui du à soi et du même.

Combinés ces quatre sens donnent :

Au Sud-Ouest, une confrontation négatrice paradoxale qui fait de l’autre un rival, de l’étranger un concurrent et une opportunité. L’Europe des puissances n’a cessé de nouer des alliances et des compromis pour mieux rivaliser avec l’autre. Son manichéisme est mâtiné de compromissions, si bien que les extrêmes se trouvent complices dans un affrontement dont l’antagonisme supporte tout à fait une identification réciproque des partis. Berceau des idéologies de la lutte des classes et de la concurrence fondatrice l’Europe ne cesse de reconstituer ses blocs et ses tours d’ivoire corporatistes pour les nouvelles batailles qui ne sont que la règle du jeu de déjouement de la présence de l’autre et de l’être en soi.

Au Nord-Est c’est le contraire évidemment, « Ouverture défensive », nouveau paradoxe de la culture européenne. Oui à l’inconnu à condition de l’inscrire dans une structure connue ordonnée. Le rationalisme est européen et la France en est l’un des plus fameux berceaux. Objectiver l’inconnu, normaliser les différences, régler et réglementer. Telles sont les réactions face à l’incertain, l’étranger, le non familier. Encyclopédistes, rationalistes, républicains, démocrates formalistes, systémistes, scientistes contribuent à tisser cette immense broderie de l’organisation commune d’une Europe ouverte sur un ordre toujours à repriser, qu’il soit mental, juridique, administratif, politique, scientifique, social, économique, etc.

Au Sud-Est refus défensif, crainte et réaction sécuritaire, négation de l’autre, de l’étranger, font le lit des fascismes, totalitarismes, nationalismes extrémistes. La xénophobie, le racisme, alliés aux envolées romantiques et aux exaltations morbides ont connu leur sommun dans le nazisme. Nier le Néant et se retrouver fasciné par la mort de l’Autre, qui n’épuise d’ailleurs pas le sujet tant qu’il y a de l’être en soi à suicider. Destin des violences paranoïaques. L’Europe maître du monde tel est là son destin impossible, source d’insécurité inépuisable. Le refoulement de l’autre, de l’être et de l’étranger, sont une tentative de fuite dans le déni de l’Etre. Edgar Morin voit là le fondement de l’Europe. Cela n’en est que son pire penchant.

Au Nord-Ouest, ouverture et confrontation. La rencontre se fait concourance. Reconstitution du tissu des êtres, des autres, des inconnus. Alliances et réconciliations, union des différences, l’Europe est alors communauté de communautés, elle est en quête d’intégration mais intégration veut dire respect de l’intégrité de l’autre dans une union féconde. Alliance de l’esprit et de la matière dans la créativité, alliance de la philosophie et de la science dans la connaissance et le discernement. Alliance des valeurs complémentaires reconnues et risquées ensemble. Union entreprenante d’entreprises autonomes. Bouquet des valeurs et des talents. Commerce des valeurs différenciées pour trouver une unité de consensus. Résolution de la question de l’unité des différences. Concourance des entreprises, économie de concourance. Telle est la vertu majeure de la culture européenne. Ce qui est sa problématique est la source de ses meilleures valeurs. C’est aussi sa vocation.

La vocation Européenne tient en deux mots, réconciliation et concourance. Elle a une visée aussi bien philosophique et spirituelle que culturelle et sociale en même temps que dynamique et pratique.

Cet esprit européen n’est pas dominant même si on peut en pressentir à bas bruit l’émergence :
– construction européenne en butte aux réactions normatives, rivalisantes ou fascisantes,
– rencontre, découverte et création de réseaux d’entreprises,
– recherche d’une unité, d’une identité européenne réparatrice des excès de l’histoire, tant pour elle-même que pour les territoires qu’elle a occupé, dans le respect des autres et avec leur concours.

Mais pour imaginer une Europe engagée dans sa vocation, encore faut-il accepter l’Inconnu et ne pas refuser l’aventure, avoir le courage de la découverte, de la rencontre, de la création. Telle est l’aventure toujours neuve que l’Europe offre à l’homme moderne pendant qu’elle ne cesse de le tenter sur des pentes plus faciles et si bien balisées par l’histoire. Peut-être faut-il retrouver les chemins des pèlerins et des marchands, des bâtisseurs de cathédrale et des maîtres d’antan pour qu’au Moyen âge réponde aujourd’hui l’âge mur de l’Europe, gage d’une plus grande maturité de l’homme, intégré et réconcilié. Cette Europe n’a pas de frontières puisqu’elle peut habiter partout où il y a des hommes originaux, des cultures singulières et des entreprises de concourance à vivre.

A l’Europe de s’inventer comme foyer et non comme territoire ou comme norme. Telle est la voie de son universalité, non exclusive de celle des autres cultures.

DESINTEGRATION
ET INTEGRATION SOCIALE

Dans les pays occidentaux, et en France notamment, on assiste à un développement extraordinaire des « exclusions », chômeurs, jeunes sans emploi, nouveaux pauvres, handicapés physiques et mentaux, immigrés ou descendants de l’immigration…

Si toutes ces catégories se recoupent il n’en reste pas moins que ce sont en France des millions de personnes qui sont concernées, avec leur famille bien souvent.

Il ne s’agit plus d’une question de « marginalité » mais de désintégration sociale.

Depuis au moins une décennie règne l’idée qu’il y a d’un côté une société assimilée à un système (économique principalement) et de l’autre des exclus. Les politiques d’insertion reposent sur ce schéma d’un dedans/dehors. Ce schéma occulte le fait qu’il s’agit d’une seule société et que c’est au coeur d’elle même que les ruptures s’opèrent.

Au lieu de fabriquer une sorte d’excroissance du système socio-économique pour inclure les exclus par toutes sortes de « mesures » et de dispositifs il faudrait s’interroger sur le phénomène de désintégration de notre société

Pour cela, si on ne veut pas continuer à accumuler les raisons qui n’expliquent rien, il faut en venir à la question de l’intégration d’une communauté humaine.

Comment se forme une communauté humaine, comment elle tient, quel est son lien, sa nature et ses modalités. C’est comme cela que l’on pourra comprendre le phénomène de désintégration et aussi penser des solutions d’intégration individuelles et collectives.

Ce type de question : désintégration/intégration se pose aujourd’hui très largement dans la mesure ou cela touche aussi bien les individus que des groupes entiers (professions en difficulté, minorités etc…).

Le point fondamental est lié à la conception du lien social, à la conception de l’unité d’une société. On reprendra ici les quatre tendances à l’oeuvre aujourd’hui, évoquées en introduction, qui nous donnent quatre visions de la question reposant chacune sur un sens différent, un regard avec sa cohérence propre.

Premier regard, première version :
La société est un amalgame qui tient son unité d’un pouvoir de cohésion. L’exclu est celui qui, par quelque biais, trahit la communauté, l’étranger est suspect et le chômeur fainéant, le handicapé l’a bien cherché.

On voit bien que c’est par quelque procédure d’allégeance que peut se faire une intégration qui vise à abolir la différence d’être c’est-à-dire l’altérité. En effet la communauté formant un seul corps il n’y a plus qu’un être : le détenteur du pouvoir, identifié à l’être de la communauté (le peuple), l’un et l’autre se justifiant mutuellement, union du peuple grâce au pouvoir, pouvoir au nom du peuple.

Toute altérité : autre peuple, autre être, différent, autonome, est aperçu comme altération, souillure, pollution, impropre (le « sale étranger »).

Les exclusions sont donc vécues comme la sanction d’une altération plus au moins coupable, et l’intégration comme une prise de possession ou dépossession de l’altérité de l’autre, une soumission consentie (assimilation?). Malheureusement il arrive que sur le terrain ce soit de telles injonctions qui sont pratiquées, réclamant le renoncement à l’Etre pour « avoir le droit ».

Second regard, deuxième version :
La société est l’architecture rationnelle des fonctions sociales. Il y a une sphère du privé, du personnel, et une sphère du social dont le lien est la structure rationalisée de la cité sur tous les plans, matériel, politique, économique, etc…

D’une certaine manière le lien-structure s’impose aux personnes pour régir leur participation à la société et donc leur permettre d’y subsister et d’y fonctionner selon leur compétence.

L’exclusion est donc là une question de compétence et naturellement la solution un problème de formation à la compétence socio-technique requise.

Un surcroît de rationalisation sociale, associé à un effort de (con) formation devrait venir à bout du problème.

Il semble bien là que quelques chose échappe à la raison, qui rende globalement vaines les structures d’intégration bâties dans ce sens. La raison économique, politique, sociale, technique, ne serait-elle pas déterminante de la constitution de la communauté ? Probablement pas mais quelle révision pour l’idéalisme rationaliste et la plupart des idéologies modernes qui y sont ancrés !

En effet il est quelque peu étonnant que les sommets de perfectionnement, de rationalisation, que les techniques, notamment, s’assortissent d’un tel échec sur la structure d’ensemble de la société qui semble quelque peu se désagréger.

Troisième regard, troisième version :
Le lien social n’est rien d’autre ici que l’ensemble des interactions qui constituent le système social. Les individus (il n’y a plus « personnes » au bout du compte) n’existent que par l’ensemble des interdépendances auxquelles ils participent. La logique du système, en termes d’équilibre, veut que le bilan des interactions soit positif ou négatif.

S’il est positif alors les individus profitent du système dans la mesure même de leur adaptation, les autres sont plutôt déchus du système ce qui est dans la nature des choses lorsqu’il sont moins « adaptés ». Cette ligne de l’équilibre adaptatif sépare la société en deux. C’est le fondement logique réel de la société duale.

Même les inadaptés sont en quelque sorte intégrés au système dans la mesure ou c’est une loi de nature qui leur assigne une place.

Le problème n’est plus que d’organiser la circulation qui permettra le libre fonctionnement du système quitte à prévoir des voies de recyclage où certains trouveront le moyen de revenir dans la première catégorie et les autres n’auront plus qu’à assumer cette position d’exclus dans une infrastructure adéquate à leur condition mineure.

L’insertion dans les interstices de l’une ou l’autre facette du système social est synonyme d’intégration. Voyons bien que lorsque le système des interactions extra individuelles est considéré comme lien social, c’est une extra territorialité humaine qui forme le terrain social, le lieu du lien. L’humanité de l’homme comme le préfigurait le rationalisme est exclue du lien social. Ici le prix de l’insertion, c’est la négation d’humanité de la personne.

Dans ces trois versions l’homme est invité à être autre qu’une personne douée d’humanité pour se réduire à l’individu que réclame la société pour s’y trouver intégré. Le prix de l’intégration c’est la perte d’intégrité.

Si, au contraire, le lien social, selon le sens que reconnaît la théorie des Cohérences Humaines comme le meilleur, est sens et consensus. C’est le coeur même de la personne, là ou réside son intégrité qui y est investie.

L’intégration sociale est l’univers des intégrités. L’intégrité personnelle (sous le meilleur sens) est la condition de l’intégration à la communauté et, par suite, de la communauté.

L’intégration de la communauté est le processus par lequel les hommes s’intègrent à la communauté et découvrent et développent leur intégrité.

Autrement dit, la recherche et le renforcement de l’intégrité personnelle, l’intégration à la communauté et la formation de la communauté elle-même vont de concert. L’idée d’une société stable et d’une modification de l’individu pour s’y intégrer est dangereuse et même désintégrative avec son lot de délinquance, déviance, drogue, auto-destruction. L’injonction d’insertion, dans cette perspective, est la source de la désintégration.

L’idée d’intégration de personnes à une communauté sans mise en question de cette communauté est dangereuse. Elle fonde son développement dans l’annulation des altérités et non dans leur concourance dont la configuration dépend des membres (alter), même si le sens commun reste le même.

Autrement dit, toute communauté humaine est une communauté fraternelle d’étrangers (lorsqu’elle est vue dans le sens adéquat).

L’intégration dans une communauté implique donc simultanément :
– la reconnaissance de la personne (ou du groupe humain) dans son intégrité et sous ses meilleurs potentiels personnels et culturels.
– la reconnaissance de la communauté dans son intégrité culturelle, et sous ses meilleurs potentiels.
– la rencontre et l’accueil réciproque dans la recherche des conditions d’une intégration où l’un évolue vers l’autre, micro pédagogie des personnes, macro pédagogie des groupes humains.
– le développement d’une concourance, autrement dit du service de la personne à la communauté, et de la reconnaissance par celle-ci de la valeur de ce service par rapport aux fins et au devenir de la communauté.

On pourrait dire ainsi que l’intégration sociale se fait par un « commerce des valeurs » c’est-à-dire connaissance, reconnaissance et conjugaison des « valeurs » réciproques. Le commerce, comme moyen du lien social, est bien justifié à condition que ce soit ce « commerce des valeurs » où rien n’interdit de resituer les échanges de « biens » et « services » s’il s’agit du bien et du service des hommes.

Enfin l’intégration sociale ne peut se faire qu’en partage de consensus selon un sens, c’est-à-dire selon une perspective ou un projet. C’est la concourance à un projet commun qui permet cette intégration et non pas un face à face duel.

L’intégration des personnes à la communauté fait évoluer le projet de la communauté qui pèse évidemment plus lourd en général que l’apport de quelques personnes. Le projet social, la perspective de développement de la communauté au travers de ses modalités d’existence, est le terrain de tout rapprochement.

Une société sans projet humain se désintègre par désimplication de ses membres. Il en va de même s’il s’agit de faux projets humains négateurs ou réducteurs de l’humanité de l’homme.

Pourquoi s’étonner que des projets par trop rationalistes, technocratiques, économistes, naturalistes ne mobilisent pas les populations. Elles ne sont pas touchées au coeur. Alors les manipulateurs d’affectivité archaïque ou de sentimentalité immature ont le terrain libre pour substituer la violence des affects au discernement du sens et de la vocation humaine des personnes et des communautés. Les épreuves de l’Europe devraient nous questionner sur la connaissance qu’ont les européens de leur propre culture et vocation culturelle locale et des autres cultures de la même communauté européenne (au-delà des représentations, des affects et des intérêts immédiats).

L’Europe est interpellée dans sa vocation même. Il n’est pas étonnant qu’intégration et désintégration y soient simultanément à l’oeuvre. Il s’agit que les européens, et avant tout ceux qui font profession de responsabilité, discernent le bon sens et cessent d’alimenter les sens destructeurs d’intégrité avec des certitudes figées en guise de conscience des sens. Les responsables ont à répondre du sens des entreprises qu’ils dirigent, des communautés qu’ils orientent.

C’est là le problème du politique.


LE DEVELOPPEMENT LOCAL
RURAL ET URBAIN

Considérée à partir de la théorie des Cohérences Humaines, il nous faut observer que la question du développement est au croisement de la question de la culture, pour le fait qu’il s’agit d’une communauté locale, et de la question de l’entreprise pour ce qui concerne les modalités et la maîtrise du développement.

La généralisation du terme de développement, tant dans les pays du tiers monde que dans les régions et localités du monde occidental, est significative de l’avènement d’une nouvelle façon d’envisager la vie des collectivités humaines.

Il ne s’agit pas simplement de conservation ou de subsistance mais de développement.

Cependant il ne faut pas prendre le développement comme un chose, que l’on fabrique, que l’on met en place, que l’on apporte là où il en manquerait. Il faut le comprendre comme le mouvement même d’une communauté humaine qui déploie les potentialités qui lui sont propres et progresse ainsi dans l’accomplissement de ses vertus et par là même de ses hommes.

Trop souvent le développement est envisagé, ou même réalisé, « à l’encontre » de ceux qui sont censés en être bénéficiaires.

Il nous faut donc envisager ici trois couples de repères pour discerner la logique d’un développement véritable, celui dont les finalités humaines en justifient le projet et les moyens.

Au développement forcé, contrainte nécessaire imposée par quelque crise ou conjoncture, nous opposerons un développement ambitieux, qui traduit des aspirations et une espérance de progrès humain au travers des modalités de l’existence collective.

Au développement exogène, conçu selon des modèles, des normes et des méthodes étrangères, nous préférerons le développement endogène qui est l’expression originale de la collectivité et de sa culture propre.

Au développement plaqué, construction artificielle ou aménagement installé sur le terrain d’une collectivité locale et coupé de ses racines, nous substituerons un développement participatif et communautaire, fruit d’une « concourance » entre les partenaires concernés.

Le développement est la réalisation d’une ambition propre fondée sur un consensus.

Dans de nombreux cas, ces principes ne sont pas respectés.
– par exemple le développement d’activités économiques au détriment des populations locales ou au profit d’intérêts individuels ou extérieurs,
– par exemple le gaspillage d’investissements qui s’avèrent non pertinents ou qui ne sont pas intégrés par les gens,
– par exemple la mise en place d’aménagements qui répondent plus à la satisfaction d’experts ou de technocrates qu’à celle des habitants qui les désertent.

On pourrait taxer d’incohérent tout développement dont les justifications et les réalisations ne seraient pas authentiquement fondées dans le milieu social, la collectivité humaine dont ce doit être l’engagement propre.

Au travers de quelques questions simples, on peut vérifier, évaluer et même fonder la cohérence et l’authenticité de tout projet de développement.

Le développement de qui ? Le développement de quoi ? Le développement pourquoi ?

LE DEVELOPPEMENT DE QUI ?
Question largement oubliée. Il n’y a de développement que celui d’une communauté humaine. Autrement dit, tous les problèmes, processus et fruits du développement ne peuvent qu’être ceux de la collectivité en propre. S’il s’agit de l’habitat, c’est son habitation, s’il s’agit d’agriculture, c’est son activité agricole, s’il s’agit d’équipements collectifs ce sont ses équipements.

Cela ne veut pas dire que la collectivité acquière quelque chose en plus mais qu’elle développe ce qu’elle est. Il s’agit plus d’un Etre que d’un Avoir.

Le développement doit toujours être envisagé comme un acte d’auteur, celui de la collectivité elle-même. Ce sont ainsi les potentialités de la collectivité qui devront s’actualiser pour qu’un développement soit endogène.

Mais pour cela il faut reconnaître ce que sont les potentialités propres, ce qui fonde le caractère propre et original de la population concernée.

La théorie des Cohérences Humaines montre qu’il s’agit là de ce que l’on a appelé la culture du groupe humain.

Le sujet du développement, c’est donc la culture de la collectivité. C’est elle qui se développe, c’est-à-dire qui s’actualise dans un présent en devenir.

LE DEVELOPPEMENT DE QUOI ?
Cette question est liée à la première. On pourrait considérer le développement des choses, des structures, des systèmes en eux-mêmes, pour eux-mêmes, par exemple, le développement de l’agriculture. Or de nombreux exemples montrent que le développement (au sens de croissance) de l’agriculture peut se faire au détriment des agriculteurs eux-mêmes. En outre, il arrive souvent que l’on confonde le développement avec l’installation ou l’extension d’aménagements qui ne concernent pas les gens.

En fait, il n’y a de développement que du mode d’existence propre de la collectivité. Si c’est la culture qui se développe, ce qu’elle développe, ce sont les modalités d’existence du groupe humain. Ces modalités sont aussi riches et variées que ce qui fait la vie en société, habitat, techniques, relations, connaissances, vocation, représentations, projets, oeuvres, réalisations, échanges internes et externes, etc…

Le développement est donc celui des modes d’existence collectifs qui sont eux-mêmes l’expression de la culture propre.

Ces modes d’existence préexistent forcément à toute action de développement. De ce fait, le développement est toujours une évolution de l’existant et ne doit pas être plaqué comme sur un terrain vierge, une table rase.

Par ailleurs, le développement de telle ou telle réalisation ne vaut qu’en tant qu’elle participe à la vie commune et à son évolution. C’est la condition pour que le développement soit intégré, c’est-à-dire qu’il soit en cohérence avec l’ensemble des modalités de la vie collective. En effet, un aménagement urbain qui ne participe pas des modes d’habitation et des données économiques du lieu, restera une greffe artificielle susceptible de phénomènes de rejets, à moins d’une « récupération » par le milieu social.

C’est comme cela que l’on gaspille de grands investissements en négligeant l’essentiel : le développement des modalités d’existence commune, de co-existence.

LE DEVELOPPEMENT POURQUOI ?
Sachant qu’il n’y a de développement que celui des modes de vie d’une communauté culturelle, il reste encore à justifier le sens de ce développement. Pour se développer, il faut sortir de tous les fatalismes et du pathos nécessitaire qui n’ont pour effet que de développer l’angoisse et son commerce florissant.

Au contraire, le développement doit être justifié par une espérance, des aspirations qui expriment des valeurs humaines communes. En fait, chaque communauté culturelle possède une diversité de tendances, les pires comme les meilleures, parmi lesquelles on peut discerner une « vocation culturelle ».

Autant on peut souhaiter à une personne de se développer selon sa vocation propre, autant on peut l’espérer d’une collectivité locale ou nationale, celle d’un quartier ou d’une région. Chaque collectivité humaine porte dans sa culture les dispositions à plusieurs développements qui lui sont propres. Mais elle porte parmi elles une vocation qui correspond à ses meilleures valeurs, ses meilleures potentialités et donc le meilleur accomplissement de ses richesses et de ses hommes.

Le développement pour le développement est stérile ou même néfaste. Il suffit d’en voir les effets dans le tiers monde et même ailleurs.

Tout développement qui n’est pas l’accomplissement d’une vocation culturelle originale n’est pas justifié ni pour les hommes de la communauté, ni pour les autres collectivités humaines.

Lorsqu’il est orienté selon la vocation propre de la collectivité culturelle, le développement est le plus fécond et le plus profitable, non seulement à la collectivité elle-même, mais à tous ses partenaires extérieurs. C’est ainsi que les intérêts peuvent converger, contrairement aux visées captatrices et concurrentielles qui prévalent souvent.

Le lecteur habitué à se confronter aux aspects techniques, financiers, aux problèmes réglementaires de pouvoir, de coordination, etc..pourrait juger utopique ou irréaliste cette conception du développement. Ce peut être le cas de projets dont le sens est discutable ou dans une perspective réductionniste, si courante, qui tend à traiter les affaires humaines sans les hommes ou malgré eux.

C’est aussi probablement le fait d’une carence des sciences humaines qui n’ont pas permis jusqu’ici de maîtriser les implications anthropologique fondamentales de cette approche, pourtant énoncée ou réclamée ici ou là (le développement endogène fondé sur la culture, ou les recherches d’un urbanisme vraiment « ‘habité » par les gens, etc..).

En définitive, la réalité du développement est celle issue d’un consensus culturel. Elle est, dans son fondement, liée au partage d’humanité et à l’originalité d’une problématique humaine qui constitue les racines de la communauté. C’est pour cela que lorsqu’il est pris dans le sens de la vocation culturelle du milieu, alors ses formes sont toujours originales. Il a fallu souvent chausser les lunettes d’une vision normative pour ne plus déceler cette originalité, la personnalité de toute communauté, et en venir à imposer des modèles dont le standard est dépersonnalisant, cela rejoint certaines conceptions de l’intégration-insertion.

Par ailleurs le développement au travers de ses multiples visages trouve sa cohérence dans le sens de son « entreprise ».

Les projets de développement ont alors toutes les caractéristiques des entreprises humaines et, à leur manière, sollicitent toutes les questions du gouvernement des entreprises humaines. Cet aspect entrepreneurial du développement pose la question d’une direction qui renvoie au politique. Il pose la question d’une mobilisation collective, celle des stratégies, des identifications, des opérations, de l’économie etc..

Il faut observer que lorsque le développement est réduit à l’économique on se trouve souvent dans un sens « culturel » qui réduit la réalité à une alternance d’abondance ou de pénurie: profiter ou survivre.

On se trouve aussi quelques fois tout simplement au niveau d’une vision primaire, judicieuse uniquement s’il s’agit d’une communauté d’âge primaire.

La théorie de l’évolution des phénomènes humains montre en effet qu’une société d’âge primaire trouvera son meilleur développement dans l’apprentissage du perfectionnement de son économie (règles de l’existence de la communauté)

Une société d’âge secondaire cherchera à développer son identité au travers de ce qui peut la qualifier aux yeux des autres populations et de la sienne.

Une société d’âge tertiaire cherchera plutôt à développer une vocation originale en cultivant ses potentiels en vue d’accomplir une « mission » vis-à-vis de ses membres et des autres communautés. Reste à ce que le sens de cette mission soit sain.

L’évolution de la situation internationale remet en question la responsabilité des nations, les unes vis-à-vis des autres, et même des peuples ou régions minoritaires.

On peut aussi avec ce moyen de lecture comprendre les situations où il semble qu’un « sous développement » soit à l’oeuvre.

Pour certaines il s’agit de sociétés qui n’ont pas pris la voie de cette progression des âges et dont le développement est vain par rapport à cette civilisation .

Observons comment des régions très industrialisées aux 19 et 20 siècles connaissent une deshérence d’autant plus grave que le succès industriel s’est allié avec une déresponsabilisation collective, un désapprentissage de la maîtrise locale de l’économie.

Observons aussi cette étonnante impuissance de communautés humaines entières (chômeurs, concentrations urbaines, populations du tiers monde) à assurer, comme l’homme l’a toujours fait, leur subsistance. Tous se passe comme si il y avait un désapprentissage du savoir exister ensemble, du savoir constituer une communauté en développement.

N’est-ce pas une des conséquences de l’idée moderne que le développement est l’extension d’un système (par lui-même ou par l’Etat) plutôt que celui du tissage des liens de concourance qui forme la communauté au travers des échanges de services.

Les régressions sont nombreuses aujourd’hui, même dans les pays dits développés. Elles peuvent même conduire des sociétés à un âge archaïque, celui du déchaînement des passions aveugles.

Dans le sens inverse c’est bien à une véritable reconstitution de la communauté que l’on aura à faire :
– reconnaissance de peuples, ou communautés régionales ou locales abîmées dans la confusion, la violence ou l’apathie.
– rééducations lorsque le savoir-faire de la vie économique est perdu et qu’il faut réapprendre de façon très pragmatique à assumer collectivement la subsistance et la croissance.
– réhabilitation lorsqu’une communauté ne trouve pas sa place ou ne trouve plus la qualification de son originalité à force de banalisation ou d’enfermement dans les stéréotypes de l’idéologie ou des modes séductrices.

Aujourd’hui les véritables problèmes du développement sont de cet ordre, non pas pour réparer artificiellement un système économique accidenté mais pour réparer une société qui a perdu le sens et la maîtrise de son existence. De ce fait la connaissance des cohérences humaines qui font le lien social est indispensable.

C’est à une sorte de clinique sociale qu’il faut faire appel, mais il n’y a pas de clinique sociale sans une théorie de la nature humaine, des sociétés (carence des sciences humaines et sociales contemporaines qui ont évacué la question de la nature de l’homme).

Concluons sur le fait que la théorie des Cohérences Humaines, pénétrant au coeur de l’histoire des communautés humaines, sans négliger ses réalités, montre que les questions de développement renvoient à une confrontation avec les problématiques humaines qui forment l' »âme » des sociétés et avec la génèse de celles-ci et l’accomplissement de leur vocation.

Le coeur de la question est gravement ignoré de la majorité des experts et un nouveau regard est la condition incontournable de la résolution des problèmes posés au monde actuel dans les pays pauvres et au coeur même des sociétés riches dont la pauvreté du développement humain éclate de plus en plus. Les auteurs de science fiction nous ont présenté ces dernières décennies, des sociétés modernes dans leur technologie et profondément arriérées sur le plan de la civilisation.

Ce que des millénaires ont construit est toujours à la merci de la négation ou de l’ignorance du sens humain du développement.


LE POLITIQUE

L’un des problèmes majeurs de notre temps est celui du politique. Il se présente sous deux aspects: la remise en cause de certitudes et de nouveaux problèmes difficiles à résoudre. Les remises en causes sont notamment de trois types:
– Le problème de la crédibilité des hommes politiques qui sur le fond traduit une « perte de sens » ab-sens que l’abstentionisme électoral exprime souvent ainsi qu’une nouvelle exigence éthique sous la forme ambiguë du soupçon.
– Le problème de la démocratie où l’on voit qu’en son nom tout est possible et on peut se demander s’il faut sauver le concept, ou s’il faut sauver ce qu’il serait sensé signifier. En particulier l’hypothèse d’une égalité de valeur des opinions, quelque soit leur sens dans le jeu démocratique, ignore la question du sens de la vie collective. De même que celle d’une égalité de conscience, de discernement et de maturité humaine ignore le problème de la responsabilité, relative au progrès humain puisque tous les jugements se vaudraient, indépendamment de leur pertinence.
– Les problèmes nés de l’effondrement du bloc de l’Est qui confrontent à des nationalismes dont on ne sait que faire, pris entre le respect de l’identité des peuples et la peur paranoïaque de la différence.

Faut-il tout normaliser ou tout cloisonner ? Sans doute faudrait-il voir les choses autrement.

Parmi les questions nouvelles à résoudre il y a justement à penser le problème de l’unité d’une entité politique constituée d’une diversité de peuples autonomes. Le principe de subsidiarité ne résout pas le fond du problème.

Il y a aussi à envisager ce que pourrait être un progrès du politique qui ne serait pas arrêté à des conceptions qui datent de quelques millénaires, quelquefois.

La théorie des Cohérences Humaines amène à envisager le problème du politique d’une nouvelle manière.

Tout d’abord considérons qu’il s’agit au premier chef de la question du rapport de l’homme politique à la communauté où il a un rôle à jouer.

On pourrait y adjoindre aussi la question des structures et enjeux du politique au niveau du « gouvernement des nations » et enfin celle des « espaces » du politique, de leurs rapports et des politiques locales.

Nous examinerons successivement ces trois aspects du point de vue de la théorie des Cohérences Humaines


L’HOMME POLITIQUE ET LA COMMUNAUTE

Si nous nous référons aux quatre courants qui, parmi d’autres, marquent la crise de sens actuelle, leur cohérence humaine propre se traduit à chaque fois par une conception de la société et du lien social, de l’homme politique et de son rôle.

– Par exemple, la logique de possession fait du politique le terrain de la question du pouvoir, pouvoir de possession, qui se matérialise sur un territoire auquel se confond la société dont le lien tient justement : et de l’appartenance au territoire et du pouvoir qui noue ce lien même.

Le pouvoir politique se présente comme la condition d’existence de la collectivité tant pour son unité que pour la possession réciproque communauté – territoire. Cela nous est tellement familier que personne ne s’étonne de faire des élections une lutte de pouvoir alors que cela n’appartient qu’à cette cohérence humaine là.

– A l’inverse le politique est liée à l’organisation de la cité. L’appareil d’Etat notamment, en tant que chose publique (res-publica), fait l’objet de tous les soins du politique. De même l’organisation formelle de la désignation des représentants est-elle identifiable au jeu de la démocratie. Le « Chef de l’Etat » n’est pas le « Chef du Peuple », mais, l’Etat incarnant ce qui structure la société et la régit, son représentant peut identifier service de l’Etat et service public. C’est ici totalement différent du service des personnes, ou du public, notions appartenant à une autre cohérence humaine.

– La logique qui ne voit dans le fait de société qu’une fonction de lois d’un système, réserve au politique le seul rôle de régulateur du fonctionnement ou bien de réparateur des dysfonctionnements. De là certaines difficultés pour des partis politiques à se positionner dans ce sens. Il est clair que dans ces derniers cas, l’homme politique tient un rôle impersonnel et, il faut bien le dire, se place face à une société impersonnelle. De là une ambiguïté fondamentale entre la « représentation » impersonnelle et l’autorité personnelle de l’homme politique, entre la personnalité « élue » et les idées représentées.

L’identification entre l’élection démocratique et la lutte personnelle et partisane pour le pouvoir est le contre-sens commun infligé aux nations modernes.

A la lumière de la théorie des Cohérences Humaines (et on aimerait que se manifestent aussi clairement d’autres lumières à ce propos), on peut dire que :
– l’identification du politique à la prise de pouvoir et son exercice n’est pas fatale, du moins lorsqu’il s’agit, comme la plupart du temps, du pouvoir de possession dont l’un des signes est la prétention omnisciente et omnipotente signifiée par le leader politique,

– l’abstraction du caractère personnel du rapport entre l’homme politique et la communauté au profit d’un jeu de rapports formels est un leurre puisqu’elle masque l’essentiel et le complexe de cette relation qui mériterait le plus grand discernement au profit d’un jeu de scène dont les complications cachent le simplisme : par exemple l’illusion d’une parfaite conscience et maturité de jugement de l’électeur où l’égalité de droit des positions et jugements quelque soit leur contenu.

Il y a donc à repenser, refonder, une conception du politique à la fois soucieuse du réel dans sa plénitude et sans réductionisme idéaliste notamment, et sans fatalisme cynique qui ne se nourrit que d’une vision perverse de l’humain.

L’angélisme et le cynisme existent, ils ne doivent pas être les seuls cohérences humaines à l’oeuvre. L’apolitisme des visions « naturalistes » qui attribue au « système », qu’il soit économique, écologique, biologique, sociologique, psychologique, etc… le statut de déterminant de l’humain (lois de la nature) renvoie le rôle de l’homme politique à celui du réparateur-régulateur servant du système. Celui-ci devient source de toute justification et obstacle à tout jugement personnel.

La théorie des Cohérences Humaines amène à poser la question comme cela : La communauté est liée par un consensus (partage des sens multiples d’une problématique de la nature humaine). L’enjeu de son devenir, sa vocation, est de trouver et cultiver le consensus sur le « meilleur » sens. Tout cela est au niveau des fondements et de la « fondation » de la communauté, mais reste inconscient aux yeux des membres de la communauté. La culture de celle-ci en témoigne cependant, notamment au travers de signes : mythologie des origines, représentations de l’histoire, identification à des valeurs supportées par des oeuvres, des comportements, des projets…

Les hommes politiques constituent les repères, c’est-à-dire l’incarnation renouvelée de la fondation (re-pères fondateurs), d’où la dramaturgie complexe des questions de successions ou de leur négation.

Cependant, la communauté les reconnaît comme repères lorsque, par tout ce qu’ils sont et signifient par leur personne, elle se reconnaît dans son meilleur. Le lien entre l’homme politique et la communauté est un lien de consensus sur l’un des sens (prédominant) de la cohérence culturelle et de la problématique humaine de la communauté.

On peut dire par là que l’homme politique est « l’élu du coeur » de la communauté, le coeur étant justement ce fondement qui ne réside pas en un autre lieu que l’Instance de chaque membre de la communauté, le coeur de chaque sujet.

Cependant, chaque sens de la problématique fondatrice est celui possible d’une élection pour le pire et le meilleur.

Il est aussi celui d’une cohérence humaine sous-tendant une vision du politique se traduisant aussi dans des modalités spécifiques justifiant l’élection.

De ce fait, les modalités et la conception du politique ne sont pas neutres dans le type de consensus électif établi et donc dans le type de personne élue et le type de devenir engagé. La prétention à la neutralité du système électoral sur l’élu neutralise l’accès au réel de l’élection de sens.

Une vision duelle, manichéenne, de la prise de pouvoir installe dans ce sens tout le politique et l’y enferme.

Une vision « angélique » du politique déconnecte le politique de la réalité des problèmes de la communauté sauf à les idéaliser (ou idéologiser). Se dessine là l’enjeu du politique, c’est le devenir de la communauté et l’accomplissement de sa vocation.

Dans l’hypothèse souhaitable d’un consensus sur ce meilleur sens, l’élu est un repère symbolique révélateur (médiatement). C’est par ce que signifie son discours et singulièrement par l’intention qu’il manifeste pour la communauté et son devenir, son développement donc, qu’il peut trouver écho avec l’aspiration collective.

L’élection de l’homme politique est affaire de vouloir et ce qui se réalise du consensus engagé ne l’est que de la communauté qui seule en a le pouvoir.
Cette lecture qui renverse tant d’idées reçues n’est-elle pas plus conforme à la vérité. Que peut l’homme politique si son vouloir n’est pas assumé par les autres. Inversement on pourrait se demander si le vouloir de l’homme politique est indispensable à la communauté. On peut l’affirmer dans la mesure où justement la communauté n’est pas en parfaite maîtrise, ni en parfaite conscience dans ses fondements et que c’est au signe que représente l’homme politique qu’elle fait écho, inconscient en général, au sens.

Comme cela l’homme politique est repère indispensable. Notons cependant que s’il y a un homme politique de référence dans une communauté, il n’est pas seul dans son cas, y compris dans le même sens.

La grande affaire est donc une question de sens, c’est la question du sens commun, consensus des collectivités humaines.

L’homme politique est en quelque sorte celui dont la position de vie (sens) est justement celle que la communauté aspire à tenir. S’il s’agit du sens de la vocation, il incarne la résolution de la problématique de la communauté et s’il s’agit d’autres sens, une tentative de résolution, même des pires. Pensons aux nationalismes violents qui entraînent des populations massivement et celles même que l’on croyait « cultivées », sous la férule d’un leader au charisme pervers, avec force manipulation de l’affect archaïque mais qui incarne toujours une « promesse de réponse au mal », qu’est « l’autre communauté », en l’occurence.

Il en va dans le choix de l’homme politique et la nature des rapports avec la communauté d’élection (fusse-t-elle par forçage consenti et complaisance réciproque) des fondements de l’humain et donc des plus graves implications, encore une fois pour le pire et le meilleur mais où c’est l’existence humaine née du collectif qui est en jeu.

Le politique, s’il se fonde à ce niveau de l’humain, se situe à la clé du collectif au lieu même de la vocation propre des communautés humaines dont les consensus sont seuls fondements de notre réalité.

Le politique, même s’il s’inscrit dans la question du sens (l’esprit) et y plonge ses racines, a pour enjeu celui de toute communauté : la réalité et donc l’existence humaine. C’est au passage ce qui la lie au « spirituel » mais la voue au « temporel » c’est-à-dire à l’espace-temps de la communauté, à son histoire.

Le lecteur qui aura consenti à envisager ces horizons verra l’immensité de la tâche de relecture et reconception du politique et ses problèmes tout en redécouvrant un réel qui n’a cessé d’être là, même masqué ou travesti. Toutes les questions sont à reposer, le politique est à remettre en question. La crise des sens l’interpelle et on peut prévoir de longues années, pour le moins, à la fois d’errance, de régression, d’émergences et d’innovations en la matière.

Le discernement (des sens ou des esprits) est plus que jamais nécessaire. Est-il trop espérer que d’attendre que s’y attellent les hommes politiques et, pour cela, tous ceux qui peuvent les y aider.


STRUCTURES ET ENJEUX DU POLITIQUE

La communauté se réalise dans les différentes expressions de sa culture. Elle est engagée dans sa vocation comme entreprise de son développement.

Ainsi les structures et enjeux existentiels du politique sont-ils inscrits dans un cohérenciel de la réalité collective.

Il est possible d’examiner simultanément les composantes de l’enjeu politique et les structures politiques tendant à la maîtrise de ces enjeux, laissant de côté provisoirement la question des âges et des espaces du politique.

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STRUCTURE COHERENCIELLE DU POLITIQUE

Le schéma cohérenciel permet déjà de retrouver les structures ternaires classiques qui se trouvent ainsi refondées dans les racines anthropologiques des réalités humaines. Cela n’est ici qu’effleuré.

Les conditions d’existence : Économie et administration
L’état des réalités collectives fait l’objet d’une attention bienveillante du politique. Difficultés et ressources, modalités d’existence sont l’enjeu d’une ad-ministration (ministère = service) dont le souci des choses publiques est (dans cette vision évidemment) le principal intérêt. Administrer le budget de l’Etat ou de la collectivité locale. Administrer les « services publics » en sont des exemples. Nous parlerons aussi d’administration de l’économie à condition de renverser le sens habituel de ces termes; Mais ne s’agit-il pas ici d’un renversement de sens de tout le politique ? En définitive, tous les objets de préoccupation importants de la communauté, selon sa culture et le sens de sa vocation, participent de l’économie de l’existence collective et sont susceptible d’une administration qui « gère » l’état des lieux. Y faudrait-il un « conseil d’administration »? Cela serait à étudier.

La réduction du politique à cette dimension de gestion de la maison commune ou de la maison nation, fait, avec l’Etat, régner la contingence tout en en ignorant les racines ce qui aggrave la situation économique du pays ou de la collectivité (tout État, ou bien, administration et gestion surévaluée des collectivités)

Les usages et pratiques de la vie collective.
La subsistance de la collectivité et de ses membres passe par une organisation, qu’elle soit de la production ou de l’aménagement ou des tâches multiples d’entretien, de réalisations matérielles mais aussi de toute nature.

Le politique n’a pas pour charge de se substituer à la communauté. Il a pour fonction ici de réaliser ce qui ne pourrait l’être autrement. C’est d’ailleurs ici que le principe de subsidiarité trouve son intérêt (mais le politique ne peut se réduire à l’exécutif).

L’exécutif est chargé d’exécuter et plus précisément de réaliser par le travail de différents « corps d’état »; organisation, ordre des choses (édification et maintien de l’ordre font partie de cette tâche).

Développement et gouvernement
Dans la conception « vectorielle », c’est-à-dire engagée, des communautés humaines, le développement est justement le dessin et la réalisation de la marche en avant de la communauté. Mais il y faut une conduite stratégique. Le développement, si on l’entend aussi largement que ce que la théorie des Cohérences Humaines suggère, est bien, comme on le voit de plus en plus, une dimension majeure du politique.

Il ne s’agit pas seulement de gérer un état des choses mais de conduire un devenir. Le « gouvernement » peut être conçu comme ayant à assurer cette conduite, une sorte d’encadrement et de pilotage stratégique. Mais cette lecture fait le rapprochement, gouvernement-développement. Que peut-on gouverner s’il n’y a pas de but politique ? Que peuvent être ces buts s’ils ne sont pas de développement, de progrès.

Si on examine de près ce qui tend à se passer au niveau national, européen, celui des régions et celui des communes, on aperçoit effectivement la croissance de cette dimension sans qu’elle soit toujours bien explicitée.

Identification et représentativité
La communauté se reconnaît par ses signes et représentations, mythes, oeuvres, philosophies. L’identité collective est enjeu du politique et, dans la crise d’identité du monde moderne, le politique est aux premières loges, côtoyant intimement le monde des médias et de la communication. Politique spectacle ou spéculatrice, jeu de la séduction c’est-à-dire du détournement, ont été tellement florissants que beaucoup ont du mal à imaginer que le politique soit autre chose que cela. Néanmoins, dans cette dimension il y est bien question de représentativité, de représentants et des décisions représentatives que sont les lois.

Il faut donc considérer qu’il y a là un jeu de miroir entre le politique et la communauté où l’on peut jouer à l’édification d’une représentation collective cohérente et humainement qualifiante, authentique et significative.

La manipulation du miroir-média est politiquement dommageable pour la collectivité. Par contre un souci de maîtrise de cette dimension est judicieux. La représentation de la communauté est donc inhérente au politique mais elle n’est qu’une de ses composantes.

Vocation politique et magistère
La vocation de la communauté traduit le meilleur sens de son consensus, celui de la résolution de sa problématique humaine. La dimension intentionnelle dit le sens, celui de l’origine et des fins, de la raison d’être, des valeurs et des horizons.

Cette dimension du politique pose le sens d’une façon plus directe mais aussi plus symbolique. L’homme politique y fonde son magistère c’est à dire l’exercice de son autorité, sa responsabilité qui doivent témoigner d’une certaine maîtrise humaine. Il vaut mieux que l’homme politique incarne le Sens par effet de maîtrise plutôt que par rigidité pathologique. Il y faut d’autant plus de maîtrise que l’illusion du pouvoir est proche, avec la corruption du rôle, et que l’investissement de la communauté dans ce que l’homme politique incarne l’expose personnellement à toutes les tendances de la culture commune. C’est pour cela que c’est un rôle d’une terrible exigence qui demande discernement, détermination et grand courage.

Intégration communautaire, régulation et justice
Le consensus, le tissage des liens de la communauté autour d’un sens prédominant se traduit par un ordre des valeurs culturelles. Il en va de l’intégration sociale ou sa désintégration mais aussi de l’exercice politique régulateur de la justice.

Si la justice a quelque chose à voir avec le juste et l’injuste, alors c’est le sens du consensus collectif fondant le système de valeurs communes qui est pris comme critère du juste et la déviance par rapport à ce sens qui est injuste pour la communauté. De ce fait la justice est relative culturellement, mais aussi elle peut être profondément injuste par rapport au bien de l’homme et à la vocation de la communauté si elle n’y est pas engagée.

Si au niveau de l’essentiel, de l’esprit, c’est le sens du consensus qui est critère de justice, c’est la loi représentative qui est la lettre de référence. Tout le jeu des rapports de l’esprit et de la lettre de la loi mais aussi du juste et de l’injuste dans la communauté, lié à son éthique donc, est le témoin de la justice.

Comme le politique est justement affaire de sens il surplombe la justice dans l’existence de la communauté. Par ailleurs le même sens est lien social clé de l’intégration de la communauté (ensemble dans la même direction) et lieu des problèmes de désintégration ou de déviance jugés comme délinquance. Ici on peut dire que les actes et faits incriminés le sont par la déviance de sens par rapport au consensus.

Des remous profonds agitent et agiteront le terrain de la justice là où il y a crise de sens donc du critère du juste et de l’injuste.

La prolifération des lois, signe de trouble, tente de substituer l’abondance de la lettre au défaut de sens (d’esprit).

Un mélange entre justice, intégration sociale, politique, rapports à l’étranger est de plus en plus vif et il faut s’attendre à une aggravation majeure des problèmes du politique avec la justice tant qu’une issue à la crise des sens ne sera pas engagée et que le politique n’aura pas retrouvé une nouvelle autorité.


LES ESPACES DU POLITIQUE

Après le sens et les structures du politique la question des espaces du politique est aussi à l’ordre du jour. De quoi s’agit-t-il ? Il s’agit en France de la question de la nation et son lien avec l’Etat, de la question des communes et de l’intercommunalité, de la question des départements et leur pérennité, de la question des régions et de leur nombre et de la question de l’Europe et des relations des « espaces » précédents avec elle. Il s’agit aussi des cités, des pôles d’attraction, des » bassins » multiples etc…

D’une façon générale l’Europe, les pays d’Europe Centrale, les pays de l’Ex Union Soviétique, le Moyen-Orient, notamment, posent très fortement la question des rapports entre communauté (ethnique ou autre), territoire, État.

La superposition des trois dans l’Etat-nation, identifié au territoire, a été une réponse dont on sent qu’elle n’est plus suffisante.

Par ailleurs, le problème de l’articulation de l’unité et de la multiplicité est posé trop uniquement en termes de prérogatives et donc de défense de territoire (cf. Culture européenne). Une vision plus moderne cherche au contraire à effacer toute hiérarchie entre l’un et le multiple dans le tissage de réseaux où tout est au même niveau (idéalement).

La théorie des Cohérences Humaines propose un nouvel éclairage des espaces du politique à partir de la structure cohérencielle des réalités humaines et aussi celle des âges des sociétés humaines.

La notion d’espace n’est pas simple et celle d’espace politique non plus lorsqu’il s’agit de définir l’unité d’une population.

On laissera de côté les extrêmes, d’un côté l’espace archaïque du confusionnel, fait d’un lien mythique mystificateur (la race pure par exemple ou l’appartenance à des puissances occultes), de l’autre côté ce qui dépasse les phases de développement existentiel (communion des saints dans le christianisme par exemple et la dimension transcendante des églises ou des communautés spirituelles).

Il reste donc trois types d’espaces existentiel complémentaires auxquels la notion d’espace du politique peut se référer.

L’espace factuel de l’âge primaire,

C’est principalement un espace physique où la corporéïté et les interactions corporelles forment un espace quasi substantiel.

Incorporation, corporation, font parties d’un vocabulaire qui y est particulièrement valide. L’espace du politique c’est ici par excellence le territoire où se trouvent rassemblés les corps. Les questions sont liés à cela : subsistance, rapports au territoire et entre territoires, rituels et pratiques reproductrices, agglomérations, occupation de l’espace. Pouvoir et savoir-faire sont les préoccupations du politique. L’homme politique y est plutôt chef de corps, ordonnateur mais aussi garant de l’unité et de la cohésion du territoire, du maintien de l’ordre.

Les rapports entre les espaces du politique sont des rapports de territoires et de corps sociaux : coopération ou rivalité, agglomération ou cloisonnement, supériorité ou infériorité etc…

On voit bien que toute une philosophie du politique est toujours inscrite dans les faits et la réduction au territoire toujours présente.

On peut se demander si l’aménagement du territoire n’est pas alors un de ses actes politiques majeurs.

L’espace social ou espace des représentations (âge secondaire).

La cité, dès qu’elle se définit par un statut, des règles de droit, une distribution des rôles sociaux, devient un espace de représentation. C’est l’espace des signes, des identifications.

L’espace du politique est, par exemple, celui d’une constitution, le champ d’application d’une loi, celui d’une juridiction, ou bien celui d’une pensée, d’une philosophie, bref de toute représentation commune à laquelle un groupe humain s’identifie et qu’il produit et reconnaît simultanément.

L’espace du politique est donc alors conventionnel, d’une convention entre les membres d’une communauté mais aussi inscrite dans un champ de représentation plus vaste. Dans cet espace, le discours républicain est en grande partie fondé et fondateur, la citoyenneté est question de droit.

Le rapport entre les espaces de représentation est un rapport de rationalité, un rapport de cohérence au sens de la participation harmonieuse, rationnelle, à un même ensemble de représentations. De ce fait certains confondront espace idéologique et territoire, ils feront de leur communauté un ghetto.

Il y a une grande souplesse d’arrangement des rapports entre ces espaces du politique autant que de conventions possibles entre eux formant autant d’espaces plus larges mais aussi autant de croisements entre ces espaces.

L’homme politique s’y définit évidemment par sa représentativité et le souci d’identité et d’image peut prendre le pas sur celui de re-présentation authentique et de participation différenciée à une identité commune.

L’espace de la communauté ou espace de l’engagement commun (âge tertiaire)

Ni le territoire, ni les conventions (collectives) ne suffisent à le déterminer. C’est plutôt un foyer de rayonnement, un lieu d’où source un engagement qui le détermine.

Ainsi telle cité dont le rayonnement est très vaste, de par ses oeuvres, s’inscrit dans un territoire qui déborde ses frontières et peut traverser plusieurs champs de représentation culturels.

Le rapport entre les espaces des communautés est celui, fort difficile, du rapport entre les hommes, du même et de l’autre, le rapport de la différence entre les semblables.

La théorie des Cohérences Humaines montre la profondeur humaine de la question et des voies de résolution : rapports inter-culturels notamment (qui touche aussi subtilement au rapport des sexes) et aussi rapports de concourance de par l’engagement des vocations propres, soit réciproquement soit dans une unitécommunautaire plus essentielle.

Ainsi le problème des espaces du politique ne peut pas se traiter simultanément à tous les niveaux comme s’il était le même : celui du territoire commun, celui des représentations communes, celui de la communauté de sens, sans qu’ils soient exclusifs non plus.

L’espace politique françaisest aussi celui ou s’engage une communauté de vocation nationale bien au-delà des frontières, un espace de représentation avec l’identité nationale, avec tout le théâtre de ses représentations, un espace territorial aux frontières qui ont évolué dans l’histoire. Il est ainsi possible de relativiser ces espaces et l’importance de l’un ou de l’autre selon le niveau de maturité politique.
C’est toujours la confusion des niveaux et de la nature des espaces qui est source de problèmes et leur différenciation qui ouvre le champ des possibles.

Avec ces facettes du politique la théorie des Cohérences Humaines ouvre a une refondation de la pensée du politique mais aussi de l’action, en même temps qu’elle conjoint la question du politique et celle du collectif humain, le devenir des communauté humaines et leurs entreprises.

Sans confondre les registres elle montre l’unité anthropologique de tous les phénomènes humains et la transdisciplinarité de ses concepts théoriques. Il en est de même pour la pratique des cohérences humaines abordée au prochain chapitre.