Structures et gouvernement des entreprises humaines 2
Diriger c’est donner le Sens et c’est aussi gouverner l’entreprise. Rien de cela n’est autre qu’une question de maîtrise, autant que possible, de la situation humaine, complexe, aux prise avec toutes ses composantes internes et externes. La structure de direction doit épouser la structure de l’entreprise de façon concourante.
II -STRUCTURES ET FONCTIONS DE DIRECTION
Toute conception de l’entreprise ne vaut que si elle est réalisable et maîtrisable. Chacune réclame une science et un art de gouverner spécifique. Malgré tout, les entreprises humaines existent depuis longtemps et nous n’aurons rien à inventer radicalement.
Cependant, ce que nous allons examiner pourra paraître peu ordinaire surtout à cause de la prégnance de modèles archaïques, classiques ou modernistes, dont les fausses évidences s’imposent familièrement à nous. C’est en interrogeant le fond de son expérience personnelle ou en redécouvrant des principes quelque peu occultés qu’il sera possible aisément au lecteur de découvrir de nouvelles clés de l’art de diriger
Pour cela, néanmoins, il faudra consentir à quelques révisions importantes, particulièrement de notions à la mode dont celles d’économie, de gestion, de management qui dominent à une époque ou le « domaine » de l’entreprise semble avoir eu la primeur sur toutes les autres dimensions pendant des années.
Gouverner l’entreprise c’est maîtriser son existence et donc son développement. Il s’agit d’en maîtriser à la fois les parties et le tout et, singulièrement, chaque dimension et chaque plan de son cohérenciel, sa structure dynamique.
Le gouvernement de l’entreprise se diversifie en gouvernement général et gouvernements particuliers, chacun étant analysable selon les différentes composantes du cohérenciel, composantes qui vont nous permettre de différencier des rôles selon la nature de leur maîtrise spécifique. Diriger, gérer, conduire les réalisations, animer, coordonner, communiquer n’ont pas la même consistance mais concourent ensemble au gouvernement.
Entrons plus à fond, au niveau du principe, dans la consistance du gouvernement de l’entreprise. On pourrait avoir tendance à penser que dans l’entreprise, il y a les activités courantes et il y a les activités de gouvernement. Nombre d’exemples historiques et contemporains nous entraînent à ce schéma avec d’un coté les dirigeants et de l’autre les dirigés.
Or, si l’on songe à celui qui maîtrise son travail, qui maîtrise son art, y-a-t-il un temps où il agit et un temps où il maîtrise ? Non, la maîtrise est l’exercice même de l’art, elle est le travail lui-même. Il en va de même pour l’entreprise, il n’y a pas lieu de différencier son gouvernement de son activité. La maîtrise de l’entreprise est la réalisation maîtrisée de celle-ci. Toute activité de l’entreprise est une contribution à sa réalisation et donc à son gouvernement. Ainsi se confirme que tous gouvernent dans l’entreprise. Cependant certains auront une responsabilité de gouvernant plus générale que d’autres et chacun aura un type de responsabilité différencié dans sa contribution au gouvernement de l’entreprise.
Que tous gouvernent, n’implique donc absolument pas que tous se réunissent pour décider de tout, au contraire chacun tient une responsabilité singulière, complémentaire des autres et, comme toute autorité, devra assumer la responsabilité personnelle de ses décisions et de ses actions. Certains auront à le faire de façon plus éminente au niveau du gouvernement général de l’entreprise selon le niveau de leur capacité personnelle et leur degré d’évolution et de maîtrise.
TROIS DIMENSIONS INSTITUTIVES
La dimension politique.
La direction générale est l’acte de signifier la vocation de l’entreprise et la direction qu’elle doit prendre, en toutes circonstances, c’est-à-dire sa politique. En fait, c’est le sens invisible, transcendant qui est à signifier :
A l’adresse de tous. En toutes occasions. Dans tous les termes appropriés.
Ce rôle vise à l’établissement d’un pont entre le sens invisible et ses traductions visibles, accessibles à tous, compréhensibles. Diriger c’est donner le Sens en le rendant visible. C’est bien ce qu’il y a lieu de faire pour tenir et conserver l’unité de direction traduisant le sens de l’engagement initial. Pour signifier et montrer la direction de l’entreprise à partir de son sens, cela implique que quelqu’un le réalise personnellement, en sa personne même.
Il a, d’une part, à discerner en lui-même le sens de l’engagement de l’entreprise et, d’autre part à le signifier dans des actes et paroles symboliques, chargés de sens. L’homme de direction générale a donc sans cesse à ajuster et à manifester une prise de position responsable, c’est-à-dire le Sens de l’entreprise qu’il assume authentiquement.
Son travail est un travail intérieur de discernement et d’affermissement ainsi qu’un travail extérieur de présence, marquée d’actes fortement significatifs. C’est alors que ses interventions auront valeur de repères d’orientation parce parlant directement du sens profond autour duquel se noue le consensus. Se posant comme auteur de ses actes et de sa position, c’est comme cela aussi qu’il fait autorité auprès des autres. C’est l’auteur le plus engagé dans sa personne qui est l’autorité principale, celle qui donne les principes directeurs.
L’homme d’autorité de direction générale n’a rien à faire, à imposer, à décider que pour signifier et encore signifier cette direction. Rappelons que celle-ci traduit le sens de façon homologue avec la vocation, l’intention, l’échelle de valeur humaine, la motivation profonde, les principes fondamentaux, la finalité et l’origine de l’entreprise qui sont exprimés par sa politique.
Le travail de direction générale est d’abord, on l’a vu, destiné à tous. En effet, signifier sans cesse le sens de l’entreprise est ce qui permet de marquer le consensus, et d’en tenir le sens sinon de le réajuster. La présence et les actes rappellent symboliquement ce consensus et le densifient.
En outre , la manifestation de la vocation de l’entreprise et de ses traductions homologues constituent aussi une provocation, c’est-à-dire une sorte d’appel suscitant des vocations, une interpellation qui permet à de nouveaux partenaires de trouver leur autorité propre en convergence avec l’entreprise et d’y prendre une responsabilité de co-entrepreneur. C’est une fonction d’éveil et d’initiation. Cette interpellation amène à rejoindre l’entreprise et ceux qui s’y retrouvent pour établir une relation de coopération, commerciale ou autre, en tout cas de concourance.
Dans cette perspective, le directeur général (quelque soit son titre d’ailleurs) a en préoccupation non seulement les membres déjà associés à l’entreprise mais aussi tous ceux qui pourrait l’être ainsi que tous ceux qui peuvent y concourir le moment venu.
Ce rôle politique de direction générale, ou de présidence si l’on veut, doit s’exercer en toutes occasions. L’homme qui l’assume doit être sensible à l’ambiance et aux situations. Il peut pour cela être aidé par les responsables tenant d’autres rôles mais, s’il ne vit pas lui-même l’entreprise, il ne saura apprécier où en est le consensus et dans quelles circonstances il y a lieu de le réajuster ou d’en confirmer le sens et la détermination.
Régulièrement et chaque fois que se joue quelque chose d’important pour l’entreprise, le responsable de la direction générale doit marquer de sa présence et de son témoignage le sens de sa vocation. Ce peut être à l’occasion d’un bilan d’activité, du lancement d’un projet, d’un changement, d’un recrutement important ou alors d’un passage difficile, d’un événement majeur, etc… Faisant cela, il permet opportunément à tous de donner un sens, à chaque moment ou situation particulière. Il travaille donc ainsi à lier dans un même sens partenaires et circonstances multiples.
Il doit alors trouver les termes appropriés à chaque circonstance, à chaque interlocuteur.
Dans les grandes occasions, il rappellera les données significatives pour l’entreprise rapportées à sa vocation, à son origine et sa finalité. D’autres fois, il sera question de valeurs propres, ou d’esprit commun. Chaque fois que des choix pour l’avenir seront à faire, il s’exprimera en termes de politique générale qu’il aura à formuler. Chacun selon sa personnalité trouvera les signes, les symboles, le langage approprié à son entreprise.
C’est comme cela que depuis toujours ont été retenues des paroles et des actes fortement symboliques de personnages ayant assumé ce type de rôle, y compris dans de modestes entreprises. On l’a vu, les différents successeurs éventuels rappelleront aussi le souvenir des prédécesseurs et principalement du fondateur, initiateur du consensus de l’entreprise. Tout ajustement de sens et toutes nouvelles conditions réclameront une nouvelle expression.
Il ne s’agit donc pas de répéter des formules toutes faites, mais d’exprimer une parole juste, de poser un acte significatif.
Enfin, il faut souligner que ce rôle essentiel, s’il s’exerce dans une présence sans relâche, doit se caractériser par une économie de moyens. Le directeur général ne se mêle pas de tout mais, pour tout, sa présence sert de repère.
Ce sont donc des moments privilégiés que ceux où elle se manifeste avec une certaine solennité. Les circonstances participent au caractère fortement significatif des interventions de direction générale.
Pour terminer avec ce tableau, il faut souligner que chacun, dans son domaine propre, en tant que responsable, assume en partie ce rôle en référence à la direction générale dont il est ainsi un relais. C’est particulièrement important lorsque les populations concernées sont nombreuses.
Nous inviterons le lecteur à reconnaître dans son expérience tout ce qu’il a pu rencontrer de semblable dans les entreprises petites ou grandes, familiales ou nationales mêmes. Il pourra aussi remarquer en négatif les conséquences d’une absence à ce niveau.
La difficulté de ce rôle vient notamment de l’implication profonde de la personne, autorité repère pour les autres. Elle réclame un travail de discernement incessant et une détermination en toutes circonstances qui exige une grande maturité, une grande responsabilité et qui ne va pas sans la capacité d’assumer une grande solitude. Le recueillement et la présence ne se satisfont pas de demie-mesures pour être garants de la vocation permanente de l’entreprise. Ce rôle politique, éminemment symbolique, ne se détermine pas par une technicité, ni par des modèles artificiels, mais par la volonté d’une personne. Cette volonté cependant est acte d’autorité et de responsabilité et non pas expression d’un arbitraire, d’un « fait du prince » qui recherche à satisfaire tous ses désirs. Elle est la conséquence d’une certaine maîtrise de soi qui implique humilité et dignité.
La dimension économique.
Il s’agit de celle qui est souvent interprétée comme activité de gestion ou de management.
Rappelons que le terme anglo-saxon management a pour origine le français ménage. Le management, c’est en quelque sorte tenir le ménage ou gérer les affaires de la maison. Nous voilà bien dans cette dimension du gouvernement de l’entreprise qui consiste à gérer son domaine, c’est-à-dire encore son économie, l’état des lieux et du patrimoine disponible pour l’existence de l’entreprise. Gérer cette économie, consiste à rendre compte à tout moment de ce patrimoine et le rendre disponible à tous ceux qui ont à en tenir compte. La gestion ne consiste donc pas à fabriquer quoi ce soit mais à rendre compte. Différentes comptabilités y pourvoiront.
Pour comprendre plus avant cette dimension économique du gouvernement de l’entreprise humaine, il faut nous appesantir sur quelques notions majeures, sources de confusion : celles de propriété, de patrimoine et d’économie. C’est en effet la condition pour que l’on comprenne en quoi consiste le domaine de l’entreprise et la mise à disposition par le travail de gestion.
Propriété et patrimoine.
C’est une notion commune, souvent associée à la possession des choses ou des gens; mais examinons la de plus près. Qu’est-ce qu’avoir la propriété d’un bien par exemple d’une terre ? Habituellement la propriété ne présuppose aucun usage particulier. Le propriétaire d’une terre est sensé pouvoir en faire ce qu’il veut. En fait, la propriété de cette terre n’est que le signe de sa disponibilité. La logique de la possession va elle plus loin puisque l’avoir se confond alors avec l’être comme preuve de puissance résultant d’une disponibilité inconditionnelle à son arbitraire. Ainsi l’avare ne fait rien de son trésor mais jouit de le posséder, c’est-à-dire de son pouvoir de possession. Celui-ci, d’ailleurs, s’exerce par la preuve d’une exclusion de la jouissance d’autrui (propriété privative). Cela suppose la présence permanente d’une menace de dépossession, risque de mise en cause du signe de puissance. La chose possédée, dans ce cas là ne vaut pas pour elle-même dans la mesure où elle est convertible en n’importe quel autre signe de disposition équivalent.
Lorsqu’il s’agit de personnes matures ce n’est pas la confusion pouvoir-puissance-propriété qui prévaut mais la disposition effective en vue d’un usage ou d’une finalité. Ainsi pour, l’entreprise humaine, la propriété de son domaine est essentiellement le signe reconnu de sa disposition et d’une disposition à l’existence et au développement de l’entreprise. C’est donc un signe de valeur dont l’évaluation ne peut se faire que selon l’échelle de valeur qui découle de la vocation propre de l’entreprise.
Son patrimoine est constitué d’objets, de valeur reconnue par ceux qui en partagent le sens, le consensus : les partenaires de l’entreprise et tous ceux avec lesquels ces valeurs sont partageables (échangeables dans les relations commerciales, par exemple). Elle le sont en tant qu’elles sont reconnues comme telles et donc par des signes de valeurs significatifs.
Le patrimoine de l’entreprise est l’ensemble des propriétés appropriées de son domaine, c’est-à-dire les propriétés des acteurs et facteurs de ce domaine, caractérisées par leur valeur significatives pour l’entreprise et tous ses partenaires. La gestion du patrimoine consiste donc à permettre la connaissance de ces valeurs, c’est-à-dire des caractères significatifs pour l’entreprise constituant son domaine.
Celui-ci est ainsi un patrimoine de valeurs disponibles reconnues comme signes de disposition à valoir dans l’exercice de la vocation de l’entreprise. Notons par exemple que l’économie monétaire est bel et bien de plus en plus un jeu de signes d’équivalences et non pas une possession matérielle d’or ou de quelqu’autre métal ou matière.
L’argent ne vaut que comme signe de disposition, c’est-à-dire par le « crédit », c’est-à-dire la crédibilité qu’il permet. L’argent est un signe qui fait foi d’une disposition significative selon l’usage qui en est fait. Il en est de même pour les valeurs personnelles des acteurs, valeurs de compétences, de disponibilité.
Par ailleurs, les moyens de l’entreprise ne valent pour elle que par la disposition spécifique que l’entreprise peut en avoir. Ainsi il ne lui est pas nécessaire de posséder quelques valeurs que ce soit pour s’y confondre mais d’en avoir la disposition. C’est ce qui en fait expressément la valeur.
Nous différencierons la « propriété » comme possession des choses qui ne peut être que celle de quelqu’un et la « propriété » comme valeur significative, signe de disposition à l’usage de l’entreprise, la seule qui contribue vraiment à son existence.
L’économie de l’entreprise
Il ne s’agit que de l’état des valeurs disponibles du domaine de l’entreprise et des modifications de cet « état » par le développement de celle-ci et l’évolution significative de son environnement.
L’économie de l’entreprise est donc liée à la connaissance de son domaine. Elle rend compte (comptabilise) des signes de valeurs appropriés de ce domaine. C’est l’enjeu même de la gestion ou de l’administration.
La gestion de l’entreprise est la dimension économique de son gouvernement. Elle est un service (ministère – qui fait partie de la racine du terme « administration ») et son rôle consiste à :
Prendre connaissance des signes de valeur de son domaine, actuel et prospectif.
Les enregistrer ou prendre en compte (comptabiliser).
En rendre compte, c’est-à-dire en rendre la connaissance disponible à tous ceux qui ont à en disposer dans l’entreprise.
Des systèmes de gestion aident à la maîtrise de la dimension économique. Ce sont des moyens qui contribuent aux différentes tâches d’administration qui ressortissent des activités ci-dessus.
Il s’agit en définitive pour la gestion :
D’élaborer les informations significatives qui correspondent à la vocation de l’entreprise et qui caractérisent, significativement pour elle, les demandes des différents acteurs, collaborateurs, clients, administrations, etc…
De collecter ces informations pour les prendre en compte et les stocker.
De les traiter et mettre à disposition des intéressés en fonction de leurs demandes.
La gestion consistera ainsi d’abord à effectuer les analyses, évaluations et mesures qui permettent à l’entreprise de connaître son domaine.
Il s’agira :
D’analyses de marché (clients, fournisseurs). D’analyses conjoncturelles. D’évaluations du personnel. D’analyses financières. D’évaluations économiques de projets. D’études des moyens, D’évaluation des ressources, etc.
Dans tous les cas, il s’agira de distinguer les éléments significatifs et de les évaluer qualitativement pour estimer leur valeur spécifique, eu égard à la vocation de l’entreprise, puis de les mesurer quantitativement pour connaître l’importance de telle ou telle valeur qualitative disponible. Il faut insister ici sur le fait qu’une mesure quantitative ne peut venir que si on a évalué qualitativement ce que l’on mesure. L’évaluer qualitativement, c’est en caractériser la valeur spécifique commune, contribution à l’exercice de sa vocation en vue du développement de l’entreprise.
C’est donc le caractère significatif, selon le sens de l’entreprise qui qualifie l’élément de valeur en question. Ce qui vaut par ailleurs mais n’a pas de sens pour l’entreprise ne vaut rien pour elle, ses qualités sont ici nulles et la quantité ne signifie rien.
Déjà on fera la différence entre des ressources financières immédiatement disponibles et celles dont le degré de liquidité est plus faible. Ce sont des différences qualitatives importantes comme celles qui par exemple font décompter séparément les différents postes d’une comptabilité classique. A ce sujet, on remarquera que si des normes comptables sont plus ou moins respectées, chaque entreprise donne un sens particulier à chaque compte pour rétablir autant que possible la significativité de la comptabilité. C’est malheureusement fort empirique et pourrait grandement être amélioré. La difficulté des analyses qualitatives, c’est qu’elles ne peuvent pas se faire dans l’absolu pour l’entreprise mais relativement à son sens qui fonde son échelle de valeur et de qualification propre. C’est vrai pour la demande du marché, c’est vrai pour les ressources financières, la trésorerie, c’est vrai aussi pour la qualification des hommes.
La recherche et la prise en compte des valeurs significatives ne peut se faire qu’à partir des demandes particulières de ceux qui en ont l’usage. C’est la condition pour que cela ait un sens pour eux et c’est par l’écoute de ces demandes, éventuellement leur analyse, que pourront se déterminer à la fois les outils de gestion et les voies de leur évaluation.
La comptabilisation aura à enregistrer les valeurs qualitatives et quantitatives de façon à les rendre disponibles et significatives. On peut, à ce propos, parler de banque d’informations où celles-ci ne sont pas des données absolues mais des éléments significatifs. Des traitements appropriés pourront aider à les présenter sous forme d’états, de tableaux, qui les rendent compréhensibles, c’est-à-dire sensé pour les usagers.
Le service de la gestion aura en outre à aider chaque secteur de l’entreprise à prendre connaissance des informations de son domaine propre, c’est-à-dire à faciliter sa compréhension.
La dimension économique du gouvernement de l’entreprise s’exerce par le service de gestion et d’administration qui est, au fond, un service d’information et de connaissance de la réalité du domaine de l’entreprise et de son historique.
Elle porte à la fois sur le domaine global de l’entreprise, l’ensemble de son univers, amis aussi sur chaque domaine particulier des unités concourantes, centrées sur leur métier spécifique pour composer le métier général. C’est à la charge de chaque micro-entreprise d’assurer cette dimension économique de son propre gouvernement, aidée en cela par le service de gestion général, garant de la significativité des informations pour l’entreprise commune.
Cette analyse de la dimension économique de l’entreprise montre comment sont abusives les conceptions de la gestion s’assortissant de pouvoirs de contraintes. Les gestionnaire doivent être plus des « journalistes » de l’information au quotidien que des policiers des renseignements généraux ou de la défense du territoire. Il ne sont pas responsables de la constitution du domaine de l’entreprise mais de sa connaissance.
La dimension stratégique.
Il s’agit là de la conduite du développement de l’entreprise. Cette conduite s’effectue en encadrant le déroulement des réalisations par des jalons, des indicateurs, des buts qui en canalisent le cheminement. L’ensemble logique du parcours à suivre dont la traduction opérationnelle se fera par le plan de développement.
Le plan de développement est le tracé de la route à suivre, anticipant sur les péripéties du voyage; la stratégie est l’ensemble des principes logiques qui conduisent au choix de cette route et à la manière d’en suivre le parcours.
La conduite stratégique du développement de l’entreprise doit tout d’abord prendre en compte qu’elle ne consiste pas à programmer le développement mais à le canaliser, à le conduire. Celui qui conduit une automobile n’en est pas le moteur, il intervient pour déterminer la route et agir simplement aux carrefours, aux moments significatifs, pour influencer vitesse et trajectoire.
Le développement de l’entreprise n’est pas produit par la stratégie, ses plans ou sa conduite. Il est la résultante de la conjonction des dimensions politiques et économiques qui potentialise et mobilise le dynamisme moteur qui se traduira ensuite en développement.
Ainsi la maîtrise stratégique du développement de l’entreprise va consister à définir et piloter les projets de développement particuliers en les intégrant de façon à ce qu’ils concourent à la poursuite d’un développement général continu, selon sa vocation propre et en fonction des diverses conditions qui sont les siennes.
La conduite stratégique de l’entreprise doit donc s’appuyer et se référer aux dimensions politiques et économiques de son gouvernement. Celui qui assume ce rôle de conduite stratégique, canalise l’actualisation d’un développement endogène qui ne peut être que celui, en propre de l’entreprise. Il ne peut pas, en effet, être fabriqué de l’extérieur, en plaquant de façon artificielle des modèles de développement tous faits ou ceux d’autres entreprises.
C’est particulièrement vrai pour les entreprises de développement régional ou national où, malheureusement, c’est souvent l’inverse qui est tenté malgré la multitude des échecs enregistrés et les aliénations résultantes.
La conduite de l’entreprise ne peut qu’aller avec l’acceptation du développement dont les racines dépendent d’autres dimensions de gouvernement. Par contre, elle a la charge de concevoir ses propres stratégies. Une stratégie est toujours originale et ce, doublement, d’une part à partir de la vocation singulière de l’entreprise et ensuite des conditions spécifiques du domaine qui lui est propre. Cependant, pour des projets similaires et si les conditions sont équivalentes, la stratégie deviendra méthodologie.
La conduite stratégique de l’entreprise est aussi une des dimensions de son gouvernement et celui de chaque projet. La conduite de projet est donc assimilable à cette dimension là.
Examinons maintenant de façon plus approfondie le rôle et l’activité inhérente à la maîtrise du développement.
Tout d’abord elle réclame une « vision », historique et prospective, de la situation actuelle, du développement en cours. Il faudra pour cela établir des diagnostics, caractérisés par la mise en perspective des choses, c’est-à-dire leur contribution au développement et à l’évolution de l’entreprise. Ce diagnostic vaut pour préparer de nouveaux projets mais aussi pour les projets en cours de réalisation. C’est un contrôle explicatif de la marche de l’entreprise. Il peut faire appel à la gestion économique mais son mode d’analyse est spécifique. Il est lié au rapport entre l’antériorité et le futur. C’est la compréhension rationnelle du présent qui doit être ainsi abordée comme articulation du passé et de l’avenir.
Ce type de diagnostic implique non seulement la vue rétrospective mais aussi la vue prospective.
La prospective ne consiste pas à prévoir le futur mais à anticiper, dans le sens de la finalité de l’entreprise, les termes de son développement. La prospective établira notamment des scénarios, figurant le possible, qui serviront à comprendre le présent et surtout à envisager des stratégies de développement. Il ne s’agit pas de prévision, ni de prédiction mais de projection de l’histoire et du développement de l’entreprise à terme, pour mieux envisager les réalisations et les buts possibles.
En second lieu ce type de diagnostic, disons perspectiviste rétro et prospectif, donnera lieu a une intégration de la vision sous la forme d’un projet de développement. Il faudra aussi l’exprimer en termes de principes stratégiques, de scénario de principe ou de schéma directeur, selon le cas. Il s’agit là, d’un travail de conception intégratif qui demande une créativité véritable alliant l’imagination et la rationalisation la plus rigoureuse. Le projet doit prolonger effectivement la situation réelle de l’entreprise et ne pas s’y trouver greffé artificiellement. Ceci est valable aussi bien pour les petits que pour les grands projets.
Un projet nouveau, une stratégie, ne viennent pas annuler et remplacer ce qui existe. En fait, le développement est toujours déjà en marche et il ne s’agit que de l’actualiser. Ce serait une erreur de penser que le développement se fait en tranches successives au rythme des plans, découpés sans continuité. En fait, l’entreprise ne peut avoir qu’un plan de développement général, comprenant éventuellement des plans sectoriels et partiels. Le plan de développement préfigure les étapes et les réalisations envisagées dans le temps et dans l’ordre du cheminement prévu. Le plan prévoit aussi des prises de décisions et en particulier sait prévoir des remises en questions possibles à des moments d’articulation particuliers.
Tous les projets et stratégies conçus viennent actualiser ce plan général de développement, le réviser, soit périodiquement pour la période suivante (plan glissant), soit ponctuellement à l’occasion de la préparation du lancement de nouveaux projets non prévus (révisions).
Enfin, pour aborder la conduite proprement dite, il faudra tirer du plan les indications particulières à donner à ceux qui ont à le suivre ou à s’y référer.
Ces indications doivent être significatives pour chacun de leurs destinataires afin qu’ils puissent situer leur propre démarche dans le cadre général du développement. Tout le monde ne peut pas tout connaître du développement général. Il faut en fait pour chacun les indications nécessaires et suffisantes pour en comprendre la marche générale et s’y situer. C’est tout le travail de terrain de la conduite de développement et de projet que de fournir et vérifier la compréhension des indications de mise en oeuvre aussi bien intellectuellement que pratiquement.
Il faut enfin préciser qu’un plan n’est pas un programme. Il est un guide pour canaliser le développement, pour le conduire et n’est pas une loi impérative. Etablir des plans de développement ambitieux ou modestes risque de ne pas changer grand chose à la réalité.
Etablir un plan juste, stratégiquement pertinent, permettra un meilleur pilotage, même si la réalité se trouve, au bout du compte, quelque peu différente de ce qui avait été envisagé. L’art de la conduite consiste à faire le meilleur travail de conception et de planification possible et sans cesse imprévu dans ce cadre, jusqu’à le remettre en question en tant que de besoin.
Le développement qu’il s’agit de conduire n’est pas le résultat de la conduite. Celle-ci ne permet que de l’optimiser en lui faisant suivre des voies appropriées et en lui évitant les impasses.
Le contenu du plan de développement, en retour, implique toutes les dimensions de l’entreprise qui contribuent à sa mise en oeuvre.
Direction générale, administration du domaine, conduite du développement peuvent être assumées par un seul homme en trois rôles très différents, la carence de l’un obère l’avenir de l’entreprise.
Pour les entreprises d’une certaine importance, il faudra au moins trois responsables, eux-mêmes aidés par les équipes et les relais nécessaires. Cela peut constituer à chaque fois une mini-entreprise, concourante à l’activité et donc au gouvernement général de l’entreprise commune.
On pourra, sur ces bases, construire des systèmes ternaires de gouvernement fondés sur ces trois dimensions. On pourra aussi procéder à l’analyse des gouvernements en place, dans toutes sortes d’entreprises pour comprendre la nature de leur maîtrise ou de leurs carences et ce qui pourrait opportunément les renforcer par l’intégration et surtout la différenciation des trois dimensions politiques, économiques et stratégiques.
TROIS COMPOSANTES CONSTITUTIVES
Ces trois composantes sont aussi celles de l’activité de l’entreprise, ce sont :
L’animation des dynamiques relationnelles.
La communication des expressions représentatives.
La coordination des activités productrices.
En fait, ces trois plans découlent des trois dimensions premières de son gouvernement. Cependant, il est bon de les considérer aussi comme des activités spécifiques qui méritent d’être maîtrisées.
L’animation des dynamiques relationnelles.
Il s’agit là de la maîtrise du phénomène social et culturel que constitue toute entreprise dont il faut catalyser la dynamisation en vue d’un engagement partagé. La vie de l’entreprise est faite d’un tissu de relations entre les personnes, entre les groupes et, on l’a vu, c’est là que se joue le dynamisme de l’entreprise, c’est la source de sa vitalité. La pauvreté des relations entraîne l’apathie mais des relations mal orientées peuvent entraîner un dynamisme parasite ou même une agitation vaine.
Nous sommes là sur le terrain du vécu, du sensible et il faut bien le dire peu de responsables d’entreprises ont été préparés à cela ce qui explique la naïveté, l’ignorance ou le simplisme du traitement de ces questions que l’on rencontre souvent.
Nous allons dégager ici quelques principes essentiels du gouvernement de l’entreprise sur ce plan de l’animation, principes dont les applications sont extrêmement nombreuses autant que la multitude des relations.
Tout d’abord, ce qu’il s’agit d’animer et d’entretenir, c’est la dynamisation du tissu social de l’entreprise, dynamisation qui vise un engagement participatif des partenaires. Il faut évoquer ici des exemples caractéristiques des différents modes de participation :
La coopération qui est engagement dans le travail commun et qui suppose une motivation collective et la participation de chacun.
La réception et l’accueil qui permettent les rencontres et l’ouverture à de nouveaux partenaires comme à ceux qui sont déjà là. Prendre en compte la présence des uns et des autres est aussi un mode de participation à la vie de l’entreprise. Il réclame une empathie des uns vis-à-vis des autres et une écoute réceptive.
Le commerce qui consiste à établir des relations engageantes à partir desquelles des réalisations et des concrétisations seront possibles et un parcours mutuel poursuivi. C’est le cas pour ce que l’on appelle habituellement « relations commerciales », avec clients ou fournisseurs, lorsqu’il s’agit de les engager dans la durée. C’est aussi le cas chaque fois qu’un groupe aura à partager un projet ou lorsque quelqu’un aura à s’inscrire durablement dans une relation suivie. Il faut, à chaque fois, une participation qui soit partage d’un engagement durable.
La négociation, personnelle ou collective vise, elle, à établir les termes formels d’un engagement. Son caractère diplomatique vise bien à établir les règles d’une participation future à un échange, réalisation d’un contrat, ou à des règles communes et conventions collectives.
La participation aux décisions et l’entente sur celles-ci et sur l’autorité des uns et des autres. Les autorités personnelles s’interpellent et se confortent l’une l’autre dans leurs responsabilités réciproques. Cela suppose aussi un concernement des uns par les autres relatif aux responsabilités partagées et différenciées.
Enfin, le partage de la vie collective, de son vécu, son ambiance, ses sensibilités, ses valeurs culturelles propres est aussi un mode de participation qui se joue particulièrement pour l’intégration des partenaires à la communauté d’entreprise, lors de recrutements par exemple. Il se joue aussi pour l’intégration de la diversité des sensibilités, la diversité des groupes et même des cultures. Cela nécessitera souvent un travail de conciliation qui respecte les différences en les rassemblant autour d’une même dynamique et des valeurs communes.
C’est tout cet ensemble qui noue l’engagement participatif de la communauté d’entreprise et en constitue l’âme dynamique et la vitalité. Cela implique, bien sûr, que ce dynamisme soit bien orienté dans le sens de la vocation de l’entreprise et centré sur un domaine. Ce qui permet à tout ce tissu relationnel de générer le dynamisme collectif, c’est la nature spécifique des relations engagées. En effet, une société est toujours constituée de relations mais ces relations n’en font pas forcément une société engagée, c’est-à-dire une entreprise, et encore moins une « société d’entreprises ».
L’affectation de chacun dans un dynamisme participatif réclame un certain type de relations : des relations d’appréciation mutuelles entre personnes et entre groupes, dans un même contexte appréciable, celui de l’entreprise.
Dans cette optique les relations consistent en un partage de sens (constitution et activation du consensus) par la médiation d’une reconnaissance mutuelle éprouvée affectivement et sensiblement.
Les relations d’appréciation mutuelle permettent à chacun de se situer d’une façon valable, valorisée par rapport aux valeurs communes de l’entreprise et vis-à-vis des autres. Chacun ainsi, peut se sentir concerné dans sa participation propre, concerné par celle des autres et par les fruits collectifs de cette participation.
Ces relations d’appréciation mutuelle véritablement éprouvée, sont valables pour tous les cas cités plus haut. Elle sont la base qui rend ces relations fécondes et qui mobilise et engage le plus authentiquement les partenaires.
Il faut cependant préciser les ressorts de la motivation et de la mobilisation des personnes dans une communauté de travail. Elles résultent toujours d’une reconnaissance des valeurs et qualités personnelles, non de façon intrinsèque mais de façon différentielle, les unes par rapport aux autres et, simultanément, en rapport aux valeurs et qualités de l’oeuvre commune réalisée.
Confirmons cela par la négative. S’il n’y a pas reconnaissance vraie, c’est-à-dire juste, il y a, on le sait, démotivation. Si l’attention est centrée sur la chasse aux défauts on instaure un régime de méfiance, de suspicion, de culpabilité et de dévalorisation personnelle. Ce n’est pas du tout la même chose de considérer le bien, la qualité comme l’absence de mal ou de défaut ou le défaut comme un manque de qualité, un bien qui fait défaut.
C’est tout un esprit dont l’alternative est encore une espérance dans les valeurs humaines et leur exaltation ou bien, au contraire, un mépris qui tient l’homme en suspicion sous le règne de la fatalité et de la nécessité matérialiste. L’un est mobilisateur, l’autre immobilisateur, paralysant et pathogène. Il serait utile d’examiner sous cet angle les problèmes d’absentéisme.
Si, en outre, les qualités et valeurs ne sont pas considérées dans leur différence relative, il n’y aura pas possibilité, pour les personnes, de se situer mutuellement et de mettre en relation leurs valeurs et qualités. Cela débouche sur une société d’individualisme et de cloisonnements. Les valeurs et qualités ne sont plus aperçues comme relatives et relationnelles mais comme absolues et intrinsèques, indépendantes de leur investissement réel. Enfin, si on ne peut apprécier les qualités et valeurs du fruit commun de la participation, il n’y a pas d’évaluation possible ni de mobilisation dans un dynamisme commun. On aura à la place une société de narcissisme mutuel où chacun se mobilise autour du jeu relationnel qui n’est plus collectivement fructueux.
Ce sont donc tous les termes de la définition de principe qui sont importants et relatifs les uns aux autres.
Il nous faut examiner comment l’animation de ce dynamisme relationnel peut s’effectuer pour contribuer au gouvernement de l’entreprise. On pourrait parler à ce propos de gouvernement participatif de l’entreprise pour désigner cette dimension du gouvernement général. Le terme de « management participatif » nous semble mal approprié. Animer et gérer sont deux choses très différentes qui ne réclament ni les mêmes compétences, ni les mêmes méthodes. On peut comprendre comme cela le caractère décevant de nombreuses tentatives engagées sous ces termes.
L’animation vise donc à mettre du « coeur à l’ouvrage ». Tout d’abord, il y a lieu de distinguer qualités et valeurs particulières et de les mettre en évidence. Il est de fait que beaucoup ignorent leurs propres qualités. Il faudra pour cela que l’animateur aide à en prendre conscience, on pourrait dire même à les « mettre en valeur ». Dans chaque micro-entreprise, la palette des qualités humaines est déjà repérable dans l’excellence manifestée d’une façon privilégiée dans l’une ou l’autre dimension du cohérenciel :
Qualités d’autorité et de détermination.
Qualités d’analyse, d’attention, d’ojectivation, de rigueur, de pondération.
Qualités de synthèse, d’intégration, de vision en perspective, de stratégie et de méthode.
Qualités de sensibilité, relationnelles, affectives.
Qualités d’expression, de communication.
Qualité d’habileté, de précision, d’organisation.
Il est important, déjà, de pouvoir distinguer et nommer les qualités manifestées et pour cela toute une pédagogie peut être nécessaire pour apprendre à qualifier la valeur de la participation des unes et des autres.
Ainsi, dans une relation commerciale, ce sont les partenaires qui sont appelés à se reconnaître mutuellement dans leurs qualités propres, qualités qui forment le respect mutuel mais aussi qui s’affectent à l’objet éventuel de la transaction.
Qu’est-ce qui fait apprécier un produit sinon le fait que l’acheteur et le vendeur se retrouvent, se ressentent en harmonie autour de ses qualités et valeurs qui font écho aux leurs dans la relation. Un homme précis aimera la précision, un homme sensible appréciera les nuances, un homme habile appréciera la performance, etc…
Apprendre à reconnaître les qualités et valeurs des gens et des choses, dans lesquelles ils se retrouvent, est tout un travail d’éducation permanente à faire dans l’entreprise, éducation du goût, de la sensibilité. Des cadres japonais étudient l’art floral, ce n’est pas vain.
Une fois les qualités et valeurs distinguées, elles doivent être ensuite appréciées, goûtées, évaluées. L’animation consistera ici à faire éprouver par l’expérience sensible ces qualités.
A chaque occasion l’exercice des qualités personnelles peut être donné à apprécier par les uns et les autres au travers des réalisations et des activités.
L’activité et ses produits devront être donnés à apprécier pour en ressentir la valeur. Cette appréciation permettra à chacun de retrouver sa contribution et à tous d’apprécier la participation spécifique de chacun. L’ignorance ou l’absence d’appréciation ne permet pas de se situer et se traduit par une indifférence affective qui est manifestée d’une désimplication ou d’une absence de motivation réelle.
Il faudra, en outre, montrer comment les qualités mises en oeuvre dans telle ou telle activité, dans tel ou tel résultat ont concouru à la valeur de ceux-ci. Cette appréciation de la contribution de chacun à partir de ses qualités propres, aux qualités et valeurs collectivement produites permettra de mesurer sa véritable valeur pour l’entreprise.
Le lien est ainsi établi entre les valeurs personnelles et les valeurs collectives. C’est comme cela que se fait l’intégration culturelle de la communauté d’entreprise. On pourrait dire ainsi que les fleurs justifient la valeur du bouquet mais qu’aussi le bouquet justifie la valeur des fleurs. Le concert des qualités exercées produit une oeuvre dont les qualités sont collectives et, en retour, valorisent celles qui y ont été investies mais aussi leur mariage, leur participation harmonieuse.
Enfin, pour conclure ce chemin de l’animation par l’appréciation mutuelle des valeurs particulières et communes, il reste à leur donner un prix. A en reconnaître ainsi la mesure, il faudra disposer de signes de valeurs.
Traditionnellement on conçoit dans les entreprises l’intérêt de tels signes de reconnaissance: rémunérations, primes, titres, bénéfices, avantages, honneurs, etc..
L’important ici est que le signe doit être significatif de la valeur appréciée qu’il en marque le prix, à la fois pour chacun et pour tous. Mais cette mesure, selon la nature du signe de reconnaissance, ne sera possible et juste qu’en fonction de ce qui précède et de tout le travail d’appréciation préalable.
Il en va ainsi pour le prix dans une transaction commerciale mais aussi pour la rémunération de la contribution de chacun et pour toutes les manifestations, équivalentes de la mesure de ce qui est appréciable. Il importe, au bout du compte, que se trouvent confirmés en écho les investissements personnels des partenaires dans la mesure de leur contribution effective aux valeurs produites en commun.
Nous retrouvons ici l’importance de la valeur des réalisations de l’entreprise, à partir de sa vocation et dans son environnement. C’est cette valeur qui permettra la potentialisation du dynamisme de l’entreprise par le fait que sa mesure va servir d’étalon à la mesure des contributions particulières.
Le concernement et la participation des partenaires ne peuvent se faire simplement en référence à un fonctionnement d’entreprise mais aux valeurs réalisées par celle-ci. La coupure entre les fruits de l’entreprise et la mesure de l’appréciation des contributions spécifiques est de nature à détourner le consensus de la vocation de l’entreprise.
La communication.
Une entreprise vivante se communique pour intéresser les différents publics, partenaires actuels ou potentiels. C’est comme cela qu’elle trouve son identité et qu’elle est identifiée par tous.
Habituellement la publicité, quelques documentations, quelques présentations ou manifestations s’adressent à divers publics sans que le souci général de l’identité de l’entreprise soit vraiment maîtrisé. Pour cette dimension du gouvernement de l’entreprise, il y a lieu de mettre en question un certain nombre d’idées et de pratiques.
En effet, la communication de l’entreprise vise sa propre identification pour intéresser ses partenaires, collaborateurs, clients, etc… à son existence réelle, c’est-à-dire, au fond, à les inciter à participer à une concourance avec elle ou l’intensifier. Pour cela, elle doit engager une démarche authentique d’expression de ses projets, promesses et espérances, ouverte vers différents publics. Il s’agit donc d’une ouverture sur le monde à partir d’une expression vraie, authentique de ses propres perspectives.
Ce plan du cohérenciel représente la projection de la vocation traduite en perspectives de développement.
Or, pour tout ce qui concerne l’identité de l’entreprise et son image, règne trop souvent le faux semblant. Elles sont conçues comme une sorte de vêtement fabriqué, un masque, un habit qui tout d’un coup ferait le moine auprès d’un public naïf. Il ne suffit pas de se fabriquer une image pour en avoir une, véritablement. La volonté de séduire conduit à fabriquer des leurres pour capter et non pas susciter l’intérêt. Le public séduit est rejeté après usage ou rejette lorsqu’il s’est vu prendre.
Si l’efficacité immédiate de la captation est importante, à terme elle épuise toute la crédibilité de l’entreprise, y compris pour ses propres membres que l’on oublie trop souvent. L’entreprise captatrice est condamnée au leurre et à la tromperie permanente qui devient vite une condition de survie. La défiance est la caractéristique des relations qu’elle instaure en son sein et à l’extérieur.
Sur un autre plan, celui des projets, promesses et espérances, on peut attendre d’une société d’entreprises civilisées, d’être moins archaïque, infantile ou adolescente que le sont la plupart des communications d’entreprises actuelles.
Les unes disent entre les lignes ou sans complexe : « Nous sommes les plus puissants, sinon tout puissant, nous sommes parfaits, rien ne nous résiste… ». D’autres disent : « Tout est facile, profitez-en, ne soyez pas de ceux qui vivent tristement ». D’autres enfin vantent l’exploit idéal : « il est bon d’être le premier, d’être gagnant, d’être le meilleur ». Tout cela, derrière les messages apparents, est relativement facile à lire si on s’attache au sens de ce qu’ils veulent nous dire.
Ce sont toujours des fables et si l’homme majeur est un homme d’imagination, il n’est pas un homme d’affabulation.
Ainsi l’entreprise qui veut maîtriser sa communication a une première précaution à prendre : ne pas en confier le soin et surtout celui d’en donner le sens aux fabriquants d’images toutes faites en prêt à porter et surtout si on les voit manifester aux-mêmes comportements infantiles ou immatures.
La communication de l’entreprise, tout d’abord, doit venir en lieux et temps opportuns lorsque l’entreprise entreprend un nouveau projet dont elle peut annoncer le lancement et la réalisation.
Pour que cette communication soit identificatoire, il importe qu’elle soit le fait de quelqu’un d’identifiable. C’est l’entreprise qui parle ou plutôt quelqu’un qui la représente. Il parle d’un lieu qui est l’entreprise elle-même et non pas quelque plage exotique.
Dans toute communication, celui qui parle a à dire son nom, à se situer, sinon on ne saura pas de quels cieux le message tombe et sa signification ne saurait être rapportée à son auteur. Dans de nombreuses publicités, l’auteur semble bien plutôt être l’agence de publicité que l’annonceur avec les conséquences que l’on devine.
Ensuite, la communication doit être authentique, juste et mesurée. C’est la condition de sa crédibilité lorsqu’elle parle vrai, non pas, là encore, d’une authenticité fabriquée, exhibitionniste, débordante, mais contenue, policée même.
Ce respect de soi-même, de la réalité actuelle de l’entreprise, de là où elle en est, de tel ou tel projet, de telle ou telle espérance est aussi ce qui fonde le respect des interlocuteurs. Ainsi, le lancement d’un nouveau projet se fera plus discrètement que l’approche de sa réalisation.
L’expression authentique d’un auteur localisable réclame encore des moyens de communication, des médiations. Là encore, quitte à y être aidée, l’entreprise aura intérêt à utiliser les média appropriés, c’est-à-dire d’abord ses propres moyens d’expression et aussi ceux qui conviennent aux publics et à la situation de communication.
Cela ne veut pas dire que l’entreprise possède ces moyens mais qu’elle en dispose, en faisant appel à des concourances appropriées par exemple, qui reprendront et médiatiseront son message. Cependant, celui-ci doit s’exprimer d’abord dans son langage propre avant d’être éventuellement traduit dans d’autres langages de communication.
Enfin, la communication si elle est authentique, si elle est faite en situation ne peut être une simple information, elle est l’expression d’un vécu, d’une activité, et, on l’a vu, d’une espérance, réclamant une ouverture et une créativité vraie qui rende le message actif ou plutôt activateur, significatif de la vitalité vécue par l’entreprise.
C’est bien à une activation des interlocuteurs, des publics auxquels elle s’adresse, que vise la communication. Elle cherche à susciter leur attention, leur intérêt, à leur faire partager une perspective, à les interpeller. C’est en fait, un appel à la concourance.
Son aboutissement, c’est le contact établi, le retour qui confirme l’identification du message et de sa source. C’est l’ouverture à des relations possibles, commerciales, coopératives ou autres.
Ainsi l’identité, l’image de l’entreprise, ne se fabriquent pas. Elles s’expriment ou plutôt elles sont son expression lorsque celle-ci est authentique, c’est-à-dire qu’elle révèle ce qui s’exprime, interpellant les interlocuteurs dans leur vérité propre pour conduire à une relation véritable.
Cette identité ne peut venir que de l’expression opportune de la vocation de l’entreprise, projetée dans ses buts, ses espérances de développement, ses réalisations et ses projets.
Cependant, la réalité de l’entreprise est faite de multiples entreprises concourantes (départements, services…) dont le gouvernement passe aussi par la maîtrise de la communication. L’identité générale de l’entreprise est composée par le concert des expressions particulières formant une image collective.
Ainsi, la communication de l’entreprise est à la charge de tout un chacun qui se doit d’exprimer ses projets et espérances, ses promesses, à différents publics dont ceux de l’entreprise elle-même. Cela fait partie de la responsabilité du gouvernement propre de chacun.
En outre, les entreprises, en tant qu’elles sont collectives, ont aussi à communiquer une expression d’ensemble, et l’entreprise à trouver sa propre identité. C’est évidemment le consensus qui fait l’unité de l’identité globale mais une unité faite de variété et de différences, manifestant la multiplicité des entreprises concourantes, des situations, des projets et des promesses.
La communication est ouverture au monde et elle réclame une démarche vers les autres, en tant, bien sûr, qu’ils sont concernés potentiellement par les projets de l’entreprise et de chaque micro-entreprise. C’est la fenêtre par laquelle on accède à l’entreprise et par laquelle celle-ci provoque l’attention, l’écoute et l’intérêt de ses publics.
Le gouvernement d’une entreprise qui négligerait de prendre en compte cette communication, au rythme même de sa vie, la laisserait dans un incognito propice à sa disparition.
La coordination de la production
L’activité productive, comme l’activité relationnelle et communicative, constitue la substance de l’entreprise. Son gouvernement est, là aussi, assuré par chacun, en tant que responsable de sa propre entreprise dans l’entreprise. L’ouvrier qui maîtrise son travail gouverne ainsi son activité. Là comme ailleurs, on conçoit que la maîtrise de chacun dépasse sa propre activité et couvre aussi son intégration à celle des autres et avec toute la communauté de travail. Les différentes dimensions du gouvernement de l’entreprise concourent à cela au niveau général et au niveau particulier de chaque responsable. C’est la coordination du travail qui assure l’intégration.
Tout d’abord la maîtrise professionnelle consiste à coordonner matériaux, moyens, opérations, contrôle, etc… La compétence réclame la coordination du travail propre avec ce qui l’environne dans un processus de production, à l’amont et à l’aval.
Insistons sur cette notion de compétence qui ne se limite pas à la maîtrise d’un art et d’une technique mais implique celle de sa mise en oeuvre dans les conditions spécifiques d’une organisation de travail donnée.
Ainsi, en tant que milieu particulier et qui plus est milieu culturel, l’entreprise cultive ses propres compétences qui ne sont pas équivalentes à celles d’autres entreprises. Ces compétences ne peuvent donc s’acquérir que sur le terrain, même si elles sont préparées par un savoir-faire plus général.
La question du travail et de la production est une question délicate dans la perspective d’une entreprise humaine et civilisée. En effet, il faut se débarrasser de conceptions et d’usages, devenus pour certains des évidences incontournables.
Deux conceptions sont à éviter. Tout d’abord celle où il y a confusion entre le travail au sens mécanique du terme et le travail humain. Ce n’est pas l’exercice d’un force exercée sur un matériau qui constitue la quintessence du travail, qu’il s’agisse de force physique ou de force électromagnétique ou pourquoi pas mentale.
La conception du travail autour du modèle action-réaction est à l’origine de toutes les oppressions. L’homme réduit au statut de producteur de force ou au mieux comme servant des machines ou appareils à produire des forces, est un homme à soumettre à des pressions, intériorisées ou extériorisées. Nous renverrons simplement le lecteur à tous les moyens de pressions que l’histoire nous a légués: angoisse, culpabilité, peur de perdre la vie, avidité, corruption, contraintes et menaces et enfin atomisation des tâches. Le taylorisme et le néo-taylorisme en sont les avatars modernes. Le salut de l’homme robotisé est alors de s’en débarrasser par la robotisation à moins que des masses d’hommes puissent être louées à ceux qui n’ont pas trop de scrupules à les exploiter, dans les pays dont les régimes ont les moyens de pressions suffisants (le fameux partage international du travail).
Tout cela s’allie, il est vrai, avec une notion du travail conçu comme punition et même acte contre nature dont il faut à tout prix se débarrasser. C’est ignorer que par le travail, même pénible, il arrive à l’homme de s’accomplir en s’y éprouvant. La pénibilité est surtout fonction de deux facteurs : l’excès imposé par rapport aux possibilités humaines, heureusement accrues par les techniques, et par ailleurs, le mépris de l’homme et du travail qui les déqualifient l’un et l’autre ce qui est très exactement le sens d’une condamnation.
Le même travail pris en sens inverse, celui d’une qualification de l’homme et de sa production, perd sa pénibilité. Ne voit-on pas des gens contents de travailler beaucoup et même dur lorsque cela a un sens pour eux et d’autres mécontents et fatigués par quelques tâches infiniment moindres mais sans signification. La fatigue, l’absentéisme ou la maladie sont alors signes d’un véritable épuisement, lié un conflit intérieur, souvent inconscient, entre une aspiration à la dignité humaine et une aliénation qui passe pour nécessaire. Ce genre de contre-sens est pathogène.
Une autre conception du travail est à éviter. C’est celle qui repose sur l’idée que ce sont les moyens, les méthodes, les techniques qui produisent. L’homme est alors le médiateur de ses techniques, méthodes et autres modes opératoires.
Il n’y a plus de travail personnel, mais un fonctionnement impersonnel. Tout l’investissement se fait dans les moyens, à l’homme de s’y conformer. La croyance dans les recettes, dans les méthodes qui marchent toutes seules, invite l’homme à retirer sa responsabilité et à la confier à celui qui en sait plus sur les méthodes et celui-ci à un autre encore mieux formé ou informé. Il n’y a plus que des spécialistes exécutants, quelque soit leur niveau. On est passé d’un travail déshumanisé a un travail impersonnel. Il n’y a plus là de maîtrise professionnelle, ni de responsabilité personnelle d’entrepreneur… de son travail.
Venons en à la conception qui convient à l’entreprise humaine dont le travail peut être gouverné.
Le travail est avant tout formateur des hommes et des choses par les hommes. Il consiste toujours à passer d’un principe intelligible, à sa traduction dans une forme, éventuellement matérielle, à partir de matériaux et à l’aide d’instruments et de moyens appropriés le cas échéant.
Seul l’homme est capable de passer d’un principe d’ordre évidemment humain, signification de ce qu’il veut produire, à sa réalisation. C’est ce cheminement qui constitue le travail, cheminement humain donc travail humain. En travaillant ainsi l’homme acquiert la maîtrise de ce passage du principe à sa réalisation concrète. Il maîtrise de mieux en mieux son incarnation, les conditions de son existence personnelle et l’exercice de cette maîtrise lui permettent d’offrir le résultat de son travail en contribution à une oeuvre collective ou simplement au bénéfice de celui qui en a besoin.
Le travail consiste ainsi à s’y mettre, humainement parlant. Cela veut dire, bien sûr, s’impliquer, selon le cas, physiquement, mentalement, affectivement, mais, bien au-delà, y mettre son sens, y mettre son être.
Le travail est une actualisation de soi, de son potentiel d’être que l’on fait ainsi exister en confrontation avec les conditions du monde sur lesquels il y a à travailler. On pourrait montrer qu’il y a là travail de conversion, exercice d’une vocation personnelle qui s’exerce en faisant « profession de soi ».
Ainsi la qualité du produit réalisé exprime la qualité du travail humain et la qualité de l’homme. Inversement en qualifiant ainsi son travail et son produit l’homme se qualifie lui-même. En formant ou transformant les choses, ce qui est son travail, il se forme et se transforme lui-même. Lorsque, au niveau concret, le travail est réalisation maîtrisée d’un produit, au niveau humain le travail est développement de la maîtrise de soi, perfectionnement de la compétence personnelle et donc de la faculté d’exercer un travail mieux maîtrisé.
Examinons le processus de formation dont la maîtrise est au niveau de chacun et au niveau de l’entreprise, gouvernement même de l’activité productrice.
Préparation du travail.
Il est tout d’abord utile d’analyser avec précision le résultat à atteindre pour en déduire le mode opératoire, décomposé, non pas en tâche élémentaires comme on le dit souvent, mais en unités de travail maîtrisables en fonction des compétences et qualifications des hommes et des moyens dont ils disposent.
Effectuation du travail.
Il s’agit de rassembler et d’articuler moyens et matériaux et de coordonner le travail des hommes (et le sien propre). C’est par l’organisation des choses en correspondance avec le projet à réaliser que l’homme, s’y appliquant, forme son ouvrage, passant du principe (intérieur) à la formation organisée et coordonnée de son produit (extérieur). Ceci vaut pour le travail de chacun mais aussi pour le travail du groupe, par celui qui en a la maîtrise globale. Ainsi le travail du chef d’équipe par exemple complète et articule le travail propre de chaque personne. Le travail d’équipe n’est pas la somme des travaux individuels mais un travail en plus.
Bilan du travail.
Achevé, le travail doit être évalué, tant dans ses résultats, procédés et moyens et ce, en fonction d’une échelle de valeur qui ne peut être que celle de l’entreprise, en fonction de critères économiques qui sont aussi les siens et en fonction d’un cadre directeur qui découle de ses projets. L’évaluation est mesure de la valeur mais vise spécifiquement, non pas simplement à vérifier la conformité à quelque norme, mais à comprendre comment cette valeur peut être améliorée ainsi que la maîtrise et la qualification des hommes et de l’entreprise.
Enrichissement par le travail.
L’expérience accomplie dans tout travail doit faire l’objet d’une transmission et d’une intégration pour que les enseignements bénéficient à chacun et à l’entreprise en général. C’est ainsi que se renforce le capital de compétence et de maîtrise de l’entreprise et de ceux qui y concourent.
Cette capitalisation de l’expérience du travail donnera lieu forcément à une transformation ou une amélioration des procédés de production mais aussi à une formation des personnes elles-mêmes.
C’est ainsi que ce processus de maîtrise et de gouvernement du travail, au niveau de chacun et de tous, est un processus de qualification, c’est-à-dire d’accroissement des compétences et de la qualité de la production, c’est un processus d’enrichissement du travail et par le travail.
Dans un monde fort engagé dans la technique, il faut examiner spécialement le problème du rôle et du choix de l’outil et des moyens dans le travail humain.Celui-ci est une sorte d’alchimie qui, du principe (humain), inscrit dans l’intention et l’idée du résultat, réalise, forme et transforme des matériaux en produit fini. Son produit est un service répondant à une demande et participe au développement d’un projet d’entreprise. Ce processus s’appelle l’efficience humaine.
Dans ce processus, foncièrement humain, l’homme est limité par ses possibilités existentielles, physiques, affectives et mentales par lesquelles se réalise le processus de travail. L’outil, la technique viendront alors aider, ajuster, clarifier, amplifier, préciser l’acte humain.
Ainsi, l’outil focalise et concentre le travail proprement humain en renforçant ainsi l’efficacité. On peut concevoir les machines les plus gigantesques, les ordinateurs les plus complexes dont l’effet spécifique sera nul s’il n’est pas pris dans l’intention humaine et le travail humain.
La multiplication de l’efficacité humaine par l’outil ou la technique, pour donner un résultat non nul, réclame au départ un travail non nul. En outre, la qualité du produit fini ne vient que de la qualification humaine dans la maîtrise de son travail et dans l’usage médiateur de l’outil.
Un moyen est un « accessoire intermédiaire » et non un « essentiel principal ». Seul l’homme l’est dans le monde. Théologiens, philosophes et moralistes se sont depuis longtemps entendus pour dire que le mal advient lorsque l’homme est pris comme moyen.
L’homme ne peut être le moyen d’une entreprise, il ne peut en être que le co-auteur, co-entrepreneur, co-opérateur. Par contre, les produits du travail humain sont des moyens. Le moyen n’est pas tel ou tel homme qualifié, mais le produit de son travail, moyen de servir l’homme.
Que deviennent les notions de productivité, de qualité, d’efficacité et celles d’optimisation de la production. En fait, contrairement a une idée rampante, ce ne sont pas des « plus » surajoutés au travail mais la consistance même de la maîtrise.
Ainsi, on l’a vu, le gouvernement de l’entreprise, sur le plan de sa production, et la maîtrise du travail ne consistent pas simplement dans une mise en oeuvre répétitive de compétences et de moyens mais dans l’enrichissement simultané de la maîtrise elle-même. Aussi la qualité n’est-elle pas l’ajout de caractéristiques qualitatives a un travail mais c’est la nature même du travail qui consiste à qualifier le mieux possible son produit. L’accroissement de la qualité (du travail, de l’homme et du produit) est la consistance même du travail maîtrisé. De même, l’optimisation de la production dans tous ses aspects est la consistance même du processus de production par le travail humain.
La compétence des hommes n’est pas non plus une préoccupation supplémentaire, elle est le fruit du travail humain qui est, on l’a vu, travail de formation. Il n’y a donc pas à instituer dans l’entreprise des services spéciaux à cet effet, c’est l’enjeu et la consistance de ce plan du gouvernement de l’entreprise qui, comme les autres, consiste à maîtriser l’activité ou, exactement, à exercer l’activité de façon maîtrisée.