Le Sens du bien commun à l’Hopital

Sixième carrefour de l’Humanisme Hospitalier. Avignon février 1994. Synthèse.

S’il y a un lien entre la question du Sens et celle du Bien Commun, les journées d’Avignon en sont la démonstration, tant dans leurs prémisses que dans leurs conclusions.

VI carrefour de l’humanisme hospitalier ! Dans la lecture de ce titre, rien n’interdit de comprendre un carrefour comme le lieu où se pose la question du choix de Sens, de la direction à prendre. L’humanisme évoque, lui, les valeurs communes qui rassemblent et, si on y rajoute le terme « hospitalier », on ne peut pas s’empêcher de convoquer l’idée d’hospitalité qui marque l’une des conditions de constitution d’une « communauté de bien », comme on dit « des gens de bien », fondée sur l’accueil de l’autre.

Voilà déjà dit le Sens et la valeur. Le Sens ? C’est d’assumer la responsabilité de choisir un Sens ce qui suppose de le discerner. La valeur ? C’est la communauté de bien, l’évaluation du bien, la poursuite du Bien Commun.

Il n’est pas étonnant en définitive que la question du Bien commun dans un tel contexte provoque à la maîtrise du Sens de l’hôpital . Allons plus loin et c’est là une proposition plus originale, celle que la théorie des Cohérences Humaines suggère.

Le Bien Commun pour l’hôpital, c’est justement la maîtrise du Sens , celle de l’hôpital dans sa vocation, sa mission, son action, celle du malade qui est à restaurer.

N’est-ce pas là une figure de la santé que la capacité à cultiver cette liberté qui est la dignité même de la personne humaine ?

Si la santé se réfère à la dignité de l’homme alors elle se réfère à sa maîtrise du Sens de ses actes, principe même de la liberté humaine qui seule en définit la dignité.

Restaurer la liberté d’être, de progresser, de s’accomplir, n’est-ce pas un des Sens de la guérison. On pourrait aussi dire, « retrouver son Sens » ou plus exactement « la maîtrise de son Sens ».

La finalité (ou Sens) de l’hôpital serait de concourir à la restauration de cette « liberté de Sens » qui caractérise l’humanité des personnes. S’il n’est pas lui-même en maîtrise de son propre Sens, s’il n’est pas une communauté de personnes engagées elles-mêmes dans la culture et l’exercice de leur liberté de Sens, alors comment pourrait-il accomplir son oeuvre de santé.

Il y a dans cette introduction deux obstacles majeurs qui peuvent freiner la compréhension.

Si l’on est dans cette disposition de considérer l’hôpital comme le lieu d’exercice concret d’une technique médicale sur des organes défaillants ou des corps malades alors la référence à la « dignité » de l’homme comme critère de santé relève d’une « abstraction morale » sans prise sur la réalité de l’hôpital sauf d’un éventuel confort psychique des malades et surtout du personnel soignant. C’est malheureusement une réalité commune à l’hôpital.

Mais si on refuse ce clivage alors il faut dépasser un autre obstacle. Il faut établir un lien entre la nature propre de la personne humaine, la définition de sa santé, la compréhension de la maladie comme défaillance de celle-ci et la justification concrète des pratiques hospitalières.

Il n’est plus possible de diviser les plans de cette réalité, il faut considérer au contraire le principe de leur cohérence. Seul il permettra un travail d’élaboration rationnelle de projets, de méthodes, d’organisation, de pratiques qui réponde aux exigences et à la crise de notre époque.

Or ce principe de cohérence, c’est le Sens, c’est ce qui fait le lien entre tous les niveaux.

Telle est la proposition majeure que la théorie des Cohérences Humaines apporte à la compréhension de l’homme et des problèmes humains.

Dans une période où la perte de Sens et, en retour, la quête de Sens sont de plus en plus criants, alors il est temps d’oser ces questions naïves : Qu’est-ce que le Sens? Qu’est-ce qui lui donne tant d’importance pour les hommes ?

Diverses réponses sont disponibles qui confondent souvent Sens et bon Sens, Sens et Conscience, Sens et Consensus, Sens et visée du Sens. Ce sont, bien sûr, des aspects de la question du Sens. La nouveauté ici est de considérer le Sens ou plutôt les Sens comme le fond même de la nature humaine en chacun de nous.

Ainsi si l’on peut parler de dignité de l’homme, c’est parce qu’il peut exercer une liberté de choix du Sens de ses actes sans pour autant nier les contraintes et les conditions collectives.

Bien au contraire ces conditions collectives, par exemple sous la forme de la question du Bien Commun, provoquent au choix de Sens, c’est-à-dire à la responsabilité.

L’homme est un « Etre de Sens », c’est pour cela qu’il est libre et responsable, à condition de cultiver la maîtrise de ses choix de Sens.

C’est le développement de cette « maîtrise du Sens » qui est l’oeuvre d’accomplissement de la personne, accès à cette pleine dignité, c’est-à-dire, liberté et responsabilité.

Ce développement a un Sens, celui de la « maîtrise du Sens ». C’est là une définition de la santé qui n’est pas un état mais un cheminement, un développement, la voie d’accomplissement de la personne au travers des circonstances concrètes de son existence.

C’est la perte de cette possibilité, une défaillance dans cette capacité qui caractérise notamment la maladie qui peut prendre toutes les « formes » qu’on lui connaît et qui toujours touchent à la globalité de la situation existentielle de la personne.

La guérison ou plutôt les pratiques de soins se justifient en tant qu’elles restaurent la santé de la personne, telle que définie ici (pleine capacité de s’accomplir) même si cela ne se traduit pas toujours par une réparation totale des dysfonctionnement ou handicaps qui appartiennent alors aux contraintes et contingences sans aliéner pour autant la personne.

En définitive, on ne peut sortir du clivage qui forme le premier obstacle sans aller jusqu’au bout et reconnaître le lien qui explique et justifie diagnostics, pratiques, projets hospitaliers en référence à un Bien, commun à tous : notre humanité, et plus précisément, notre santé qui est capacité d’accomplissement de cette humanité.

A l’heure où nos croyances technico-économiques montrent leurs limites malgré leurs performances grandissantes, l’hôpital qui touche à la vie et à la mort, à la souffrance mais aussi à la restauration de la santé ne peut pas ignorer sur quels fondements humains se justifie sa vocation de restauration de ce « Bien Commun » qu’est la santé.

Il y a une responsabilité et une capacité singulière, celle d’être une « communauté de soin » à la différence, par exemple, du face à face qu’est la médecine de ville qui a un rôle différent à jouer.

Le Sens de l’hôpital qui se trouve ainsi confronté à la restauration de « la maîtrise de leur Sens » par ceux qu’il héberge a donc lui même à faire profession de « maîtrise de Sens » dans le contexte qui est le sien. Il y a pour cela à repenser la plupart de ses déterminations en s’inspirant des différentes figures du « Bien Commun ».

Il lui faut requestionner ses modèles actuels issus pour beaucoup de cette culture moderne technico-économique de plus en plus économiste. Il a à réinventer ses repères, à les réactualiser et pour cela il est bon quelquefois d’interroger les origines et les différents Sens que l’on peut y discerner. Accueil dans la communauté de soin, soins restaurateurs de la santé, comment ne pas penser aussi à l’auberge de la parabole du bon samaritain plutôt qu’à l’hospice repoussoir qui fait trop souvent référence d’une tradition non désirable.

Dans une seconde partie, nous allons d’abord mettre en évidence quatre Sens parmi d’autres qui dessinent déjà un carrefour des Sens de l’hôpital pour souligner ce Sens là qui le définit comme « Communauté de Soins ».

Nous proposerons en écho à la manifestation d’Avignon quatre pistes pour cultiver la question du Sens à l’hôpital :

    • Le sens de la santé
    • Le sens de la responsabilité politique
    • Le sens de la communauté et son management
    • Le sens de la qualité et de l’évaluation.

L’HOPITAL – CARREFOUR DE SENS

Toute crise appelle décision mais son dépassement suppose au moins de pouvoir repérer et identifier les voies, au carrefour, parmi lesquelles choisir.

Il existe des cartes pour un tel éclairage, cartes de Sens ou cartes de Cohérences.

On y retrouve tout un ensemble de directions, autant de Sens ou de dispositions humaines que l’on peut caractériser chacune par une vision spécifique, une compréhension, une démarche et, en définitive, tout un monde qui a sa cohérence interne.

Nous allons dessiner ici le profil de quatre de ces mondes par l’univers hospitalier qui s’y inscrit.

C’est parmi ces quatre Sens très généraux mais fort en jeu dans la crise du monde moderne que l’on repérera celui par lequel tout notre propos tient debout, parce qu’il est le seul à permettre la maîtrise du Sens.

biecom.png
1) L’Hôpital dans le Sens de la possession : Une forteresse (de plus en plus assiégée)

En tant que forteresse il est voué à la lutte contre le mal (la maladie)

    • mal individuel dans un combat singulier avec tout l’art militaro-médical
    • mal collectif dans un retranchement qui est souvent devenu enfermement (Foucault).

On y trouve, agissante, une logique de combat qui utilise les armes les plus modernes : radars-scaners, lasers, guerre chimique, guerre virale, guerre génétique bientôt.

On y trouve aussi des armes plus traditionnelles, magiques, avec jeux de possessions et d’exorcismes masqués sous des discours et rituels modernes.

Tout cela n’est qu’affaire de « pouvoirs ».

Aujourd’hui cela s’exprime aussi dans le pouvoir des affaires et l’hôpital devient le champ clos de toutes les rivalités, les jeux de territoires, les jeux de pouvoir. Que leurs enjeux et leurs armes soient anciennes ou modernes, ils sont toujours aussi archaïques.

Il y a là une cohérence humaine Nietzchéenne où la volonté de puissance se heurte à la puissance du mal. L’intérêt particulier s’y érige facilement en Bien Commun tant est vitale la lutte contre le mal. Les violences intra-hospitalières n’y sont pas rares ainsi que le réclame cette puissance animale qui est l’archétype de la force vitale, sensée animer l’homme, bonne ou mauvaise.

Le Sens de l’homme, c’est ici la maîtrise de cette puissance animale, ou bien, c’est équivalent, des forces du mal. Que les armes et les langages en soient anciens ou modernes n’en change pas le Sens. Pouvoir et puissance des moyens voilà la clé du Bien commun détenu par l’hôpital et ses puissances.

La même cohérence se joue entre les hôpitaux et, bien évidemment, toutes les puissances locales ou nationales qui rêvent de prendre pouvoir sur l’hôpital et qu’il n’est pas utile de citer, chacun les aura bientôt dénoncées.

Inutile de prolonger cette fiction qui fait le quotidien de bien des gens à l’hôpital dans une parfaite cohérence et une totale occultation du Sens et aucune conscience ni maîtrise possible.

2) L’hôpital dans le sens moderniste, néo-mécaniste : Un garage multiservice

Le mariage d’une logique militaire avec une logique des affaires qui occupe notre hôpital forteresse laisse ici la place à celui d’une logique consumériste et d’une logique réparatrice.

Le système de santé constitué par ces grandes surfaces que sont les centres hospitaliers et les superettes qui ont d’ailleurs du mal à survivre tellement la concentration de la distribution exige des plateformes plus performantes. Il suffit d’une bonne maîtrise des flux et circulations. Le consumérisme incite à la variété et la qualité des services qui, en l’occurrence, sont plutôt de l’ordre de la réparation de dysfonctionnements et du rétablissement d’une normalité, conformes à une demande qui se fait chaque fois plus exigeante et plus sourcilleuse.

Le droit à la santé sous-tend une demande toujours croissante, alimente un marché de la réparation toujours plus vaste avec, comme il se doit, une augmentation corrélative de la consommation et du prix global. Mais comme il se doit aussi, les régulations économiques interviennent, le système de santé se révèle par certains côtés pléthorique (du côté de la naissance) pendant que d’autres secteurs sont déficients (du côté de la mort). Il n’est pas étonnant que les dimensions commerciales et économiques y prennent un poids considérable comme critères de maîtrise des flux et de répartition des moyens. Le Bien Commun n’est-il pas là, dans la régulation d’un système équilibré ? C’est en tout cas comme cela qu’on le conçoit ici.

Le corps « automobile » de l’homme y fait l’objet de tous les soins réparateurs en cas de dysfonctionnement.

La considération pour les personnes (et le personnel hospitalier) y pourrait être envisagée comme un « plus » commercial, un élément de confort accessoire ou bien alors un moyen réparateur de quelques dysfonctionnements sociaux transitoires.

La modernité ne nous impose-t-elle pas ses lois comme la nature et l’environnement? Tel est ici le Sens de la disposition au « Bien Commun », celui du système, qui n’est en fait celui de personne. C’est pour cela qu’on ne s’y pose pas de questions de Sens mais de fonctionnement.

3) La logique rationaliste-idéaliste de l’hôpital : L’Institution médicale

Le couple vertu-technique suffit à définir cette vision institutionnelle et instrumentale de l’hôpital.

Le Bien commun, optimum du possible selon la morale et la compétence médicale, détermine la rationalité idéale qu’incarne l’Institution et qu’elle échafaude.

L’hôpital se doit de mettre à la disposition de la société les meilleures techniques, les meilleures compétences et les moyens les mieux appropriés.

Le service, public ou privé, est à la fois une règle morale quasi juridique et une règle technique d’excellence médicale. Il font des médecins les « ingénieurs » et « spécialistes » de l’instrumentation médicale, auréolés, comme il se doit, de tout ce que leur mission et leur devoir exige d’eux. Cette vision, quasi Kantienne, englobe toutes les recherches de perfection souhaitables et les exige de tout le personnel hospitalier.

En retour n’attendrait-on pas une même discipline des usagers et, bien sur, toute la vigilance des pouvoirs publics à perfectionner l’institution? Univers du droit (public) et du médical, l’hôpital institutionnel est soumis aux crises de la raison et de la rationalité de notre époque. Gageons qu’il en exigera un surcroît de devoir.

L’homme qu’il sert et qu’il veut rétablir dans ses performances individuelles et sociales n’est-il pas avant tout un être de Raison ? C’est ce à quoi, peut-être, voudrait-on le convaincre. Mais la Raison a-t-elle un Sens ?

4) L’hôpital dans le sens de la maîtrise du Sens : Une communauté soignante

Dans ce Sens encore une nouvelle vision se dessine.

Santé et maladie ne se comprennent que par rapport au bien des personnes humaines. Celui-ci est lié à la façon dont chaque personne peut assumer son existence parmi les autres dans sa vie en communauté, familiale, sociale, professionnelle, etc. Si la santé est le plein exercice de sa capacité à s’accomplir alors on peut parler à son propos de la dignité de la personne, de sa liberté, son autonomie, et, en définitive, de la maîtrise du Sens de ses actes. Tout cela est, bien entendu, une visée par rapport à laquelle chacun est appelé à progresser selon ses voies propres (sa vocation) et dans le contexte de la communauté à laquelle il participe.

C’est là que le caractère essentiel du Sens intervient. En effet, si la vie sollicite chacun sur le plan physique, sur le plan mental et sur le plan affectif, il n’y a autonomie, liberté de la personne qui si elle ne s’y réduit pas et en maîtrise quelque peu le Sens, ce qui dépend d’elle.

C’est dans ce contexte : physique, mental, affectif, que se jouent les événements de la vie, notamment sous un aspect matériel, culturel, relationnel.

C’est dans ce même contexte que s’évaluent et se manifestent les symptômes de la maladie, de la souffrance, les difficultés mais aussi toutes les modalités de restauration de la santé. Il n’est pas rare que l’on évoque à ce propos le souci de prendre en considération l’individu dans sa globalité, sans séparer artificiellement physique, mental, affectif, et aussi aspects matériels, culturels, relationnels des problèmes et des pratiques.

Cependant, et c’est ce qui est nouveau, ce n’est pas encore le tout de la personne. La personne au fond d’elle même est Sens et c’est donc là que se joue la maîtrise du Sens qu’elle donne à son existence et ses actes et aussi la quête de Sens, la recherche d’une meilleure maîtrise et, on le verra, la restauration, à l’hôpital notamment, de cette maîtrise ou de la capacité de la développer (liberté, autonomie, responsabilité, etc.).

Alors si on reste dans cette perspective, dans ce Sens, on considérera justement le Sens comme l’essentiel en toute chose. Choisir ce Sens (le bon, le meilleur pour chacun et pour tous), c’est :

    • Toujours s’interroger sur le Sens des choses, des situations, des problèmes, pour comprendre en profondeur, discerner le Sens des symptômes, des comportements, des pratiques, des conditions, des discours, des directives, des intentions, etc. C’est y rechercher l’homme.
    • Toujours assumer le problème du choix de Sens. Le déterminer dans chaque situation et se déterminer dans le meilleur Sens, celui qui définit valeurs et finalité, celui qui oriente la démarche, celui qui donne la direction. C’est l’enjeu essentiel de la responsabilité, celle des dirigeants, bien sûr, mais de tout un chacun qui a à se diriger ou à restaurer la capacité des autres à se diriger. C’est exercer la dignité d’homme.
    • Toujours construire et évaluer les actions dans le même Sens. Cela concerne les pratiques individuelles et collectives, l’organisation, les stratégies et les moyens et leur donne une cohérence souvent simplificatrice. Cela conduit à une meilleure efficacité à cause de la pertinence des actes et de leur juste évaluation plutôt qu’à un déploiement pléthorique de moyens mal ajustés et rarement évalués correctement. Cela se traduit enfin par un meilleur partage du Sens (consensus) ce qui anime les relations et les communautés, en favorise l’unité plutôt que la dispersion tout en en respectant les diversités et les différences. C’est engager l’homme.

C’est cela maîtriser le Sens, c’est un souci, une responsabilité, une liberté, une autorité, mais aussi un savoir-faire qui est à développer pour enrichir les pratiques.

C’est comme cela que chaque personne cultive son « altérité » et respecte celle des autres personnes et, dans certain cas, contribue à restaurer « l’altérité » de ceux dont la santé à été « altérée » et qui ont besoin d’aide.

La transition est maintenant faite entre ce Sens de la maîtrise du Sens et la communauté soignante de l’hôpital.

Celle-ci trouve sa finalité dans cette restauration à partir de situations d’altération de la santé.

Voyons bien que cette altération de la santé, si elle s’exprime par des défaillances physiques, mentales ou affectives liées à des difficultés matérielles, culturelles, relationnelles, a pour origine et pour enjeu une altération dans la maîtrise du Sens par la personne.

Si c’est dans les premiers termes que peut se mesurer le rétablissement et que peuvent s’exercer des actes médicaux, c’est au niveau du Sens que s’exerce véritablement la pratique. C’est pour cela que c’est toujours le soin à la personne qui restaure lasanté.

Ce soin à la personne fait de partage de Sens, d’aide à trouver son Sens, à se diriger, s’exprime au travers de la médiation de tous les actes, comportements, attitudes, pratiques, techniques, mais aussi et surtout dans l’intégration à la communauté.

Il est en effet important de souligner, dans notre perspective, que la personne soignante ou soignée est toujours inscrite dans une ou plusieurs communautés. L’altération de la santé perturbe la participation à la communauté et, dans certains cas, la maladie de l’individu est aussi le symptôme d’un problème de la communauté.

Sa restauration n’est pas affaire que de relation inter-individuelle soignant-soignée mais aussi d’inscription de l’un et de l’autre dans leur communauté.

La profondeur des difficultés et des souffrances humaines dépasse la capacité habituelle des personnes soignantes. Il leur faut se mettre à plusieurs et, au travers de chacun, c’est la communauté hospitalière qui est soignante. Il lui faut pour cela être organisée en conséquence et donc aussi maîtriser son Sens.

En outre, c’est bien l’inscription de la personne malade dans une communauté « hospitalière » qui l’aide à restaurer sa capacité « d’altérité » qui est l’essence même de sa santé, quelles qu’en soient les modalités pratiques et la limite des possibilités de la personne (physiques, mentales, affectives).

En cela, l’hôpital doit être pleinement une « communauté soignante » inscrite dans le mariage d’une logique « restauratrice » et d’une logique « hospitalière ».

Au travers de chaque personne qu’elle reçoit et dont elle prend soin, c’est pour la société qu’elle travaille aussi, pour l’intégration de personnes qui constituent la communauté sociale elle-même.

En cela, elle est aussi restauratrice d’une « santé publique » et en cela son action est proprement « politique » de même que la direction d’une « communauté soignante » est un travail « politique ».

Il y a donc une importance particulière à la considération politique des problèmes de santé et à la conscience de la responsabilité communautaire de l’hôpital.

Voilà donc quatre Sens avec les « paysages hospitaliers » qu’ils dessinent, leur logique propre, leur cohérence, leur mentalité, leur sensibilité et aussi leur réalité.

Si l’on est disposé dans un certain Sens alors le monde des autres Sens nous échappe et les malentendus les plus profonds sont présents.

Il y a sans doute au sein de l’hôpital et autour de lui de tels malentendus, une disparité de Sens qui alimente et révèle cette crise des Sens.

Seulement chaque Sens prend cette crise dans sa logique propre.

Pour le premier monde, celui de la possession, le Sens est réduit trop souvent à la dimension sensible, émotionnelle, la crise de Sens devient crise de (dé)possession, affaire de pouvoir plus ou moins occulte.

Pour le second, moderniste-mécaniste, le Sens est réduit à la représentation, l’image, la forme. La crise devient crise d’identité et jeu d’images, de publicité et de media, le look des années 80, la recherche de séductions.

Pour le troisième, rationaliste-idéaliste, le Sens est ramené à la raison qui n’en est en fait qu’une expression. La crise est alors celle du conflit entre plusieurs rationalités : gestionnaire, médicale, scientifique, éthique, sociale, politique, etc. et la recherche de solution dans une super rationalité qui régisse le tout, ce qui ne va pas sans un rôle de plus en plus organisateur de l’Etat.

Enfin pour le quatrième monde, la crise du Sens est l’appel à la maîtrise du Sens, elle est provocation à un dépassement, à une maturité dont l’une des caractéristique est la prise en compte de la plénitude de l’humain.

Le Sens qui est au plus profond de l’homme peut paraître difficile d’accès surtout pour qui se réduit à une « surface des choses » qui est une surface de l’homme et une surface des problèmes.

La considération des personnes, si nécessaire tant pour les malades que pour le personnel hospitalier mais aussi pour tous les partenaires de son environnement, ne peut pas se contenter d’une attention de surface. Elle n’est véritable que si c’est la personne dans sa complétude qui est considérée, c’est-à-dire dans son potentiel, sa capacité à maîtriser son Sens, c’est-à-dire conduire une vie saine.

La responsabilité des dirigeants hospitaliers mais aussi celle des professionnels et de chacun est, dans son essence, d’avoir à choisir et maîtriser le Sens, nous en avons vu quatre parmi les Sens de l’homme.

C’est selon le quatrième que nous allons aborder maintenant les pistes que la question du Bien Commun entrouvre pour progresser dans le « bon » Sens.

Nous le ferons avec l’éclairage de la théorie des Cohérences Humaines où chaque Sens pose la cohérence, humaine, du monde que nous nous faisons


QUATRE PISTES POUR LA MAITRISE DU SENS DE L’HOPITAL

1) LE SENS DE LA SANTE

Dans notre perspective, l’hôpital qui trouve sa vocation dans la restauration de la santé, se doit de progresser dans la connaissance de ce Bien, commun aux personnes.

Pour cela, c’est le Sens de la santé qui doit être élucidé, approfondi et ce sur plusieurs plans :

    • au niveau général de l’humain
    • au niveau culturel, national par exemple,
    • au niveau local du milieu d’implantation
    • au niveau sectoriel des populations et aussi des signes d’altérations que sont par exemple les maladies,
      • au niveau personnel de chaque malade

Il y a toute une réflexion à mener dont il serait bon d’organiser les modalités macro-pédagogiques par le biais d’apports extérieurs, d’approfondissements, du point de vue de chaque profession et d’échanges communs dans les services et les établissements.

Une impulsion nationale serait utile sur le plan des méthodes, de la recherche, de la diffusion et du partage de travaux.

La connaissance de l’homme et la nature humaine en seraient approfondies et, en particulier, les voies d’accomplissement qui sont celles de la santé et les seuils et étapes de développement de la personne et des communautés humaines dont les accidents et défaillances constituent, de ce fait, les altérations de la santé. La théorie des Cohérences Humaines propose des éclairages théoriques et des méthodes pour une libre recherche des Sens de la santé, ce Bien, commun aux personnes et aussi une nouvelle compréhension des âges de la vie.

2) LE SENS DE LA RESPONSABILITE POLITIQUE

Une communauté soignante se doit d’avoir une « politique de santé » pour elle-même et ses hôtes. Cette « politique de santé » n’est pas sans rapport avec la cohérence de sa direction et le projet de la communauté soignante, projet à entreprendre dont le Sens et les termes, s’ils ont des référents locaux, sont aussi en référence avec une politique régionale et nationale et leurs différentes implications.

Or, la politique, c’est la détermination d’un Sens à donner. C’est la responsabilité des hommes politiques de l’assumer et de veiller à la cohérence de son engagement.

Pour cela encore faut-il qu’ils soient éclairés notamment par ceux qui ont une autre responsabilité politique au niveau des établissements ou à d’autres niveaux (locaux, régionaux, nationaux).

C’est la responsabilité des responsables hospitaliers d’en être éclairés et d’éclairer les responsables politiques. Il y a une « autorité » à y gagner, une crédibilité dans la mesure où, à chaque niveau, c’est le Sens général que le Bien Commun exprime qui est recherché, élucidé, traduit.

Il faut pour cela que des modalités d’échanges, de « représentation », c’est-à-dire un certain processus démocratique soit inventé, mis en oeuvre.

Comment sensibiliser les dirigeants, les politiciens locaux, régionaux, nationaux à cette recherche du Sens, comme axe de cohérence d’une politique de santé? Là aussi les méthodes issues de la théorie des Cohérences Humaines peuvent y concourir notamment par l’élucidation des politiques implicites existantes et des politiques possibles et par l’expérimentation de formulations, de développements stratégiques à différents niveaux et dans différents secteurs de l’activité hospitalière.

3) LE SENS DE LA COMMUNAUTE ET SON MANAGEMENT

La communauté soignante est un type de « communauté de devoir ». La maîtrise du Sens par l’hôpital prend ce visage de l’organisation de la conduite de la communauté de travail et donc aussi de sa direction et son « management ».

Chaque Sens dessine une certaine vision des organisations et de leurs structures. Celui qui est notre perspective réclame une pensée nouvelle sur la nature du lien dans cette communauté et les principes d’organisation et de management qui en découlent. La théorie des Cohérences Humaines éclaire cela notamment avec le concept de « concourance » et la théorie du « gouvernement des entreprises humaines ».

Le concept de « concourance » repose sur le principe d’une unité de Sens (consensus) comme lien collectif ce qui détermine déjà le rôle des dirigeants : diriger, c’est donner le Sens.

Ensuite toute la structure des rapports entre les compétences, entre les services, les fonctions, les niveaux hiérarchiques est fondée sur le principe de concourance. C’est l’architecture des concourances qui fait la structure de l’organisation selon un sens déterminé, dans les conditions données et selon les buts fixés.

Comment chaque personne, chaque métier concoure dans son contexte particulier à la restauration de la santé ? Telle est la question organisatrice.

Cette maîtrise du Sens devient maîtrise de la communauté de travail. Mais elle est aussi inscription de cette communauté de travail qu’est l’hôpital dans son milieu. Là aussi une structure de concourance est à favoriser avec la recherche d’un Sens et de buts communs pour déterminer rôles respectifs et modalités des rapports.

Il y a là toute une réflexion et une expérience à faire pour faire évoluer les rapports souvent figés entre les catégories professionnelles et adopter une autre vision de la distribution des rôles dans un modèle nouveau de structuration d’une communauté de soin.

4) LE SENS DE LA QUALITE

L’évaluation de la qualité des actes est l’exercice même d’une maîtrise professionnelle en même temps que le moyen de la cultiver.

La qualité est le signe qui « qualifie » la valeur de quelque chose, d’une pratique, d’un résultat, d’une compétence, d’une activité.

Définir les critères de qualité, qualifier les choses (apprécier la qualité), mesurer le degré de qualité, tout cela fait partie d’un exercice de l’évaluation.

C’est une pédagogie de l’évaluation, apprentissage de tout cet art qui permettra de développer le « professionnalisme » individuel et collectif.

Pour cela, il faut se référer à une échelle de valeur, sans laquelle il n’y a pas d’évaluation possible. Cette échelle de valeurs est déterminée par le Sens lui-même qui est donné à l’hôpital. De même cette échelle de valeur ne peut être que commune. Elle est celle que détermine, se donne et s’approprie la communauté de soin, notamment par rapport au Sens de la santé qu’elle s’est donné.

La maîtrise du Sens est donc encore la condition et l’effet de l’évaluation. Celle-ci, en tant qu’auto-éducation à la maîtrise du Sens, instaure une spirale vertueuse dont les spires se développent pour chaque personne, groupe de personnes, services, etc.

La spirale vertueuse ne se réalise que dans l’action où est accueillie la personne malade.

Ainsi l’éducation à l’évaluation est la pratique de celle-ci. Son objet est le processus même de pilotage du travail de restauration de la santé dont on a vu le rapport étroit avec la « maîtrise de Sens ».

De ce fait, l’évaluation ne devrait pas être considérée comme un ajout à l’activité mais comme condition de la maîtrise de l’exercice même de l’activité de soin.

La qualification des choses participe aux modalités de réalisation de la concourance, c’est-à-dire au partage des buts, des voies et des moyens d’y parvenir.

L’évaluation est ce qui noue et fait évoluer la communauté de devoir.

Voilà bien sommairement esquissé le dessein d’une possible maîtrise de Sens de l’hôpital dont la question du Bien Commun est le vecteur en tant qu’elle en donne le Sens. Si tant est qu’on le cherche.

Mais n’est-ce pas ce qui justifie les hommes de bonne volonté ?

Le Sens est ce qu’il y a de plus réel en l’homme, sa maîtrise est la visée même de l’accomplissement de l’homme dont la santé est une figure. C’est sans doute un renversement des valeurs entre l’essentiel et l’accessoire, la profondeur et la surface qui est à faire dans les esprits pour retrouver le Sens du Bien Commun et faire progresser la question du Sens de l’hôpital vers la maîtrise de son Sens plutôt que celle de ses accessoires, autrement illusoire.

Retour