Au coeur du sujet – Chapitre 2
Texte remanié 2001. La vision de l’homme dans son humanité.
I – L’EXISTENCE
DE L’HOMME ET DU MONDE
Dimensions et aspects de l’existence
humaine
II – L’INSTANCE
DE L’HOMME
L’Instance, l’esprit, la vie, l’intelligence
La transcendance de l’homme
La transcendance de l’homme, condition
de sa liberté, source de toutes les pratiques humaines.
III – L’INSTANT
Y a-t-il pour l’homme plus important que
l’homme lui-même? Dieu, dirons les uns; le monde ou l’univers,
dirons les autres. Or l’homme est justement à cette articulation,
d’une part d’un monde dont il semble engendré, et d’autre
part d’un principe dont il pourrait provenir par création.
Si la Bible nous enseigne que l’homme est à l’image et
à la ressemblance de Dieu, cela devrait nous entraîner
à une connaissance de l’homme autre que celle d’une production
de la nature ou du monde existant. Par ailleurs, si l’homme est
une production du monde, en quoi est-il spécifiquement
homme et quel est son devenir?
Si l’homme appartient au monde, par son
rôle de sujet, il y témoigne d’une humanité
qui est d’une autre nature; d’une nature spécifiquement
humaine: le Sens. Le monde des existants se trouve relatif à
l’Homme, c’est le monde des hommes, des Etres de Sens. Cependant
rien de l’homme ne dit d’où viennent l’homme et le monde
de l’homme, rien si ce n’est une question et une réponse.
Cette question est celle de l’origine de l’homme, la réponse
est celle d’une conscience de Sens, d’une lumière prédisant
une source, éclairant un devenir. Question et réponse
se présentent à l’homme dans le monde, en lui-même.
Si l’homme n’accède pas à son Etre, il n’accède
pas à l’origine de son Etre.
La connaissance de l’homme par lui-même
permet à la fois l’accès à son origine et
à sa fin, et permet en outre une maîtrise de son
existence.
Or l’homme est présent en trois
ordres différents:
– l’homme existant dans le monde, dans
l’EXISTENCE,
– l’homme Etre-Sens qu’on appellera ici
INSTANCE,
– l’homme marqué par une présence
de lumière et de création en provenance de l’INSTANT.
Pour traiter des problèmes humains,
il est indispensable d’en connaître le sujet -l’homme-.
Toutes les conceptions du monde, de Dieu, des choses, rares ou
banales; tous les projets, les actions, les recherches, sous-tendent
une conception de l’homme; qu’il en soit le sujet ou l’objet.
Nous allons dessiner ici un panorama de
la question de l’homme. Ce panorama ne prétend pas être
une démonstration, mais une première présentation
privilégiant le tableau d’ensemble plutôt que les
détails.
Les trois ordres en l’homme: sa trinité
Image de la trinité divine, l’homme
connaît en lui-même trois ordres. L’un est principe
d’engendrement, source de son Etre vivant et de lumière
sur lui-même, en lui-même. Le second, son Etre, est
Sens, c’est-à-dire Esprit. C’est sa nature spirituelle.
Le troisième est incarnation de son Etre dans une existence.
Cette trinité suppose une double transcendance, dont l’Etre
humain est l’intermédiaire entre Dieu et le monde.
Cette trinité se déclinera
en outre, dans l’Etre de l’homme lui-même, en trois Sens
par lesquels il peut accéder à lui-même et
au-delà. Dans l’existence même, elle se répercutera
selon le principe de ternarité.
Le panorama de la trinité de l’homme
vient ici pour nous aider à sortir des dualismes, vite
réduits en monismes, qui dominent l’époque contemporaine
et qui, avec la disparition de l’homme, font disparaître
la question de son origine et de sa fin. Il demande l’effort
d’un regard neuf sur l’homme.
DE L’HOMME ET DU MONDE
L’existence de l’homme, d’un homme, et
celle du monde pour lui, sont indissociables. Ils sont l’un à
l’autre immanents. Cela veut dire que l’on ne peut enlever une
quelconque partie de l’un ou de l’autre sans que l’un et l’autre
disparaissent.
Il s’agit là d’une conception nouvelle,
proche des considérations sur l’interdépendance
universelle des existants dans l’univers, mais très éloignée
des conceptions dominantes où il semble que l’homme pourrait
être un individu parfaitement isolable sans que sa nature
en soit directement affectée. Or si on enlève l’homme
du monde il ne reste rien. Si on enlève le monde à
l’homme, il ne reste rien de son existence à lui. Cette
dépendance n’est pas celle d’une quelconque nécessité
de survie mais bien plus une question de co-existence immanente,
d’aspects différents d’une même existence.
Nous pouvons considérer: soit l’existence
d’un homme et de son monde, soit celle du monde et des hommes.
C’est la première voie que nous allons d’abord emprunter.
L’existence d’une chose, l’existence de
l’homme, sont ce qu’ils ont de définissable. Etre définissable
ou avoir une finitude, caractérise ce qui a une étendue
mesurée, d’espace et de temps par exemple. C’est ainsi
que les existants ont leur existence.
L’homme existant n’est pas seulement un
corps, même vivant, il est aussi une histoire avec ses
péripéties, ses événements, ses traces,
ses répétitions, ses évolutions, etc…
Il est fait, en outre, de tout ce qui est présent dans
chaque moment de la vie quotidienne: le corps bien sûr,
toujours là, mais aussi la présence à nous
des objets environnants, les gestes et les rapports à
tout ce qui nous entoure, aux autres. Il faut aussi y joindre
pensées, savoirs, projets, attentes, plaisirs, joies,
souffrances, sentiments, perceptions, mouvements, souvenirs,
représentations, etc… L’existence humaine englobe tout
cela, tout un ensemble de facteurs, d’aspects, de dimensions
qui la constituent. Tous ces éléments qui appartiennent
à cette existence et la composent, forment globalement
l’ensemble d’une vie humaine, ainsi qu’une multitude de situations
particulières qui semblent se succéder et s’imbriquer
les unes dans les autres.
Un homme c’est, de ce point de vue une
existence, la sienne, qui lui est propre, même si elle
est partagée en participant à d’autres existences,
à celles du monde et de l’humanité. Un corps sans
histoire n’est pas un homme, une histoire humaine sans corps,
ce n’est pas un homme, une pensée seule sans mouvement,
ce n’est pas une existence, des sensations sans mémoire,
ce n’est pas d’un homme. En fait, nous dirons que l’existence
de cet existant qu’est l’homme est faite de nombreux aspects
qui sont tous indissociables. Ils peuvent être de natures
différentes: pensée et corps, histoire et affectivité
par exemple, mais ils restent tous indispensables l’un à
l’autre, pas toujours en même temps, peut-être, en
tout cas certainement pas toujours présents à notre
conscience. Cette conscience même de notre propre existence
et de ces aspects n’est-elle pas, elle aussi, un aspect de l’existence
humaine, comme le sont, eux aussi, les mots utilisés pour
la décrire ou l’exprimer?
Nous en venons à dire que tous les
aspects de l’existence de l’homme sont immanents. L’un d’entre
eux présuppose la présence ou la possibilité
de tous les autres. C’est l’ensemble et sa cohésion qui
font l’homme, dans l’ordre de l’existence. Y a-t-il alors un
tout de l’homme, quelque chose qui ne soit ni un aspect, ni une
combinaison particulière? La "globalité"
d’une existence, n’est encore rien d’autre qu’un "aspect",
l’aspect global. L’homme est-il une entité en lui-même,
qui ne se réduise à aucun aspect ni même
à leur somme? La réponse pour nous est oui. L’homme
est une Instance et cette Instance qu’est l’homme n’est pas dans
son existence, elle la transcende.
Le terme d’Instance est choisi ici, d’une
part pour évoquer un lieu d’autorité, de décision,
lieu de la responsabilité en l’homme, là où
ça répond. Il évoque en outre le fait que
ce lieu, nommé Instance, n’est pas achevé mais
en devenir, en attente donc. Il n’est pas tout à fait
un Etre achevé, c’est pour cela qu’on le nomme ici Instance
(cf. Théorie de l’Instance).
DIMENSIONS ET ASPECTS DE L’EXISTENCE
HUMAINE
Anticipant sur la théorie de l’existence
on en empruntera le schéma ternaire pour présenter
notre propos.
Celui ci décrit l’existence d’un
homme, son existence pleine et entière, qui n’isole pas
une de ses composantes mais les rapportent toutes au même
ensemble. Cette description de l’homme, tout un chacun peut s’y
reconnaître et peut envisager ce qui est, pour lui, l’aspect
ou la dimension qu’il privilégie. Cependant, une mise
en garde est à faire à ce propos. Ce n’est pas
dans l’existence que se trouve pour l’homme le siège de
son Etre, de son Instance, de son sens. Il n’y a pas dans cette
existence de cause à cette existence. Il n’y a que des
corrélations entre tels ou tels aspects, corrélations
qui en caractérisent l’immanence.
1) Les trois dimensions de l’ existence
Les trois dimensions principales, significatives
de l’homme dans son existence sont représentées
par les vecteurs du schéma ternaire.
a) La dimension intentionnelle
C’est celle du sujet, celle qui, en l’homme
existant, marque la présence d’un sujet, au-delà
duquel un Etre subsiste: l’Instance. C’est, pour un homme, ce
que l’on peut appeler sa personnalité, le soi, ses tendances
propres, son autorité, la marque de sa liberté
le fait qu’il ait une démarche propre, orientée,
dirigée de lui-même.
Cette dimension de sujet n’est pas le tout
de l’existence de l’homme mais ce qui, dans cette existence,
caractérise l’essentiel. C’est par cette dimension là
que l’homme accède au coeur du sujet, c’est-à-dire
aux sens des choses, à son Instance et, au-delà,
à l’INSTANT-DIEU.
b) La dimension attentionnelle
Si dans l’existence d’un homme il y a une
dimension propre, celle de sujet, il y en a une autre qui correspond
à la présence, pour lui, de tous les existants
du monde. Ils ne sont présents, pour lui, qu’en tant "qu’objets
de considération", soit objets de conscience, soit
même objets de présence, d’existence. L’homme, dans
son existence, ne les connaît ou les fréquente que
comme ses objets, en tant qu’ils le concernent et pas comme des
choses absolument isolées de lui-même. Si parmi
ces existants, figurent sa propre existence, son corps, sa conscience
par réflexion, on ne peut pas dire que l’existence de
l’homme ne contienne pas tous ses objets, tout un monde, le sien
(partagé certes avec d’autres). Si nous prétendons
habituellement, par exemple, que notre corps nous appartient
absolument, qu’il caractérise notre personne, nous faisons
erreur. En effet, un corps, le nôtre n’est pas déterminable,
ni définissable indépendamment d’un monde dont
il fait partie. Si nous pensons être des personnes différenciées,
il nous faut accepter que nos existences, bien que différenciables,
ne sont pas séparables du monde qui est le leur. Seules,
nos Instances sont différenciées et séparées.
Ainsi, il faut y insister, tout ce à
quoi nous pouvons porter notre attention, participe de notre
propre existence, tout en étant néanmoins plus
ou moins partagé. En ce sens notre monde nous appartient
personnellement, mais seulement comme copropriété.
La propriété matérielle
est inhérente à l’existence humaine, la propriété
absolument privée est aberrante, seule une autorité
personnelle exercée sur une propriété commune
est acceptable.
L’ensemble des objets, constituant le monde
du sujet, est "la matière" de son existence,
ce à propos de quoi le sujet existe, ce en face de quoi
il est un sujet.
c) dimension extensive
De ces deux dimensions de base, découle
un produit, la vie proprement dite. L’existence, c’est aussi
toute une histoire, de la naissance (ou la conception) à
la mort de cette existence. La vie de l’homme, déroulement
des événements, des moments de son existence, appartient
bien à cette existence
Traverser une situation, vieillir, avoir
séjourné ici ou là, avoir voyagé,
vivre tous les jours, tous les ans de notre vie, cela ne constituerait-il
pas notre existence? Il ne s’agit pas là d’un accessoire
dont notre existence pourrait se passer. Notre histoire est consubstantielle
à notre existence. Réduire celle-ci à celle
d’un corps, serait ignorer que celui-ci est sans cesse changeant,
échangeant d’ailleurs sa matérialité avec
l’environnement. L’histoire du corps est aussi intrinsèque
à l’existence que le corps lui-même. Ainsi, cette
dimension historique de l’existence, celle de vivant, doit-elle
intégrer tout le temps et l’espace de notre existence,
tous les moments, tous les temps et les espaces dans lesquels
notre sujet et nos objets sont animés pour nous de cette
vie qui est la nôtre.
2) Les trois plans de l’existence
Outre ces trois dimensions fondamentales
de l’existence humaine, il est intéressant de considérer
trois plans indissociables, selon lesquels l’homme existe.
a) Le plan affectif
Le rapport du sujet à ses objets
est un rapport d’affectation de l’un par les autres. C’est le
plan du vécu, celui où, dans son existence, le
sujet éprouve ses objets, les ressent, les affecte et
en est affecté. Vu de ce plan, l’existence est affaire
de relation, mais d’une relation d’affectation mutuelle. C’est
l’ordre du sensible, des sentiments, des émotions. Selon
ce plan, l’homme est affectivité, mais cette affectivité
n’est qu’un des plans de cette existence. Cette affectivité
n’est pas un organe mais un vécu. Tout ce qui nous touche
participe à notre existence affective et ce vécu
d’être touché constitue tout un plan de notre existence.
b) Le plan mental ou imaginaire
Tous les objets avec lesquels nous sommes
en rapport dans notre existence ont une double présence
pour nous. L’une en tant qu’objets auxquels nous sommes confrontés,
l’autre en tant que représentations mentales de ces objets.
Ces représentations mentales, pensées, réflexions,
imaginaire, schémas, formes, etc… constituent tout un
plan de notre existence que l’on pourrait appeler existence mentale.
Le mental, là non plus, n’est pas un organe (contrairement
à ce que nos visions réductrices inhumaines nous
font croire). Le mental n’a d’existence que dans ces représentations,
toutes celles: souvenirs, idées, formes, images, dont
notre existence est faite selon ce plan. Il ne s’agit pas là
d’un accessoire mais d’un plan intrinsèque de cette existence.
c) Le plan factuel ou corporel
Notre existence, c’est aussi un corps physique,
mais un corps en mouvement parmi d’autres corps et constitué
lui-même de multiples corps. Ce plan d’existence, celui
des faits de notre existence, celui du "il y a" ceci
et cela, devrait être défini comme étant
tout un monde de choses où notre corps est l’une d’entre
elles, privilégiée et différenciée
certes, mais inséparable de toutes les autres. Et tout
ce monde de choses est agité de faits, traversé
par des corps en mouvement relatif, des corps en déplacement.
Peut-on dire que notre existence n’est
que ce plan et en conséquence lui donner la primeur? C’est
ce que font certaines conceptions matérialistes, celles
qui tendent à éliminer, dans l’existence humaine,
la dimension du sujet, ou de la réduire à un simple
processus énergétique.
Dans l’ensemble de ces trois plans d’existence,
on pourrait distinguer, d’une part, le plan factuel, celui de
la présence physique et matérielle de l’homme,
où il est corps parmi les corps, le plus anonyme et le
plus soumis aux vicissitudes matérielles, et, d’autre
part, l’ensemble des deux autres plans, que l’on pourrait appeler
son âme ou son psychisme, ce qu’il y a de plus personnel
dans son existence, de plus proche du sujet bien que toujours
conditionné par les objets de son existence.
Cette représentation de l’existence
de l’homme n’est pas le tout de l’homme. Il y manque son principe,
ce qui anime tout cela, le fait exister: le coeur du sujet, qui
est au-delà du sujet -l’Etre-Sens- que l’on appelle ici
l’Instance humaine.
Chaque homme est une Instance et c’est
avec les autres Instances humaines qu’il se fait exister. C’est
pour cela que cette existence n’a pas d’autonomie individuelle
mais reste toujours partagée. Seule, la dimension du sujet
dans l’existence de chaque homme y marque la possibilité
d’une autonomie personnelle, mais toujours contingente, pour
une existence individuelle non isolable.
Il reste une remarque à faire à
propos des existants dans le monde et le monde existant lui-même.
Pour chaque homme, ils ne sont pas hors de son existence, mais
appartiennent intrinsèquement à son existence (partagée).
Seule, l’Instance n’est pas de ce monde parce qu’elle le transcende.
Dans le monde de chacun, appartenant à son existence propre,
tout, au contraire, est immanent, indissociable, bien qu’on y
distingue une multiplicité d’éléments.
DE L’HOMME
L’existence de l’homme n’en constitue pas
les sens. Au-delà de tous les aspects de cette existence,
au-delà de cette existence même, il y a encore à
découvrir plus profondément l’Instance de l’homme.
L’homme, en effet, est d’abord une Instance qui se manifeste
dans une existence.
Cette Instance de l’homme est justement
constituée de sens, ces mêmes sens dont on ne trouve
que les manifestations variées dans l’existence. L’Instance
pourrait se présenter comme Etre. Un Etre substantiel,
verbe infinitif s’incarnant dans une existence. Seulement, être
UN Etre n’est pas donné d’avance à l’Instance,
mais celle-ci peut le devenir. C’est pour cela que l’on pourra
appeler l’homme par son Instance: Etre en devenir
L’homme est en devenir, encore à
accomplir, notamment parce que l’unité ne lui est pas
intrinsèque, elle appartient au-delà de l’Instance
à l’INSTANT. Au contraire, l’Instance de l’homme est d’abord
plurielle. Avant de devenir UN Etre, elle est constituée
d’une multitude de verbes infinitifs qui ne demandent qu’à
être conjugués pour faire une existence.
Mais ces "verbes infinitifs",
dans l’Instance, ne sont que des regroupements de Sens, sens
de ces verbes et de leurs conjugaisons possibles. Ce sont ces
groupements de Sens, équivalents à des verbes infinitifs,
que l’on appellera des cohérences.
De cette multiplicité de Sens, cohérences
et verbes, il est possible pour l’homme d’accéder à
une unité d’Etre par une conscience spéciale: la
conscience de Sens, et grâce à l’Instant, principe
ultime de cette unité.
Ainsi, il faut aller au-delà de
l’existence de l’homme, au-delà de son corps et de sa
psyché, pour atteindre ce qu’il est essentiellement. Seulement,
ce qu’il est au plus profond de lui-même n’est pas figé,
ni immuable mais au contraire pluriel, évolutif et en
devenir. Dans son Instance profonde, l’homme reste à accomplir.
Son existence, qui y puise sa source, exprime la présence
de cette Instance et de son évolution mais elle en cache
l’essentiel, ce qu’elle est, ses Sens
On comprend que l’homme puisse ignorer
sa propre Instance et son devenir, de même que le (ou les)
Sens de cette existence. Il aura beau scruter cette existence
par toutes sortes de sciences humaines, il n’y verra pas son
Instance. Cependant, s’il aperçoit que l’homme est sujet
dans l’existence, alors il a quelques chances d’accéder
au coeur du sujet, à l’Instance et à ses Sens,
par une conscience toute particulière, la conscience de
Sens.
L’Instance de l’homme est d’abord le lieu
de son Etre, celui de son autorité, sa personne propre
aussi. C’est là où ça se décide,
ça choisit, ça réagit, ça s’exprime,
mais ce n’est pas la décision, le choix, la réaction,
l’expression, qui eux appartiennent à l’Existence, dans
leur manifestation.
L’Instance prend nom de sujet dans l’existence,
sujet y est le nom donné à ce qui est au fond une
Instance. Le sujet est toujours sujet d’un verbe, peut-être
le verbe Etre. L’Instance serait comme le verbe infinitif pour
lequel le nom est "sujet". En particulier, nous avons
déjà désigné l’Instance comme Etre
de l’homme. On peut l’entendre ainsi: l’Instance de l’Homme est
son verbe dont le terme est son nom. En fait, nous nous apercevrons
que dire: "l’Instance est un verbe Etre substantiel",
n’est qu’une possibilité ultime. En effet, il faut considérer
que l’Instance, en l’homme, est l’ensemble des verbes dont il
peut être sujet, comme chanter, jouer, courir, penser,
etc…
L’Etre Instance devient sujet en existant.
Il devient aussi objet et acte. Le verbe conjugué devient
conjugaison du sujet à l’objet dans l’acte. Sujet, objet,
acte sont des termes d’existence; personne, Instance, sens, des
termes d’Etre.
Le verbe être résumerait dans
une même unité l’ensemble de tous les autres verbes.
Or, notre hypothèse est que cet Etre n’est pas d’emblée
achevé, "ETRE" est son devenir, ce à
quoi l’Homme peut accéder: "ETRE UN", singulier.
Ainsi il vaudrait mieux dire: "l’Instance de l’Homme est
l’Etre en devenir".
L’Instance n’est pas achevée, accomplie,
elle est verbes (infinitifs) et n’est pas d’emblée "Etre"
mais elle peut le devenir. C’est un accomplissement, pour l’homme,
que de pouvoir devenir un Etre tout à fait singulier dont
Adam et Jésus-Christ sont le commencement et la fin.
Poursuivons sur le thème du verbe,
pour noter que l’Instance est en elle-même composée
des verbes infinitifs. Ce sont leurs conjugaisons, conjugaisons
de l’Instance de l’homme, avec d’autres sens sans doute, qui
en fait l’existence. Chanter. Je chante une chanson. Le sujet
et l’objet n’apparaissent qu’avec la conjugaison. Ainsi l’Instance,
en elle-même, est verbe infinitif dont la conjugaison fait
l’existence, comme sujet étant comme ceci ou cela, c’est-à-dire
existant. L’Homme, dans son existence, n’y est donc connu que
par les conjugaisons de ce qu’il est comme Instance. Il n’y a
pas de conjugaison sans sujet et sans infinitif du verbe. Il
peut à l’inverse y avoir infinitif sans conjugaison, mais
alors sans existence non plus. Cela nous donne un aperçu
de ce qu’est l’Instance (verbe infinitif) de l’homme dont l’existence
(conjugaison) nous est seule visible par la conscience commune.
Notons au passage que les conjugaisons des verbes sont ce que
nous avons évoqué comme acceptions de Sens. Nous
n’en appréhendons que les indices, les objets, les signes…
Avec la question des verbes et du verbe
Etre, est apparue la diversité interne de l’Instance.
C’est là un aspect très important. En effet, s’il
n’y avait pas de diversité en l’Instance, il n’y aurait
qu’unité et ainsi il n’y aurait ni devenir, ni variété
d’existence propre. En effet, si l’Etre-sens était UN
sans diversité, il ne pourrait qu’Etre sans autres verbes
et Etre achevé sans passé ni futur. Or, c’est la
diversité des Sens qui fait d’abord que chaque verbe peut
être conjugué de mille façons.
Chanter peut se conjuguer à tous
les temps, tous les lieux, tous les autres, tous les chants.
Cela fait bien des modes d’existence pour y chanter. Du seul
fait de l’homme qui chante, il y a là toutes sortes de
Sens pour en conjuguer le verbe.
Tout un ensemble de sens, dans l’Instance,
équivaut à un verbe infinitif qui peut donner existence
à un phénomène. Cet ensemble de sens, c’est
ce que l’on nommera Cohérence, et on pourra parler ainsi
de la "Cohérence" du phénomène
(ou d’un existant particulier). On saura alors que cette Cohérence
siège en l’Instance de l’homme. C’est dans cette Cohérence
que se présentent, en lui, tous les choix de Sens à
donner à cette existence particulière, ou encore,
à conjuguer pour faire existence selon ce verbe. La diversité
ne s’arrête pas là, puisqu’il y a aussi plusieurs
verbes en l’homme, c’est-à-dire plusieurs verbes-Cohérences.
Etre englobe le tout, mais cette unité n’est pas donnée
d’avance; elle peut devenir possible, selon ce que l’on fait
de son existence. Cela pose les questions d’accomplissement,
de liberté et plus généralement celles du
Sens de la vie, ou de chacun de ses actes.
La conception de l’homme, développée
ici, propose une réponse toute nouvelle. L’homme, en tant
qu’Instance "EST" les Sens de sa vie, de son existence
et du devenir de son Instance. Cependant, la diversité
(infinie) des Sens, pose effectivement le problème d’une
orientation, des choix et de leurs conséquences, de la
liberté, de l’éthique, du rôle de normes
et de repères.
Tout cela redevient un problème
humain fondamental, inscrit dans sa nature même, et non
plaqué de l’extérieur. Tous les devenirs de l’homme
sont, potentiellement, en lui en tant qu’Instance. Devenir, est
un verbe d’homme, qui peut s’achever en Etre. En lui-même,
en son Instance, les perspectives de l’homme vont selon ses Sens
dont l’existence fera son existence, incarnation des verbes-sens.
L’Instance de l’Homme est son essentiel,
ce qui fait qu’il est homme (son humanité donc), et cet
homme là, sa personne propre. Par convention, nous considérerons
que la personne humaine est l’Instance. Une personne plurielle
donc, mais dont l’unité, singularité, peut advenir
si elle s’accomplit. L’Instance de l’homme est le lieu de toute
initiative: exister comme ceci ou comme cela; de toute originalité:
ce sujet là, cette personne unique là. C’est aussi
le lieu de toute autorité, à comprendre comme liberté
d’être de soi-même dans tel sens, selon telles modalités
d’existence (avec autrui et dans le monde).
Ainsi, si on imagine l’Instance, abstraction
faite de l’existence (abstraction qui n’est pas totalement possible
dans le monde de l’existence), elle est l’ensemble des potentialités
de l’homme, mais des potentialités de Sens, de verbes
infinitifs, et non d’existence. Celle-ci actualise ces potentialités.
La potentialité n’est pas de même
nature que l’actualité. Si l’Instance et ses Sens sont
considérés comme puissances, celles-ci ne sont
pas une préfiguration de leurs actualisations existentielles.
Ces dernières réclament d’autres Instances dont
elles seront alors co-existence. Si une Instance existe, son
existence n’est pas uniquement sienne, elle est co-existence.
Mais entre potentialités et actualités,
il y a la même différence d’ordre qu’entre Sens
et réalités, entre Etre et existence. Cette différence
d’ordre est une transcendance.
La maîtrise de ces potentialités,
le choix parmi elles de celles-ci ou celles-là, les conséquences
de ces choix dans l’existence, mais aussi dans l’Instance, voilà
la grande affaire de l’Homme. Cette "maîtrise",
autant qu’elle est possible et autant qu’elle dépende
de lui, demande un type de "conscience" qui est "conscience
d’Etre", c’est-à-dire bien autre chose qu’une affaire
de conscience d’existence. Il faudra nous interroger sur la nature
de cette conscience, les conditions de son accès et ses
conséquences. En l’absence de cette conscience, nous pouvons
considérer l’Instance comme ce qui est inconscient à
l’homme. Tant qu’il n’y a pas conscience d’Etre (partielle) ou
conscience de Sens (du Sens par lui-même et en lui-même)
on peut dire que l’Instance est l’inconscient de l’homme, non
pas un inconscient psychique mais ontologique.
L’Inconscient n’est pas un lieu de refoulement
mais un lieu sans conscience de ce qu’il est, alors qu’il est
Sens même de l’existence où il se manifeste. Tout
se passe néanmoins comme si des Sens majeurs étaient
plus difficiles d’accès, et comme refoulés, et
en particulier ceux des situations les plus archaïques…
En tout cas, l’inconscience a priori de
l’Instance en elle-même, fait que l’homme ne connaît
pas d’emblée ce qu’il est fondamentalement. L’homme ne
sait pas qu’il est une Instance et pas seulement un existant
(ce qui n’est déjà pas toujours évident).
Il faut certaines conditions pour l’engager dans une conscience
de ce qu’il est, dans une connaissance de soi qui dépasse
celle de tous les aspects de son existence et qui tende à
celle de son Etre, dans tel ou tel de ses Sens multiples.
L’Homme, en effet, n’est pas seul maître
de l’accès à cette conscience d’Etre et aussi à
toutes ses conséquences, vérité, liberté,
autorité, maîtrise. De ce fait, il lui faut une
grâce, ou encore que cet accès lui soit permis grâce
à d’autres, tel autre, etc…
La connaissance, conscience des Sens, est
bien science des sciences, science de l’Homme, mais de l’Homme
Instance et de son devenir.
Nous parlons là de tel homme en
particulier, de l’Instance de chacun de nous. Il nous faudra
plus loin aborder les relations entre homme-Instance et existence,
jusqu’à l’Humanité dans son ensemble. Mais de cette
multitude revenons à l’individu, plus précisément
au fait, d’abord, que l’existence d’un homme est faite de nombreuses
composantes. Or, s’il nous parait évident que cela fait
un tout, UNE existence, il faut que cette évidence nous
vienne d’une conscience d’Etre le même, malgré cette
multitude de parties, de natures, temps et espaces différents.
C’est l’Instance de chacun, sa personne
propre, qui peut lui donner cette impression d’être UN
individu particulier, permanent sa vie durant, sous ses multiples
facettes. Or, nous avons vu que l’Instance est plurielle et non
pas UNE. Nous pouvons nous en sortir en considérant que,
chaque fois que nous envisageons notre individualité,
notre unicité, nous sommes investis dans UNE part de l’Instance
qui fonde l’unité de notre existence, ainsi considérée.
A chaque fois nous nous voyons UN, mais ce n’est pas le même
UN à chaque fois. Cela change si la conscience d’Etre-sens
englobe deux ou plusieurs unités d’Etre-existant pour,
en définitive, constituer une unité supérieure
plus globale. On a ainsi une indication de ce qui peut unifier,
à terme, toute l’Instance en UN ETRE singulier: c’est
la conscience d’Etre ou conscience de sens. Cependant cela pose
le problème de cet UN ultime et nous entraîne alors
au delà de l’Instance, vers l’Instant.
L’INSTANCE, L’ESPRIT, LA VIE ET L’INTELLIGENCE
L’Instance de l’homme est comme son âme
spirituelle, une âme qui reste à accomplir certes,
mais âme qui anime son existence.
Cette animation de l’existence, on peut
l’imaginer comme un souffle invisible qui ferait évoluer
une "matière" psychocorporelle. Or l’existence
n’est rien sans que le Sens de l’Instance ne s’actualise, en
se faisant existence. L’animation se fait, non par application
d’un principe à quelque chose d’inerte, mais par actualisation,
sorte de concrétisation, de "matérialisation"
du principe initial. Il est vrai que cette actualisation demande,
comme on aura à l’étudier, la participation d’autre
chose que d’une seule Instance: plusieurs autres Instances, un
consensus. L’esprit anime en se faisant chair, c’est-à-dire
existence. L’actualisation est permanente de même que l’animation
dans le moment de l’existence; elle n’est pas une simple impulsion
initiale. L’animation de l’existence de l’homme par son Instance,
c’est ce qu’on appelle la vie. Elle provient de ses Sens, lorsqu’ils
font consensus avec ceux d’autres Instances, alors que par ailleurs
toutes les Instances proviennent du même Instant (DIEU).
C’est ainsi que la source vitale de l’homme
est son Instance et que, par elle, l’homme existe, à la
fois, comme créé par l’Instant et, à la
fois, comme descendant d’autres hommes. Mais cette Instance,
qui est Sens et Esprit, n’est pas que la source de la vie de
l’homme, elle est aussi source de son intelligence et de ses
consciences.
En effet, si le Sens est à la source
de l’existence, l’appréhension de ce Sens est connaissance
essentielle de l’existence par la source. Le Sens est, à
la fois, principe de compréhension et principe de vie.
Seulement, la compréhension du Sens n’est conscience véritable
que si elle dépasse les modalités existentielles
de ce Sens, pour l’atteindre lui-même. Communément,
ce ne sont que les modalités existentielles du Sens qui
sont atteintes par la conscience (formes mentales, intuition,
sensibilité), et c’est cela que l’on appelle intelligence
(mentale ou sensible). Cette intelligence commune ne correspond
qu’à une conscience existentielle où le Sens est
comme voilé. Elle n’est qu’une ombre de l’esprit ou plutôt
une manifestation existentielle de celui-ci. Cependant, comme
la vie, l’intelligence procède de l’esprit mais ne l’est
pas. La vie et l’intelligence sont caractéristiques du
sujet humain mais, au coeur de celui-ci, réside leur source
commune, l’esprit, qui est Sens et Instance de l’homme.
LA TRANSCENDANCE DE L’HOMME
La notion de transcendance est l’une des
plus délicates à intégrer. Selon les auteurs,
des différences majeures conduisent à des malentendus
importants. Quelques fois, lorsqu’ils parlent de transcendance,
certains pensent désigner Dieu lui-même (l’Instant).
Or il nous semble très important, d’une part, de ramener
ce terme à la désignation d’un certain rapport,
rapport de transcendance, et d’autre part, qu’une double transcendance
entoure l’homme, ou plutôt son Instance. En outre, il y
a souvent des confusions avec le terme d’immanence, qui apparaît
quelquefois comme opposé et, d’autres fois, comme complémentaire.
Ici, le rapport de transcendance implique une relation nécessaire,
entre les deux ordres en rapport. Il est donc exclusif d’immanence.
Ce dernier terme n’est utilisé ici, que dans le contexte
de l’existence, pour caractériser les corrélations
que la conscience y localise.
La transcendance est un rapport singulier,
qui n’est pas banal, et qui sous-entend un certain nombre de
propriétés qui lui sont intrinsèques et
dont nous pouvons développer quelques aspects.
Partant de l’existence d’un quelconque
existant, les sciences et consciences communes permettent toujours
d’en décrire des aspects, des parties, des composantes.
Or, si pour une chose quelconque, nous nous demandons ce qui
réunit ces parties pour faire cette chose-là, il
nous est difficile de le trouver dans la chose elle-même.
Si on isolait ce qui fait la cohésion des parties, une
enveloppe, un total, une globalité, on aurait alors une
partie supplémentaire et le problème serait déplacé.
En poussant l’analyse, on s’apercevrait que l’individualisation
d’un existant quelconque, l’unité et la cohésion
de ses parties, n’appartiennent pas à cet existant (ni
à aucun existant d’ailleurs). Ce qui fait l’unité
et la cohésion d’un existant quelconque est un principe
transcendant à cet existant. Cela veut dire, déjà,
qu’il n’y a aucune mesure commune entre ce principe et l’existant,
ni aucune de ses parties. Autrement dit, les principes d’unité
et de cohésion des existants restent tout à fait
inaccessibles par ce qui existe et, en particulier, la conscience
et l’intelligence commune ou même le langage. Ces principes
transcendants sont, irréductiblement, indescriptibles
dans des termes caractérisant un existant, ou l’une de
ses dimensions.
En outre, le rapport de transcendance indique
que d’un certain principe, découlent unité et cohésion
pour l’existant. Il y a une sorte de don d’unité et de
cohésion, pour le moins. Si l’unité de quelque
élément que ce soit, provient d’un principe transcendant,
rien d’identifiable de l’existant ne peut provenir d’ailleurs
que de ce principe. C’est donc la réalité même
de cet existant qui provient du même principe qui lui donnait
unité et cohésion.
Tout se passe apparemment comme si chaque
chose que l’on identifiait dans le monde subsistait par elle-même
y compris dans la durée; comme si elle comportait, en
son sein, un principe d’auto-cohérence. En fait, le "principe
de cohérence" lui est transcendant. Il assure aussi
la permanence dans sa durée de vie, de la chose existante.
Bien souvent ce type d’analyse conduit
à conclure que le principe transcendant, qui fait exister
toute chose, est Dieu. Nous ne pensons pas que cela soit directement
vrai, mais indirectement, par la médiation de l’homme
Instance.
En effet, qui nous dit que ce paysage que
nous contemplons est un? Qui nous dit que ce caillou est un,
individualisé d’avec le terrain qui l’entoure? Qui nous
dit qu’un quelconque mot écrit ici est un, matériellement
et linguistiquement? Personne d’autre que nous-mêmes! L’homme
ne connaît les parties et les éléments, comme
l’unité, la cohésion et la permanence des choses,
que de lui-même. C’est donc en l’homme que réside
le principe d’unité transcendant de la chose existante
qu’il reconnaît telle. Cela pose alors une fameuse question.
Si de l’homme, provient par don et par transcendance, la réalité
des choses, ne serait-il pas alors leur créateur tout
puissant? Non. Plusieurs obstacles s’opposent à cette
thèse.
Si l’existence des choses provient de l’homme,
à partir de principes transcendants résidant en
lui, cela ne dit pas comment cette existence advient (cf. Théorie
de l’existence). Elle n’advient que par consensus avec d’autres
hommes, si bien que rien de ce qui existe pour chacun de nous
ne dépend exclusivement de lui, mais, en même temps,
sa participation au consensus dépend de lui et ainsi sa
contribution à l’existence de la chose.
Lorsqu’une chose existe pour nous, elle
existe à partir d’un principe en nous qui la fait exister,
mais elle existe déjà ou simultanément pour
d’autres en consensus. Ce qui est partagé dans ce consensus
n’est rien d’autre que le principe transcendant à l’origine
de la chose, qui est Sens et Cohérence.
Si pour l’homme, il est possible d’identifier
un existant, ce qui réclame un principe transcendant,
il est possible d’identifier d’autres existants et même
un existant englobant tous les autres existants: le monde. Il
y a donc en lui plusieurs principes transcendants à ces
existants.
S’il n’en était pas ainsi, le monde
serait UN, sans distinction interne, et il serait donc immuable,
sans changement ni mouvement. C’est ce qui fait que l’homme,
chaque homme, est multiple; d’une part dans la pluralité
de son Instance, d’autre part dans la diversité et le
changement de son existence et de ses existants.
Ainsi l’unité transcendante, qui
préside à l’existence d’un existant, appartient-elle,
en l’homme, à une double multiplicité celle de
chaque Instance et celle de la pluralité des Instances
en consensus. Il n’est pas au pouvoir de l’homme, même
dans son Instance transcendante, de donner par lui-même
unité à l’ensemble des existants ni même
à sa propre existence. Il n’est pas en son pouvoir de
donner unité à la multiplicité des "principes
d’unités" en sa propre Instance et à l’ensemble
des Instances.
Là aussi, est réclamé
un principe transcendant aux précédents sans aucune
mesure avec eux, mais d’où ils proviennent. Ce principe
suprême ne peut être connu, par l’homme, que par
le fait que son Instance le réclame comme principe transcendant
et inaccessible.
C’est ainsi que les Instances, dans leur
multitude et leur diversité interne, procèdent
par transcendance d’un Instant qui, lui, est inaccessible et
que, d’elles, procèdent par transcendance, à partir
de leurs consensus, les existants et le monde, auxquels est inaccessible
leur origine par eux-mêmes. Ainsi les moyens existentiels
de conscience ne permettent pas d’accéder à leur
principe transcendant: l’Instance de l’homme, avec toutes ses
Cohérences et tous ses Sens, sinon comme manque principiel
(qu’il serait ridicule de nommer néant, sinon comme terme
relatif et privatif qui ne voudrait dire que "sans existence").
De même, le moyen dont dispose l’Instance
-la conscience de Sens- ne permet pas d’accéder à
leur principe transcendant: l’Instant-Dieu, sinon comme manque
principiel (c’est-à-dire originel, unitaire et source
"substantielle"). Ce ne sont que par ce que l’on appelle
des définitions négatives, que l’on peut accéder
aux principes transcendants. Il y a pour l’homme quatre perspectives
selon les deux transcendances dont son Instance est le coeur.
D’abord vers l’existence:
– une perspective de participation à
la coexistence des choses et aussi à sa propre existence
et celle du monde, c’est la perspective de l’agir, de la maîtrise,
de la liberté, de l’autorité, de la volonté
et de l’amour. Dans cette même perspective figurent: l’analyse,
la conscience et les sciences se rapportant aux existants.
– une perspective d’élucidation,
à partir des existants, pour découvrir l’Instance
et ses Sens et donc les principes des existants et l’accès
à une certaine maîtrise (liberté, autorité,
autonomie de la personne, etc…). Sans cette perspective, ce
qui est malheureusement souvent le cas, non seulement l’homme
ignore ce qu’il est, la nature de sa liberté, mais surtout
ce qu’il a à faire dans le monde et ce à quoi le
monde doit lui servir. Il ignore que, sans l’homme, il n’y a
pas de monde, pas d’existants, parce qu’il n’y a pas de Sens.
Cependant, si ces deux premières
perspectives sont fondamentales pour une réhabilitation
de l’homme par la découverte de sa transcendance, pour
donner Sens à son existence et à son devenir (qui
n’est pas de ce monde), cela ne suffit pas, en particulier pour
ce devenir. Cela ne suffit pas à cause du "manque
principiel" de son Instance, à cause de la lumière
dont la conscience de Sens témoigne en lui.
L’autre transcendance, dont il n’est plus
cette fois au principe mais dont il est redevable dans ce qu’il
est, lui offre deux autres perspectives vers l’Instant.
– une perspective de création, reconnaissance
du don reçu, toujours actuel, de l’Etre-Instance et de
l’Etre-UN possible pour l’homme. Cette perspective est celle
qui, par la connaissance de son Instance à partir des
existants, permet de reconnaître les qualités du
don de l’Instant, qualités provenant du donneur, l’Instant,
mais qualités qu’il n’est pas, puisque qualités
qui ne sont qu’en termes humains, de Sens ou d’existence. Cette
perspective est celle qui se prolonge dans l’agir, la participation
au monde existant, dans une contribution à l’oeuvre de
création du monde, par consensus.
– une perspective de contemplation qui,
de l’Instance, cherche et vise l’Instant et, sans pouvoir l’atteindre,
s’ajuste à son don de lumière et d’unité,
guidant toutes les autres perspectives dans un devenir d’unification
et de singularité (autrement dit d’accomplissement de
l’Instance dans l’existence pour atteindre, non pas à
l’Instant toujours transcendant, mais à l’unité
d’Etre-Instance, unité du monde ). Cette perspective est,
elle, dans le prolongement de celle du discernement et de l’élucidation
des sens qui procède de la même lumière.
Sans cette double transcendance, dont il
occupe avec son Instance l’étage intermédiaire
qui "relie le ciel et la terre", il ne resterait, à
l’homme, qu’à être un spectateur égaré
d’une dualité monde / Dieu, ou un accessoire d’un monde-Dieu,
ou le déchet d’un couple monde / Dieu, leur rejeton déchu.
La notion de transcendance est intrinsèque
à la définition de ce qui, de l’homme, est l’essentiel:
son Instance. Les transcendances sont l’articulation même
de l’homme avec le monde, d’une part, et Dieu, d’autre part.
LA TRANSCENDANCE DE L’HOMME. Condition
de sa liberté, source de toutes pratiques humaines.
Si l’homme n’est qu’un existant parmi d’autres,
même équipé d’un psychisme, il n’est qu’un
produit de la Nature. La Nature, c’est alors le Monde dans son
pouvoir générateur. Si l’homme n’est que le produit
de cette Nature, son principe originel d’animation est dans la
Nature, et non en lui. De ce fait, rien de ce que fait l’homme
n’échappe à la détermination par ceprincipe.
Il n’y a là aucune liberté pour l’homme. Comment
pourrait-il prendre une initiative à l’encontrede la
Nature; alors que tout en lui est de cette Nature! Parler de
retour à la Nature, de suivre sa vraie Nature ou au contraire
d’échapper à la Nature, supposerait paradoxalement
qu’un principe de Nature générerait un autre principe
qui ne serait pas naturel. C’est sur une telle absurdité
que se fondent les conceptions les plus banalement matérialistes
de l’homme.
Prétendre que, ce qui fait échapper
l’homme à cet enfermement, c’est son intelligence ou sa
raison, est la source d’une grave erreur. C’est confondre l’intelligence,
comme dimension existentielle de l’homme, avec l’Esprit qui en
est le principe transcendant, celui aussi de la pensée.
C’est confondre le psychisme lui même avec le principe
de liberté en l’homme. Il n’y a plus à s’étonner
alors des méfaits de la raison, non pas lorsqu’elle est
exercice d’une simple dimension d’existence, mais lorsqu’elle
prétend être le principe de la responsabilité
humaine, de la direction des affaires humaines, des pratiques
humaines.
Oui à la raison comme exercice!
Non à la raison comme principe de vérité
et de liberté! A moins que, par raison, on entende Sens,
c’est-à-dire alors effectivement, un principe transcendant
à tout ce à quoi elle serait sensée s’appliquer.
La liberté de l’homme réclame
un rapport inverse: un monde subalterne et un homme transcendant.
C’est la condition, nécessaire de sa liberté, que
d’être au principe des existences des choses, en tant qu’Instance
transcendante. Cette condition n’est pas suffisante, d’une part,
parce que l’existence -notamment la sienne- ne dépend
pas de la liberté d’une seule Instance mais de plusieurs,
et, d’autre part, cette liberté peut être aliénée
lorsque l’homme ignore le lieu de sa liberté, en lui,
et s’abandonne au monde et à une Nature fictive, justificatrice
de l’abandon.
Si cette liberté se découvre
en lui, au lieu même de la vérité de son
Etre, de son Instance, de ses sens; l’homme y trouve le principe
de sa contribution à faire exister les existants. C’est
en agissant sur le principe de ces existants, de l’existence
des choses dans le monde, qui est consensus entre les Instances,
qu’il peut intervenir dans l’évolution de ces existants.
C’est le principe de toutes les pratiques humaines, que de pouvoir
agir à la source d’où provient l’existence des
choses, seul lieu où ces choses peuvent être modifiées.
L’homme ne peut agir dans le monde et sur ce monde que parce
qu’il se trouve à son principe et qu’il peut exercer cette
liberté. Cependant cette action est liée à
ses consensus avec les autres hommes. Ce consensus avec les autres
se trouve ainsi au coeur de toutes les pratiques humaines quelque
soit leur objet: personnel, technique, culturel ou politique.
Encore faut-il pouvoir y accéder librement.
C’est la tâche et l’oeuvre de l’humanité
que d’avoir à maîtriser son consensus, c’est-à-dire
se rendre maître du monde, non comme un tyran, mais comme
un seigneur, participant ainsi au bénéfice de la
création.
Ainsi les pratiques humaines, pratiques
de vie quotidienne, professionnelles, collectives, etc…, sont-elles
directement dépendantes de la transcendance de l’homme,
source de toute liberté et de toute responsabilité.
L’Instance est constituée, à
la fois, des potentialités d’actualisation dans l’existence
pour y former les choses et le monde, et en même temps,
des potentialités de devenir de l’Instance elle-même.
Ses Sens sont sources d’actualisation et dispositions pour un
devenir. C’est ainsi que le devenir de l’Instance s’accompagne
d’une existence orientée.
La question de l’Instant se présente
d’une façon triple à cette Instance de l’homme:
– celle d’une origine, d’où procède
la subsistance de l’Instance,
– celle d’une fin, qui oriente son devenir
jusqu’au plus profond de l’existence,
– celle d’un moyen, manifestant en l’Instance
une lumière -élucidant par la conscience de Sens,
l’origine, la fin et la direction du devenir- la lumière
de l’Esprit qui éclaire aussi le Sens des existants et
des consensus.
On retrouve là une figure de la
Trinité chrétienne du Père, du Fils et de
l’Esprit.
C’est par cette présence trine que
l’Instant-Dieu est accessible à l’Instance. Connu par
sa présence, il reste en lui-même inconnaissable.
Transcendant à l’Instance et doublement transcendant au
monde, il en est le principe mais n’est exprimable en aucun terme,
ni du monde, ni de l’homme-Instance, c’est-à-dire de Sens.
Cependant, c’est de l’Instant qu’adviennent:
l’engendrement de l’homme (d’abord en Instance), la diversité
et la conscience des Sens dans l’Instance, l’actualisation des
Sens en consensus pour faire existence. Cette trinité
est aussi la trinité de l’Homme:
– il est existence individuelle, mais coexistante
dans un monde commun,
– il est Instance personnelle, mais diverse
et inaccomplie,
– il est Etre, (mais seulement en devenir).
Cette trinité est à l’image
de la première et, en même temps, elle en découle.
1) L’Instant origine de l’Instance
C’est comme manque principiel, que l’Instance
de l’homme peut postuler un principe qui lui soit transcendant.
En tant que principe transcendant, il n’a aucune commune mesure
avec l’homme lui-même, ce qui le rend inconnaissable. Il
est l’origine de l’Instance, tant de son unité potentielle
que de sa substance et sa subsistance. En cela, il peut être
dit le créateur, et même le créateur de toutes
choses, dans la mesure ou les existants procèdent des
mêmes Instances créées, selon un processus
(l’actualisation d’un consensus) qui est intrinsèque aux
Instances créées.
De là, on peut envisager deux perspectives
à propos de l’Instant. L’une le considère par ses
qualités de créateur selon ce qu’est la création
et l’autre le considère en lui-même. De l’Instant,
on peut dire qu’il est principe de toutes choses et en décliner
les aspects, mais on ne peut accéder à ce qu’est
ce principe en lui-même. Il n’est rien de ce qui est, mais
il est ce par quoi cela est. C’est par la négative que
l’on peut considérer l’Instant, comme l’ont fait différentes
théologies. Cependant, à ce propos, si Etre est
le devenir de l’homme, l’Instant ne peut être l’Etre, mais
celui par lequel l’Etre arrive. C’est comme cela que l’on peut
comprendre cette phrase de la Bible: "Je suis celui qui
suis", c’est-à-dire, non pas je suis "suis"
mais "celui" qui suis, ce d’où l’Etre advient,
le "père du verbe" en quelque sorte.
2) L’Instant fin de l’homme, devenir
de son Instance L’Instance de l’homme
ne possède pas elle-même le principe de son unité,
mais, à cette unité elle peut accéder en
devenant UN Etre. En quelque sorte, l’homme est en gestation,
tant qu’il n’a pas constitué cette unité de son
Etre. Si la naissance est l’accomplissement dans le monde d’une
gestation existentielle, l’existence toute entière est
aussi moment de gestation de l’Instance pour la venue de l’Etre.
Seulement, parmi toutes les dispositions de l’Instance, seuls,
certains Sens peuvent conduire à cela. On les appellera
Sens de l’accomplissement. Les Sens de l’accomplissement orientent
l’existence pour la faire servir à cette fin, mais cette
fin elle-même ne trouve son repère ultime que dans
l’Instant principe d’unité. La liberté de l’homme
provient de la multiplicité des Sens de son Instance et
donc des devenirs. Cette liberté ne se reconnaît,
ne se maîtrise, ne vaut enfin, que si elle permet de choisir
l’accomplissement et donc les Sens qui le permettent. Ces Sens
sont donc ceux qui tournent l’homme, à la fois, vers sa
propre vérité, mais aussi vers ce principe d’unité
originel dont le bénéfice peut être obtenu:
l’Instant.
Cette fin de l’homme qu’est l’Instant,
n’est la fin que de son accomplissement qui, par ailleurs, peut
être aperçu comme un départ. Dans son existence,
l’Instant constitue, pour l’homme, le repère, dans la
perspective duquel, il se connaît et s’accomplit. C’est
le rôle du Christ d’actualiser dans le monde ce repère,
trine, divinement et humainement parlant.
3) L’Instant éclairant l’homme
et le monde
C’est la conscience de Sens qui, en son
Instance, procure à l’homme, à la fois la connaissance
de lui-même comme être de sens, comme esprit, et
la connaissance des existants, dans leur principe transcendant
qu’est ce même Sens. C’est elle qui permet à l’homme
l’exercice de sa liberté par rapport à l’existence,
dans toutes ses pratiques. C’est elle qui lui procure au fur
et à mesure de son extension, cette unité qui est
unité par conscience de son Instance.
Or, cette conscience de Sens n’est pas
le fruit d’un organe de l’Instance, comme le coeur ou le cerveau
dans le corps. Elle est le fruit d’une disposition de l’Instance,
selon ses Sens d’accomplissement et, d’une illumination qui provient
de l’Instant, éclairant simultanément ainsi pour
l’homme, pour son Instance:
– son Instance et ses Sens
– les Sens qui sont Sens de consensus avec
d’autres,
– le consensus qui s’actualise dans un
existant.
Tout se passe alors, pour l’homme, comme
si l’Esprit lui venait, venait en lui. On peut le lire encore
comme lumière de l’Instant, éclairant l’esprit
déjà là, s’il y est disposé. L’esprit
de l’homme est son Instance et plus particulièrement ses
Sens, que l’on pourrait dire aussi ses esprits. Qu’il y ait,
en l’homme, de bons ou mauvais "esprits" est équivalent
à ce qu’il y ait de bons ou mauvais Sens. L’Esprit saint
est alors certainement l’Esprit ou le Sens sain d’une existence,
qui dispose à la lumière de l’Instant -lumière
de l’Esprit, Esprit de consensus-, c’est-à-dire Esprit
d’amour, lorsqu’il est librement consenti.
La conscience de Sens est ce qui permet
à l’homme de s’orienter dans l’existence et de conduire
son existence. Elle est aussi sourcée dans l’origine et
dans la fin de l’homme, l’Instant. C’est pour cela que par l’Instant
et de triple façon, ne peuvent aucunement être dissociés:
– les problèmes de l’existence,
affaires de l’homme,
– les questions personnelles de l’Instance
de chacun,
– les questions d’accomplissement pour
devenir Etre.
Ils ne peuvent être dissociés
lorsque l’homme est dans le Sens d’une telle considération.
Par contre, s’il emprunte d’autres voies, dans d’autres Sens,
cette trinité éclate et l’homme se perd.
C’est là le mystère d’une
trinité, tant divine qu’humaine, que d’être la condition
de l’unité de l’homme à partir de l’UNIQUE INSTANT.