Les âges de la vie

Il est commun de penser à notre époque que les enfants sont destinés à grandir et pas seulement physiquement. Le développement et l’accomplissement de la personne sont, à cet âge, relativement bien admis. Il est moins fréquent de penser qu’il y ensuite d’autres âges avec leurs enjeux propres. Encore faut-il se placer dans le Sens d’une trajectoire d’accomplissement.

I – LES AGES, UN PROBLEME DE COMPREHENSION

Les âges de la vie
sont conçus comme des étapes caractérisées par un
certain état d’évolution, plus ou moins reconnu et
intégré à une conscience collective, selon les
cultures.

L’enfance, par exemple, est surtout comprise comme une
étape spécifique depuis le siècle dernier et les
études qui en dessinent les différentes phases avec une relative
précision sont pour la plupart récentes.

L’adolescence
est un seuil de passage dont la reconnaissance sociale est aussi relativement
actuelle dans nos sociétés jusqu’à être
sur-valorisée par l’exaltation des images de la jeunesse prise dans
cette période de transition.

L’âge adulte a
été considéré jusqu’ici comme la phase active
d’exercice d’une fonction sociale à caractère professionnel et
économique dont l’achèvement introduit à la retraite,
période de fin de vie conçue souvent comme une phase de repos
puis de dégradation.

Or, dans ce tableau, si la phase de
l’enfance est relativement bien reconnue, dès que l’on franchit
l’adolescence, la distinction phase adulte-retraite, assimilée encore
à une division 2 âge – 3 âge, reste particulièrement
pauvre dans la compréhension de l’évolution de la vie
humaine.

D’une façon générale, le sens et les
enjeux des étapes d’une vie humaine sont très mal connus. Les
perturbations qui peuvent s’y produire masquent d’autant plus le parcours d’une
saine vie humaine. Au lieu d’une compréhension de ce qui se joue et se
réalise en l’homme au travers de ses différents âges, des
idéalisations incontrôlées servent de modèles et
d’objectifs implicites.

Par exemple, l’inactivité socialement
organisée avec la retraite n’est nullement une nécessité
d’évolution et le mythe d’une fatale dégénérescence
intellectuelle très tôt dans l’existence vient récemment de
tomber. Les chercheurs ont montré que cette
dégénérescence des capacités intellectuelles
n’était que la conséquence d’autres difficultés
jusqu’à un âge très avancé.

Par ailleurs,
l’infantilisation de la personne âgée est aussi plus une
projection facile qu’une condition inhérente à la nature
humaine.

De ce fait, ni les personnes, ni les corps sociaux et les
pouvoirs publics n’ont de critères clairs pour orienter les projets de
vie aux différentes étapes. Les réflexes régressifs
ou défensifs ont alors tendance à prendre le pas et instaurer des
cercles vicieux en tant que normes d’évolution.

II
– UNE THEORIE DES AGES ET DE LEURS ENJEUX

La théorie
des Cohérences Humaines propose une conception cohérente de la
succession des âges de la vie, de leurs enjeux spécifiques et de
leurs seuils de passage.

S’y dessinent les moments de
développement d’une vie engagée et ceux d’un désengagement
progressif de l’existence comme un processus normal qui ne va pas fatalement
avec une régression de la personne mais au contraire un
accomplissement.

Pour en comprendre les étapes, il faut
parcourir l’ensemble des âges de la vie.

Il faut savoir que
cette trajectoire structurée ne peut être établie par la
simple observation même si l’expérience la confirme. Il y faut un
fondement dont l’intelligence soit possible à partir d’une
compréhension de la nature humaine. C’est bien la condition pour sortir,
par exemple, du modèle simpliste : croissance, palier,
dégradation.

En fait, dans chaque culture se dessinent des
parcours types pour les âges et cette norme détermine aussi
l’anormal et même le pathologique.
C’est alors que selon qu’une
communauté de culture est investie dans ses meilleures logiques ou les
moins bonnes, elle dessine une norme de trajet de vie saine ou
distordue.

Ainsi si pour les uns la sagesse est un apanage de
l’âge avancé, pour d’autre il n’est souci que de distraction,
régression et infantilisation, alors que d’autres encore ont
créé à l’étranger des maisons de retraite (les
japonais au Portugal).

Si l’on veut penser et accompagner les personnes
âgées, par exemple, encore faut-il expliciter le chemin
souhaitable même si on aura à tenir compte de la
multiplicité des situations et aussi des modèles individuels ou
familiaux.

Cependant, on ne peut véritablement évaluer
les cas réels qu’à l’aide d’une échelle de valeur, donc
d’une intelligence de ce que peut être un bon chemin.

La
théorie des Cohérences Humaines montre que les âges de la
vie sont la traversée de trois espaces existentiels où se joue en
priorité un progrès de la personne dans l’une des trois grandes
dimensions :

    • affective et relationnelle
    • physique et comportementale
    • mentale et identitaire.

Trois grandes périodes marquent ainsi la vie dont les
phases sont séparées par des seuils de transitions qui
correspondent à de véritables mutations.

Il y a ainsi
des phases de progrès dont les enjeux sont dans un espace existentiel
privilégié et des seuils, carrefours où se joue la
manière dont va être abordée la phase suivante.

Il
faudra être très attentif au fait qu’il s’agit du parcours propre
à la vie de la personne et non pas des apparences extérieures
qu’il offre aux regards. Ce sera particulièrement important pour le 3
âge.

III – LES GRANDES PERIODES DE LA VIE

Les travaux issus de la théorie des Cohérences Humaines
montrent que l’on peut tout d’abord distinguer trois périodes :

    • Une période de gestation, prénatale,
    • Une période d’engagement et de développement,
    • Une période de désengagement et de retrait.

Cette dernière concerne les personnes âgées.
Cependant elle ne peut être comprise sans une vision d’ensemble et les
problèmes qui s’y posent ne sont intelligibles que par ce qu’il en est
du cheminement général.

1 – Gestation :

Inaugurée par la conception, elle s’achève par la naissance
qui est « venue au monde ». Elle est caractérisée, pour
la personne, par le développement principal d’une affectivité
archaïque qui va sous-tendre toute l’existence et dont les
résurgences massives font retour à cet archaïsme
lorsqu’elles ne sont pas métabolisées d’une façon
mâture (ex. les relations passionnelles, destructrices si elles ne
deviennent pas relations responsables, en couple par exemple).

2 – Période d’engagement et de développement :

Elle se traduit par un développement progressif de l’individu et
par une implication de plus en plus importante et responsable dans la vie en
communauté.

3 – Période de désengagement
et de retrait :

Elle se traduit par une désimplication
progressive et un retrait de l’existence qui accompagne néanmoins un
possible progrès intérieur de la personne.

C’est
là qu’il peut y avoir contradiction entre un retrait existentiel
naturel, où la personne progresse, et une
dégénérescence qui ne serait comprise que comme
dégradation.

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IV – LES PHASES DE
DEVELOPPEMENT

1 – L’Enfance :
Elle s’ouvre sur le seuil
de la venue au monde et s’achève normalement avec celui de
l’adolescence.

Elle a pour enjeu la croissance d’une maîtrise
comportementale. Grandir, plutôt que régresser, assumer sevrages
et séparations, faire l’apprentissage des comportement sociaux,
acquérir les savoir-faire existentiels en sont les principaux contenus.
Le tout se développe dans un espace factuel (primaire).

2 – L’âge adulte :
Il s’ouvre sur le seuil de
l’adolescence et s’achève normalement sur le seuil de maturité.
Il y a là déjà un problème dans la mesure où
ce dernier seuil est à peine reconnu culturellement. Seuls quelques
auteurs ou quelques traditions en placent le moment vers 35 ou 40 ans. Il
peut, bien sûr, se situer bien au-delà (ou plus rarement en
deçà).

L’adolescence est confrontée à la
question de l’indépendance, le seuil de la maturité est celui de
l’autonomie, c’est-à-dire la reconnaissance du Sens propre de son
existence et d’une vocation personnelle à assumer.

L’âge
adulte, qui y prépare, a pour enjeu l’évolution d’une
maîtrise identitaire.

Participer au jeu social, y tenir une
place, une fonction, un statut, progresser vers la singularité d’une
identification, d’un point de vue, d’une distinction sociale, tels sont les
enjeux, souvent identifiés à la réussite sociale.

Or, c’est bien souvent là qu’est imaginé le seuil d’une retraite,
prématurée sur le plan du développement personnel bien que
souvent retardée dans le temps.

Les mises à la retraite
anticipée et le développement d’une population qui sort de plus
en plus tôt des standards socioculturels d’une vie active montre qu’il y
a autre chose à envisager que la retraite-dégradation pour des
personnes souvent arrivées à leur pleine maturité.

3 – L’âge mâture :
Il s’ouvre sur ce seuil de
maturité et s’achève sur celui qui devrait être la
véritable retraite, située dans la troisième
période, celle des personnes âgées.

Cette
troisième phase de développement a le champ relationnel de la
communauté comme espace privilégié et comme enjeu le
développement d’une responsabilité, d’une autorité
personnelle dans l’évolution de la communauté.

Ce
devrait être l’âge privilégié des élus, des
dirigeants, des responsables, des institutions sociales, communautaires, des
experts et « maîtres » dans leurs arts et professions.

Notons ici que certains milieux ne conçoivent rien au-delà de
l’âge primaire. Le modernisme n’imagine rien au-delà de
l’âge secondaire (d’où les retraites anticipées en pleine
maturité). Il faut interroger diverses traditions ou sagesses pour
comprendre ce qu’est cette troisième étape ou bien être
suffisamment lucide sur l’existant.

V – LES PHASES DE
VIEILLISSEMENT

1 – Première Phase
La
première s’inaugure avec le seuil de retraite caractérisé
par la décharge des responsabilité communautaires. On n’a pas
encore de terme approprié pour le seuil suivant.

Cette
première phase est celle d’un désengagement factuel,
comportemental.

Désengagement ne veut pas dire régression
mais désimplication, gratuité.

C’est une période
ou le « faire » est bénévole et de nombreuses personnes
âgées y sont très actives dans l’aide gratuite (sans
engagement durable) pour aller vers un désengagement progressif de
l’implication physique et comportementale, donc de l’utilité, de
l’habileté et des performances existentielles, appelées à
diminuer.

C’est un temps d’expérience et d’acceptation de ce
retrait de la présence active.

2 – Deuxième
Phase

Elle s’inaugure dans une entrée dans la
dépendance existentielle (à la différence de l’adolescence
qui était quête d’indépendance).

Mais cette
dépendance n’est pas normalement perte d’autonomie personnelle au Sens
humain du terme (la dépendance physique ou comportementale n’est pas
normalement synonyme de perte d’autonomie humaine).

Cette seconde
phase est celle du retrait identitaire, social, mental. C’est la participation
à la vie sociale, au soutien d’une identité individuelle qui sont
en question. La personne s’en dégageant peut paraître
déficiente mentalement alors qu’elle n’est simplement qu’en retrait,
qu’elle cesse progressivement d’être concernée à ce
niveau.

C’est évidemment source d’angoisse, notamment pour tous
ceux qui sont fragilisés ou investis dans un âge adulte en
développement dont les aspirations identitaires sont comme
démenties dans le grand âge.

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Cette
seconde phase s’achève sur un seuil où c’est le renoncement
à soi-même qui est l’enjeu, à tout désir propre, non
pas comme résignation mais comme acceptation, liberté
évidemment difficilement compréhensible pour tous ceux, à
peine adultes, en quête d’une liberté juvénile, d’une
identité sociale ou d’un pouvoir narcissique, etc…

3
– Troisième Phase

La troisième phase terminale est
celle d’un désengagement de tout lien à autrui dans ce qui peut
apparaître comme une indifférence qui est
indifférenciation. Celle-ci n’est pas de l’ordre de la confusion
archaïque, mais de l’ordre du repos existentiel que le seuil de la mort
parachève.

Dans tout ce tableau les temps ne sont pas
mesurés, calibrés. Les cultures, les époques leur donnent
une mesure et un visage particulier. Elles tendent parfois à les effacer
ou à les retenir comme pour les fixer. Les temps peuvent être
ainsi indéfiniment allongés ou raccourcis.
Ainsi, si la
première période de retrait reste encore relativement reconnue,
acceptée, avec les images des grands parents disponibles et
bénévoles par exemple ; la seconde et la troisième
périodes sont considérées trop souvent comme des anomalies
à éviter. C’est la même chose que de considérer la
mort comme un accident, fatal mais anormal.
Il est parfaitement
justifié qu’il y ait une « prise en charge » progressive des
personnes âgées par les communautés (familiales ou
élargies).

Cependant, elle ne doit être, normalement,
qu’à la mesure du désengagement existentiel progressif, non pas
pour le freiner ou l’empêcher mais pour l’accompagner au rythme du
progrès de la personne. Les durées en seraient changées.

La médicalisation, dans ce tableau de l’accompagnement, doit
alors être soigneusement différenciée entre :

    • l’accidentel qui ressortit des accidents ou pathologies
      classiques ou spécifiques,
    • le soutien qui participe de
      l’accompagnement d’un retrait existentiel et qui doit être
      différent selon les phases donc les « espaces » du
      désengagement.

L’ensemble des questions
d’aides aux personnes âgées peuvent être repensées en
conséquence et surtout réajustés bien des à priori,
des idées reçues, des tentatives idéalisées mais
inadaptées.

Le plus simple sera bien souvent le plus juste si
les accompagnateurs, les experts et décideurs reconnaissent et acceptent
pour eux et pour les autres les enjeux humains du vieillissement et ainsi de
ne pas lutter contre, les dissimuler ou les distordre, mais d’en assumer la
responsabilité.

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