De la responsabilité
La responsabilité est une notion qui porte beaucoup de Sens comme toujours. Le terme ne peut plus suffir pour indiquer par lui même un Sens. Il faut donc donner un Sens à la responsabilité pour que cette référence serve l’humain. Ce Sens que lui donne l’Humanisme Méthodologique est justement celui qui consiste à répondre personellement du Sens dans lequel on s’engage et on engage les autres…
L’objectivité a fait des ravages. Si les choses sont ce qu’elles sont, il n’y a plus qu’à se rendre à l’évidence et c’est là le mot d’ordre moderne. Se rendre à l’évidence en tous domaines, c’est s’abandonner, abandonner tout esprit critique, tout jugement original, abandonner même l’idée ou le projet de se faire juge, auteur de son jugement. L’évidence c’est ce qui ne prête pas à interprétation, à évaluation.
Les media nous livrent l’évidence toute nue, suffisamment mâchée, digérée pour qu’elle nous prenne par sa vérité étalée, dévoilée, sans qu’aucun effort reste à faire qui risquerait de mettre en question le visible, le manifeste et prêter ainsi à jugement ou interprétation.
Se voulant les miroirs de la réalité, sans défauts, ils nous livrent vérité concrète et prêt à penser, de façon, parait-il, à nous servir, servir cette nouvelle liberté qui s’appelle abandon. Devant un tel effet de vérité nous n’avons plus qu’à nous rendre, nous rendre à cette évidence qui pense pour nous, parle pour nous et que "l’opinion publique", la science, l’économie, la nature, la société, nous procure en toute garantie d’objectivité.
La crise ? Il faut s’y résoudre ! La guerre économique ? une condition fatale! Le chômage ? Une situation regrettable mais normale ! Les bons sont là, les méchants ailleurs voilà l’ordre des choses. Normalité et fatalité sont les deux piliers de l’évidence auquel nul ne doit déroger.
C’est justement là que s’inscrit le problème de la responsabilité de l’homme. C’est là que se dessine la nature humaine de l’homme.
Pour son existence l’homme est soumis à des conditions objectives mais ce qui le fait homme, c’est qu’il en est le sujet et que cette position il peut, il est libre de l’assumer. C’est en cela qu’il transcende tout conditionnement et donc toute fatalité et toute normalité. C’est pour cela qu’il peut être responsable de son existence.
La responsabilité selon Cohérences, implique trois engagements:
Le discernement.
Le positionnement.
Le concernement
LE DISCERNEMENT :
Les faits, les événements, les situations ont pour nous une apparence, une réalité, mais ils ont aussi un sens et même plusieurs. Si les apparences peuvent être perçues objectivement, leurs sens ne sont accessibles que lorsque nous les discernons au plus profond de nous-même. Chaque sens est, pour nous, une façon d’être, d’être au monde mais aussi d’être orienté vers un certain devenir. Les phénomènes que nous percevons et que nous vivons ne valent que par le sens dans lequel ils nous engagent. Dans quels sens sommes-nous sollicités, interpellés, engagés, telle est la question qui appelle réponse, réponse du responsable grâce à son discernement.
Ce discernement n’est ni une vérification de conformité à un modèle, une règle ou une loi préétablie, ni un jugement dénonciateur qui sépare tout en bien ou mal, bon ou mauvais. Il est, au contraire, nuance, appréciation des différences mais aussi des ressemblances. Il est en même temps évaluation, c’est-à-dire reconnaissance d’une perspective : à quoi cela conduit, où cela mène-t-il, plutôt que jugement d’un état.
On ne peut discerner le sens des situations en se contentant seulement de constater les faits mais en apercevant leur signification aussi bien que la direction qu’ils indiquent. La langue de bois est celle, justement, qui veut faire parler les faits d’eux-mêmes. Les faits ne parlent pas, seul l’homme leur donne la parole en leur donnant du sens, le sien.
Les événements de notre vie, les circonstances de notre époque, les situations d’actualité, nous ne devons pas les prendre simplement comme des faits posés là, objectivement et incontournables mais comme des signes, des repères, indicateurs des sens dans lesquels vont les choses, des sens dans lesquels ils nous provoquent ou nous les prenons.
Ce discernement du sens ne consiste pas à négliger les apparences mais à les dépasser, à en faire nos alliés pour nous dire dans quel sens nous allons. Comment serait responsable celui qui ne connaîtrait pas le sens de sa route. Est irresponsable celui qui est dans la confusion à ce propos ou qui ne juge que par le poids des faits.
Dans la balance de la justice, ce n’est pas le poids des faits qui importe mais la direction de l’aiguille qui indique l’orientation selon laquelle l’assemblage des choses conduit l’ensemble.
Est juste ce qui correspond au sens des choses et seul le discernement permet d’en juger. Le responsable est celui qui voit juste, il ne tranche pas, il différencie, il ne confond pas, il assemble.
Il y a deux conditions pour un discernement responsable :
– La première consiste à reconnaître la polysémie des faits, des phénomènes, des mots même. C’est là une découverte majeure de la théorie des Cohérences. Une découverte qui nous libère des dualismes et anti-dualismes, des manichéismes du tout ou rien. L’analyse de cohérence, notamment, permet cette découverte étonnante de la multiplicité quasi infinie des sens et nuances sur lesquels reposent toutes choses : nos cultures, nos entreprises, notre vocabulaire, nos concepts, nos actes et tous les messages et phénomènes de notre vie.
Même la science a plusieurs sens, de même que le regard du journaliste et les activités de nos institutions, les moments de l’histoire et les accidents de notre vie.
Cependant, à chaque fois, il nous faudra pouvoir discerner aussi bien quels sont les différents sens que ceux qui dominent, ne pas nous laisser prendre à la lettre des choses mais en apercevoir l’esprit principal.
– La seconde condition du discernement consiste à reconnaître en nous-mêmes cette multiplicité de sens, la palette de nos tendances, les pires comme les meilleures. C’est une véritable connaissance de soi que le discernement réclame, une clarté intérieure qui dépasse le constat des faits psychiques ou physiques, mentaux ou affectifs. Le discernement fait appel à la lumière de l’Esprit, en nous-mêmes, au-delà des ombres que notre conscience habituelle nous présente.
Celle-ci est comme l’ombre chinoise de notre esprit, elle est pour nous signe et repère pour un discernement du sens qui la dépasse et nous situe dans une profondeur bien au-delà de cette conscience habituelle, dans notre Instance qui transcende l’existence même de notre conscience.
Ce jeu d’ombre et de lumière qu’est le travail de notre conscience lorsqu’elle sert au discernement, la théorie des Cohérences en a élucidée les règles, et, par des techniques fondées sur l’homologie, permet d’accéder à un discernement à la mesure de notre exigence de clarté et de vérité personnelle.
LE POSITIONNEMENT :
Placé par le discernement au carrefour des sens dans chaque situation de responsabilité, nous sommes invités à choisir, à prendre position, à assumer le sens de notre engagement personnel parmi tous ceux qui sont possibles.
La responsabilité est engagement de sa liberté, mais celle-ci n’est rendue possible que par le discernement. En effet, contrairement à des propositions inverses la liberté ne consiste pas à se soumettre aux situations, aux lois, ou aux règles, ni à s’en abstraire. Elle consiste à prendre position personnellement mais d’une position de sens, qui engage donc notre personne dans une certaine direction au milieu d’autres possibles.
Le positionnement personnel est le second critère de responsabilité. Il est acte de liberté et d’autonomie. Il implique de ne pas nous réduire aux conditionnements de notre environnement, de ne pas nous y conformer par automatisme. Cela suppose d’assumer une position qui transcende toutes réalités, toutes normes, toutes lois, y compris celles de notre organisme ou de notre appareil psycho-affectif.
La théorie de l’Instance et des Cohérences montre comment cela nous est possible dans la mesure même ou notre nature d’être humain est, dans son essence, transcendante à ses conditions existentielles.
Sans cette transcendance dans laquelle nous sommes fondés et qui est celle du Sens nous n’aurions aucune liberté donc aucun choix et aucune responsabilité personnelle. Le libre arbitre est cette possibilité pour nous de nous déterminer dans l’un ou l’autre des multiples sens où se fonde notre personne. Pour cela, il y faut évidemment quelque discernement.
Cependant ce libre arbitre se ferait arbitraire s’il négligeait les contingences. Notre existence est libre par le fait que nous lui sommes transcendants mais elle est contingente aussi parce qu’elle appartient au monde.
Notre liberté, donc notre responsabilité ne consiste pas, alors, à nier ou s’abstraire des contingences mais à choisir le sens dans lequel nous nous y engageons. C’est cela aussi une position d’autorité. Non celle qui déclare "La" vérité mais qui assume sa position personnelle de vérité.Le positionnement est l’acte de détermination et d’autorité qui nous engage dans un sens vis-à-vis des situations ou des problèmes de la vie et de notre monde.
Il donne ainsi sens à nos actes, à nos entreprises, à nos regards portés sur le monde et sur les autres.
Le discernement nous éclaire, le positionnement nous détermine et détermine ainsi la direction de notre engagement au carrefour des possibles éclairés.
Positionnement professionnel, position éthique, positions scientifiques, positions d’orientation, positions philosophiques, prises de position en parole et en actes telle est l’exercice de la responsabilité s’il s’agit d’un engagement véritable de notre personne, au-delà des apparences, des faits et des normes, dans un sens qui nous est propre, celui de notre rapport aux contingences, celui de la conduite de nos entreprises quelles qu’elles soient.
Discernement et positionnement nous rendent responsable dans toute situation que nous rencontrons et que nous vivons et que nous pouvons alors assumer sans les subir. Nous pouvons alors en accepter les conditions pour nous rendre maître des directions à prendre.
L’approche Cohérences, avec notamment le travail de centration ou de créativité générative, nous permet d’assumer un positionnement plus ferme et plus éclairé y compris dans nos pratiques professionnelles.
LE CONCERNEMENT :
Déterminer le sens de son engagement personnel grâce au discernement et au positionnement rendu possible, nous situe vis-à-vis des choses mais il nous reste encore une alternative à lever pour être pleinement responsable.
Cette position choisie avec discernement ne peut être seulement une position de principe en notre for intérieur, un moyen de tirer son épingle du jeu et de se croire au-dessus de tout. La responsabilité n’est pas une manoeuvre pour satisfaire notre ego en toute circonstance et se prétendre indépendant des autres. On ne peut être simplement responsable de soi même dans une fière individualité qui se dégagerait de conséquences de ses positions vis-à-vis des autres.
La théorie de l’Instance et des Cohérences montre comment notre existence et tout ce que nous y vivons est toujours à la fois coexistence et résultat des consensus que nous partageons avec autrui.
Prendre position sur le sens de notre engagement engage notre consensus avec autrui et cela prête à conséquence dans l’existence, pour eux et pour nous-mêmes.
La responsabilité est donc aussi concernement. Sans partage, sans participation il n’y a pas d’engagement conséquent, non pas en vertu de règles morales arbitraires mais en vertu de la nature humaine dans son rapport à la nature des choses. Le monde est notre monde, celui de nos consensus.
La théorie de l’existence montre comment nos intentions doivent se conjuguer au contexte pour qu’elles trouvent à se réaliser dans les conditions qu’il nous offre. Le cohérenciel est la structure même de nos réalités dans différentes situations que nous rencontrons. Il met en évidence comment sujet et objet sont indissociables. Faire de notre ego un objet séparé des autres objets est une illusion qui nous condamne à nous fier au hasard ou à quelque magie plutôt qu’à notre responsabilité concernant ce qui nous arrive et ce qui arrive aux autres. Etre responsable ne veut pas dire que nous sommes tout puissant et donc coupables des erreurs ou inconvénients que le monde présente, mais que nous y sommes pour quelque chose à la mesure même du concernement résultant de notre positionnement.
Un seul ne peut pas grand chose, mécaniquement, dans le consensus de nombreuses personnes. Par contre un seul peut en entraîner un autre puis un autre pour, peu à peu, transformer le consensus d’un groupe ou d’une population. C’est le concernement qui entraînera, en conséquence, le partage de nos engagements. C’est comme cela que notre responsabilité prête à conséquence.
Prendre position en étant indifférent à la position des autres c’est n’être pas conséquent. Par contre, imposer sa position de force est significatif d’une perte de discernement lorsque n’est plus aperçue la dualité entre le sens de sa position et celui de son action, c’est aussi irresponsable.
Etre responsable, c’est donc répondre du sens de ses engagements et de ses conséquences, pour les autres et pour soi-même.
Le concernement implique de nous mêler de la position des autres, du sens de leur propre engagement, non pour les conditionner mais pour les interpeller, les solliciter par notre propre témoignage, celui de nos discours et de nos actes.
L’approche Cohérences montre comment nous pouvons mener des pratiques responsables qui nous impliquent dans les situations vis-à-vis des autres en travaillant sur les consensus et sur leurs conséquences pratiques.L’homme responsable témoigne de sa position au travers de ses stratégies et de sa conduite en même temps qu’elle est conduite du travail, des méthodes, des pratiques qui sont les siennes et y entraîne les autres.
Etre responsable implique donc de prendre part à la vie des autres mais en respectant leur propre responsabilité sans abandonner la sienne.
Une société adulte est une société d’hommes responsables qui se rassemblent sur la "concourance" de leurs responsabilités, c’est-à-dire sur un consensus assumé en toute liberté, en toute lucidité. En fait, la responsabilité ne se délègue pas, elle est toujours propre, personnelle et singulière. Elle peut cependant être partagée, non pas comme on partage un gâteau, mais comme on partage un consensus : l’humanité commune qui est en chacun de nous, le fondement de notre personne, notre Instance.
La théorie de l’Instance et des Cohérences et celle du consensus de l’Existence montre comment la responsabilité est une affaire d’homme qui implique la personne dans la profondeur de sa nature transcendante. Elle est l’exercice même de sa nature d’être humain, personnel et autonome. Elle replace l’homme comme responsable de son monde et de ses affaires et non pas comme le spectateur ou le rouage de leur fonctionnement.
L’homme responsable n’a pas à se rendre à l’évidence des réalités qu’il constate. Il a à les rendre à leur fin qui est la sienne: accomplir son humanité, devenir pleinement homme, jouir de sa nature d’ETRE humain qui transcende l’existence.
La responsabilité est la voie même de l’accomplissement de l’homme.Elle ne peut donc se justifier, ni par la nécessité, ni par une obligation normative, ni encore par une spéculation d’efficacité individuelle. La responsabilité ne peut résulter d’une règle du jeu, d’une pression morale, d’une condamnation, d’une attribution, d’une organisation, d’une distribution ou d’une délégation. Elle est le propre de la personne humaine, inaliénable. Cependant, de par les conditions simultanées de discernement, de positionnement, de concernement, cette responsabilité est à cultiver. C’est ce chemin même de la maturité qui est aussi celui de l’accomplissement personnel.
La responsabilité est donc, à la fois, l’enjeu majeur des activités qui visent l’homme en même temps qu’elle est ce qui les rend féconde pour lui. La responsabilité vise à favoriser le développement de la responsabilité. Elle est le moyen et la fin, moyen par son exercice, fin par son enjeu pour l’homme et la personne.
La responsabilité se cultive en s’exerçant et se transmet par son témoignage.
Le monde d’aujourd’hui est le notre. Nous devons cesser de le voir comme le jeu de lois et de normes fatales ou nécessaires au milieu desquelles nous aurions à trouver l’équilibre qui est la meilleure adaptation à ses conditions.
Nous ne sommes pas les marionnettes de l’économie ou de la société, de la nature ou du système, de la science ou de l’inconscient, de l’imaginaire ou du cosmos, des planètes ou des atomes, de nos gènes ou de notre cerveau, de la morale ou de la Raison, de nos instincts ou de nos envies, de nos habitudes ou des évidences, de la force ou de la guerre, de la crise ou de l’idéal, de l’évolution ou des structures, de l’histoire ou de l’idéologie, de notre objectivité ou de notre subjectivité, de la chance ou du sort, du hasard ou de la nécessité.
Nous en sommes responsables, personnellement et collectivement, pour nous et pour les autres. Telle est l’humble dignité de l’homme à qui cela est donné comme possible et comme fin.
Discernement, positionnement, sont les critères de la responsabilité. Vérité, liberté, fraternité sont les termes de la révolution qui reste à entreprendre afin que nous soyons tous également hommes. Voilà un enjeu pour le monde d’aujourd’hui qui donne sens aux engagements responsables.