Mise en oeuvre des politiques publiques

Les phénomènes humains sont le lieu des fins et des moyens pour les politiques publiques. L’oublier c’est oublier l’essence du politique et y substituer une gestion des choses à côté du sujet. C’est plus confortable mais peu efficace.

RESUME

Au croisement d’une expérience de terrain significative et d’un bagage conceptuel et méthodologique novateur s’est élaboré une approche de la mise en oeuvre des politiques publiques au niveau local qui permet de sortir de la logique d’échec qui se multiplie.

Il s’agit de reprendre en considération l’essentiel qui est le Sens du « bien commun », bien propre d’une « communauté de devenir » qui justifie seul la conduite de toute politique publique. Une analyse et un cadre de résolution original sont proposés à destination des responsables, élus, services de l’Etat, spécialistes et intervenants.

PREAMBULE, LE PROBLEME POSE

De toute part émerge le constat d’une difficulté récurrente à la mise en oeuvre de politiques publiques et des dispositions qui en découlent (réglementation, aménagement, décisions, etc…). Partout où ce constat est fait, où l’aveu d’une difficulté est permis, le même problème est soulevé : celui de l’appropriation par les responsables et les populations concernées.

D’un côté la visée de l’intérêt général est étayée de force raisonnement, études techniques et procédures, de l’autre quand ce n’est pas l’indifférence ou l’adhésion passive, c’est le rejet, inertiel ou conflictuel.

Où sont les torts ? Dans l’inconscience des hommes ou dans l’erreur des spécialistes ?

Ce n’est pas dans ces termes que le problème doit être posé. On doit d’ailleurs constater que le problème se pose au-delà des frontières, soit dans la mise en oeuvre d’aménagements en pays étrangers, soit dans des projets internationaux qui se heurtent au même problème d’appropriation locale.

Notre position consiste à observer qu’une dimension essentielle est culturellement omise dans les instruments conceptuels et méthodologiques employés, c’est la dimension humaine.

Il faut dire que pour beaucoup, la prise en considération de dimensions subjectives est le seuil de l’irrationnel. A leur décharge, il faut dire que les sciences humaines ne leur ont pas, au cours de ce siècle, offert les instruments conceptuels ou méthodologiques opérationnels et transmissibles souhaitables sauf à en éliminer justement la dimension essentiellement humaine.

A la charge de ceux qui « oublient » l’homme, on peut souligner qu’ils en oublient le réel et qu’ils se condamnent à l’échec partout où les hommes revendiqueront encore leur humanité.

A titre d’exemple certaines mises en oeuvres des politiques de prévention des risques en arrivent à oublier que le risque est existentiel ou il n’est pas.

C’est en tant qu’anticipation de dommages possibles à l’existence individuelle et collective que le risque doit être appréhendé. Il n’est donc pas évaluable en dehors des systèmes de valeur de cette existence même, personnels et culturels. Une inondation n’est pas un risque. Il y a risque lorsqu’une population y expose quelque partie de son existence selon les choix existentiels qui sont les siens et la hiérarchie des valeurs qui lui sont propres. De ce fait, à moins de vouloir se substituer au jugement et à la responsabilité des personnes et des sociétés, nul ne peut évaluer à son aune propre ce qui relève de leurs valeurs existentielles. Cependant la responsabilité et le service dus aux autres et aux collectivités humaines doit s’exercer pour les aider à cette appropriation du jugement et des engagements qui s’y attachent. C’est une définition possible du service public.

La notion de risque suppose une anticipation imaginée et une attitude à son égard. Un aléa physique n’est pas un risque mais une condition du risque éventuel qui dépend entièrement des dispositions humaines.

De ce fait, c’est du côté de questions de nature humaine que se situent les déterminants de la réussite ou de l’échec de politiques de prévention des risques.

Les apports conceptuels et méthodologiques développés par l’Institut Cohérences offrent, avec la notion de cohérences humaines, les moyens de se saisir de ces dimensions tant pour la compréhension, la décision et l’action.

LES COHERENCES HUMAINES DANS LES POLITIQUES PUBLIQUES

Toute politique (de polis, la cité), en principe, vise à un bien, commun à une population concernée. De là différentes conséquences .

La première est que c’est au bénéfice d’une communauté publique que se justifie toute politique publique et que cela entraîne une exigence : la considération du problème et des solutions du point de vue des intéressés. S’il y a là une dimension méthodologique cela n’élimine pas pour autant la question éthique.

Il y a une éthique de la considération à la base de toute mise en oeuvre positive d’une politique publique sans la quelle ce « point de vue » sera oublié ou faussé.

L’éthique de la considération est liée à l’exigence de considération de l’altérité c’est à dire notament d’un point de vue (et de vie) radicalement autre. Celà est vrai pour les personnes mais aussi pour leurs communautés dans et par lesquelles elle vivent leur existence. S’il existe ainsi plusieurs points de vue légitimes, la considération de chacun devient indispensable sauf à nier les autres ou se nier soi-même. Inversement la considération des points de vues autres entraine la considération réciproque de soi-même par les autres et par soi-même aussi. Cette « philosophie » se traduit concrètement par un certain type d’écoute et d’entendement du réel des situations, par un certain type de relations, respectueuses et non complaisantes pour autant, par un certain type de démarche cherchant à favoriser l’appropriation par chacun de ses propres responsabilités dans la considération de celle des autres. L’expérience de terrain est là pour attester des effets bénéfiques de cette atitude et, au contraire, des effets destructeurs de son oubli. Il faut comprendre que c’est dans le maniement même des instruments techniques et pratiques que cela se joue et que l’on peut construire là-dessus toute une méthodologie et une compétence dès lors que l’on dispose aussi de l’appareil conceptuel et méthodologique approprié.

La principale source d’échec vient lorsque les gens ne se sentent pas considérés, ils ont alors toutes les raisons de considérer comme inappropriées les mesures que l’on veut leur imposer pour un bien qui leur serait dicté.

La seconde conséquence est liée aux Sens et aux cohérences humaines en jeu. Tout d’abord notons qu’il n’y aura humainement cohérence entre différentes dispositions ou par rapport à un contexte plus large que si tout va dans le même Sens.

La cohérence des politiques publiques ne tient donc pas à leur seule rationalité interne mais au Sens qui leur est donné par et pour la communauté publique concernée.

De là différentes questions. Celle du Sens commun (Sens = signification, direction, valeur…) pour une communauté considérée. Celle du meilleur Sens dans lequel peut être projeté le bien commun. Celle de la capacité de discerner ou assumer ce Sens et les niveaux de maîtrise à constater ou faire évoluer. Celle enfin de la projection dans un Sens qui est celui de l’avenir et donc du développement.

L’approche des cohérences humaines permet de traiter ces différentes questions qui pourraient être ramenées à celle de l’appropriation.

En effet, l’appropriation tient à la reconnaissance d’une communauté de devenir, à l’adaptation aux conditions et au Sens propres de cette communauté pour son développement, à la prise en charge (relative) de ses enjeux par la communauté et ses représentants.

Une politique publique appropriée est une politique qui adopte et favorise le Sens propre du devenir d’une communauté publique particulière. Dans le cas contraire, elle est inappropriée et c’est à cela que renvoient les difficultés de plus en plus fréquemment rencontrées.

Pour conclure ce préambule, il nous faut observer que ce siècle marqué par le taylorisme l’est aussi par l’un de ses préceptes : Se préoccuper de la gestion des choses plutôt que du gouvernement des hommes. N’est-il pas vrai que la gestion technico économique a pris le pas sur la conduite des destinées humaines, l’instrument se faisant maître? C’est sans doute à une réaction de plus en plus vive qu’une certaine déshumanisation conduira.

Il ne s’agit pas d’opposer cohérences humaines et rationalités techniques ou économiques mais de replacer le Sens humain à l’essentiel et les rationalités instrumentales à leur place. Les spécialistes, techniciens, chargés de la mise en oeuvre des politiques publiques y trouveront humainement leur compte.

I – LES SOLUTIONS PRECONISEES

Le champ des phénomènes humains impliqués dans la conduite des politiques publiques est extrêmement vaste. Cependant, l’approche des cohérences humaines fondée sur une anthropologie et des méthodes originales permet de se centrer sur l’essentiel sans exclusive. On en viendra à privilégier trois dimensions complémentaires dont la prise en compte est déterminante.

La détermination des acteurs et de leurs rôles (en particulier les services de l’Etat et les représentants des collectivités locales et territoriales).

La démarche d’appropriation active destinée à ce que les politiques publiques soient appropriées par et pour les intéressés.

La mise en perspective dans un développement approprié pour toute politique publique locale, quelque soit son objet.

Ce sont les trois dimensions sur lesquelles reposent la pertinence, la cohérence et la performance de toute politique publique et qui doit être prise en compte dans leur mise en oeuvre. Nous allons développer ces dimensions en ordre inverse de leur présentation.

1) La mise en perspective dans un développement approprié

Ici ou là la question du développement vient pour, en quelque sorte, donner un Sens et une perspective à un projet, une disposition, un aménagement. Quel développement pour les zones inondables? Dans quel projet de développement inscrire une politique de gestion et d’aménagement des eaux? A quel type de développement un projet d’aménagement peut-il contribuer? Il est en effet à observer qu’une politique publique visant à un bien, commun à une population, suppose un Sens une visée d’avenir à ce bien commun. Il n’y a pas de projet sans projection sur un horizon futur.

Or le développement, on le verra, est l’expression d’une telle projection lorsqu’il est approprié, authentique et assumé. Tout projet qui ne s’y inscrirait pas se trouverait marqué d’insignifiance (on n’est pas concerné!) ou, pire, moyen d’empêchement.

Notons ici que les politiques qui font référence au risque peuvent, en privilégiant l’aspect sécuritaire et contraignant, se prendre à ce piège. Elles sont vécues comme des actions d’empêchement et non des actions d’accompagnement de la visée du bien commun.

Il est tout à fait clair que la sécurité n’a de Sens que si elle ne s’oppose pas au devenir et qu’au contraire c’est dans la perspective d’un avenir prometteur qu’elle s’inscrit. C’est la condition pour qu’elles ne soient pas contre-productives.

Il faut noter que l’oubli de la dimension humaine occulte le fait suivant. C’est par la projection sur l’avenir que l’identité collective (et individuelle) se constitue et que c’est son caractère prometteur qui entraîne mobilisation et engagement, y compris par une plus grande maîtrise des risques s’il y a lieu.

Ne pas prendre cela en considération revient à un déni d’identité qui entraîne un repli de toute motivation sans compter ce que l’éthique de la considération suggère en la matière. La référence au développement c’est aussi implicitement celle au Sens de l’avenir, à l’identité collective, aux aspirations de progrès, aux valeurs partagées et aux responsabilités à prendre.

A cela on fera différentes objections :

– La dominance des intérêts matériels sur les aspirations ? Le fait de réduire les problèmes à leurs aspects matériels ne peut que l’encourager et masque ce qui pourrait exister d’autre.

– Une perception étroite et immédiate des problèmes là où une vue à plus long terme serait nécessaire ? C’est en effet une question de maturité dont il faut tenir compte pour faire progresser la capacité à assurer le développement collectif. Là aussi l’action des responsables peut être pédagogique ou contre pédagogique, aider à la prise de responsabilité ou inciter à la régression.

On peut se demander si la non considération de l’essentiel et donc des cohérences humaines, n’alimente pas un contre développement qu’il serait facile de stigmatiser ensuite. Il en va évidemment de l’identification et donc du rôle de tous les acteurs concernés.

La première conclusion est ici de souligner la cohérence entre développement approprié et finalités mobilisatrices des politiques publiques.

Cependant il est vrai que les conceptions du développement ne sont pas toujours cohérentes avec la vision donnée ici. On se trouve là face à une situation dont il faut tenir compte.

Nous sommes dans une période de mutation. Un quart de siècle de crises, de tous ordres, jusqu’à la « crise du Sens » montrant que le Sens de l’avenir ne va pas de soi et que chaque communauté à une responsabilité à prendre vis-à-vis de cela.

On se trouve en présence de réalités qu’il serait temps de prendre en considération. La première est qu’il n’y a aucun modèle de développements qui puisse être reproduit de façon standard et qu’il faut donc inventer des formes propres de développement (développement approprié). La seconde est la montée en puissance du souci individuel et collectif d’assumer son devenir qui s’accompagne d’un refus de le voir dicté par ceux qui voudraient s’en approprier la science et les règles.

Il faut donc maintenant adopter une conception du développement qui réponde à ces conditions et ces exigences. C’est le cas du développement approprié qu’il nous faut présenter maintenant.

Le développement a trop souvent été réduit à des modalités matérielles et de ce fait bien souvent à une nécessité de lutter contre des difficultés de tous ordres (emploi, sécurité, économie, etc.).

On en est venu à rechercher un développement inapproprié dont on voit les effets dans de très nombreux endroits

Cette réduction à la question des moyens, occultant les fins donc le Sens, en est la cause. A contrario, il est toujours possible de prendre la question autrement, sans exclure néanmoins les questions de moyens qui y retrouvent leur place ainsi d’ailleurs que les différentes politiques publiques.

Quelques définitions :

Le développement approprié est l’ensemble des modalités d’existence collective qui expriment une vocation culturelle propre et en préparent la progression. Le développement approprié est aussi le produit d’une vocation culturelle propre avec les conditions environnantes, locales ou plus lointaines.

De ce fait, on ne peut concevoir le développement uniquement à partir des conditions environnantes (négation de l’identité collective propre) ni en faisant abstraction des conditions environnantes.

Le développement approprié marque la prise en charge par une collectivité d’un devenir commun donc d’une identité, de valeurs et de réalisations. Tous les aspects de la vie collective sont concernés et principalement les aspects qualitatifs.

Le développement approprié se traduit :

– par l’expression d’une vocation originale qui donne un Sens et une direction au développement,

– par l’expression d’une identité originale qui s’exprime par les projets et les horizons qu’elle se donne,

– par les réalisations et les aménagements qui en découlent.

Il y a développement approprié quand c’est la volonté collective qui dicte la manière de gérer les conditions environnantes et non l’inverse.

Seulement il n’y a développement approprié que si la volonté collective coïncide avec la poursuite d’un bien commun propre, fidèle à la vocation culturelle et respectueux des conditions environnementales qui le permettent.

L’appropriation se situe donc sur trois plans :

– la prise en charge de son propre développement (capacité) qui est aussi un effet du développement,

– l’orientation selon la vocation propre de la communauté culturelle,

– la prise en compte prudentielle des conditions environnementales propres.

En définitive toutes les politiques publiques ou projets collectifs doivent alors se situer dans ce contexte où ils trouveront leur justification à condition d’intégrer ces trois plans.

Sur le plan de la méthode, il y a trois étapes:

1) Elucider la vocation culturelle de la « communauté de devenir ». Les études de cohérences culturelles le permettent et aussi de repérer le Sens d’un développement approprié.

2) Appréhender les « conditions environnantes », significatives pour cette vocation, avec leurs ressources et leurs contraintes.

3) Engager en fonction du niveau de maturité collective une dynamique d’appropriation du développement (conceptions, décisions, mises en oeuvre).

C’est dans ce cadre et sous ces conditions qu’une politique publique ou un projet peuvent devenir appropriés en prenant en compte l’objet et le problème particulier qui est le leur.

2) La démarche d’appropriation active

Pour qu’une politique soit reprise à leur compte par ceux qu’elle concerne, il importe à la fois qu’ils se l’approprient (la faire sienne) mais aussi qu’elle soit appropriée au milieu culturel où elle s’inscrit.

Réduire une politique publique à une procédure visant des objectifs techniques, c’est la rendre inappropriée quelque soit son contenu.

Il n’y a donc pas d’autre voie saine que de l’inscrire dans un processus d’appropriation active.

Pour cela, il faut lui donner un Sens qui soit non seulement recevable (appropriation) mais mobilisateur d’engagement (appropriation active). Ce Sens, pour que la collectivité s’y retrouve, doit être celui d’un bien commun et donc qu’elle s’identifie en tant que communauté de devenir autour d’un horizon gratifiant.

On retrouve la définition même de la vocation originale et du développement approprié.

Autrement dit c’est dans une perspective de développement approprié qu’une politique doit être justifiée et inscrite.

Cependant il faut tenir compte de la maturité collective qui peut réclamer une certaine pédagogie consistant, dans la forme et le contenu, à s’approprier le problème posé. L’appropriation active est donc le fait d’un processus pédagogique à conduire. Il comporte trois phases, une fois que la stratégie a été définie.

– L’appropriation de la connaissance du problème posé. Depuis le souci de connaître jusqu’aux enjeux de connaissance en passant par les contenus, cette appropriation débouche sur une appréhension appropriée des questions en jeu. Il faut noter que la croyance dans la suffisance des données techniques objectives exclue la signifiance culturelle propre et conduit aux résultats que l’on sait, lorsqu’on s’adresse à des populations relativement majeures.

– L’appropriation des décisions et des engagements. Cela suppose au-delà de la connaissance, une évaluation des problèmes et des enjeux par les intéressés ou leurs représentants (principe de démocratie).

– L’appropriation des solutions et dispositions à mettre en oeuvre en cohérence avec le développement (c’est-à-dire une vocation propre dans un contexte environnemental reconnu).

La démarche de développement appropriée ne peut se construire que sur une reconnaissance préalable de la situation, du sens d’une vocation culturelle propre et donc d’une perspective de développement.

Notons qu’elle sera plus ou moins élaborée selon l’évolution du milieu culturel et qu’enfin, l’appropriation active d’une politique publique peut être l’occasion d’une progression significative en matière d’appropriation du développement.

La démarche d’appropriation active suppose évidemment que la communauté en question soit identifiée et que le rôle des acteurs soit clairement défini.

3) La détermination des acteurs et de leurs rôles

C’est chronologiquement la première chose à faire mais que l’on comprendra d’autant mieux maintenant. C’est aussi un aspect des moins bien reconnu, source de très nombreuses difficultés mais en même temps lourd de beaucoup d’exigences. On examinera ici quatre aspects majeurs :

– l’identification et le choix de l’acteur collectif concerné,

– la représentation de la communauté concernée,

– le problème de la multiplicité des rôles de l’Etat et de sa cohérence en tant qu’acteur collectif,

– les rôles des intervenants extérieurs, techniciens, spécialistes, etc.

Nous n’épuiserons pas ici cette question ni même l’inventaire des rôles déterminants dans l’élaboration, la décision et la mise en oeuvre des politiques publiques localement. Nous resterons aussi sur le lieu de cette mise en oeuvre.

L’identification et le choix de l’acteur collectif concerné

Comme nous l’avons souligné il importe que soit identifiée une « communauté de devenir » qui se reconnaisse dans le projet en question.Ce sera le plus souvent un problème de conjugaison entre :

– une géographie communale ou de pays déjà identifiée par les intéressés,

– une géographie administrative comme des regroupements de communes ou des limites administratives (départements, régions),

– une géographie physique ou technique qui est le champ rationnel des techniciens habituellement (bassin hydrographique, implantation d’un équipement collectif…).

S’il est possible de favoriser l’émergence d’une « communauté de devenir » à partir de collectivités existantes, il n’est pas possible de le faire sur des rationalités techniques qui ne s’intègrent pas dans une mémoire collective.

En effet, une communauté de devenir est nouée par un présent et une mémoire. Elle a une histoire sans laquelle elle n’a pas de projet collectif donc pas d’appropriation possible.

Le travail de constitution de la communauté de devenir est donc particulièrement crucial. Il doit être très attentif à la parole et à la mémoire des hommes. (Mémoire toujours actuelle et reconstituée). Il doit l’être aussi aux usages ou traditions quelquefois peu lisibles, même pour les intéressés qui les vivent. C’est techniquement et éthiquement un travail de considération dont on imagine dès lors l’effet de son absence (classique).

Lorsqu’il s’agit par exemple de concevoir un territoire qui ne coïncide pas avec une telle communauté alors il est possible d’identifier celles qui sont plus ou moins concernées et de ménager au cas par cas les concertations appropriées sans confusion.

Notons enfin que le processus d’appropriation active d’une politique publique dans la perspective d’un développement approprié est en soi un service de grande valeur rendu à la communauté de devenir et à sa capacité d’appropriation de son devenir. C’est dire que le bien commun est toujours au-delà des objectifs techniques d’une quelconque de ces politiques.

La représentation de la communauté concernée

C’est une question de fond puisque c’est l’essence même du politique à laquelle toute « politique publique » devrait se référer.

Il est dommageable que l’image de la responsabilité politique locale soit si malmenée et principalement parce que l’on exige des politiques un magistère de gestionnaire dont ils sont généralement dépossédés des clés et qui n’est pas leur rôle fondamental.

Il y a là un symptôme de la crise de société où le Sens du politique en même temps que celui de la cité se cherche à nouveau.

Hormis les cas particuliers, il faut comprendre que le rôle des représentants politiques est politique et qu’en cela c’est le Sens et le devenir de la cité (communauté de devenir) qui est leur enjeu. La difficulté intrinsèque à ce rôle, surajoutée à la crise de société, réclame plus d’aides que de menaces ou d’empêchements sauf à vouloir entretenir une défiance délétère et faire assaut de science ou de droit pour nier son autorité.

C’est la négation même de la cité, ce qui ne va pas dans le Sens d’une éthique de la considération et qui déconsidère aussi ceux qui s’y tiennent.

La position d’autorité politique est à ajuster et consolider sans cesse et cela passe par la considération et l’aide à son exercice.

Cela passe aussi par le choix de configurations humaines qui respectent les formes mais aussi les réalités humaines. Aussi les configurations à adopter varieront selon les cas que ce soit par exemple autour du maire d’une commune ou que ce soit pour des groupements existant ou à constituer.

On veillera donc à favoriser une disposition juste et efficace et à l’aider à s’approprier activement la politique en question puis à ce que cette appropriation active se transmette vers les populations en tenant compte du niveau de maturation existant ou à rechercher.

Le problème de la multiplicité des rôles de l’Etat et sa cohérence

Il est des politiques publiques locales dont l’initiative est celle des élus locaux. Il n’en est guère où l’Etat n’intervienne pas, par un biais ou un autre, directement ou en passant par les collectivités territoriales ou des organismes publics.

Notons que l’Etat peut notamment :

– établir une réglementation,

– en contrôler son application,

– être le spécialiste technique,

– le chargé d’études,

– le conseiller,

– le maître d’oeuvre

Tout cela étant multiplié par les domaines d’action, les spécialités et les niveaux (local, central).

Ce « découpage » administratif ou technique ne correspond pas à la réalité des situations qu’une politique doit embrasser dans leur intégralité. Il faut noter qu’on ne trouve pas beaucoup de spécialités inhérentes aux problématiques humaines qui nous intéressent ici. Cela dit, de même que pour les élus, les situations réelles sont à assumer dans leur intégrité et pas seulement dans le cadre d’une abstraction spécialisée. Notons à ce propos que se pose donc la question de l’appréhension des problèmes en situation dans leur intégralité, la fixation d’objectifs et leur évaluation dans la même optique et la conduite d’actions, de processus ou de projets qui assume aussi l’intégralité des choses.

C’est le principe même de toute compétence ou responsabilité véritable quant à la réussite d’une politique publique. Soulignons alors que comme pour tout un chacun, c’est là que le rassemblement de compétences se justifie pour y aider.

Il y a certains rôles classiques de l’Etat sur lesquels nous ne reviendrons pas ici, souhaitons simplement que leur cohérence soit au mieux assumée par les autorités compétentes mais aussi avec le concours de ceux qui ont en charge la mise en oeuvre des politiques publiques en question.

Au-delà, ce qui nous paraît essentiel, c’est de mettre en valeur un rôle de service véritable de la population et ses représentants (ad-ministration ne vient-il pas de service ?). Il y a là à innover en rapport avec ce qui rendrait les plus éminents services.

Il s’agit de l’exercice d’une compétence de conduite ou d’aide à la conduite de la mise en oeuvre des politiques publiques intégrant les trois dimensions que nous posons ici :

– aider à constituer les acteurs collectifs et leur rôle,

– aider au développement du processus d’appropriation active,

– aider à l’émergence de perspectives et de projets de développement approprié.

Il y a là des compétences à développer tant pour la conduite de projets ou processus que pour la pédagogie spécifique de l’appropriation active (plus maïeutique que didactique). Cela suppose en outre une connaissance suffisante des phénomènes humains en jeu et des problématiques rencontrées.

Le rôle des intervenants extérieurs, techniciens, spécialistes…

Il est temps de sortir d’une double illusion:

– celle de la neutralité objective du spécialiste comme si l’objectivité excluait la citoyenneté,

– la référence à l’objectivité technique pour cautionner des décisions et des projets qui n’en relèvent pas ou n’en dépendent que comme conditions accessoires.

Il y a donc à démystifier l’emploi abusif de certaines actions techniques (technocratiques ?) et à réhabiliter par exemple le métier d’ingénieur et les compétences d’ingénierie qui ont à se confronter au réel des situations et non pas seulement à l’abstraction de modèles techniques ou administratifs.

Or le réel intègre les dimensions humaines non à la marge mais à l’essentiel.

Il devrait donc s’envisager une reconsidération du rôle des spécialistes et intervenants leur demandant aussi de revoir leurs champs de compétence et la hiérarchie de leurs niveaux de maîtrise.

Alors par exemple le rôle pédagogique, le rôle de conseil, les rôles d’ingénierie humaine se présentent au grand jour et pourraient ainsi mieux se professionnaliser.

Alors on verra moins de techniciens faire la politique et moins de politiques s’abimer dans des fonctions techniques et plus de responsables et de professionnels qui partagent leurs responsabilités respectives.

II LES COMPETENCES A MOBILISER

Nous ne pouvons pas cacher la nouveauté de notre démarche. Elle est fondée sur un appareil conceptuel et méthodologique tout à fait original, sur une expérience diversifiée dans de nombreux contextes depuis vingt ans et sur des caractéristiques rares:

– L’opérationnalité des modèles conceptuels dans ces domaines,

– L’approche intégratrice (transdisciplinaire) qui ne surajoute pas une spécialité mais permet d’intégrer celles qui existent (en complétant ce qui est plus spécifique de la « dimension humaine » il est vrai).

– La transmissibilité (relative et progressive) de ses apports.

De ce fait, nous insisterons sur les compétences que nous pouvons apporter, sachant qu’une appropriation par les intéressés en est toujours la visée.

1) Le diagnostic de situation

Il s’agit de connaître et surtout comprendre une situation pour en dégager des voies de solution ou d’action.

Il comporte :

· Une analyse structurée du réel dont les grandes lignes sont:

– le repérage des acteurs et des facteurs significatifs et leur contexte,

– les faits, opérateurs et opérations agissants,

– les processus historiques d’évolution,

– les projections, représentations et formulations du problème et son contexte,

– les finalités et les logiques engagées,

– les rôles et instances individuels et collectifs et leurs relations.

· Une élucidation du (ou des) Sens de la situation (tendance), explicatif de son actualité et son évolution.

· Le repérage des potentialités et qualifications permettant de fonder une solution ou une action.

· Le cas échéant la possibilité de poser clairement le problème pour la population concernée.

(Les techniques employées : l’écoute activante, l’analyse cohérencielle, l’analyse figurative, l’analyse de cohérence, la centration).

2) L’évaluation d’une politique publique

Elle peut se faire avant, pendant ou après sa mise en oeuvre et elle vise toujours à tirer des enseignements pour l’action. Elle a de, ce fait, un caractère pédagogique utile à certains processus de maturation collective.

L’évaluation suppose de définir un point de vue (évaluation pour qui ?) et une échelle de valeur de référence (évaluation pourquoi ?).

Elle porte ensuite sur trois critères hiérarchisés :

Critère de pertinence : Est-ce que cela va dans le « bon » Sens? On voit l’importance de la détermination du Sens du bien commun et donc du développement sans lequel il n’y a pas d’évaluation possible de la pertinence d’une politique publique pour la communauté concernée.

Critère de cohérence : Est-ce que tout s’articule pour aller dans le même Sens. On voit là le problème de la cohérence interne d’une politique ou d’un projet et la nécessaire intégration des dimensions humaines pour en juger ainsi que celui de la cohérence vis-à-vis du contexte et d’autres politiques. Le développement intégrant l’ensemble est aussi le référent de la cohérence d’une politique publique particulière.

Critère de performance : Il n’est pas indépendant des deux autres car la performance ne peut être mesurée que par rapport au service apporté, c’est-à-dire la contribution au bien commun (donc au développement). Sans de telles évaluations il ne faut pas s’étonner d’échecs ou de gaspillages de ressources non connus.

3) Etudes et recherches

Lorsque les problèmes ou les solutions ne sont pas connus ou insuffisamment, il est judicieux de procéder à des études ou à des recherches, notamment recherche-action lorsqu’elles s’accompagnent d’expérimentations de terrain.

Pour cela il faut faire appel aux instruments de connaissance transdisciplinaires et aux outils d’analyse et de conception stratégique de démarches ou de méthodes ad-hoc.

On notera que ce peuvent être :

– la complexité particulière de certaines situations,

– la méconnaissance de certains phénomènes (ex. conflits inattendus, passivités étonnantes…).

– le souci d’une plus grande fiabilité des dispositions à prendre pour des enjeux importants.

En particulier on notera que le peu de moyens conceptuels et méthodologiques opérationnels existants et donc l’absence de retours d’expériences capitalisés laissent des champs immenses à explorer (par exemple il serait intéressant de confronter les symboliques de l’eau avec les logiques implicites de politiques publiques et leur caractère prédictif concernant l’impact sur les collectivités concernées. De même que les cultures du rapport au risque (personnel et institutionnels) éclairent les choix, raisonnements et comportements des acteurs). L’appareil conceptuel et méthodologique de l’approche des cohérences humaines est là très utile et très efficace.

4) Conseil stratégique

Lorsque les responsables sont confrontés à des choix et des engagements importants, le conseil stratégique est une aide précieuse sans qu’elle se substitue à l’autorité légitime. Elus, chefs de projets, représentants de l’Etat ou d’autres acteurs peuvent être aidés sur différents points concernant la possibilité de concevoir, valider ou engager une stratégie.

– Bien poser le problème et son contexte (centration).

– Elucider les orientations possibles et leurs conséquences pour permettre le choix,

– Concevoir un scénario stratégique ou éclairer la logique d’une stratégie (en projet ou mise en oeuvre).

– Aider à construire les plans d’action et à se doter des moyens d’évaluation, de contrôle et de pilotage efficient.

La notion de stratégie, si galvaudée, doit être redéfinie comme l’articulation de moyens au service d’un but à atteindre selon une intention délibérée (un Sens) et en fonction d’un état du terrain et son évolution. Toute mise en oeuvre d’une politique publique ou d’un projet doit être conçue comme une stratégie à conduire, c’est-à-dire aussi un processus à initialiser et piloter. (C’est ce qui fait la différence entre la fonction technique et l’ingénierie). La conduite de processus d’appropriation active correspond à un certain type de stratégie à privilégier.

5) Accompagnement de maîtres d’ouvrages, de maîtres d’oeuvres, chef de projets, responsables

Cet accompagnement se justifie par le fait que les responsables (ou les équipes) sont personnellement impliqués dans leur rôle avec leurs ressources et leurs limites. L’exercice d’une maîtrise dont ils ont à faire preuve passe non par des déclarations d’omniscience ou d’omnipotence mais, au contraire, par la fréquentation de ses limites. C’est cette épreuve qui fait progresser et qui est gage de la maîtrise des affaires à assumer.

L’accompagnement se pose en rapport avec cela. C’est un accompagnement personnel par quelqu’un qui en a la maîtrise et qui partage le cheminement d’un responsable pour l’aider à accroître sa propre maîtrise de la situation.

Cet accompagnement se fait en référence au discernement, à la détermination et à la direction des actions de la personne responsable (A noter que ce ne sont jamais les méthodes ou les procédures qui « marchent » mais les hommes). (A noter aussi qu’être responsable c’est répondre de ce et de ceux que l’on engage et du Sens de cet engagement).

6) Conception de solutions, projets, stratégies et méthodes

Que ce soit au stade de l’élaboration d’une politique publique (projets, stratégies, méthodes…) ou celui de sa mise en oeuvre dans une situation particulière ou encore à l’occasion de la rencontre d’une difficulté particulière il y a toujours à concevoir des solutions ad-hoc. Pour cela il faut, bien sur, recourir à des principes qui dépendent d’une bonne analyse de la problématique. Il faut aussi prendre en compte la singularité et la complexité de chaque situation particulière. Il faut enfin exercer une créativité et une inventivité pour déboucher sur une solution qui s’intègre le mieux possible dans le réel singulier où l’on veut agir.

La méthode de créativité générative est pour cela particulièrement efficace si elle repose sur une analyse sure. Le processus d’appropriation active réclame, le cas échéant, la participation de différents acteurs à cette élaboration. En particulier, les différents spécialistes ont leur rôle à jouer selon le plan de compétence qui est le leur.

7) Interventions, conduite de processus

Intervenir sur le terrain d’une collectivité, c’est intervenir dans une histoire pour l’accompagner ou l’orienter selon le choix « politique » qui a été fait. Pour cela on ne peut pas oublier l’ancrage dans un historique ni de se situer par rapport aux courants actuels.

La conduite d’un processus d’appropriation active selon le Sens d’une vocation collective exprimé dans une perspective de développement est le type de processus à conduire par excellence.

On trouvera donc appui aussi sur le Sens propre du bien commun dans la culture locale et on empruntera aussi des manières d’agir culturellement significatives. La conduite de tels processus s’associe à la conduite du changement et aussi à celle de stratégies macro pédagogiques destinées à favoriser la maturation collective des problèmes et des solutions.

La compétence de conduite suppose une connaissance des phénomènes et un discernement aiguisé. Elle suppose une capacité stratégique avec ses qualités spécifiques. Elle suppose enfin une capacité d’initiative et d’implication qui maîtrise les rythmes et phases du processus.

Cette compétence ne doit se confondre ni avec une non directivité ni avec un exercice abusif de l’autorité. Elle réclame donc une maturité et aussi une ingéniosité certaine.

8) Formations

Si, au fond, toutes ces compétences présentent un caractère pédagogique dans leur exercice compte tenu des positions prises, elles supposent aussi la possibilité d’une transmission et aussi d’une appropriation.

L’acquisition d’une « culture » des phénomènes rencontrés (cohérences humaines) et l’apprentissage des méthodes et des pratiques qui en découlent sont indispensables en fonction de la nature ou du type de responsabilité exercée.

Notons que si des cultures techniques ou gestionnaires ont été largement répandues et suscitent des investissements importants, il n’en a pas été de même dans une période récente pour ce qui concerne celles des phénomènes humains alors qu’ils sont déterminants. Peut-être faut-il y voir aussi une conséquence des choix qu’ont fait en d’autres temps les sciences humaines et qui expliquent en partie leur absence remarquable dans la quasi totalité des cas (L’évacuation du sujet n’est jamais sans conséquence).

L’approche des cohérences humaines offre un bagage de connaissances, de méthodes, outils techniques et pratiques qui constituent un vaste corpus ou peuvent puiser les responsables de la mise en oeuvre des politiques publiques et les professionnels concernés.

C’est toute une discipline (transdisciplinaire) qui est à découvrir et à s’approprier en fonction des rôles et des exigences de ses responsabilités.

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