L’évaluation des politiques publiques
L’évaluation des politiques publiques à toujours cherché à s’exonérer de la question de l’échelle de valeurs indispensable à toute évaluation. Source de tous les arbitraires, les simulacres, les indifférences, ce problème nécessite autrement un soubassement conceptuel et méthodologique qu’offre l’Humanisme méthodologique.
Il est nécessaire aujourd’hui de porter une extrême attention à l’écart qu’il y a entre l’idée, associée au sentiment de sa pertinence et la consistance effective du problème, de la question, du concept, des conditions de la mise en oeuvre des solutions.
Trop de bonnes idées conduisent à l’échec. Trop de politiques publiques ne trouvent pas à accomplir les promesses dessinées.
Il ne faudrait pas qu’il en soit de même pour celle d’évaluation des politiques publiques. Or, il faut bien le voir, la question est d’une très grande difficulté conceptuelle tant dans son projet « l’évaluation » que dans son objet « les politiques publiques ».
La Théorie des Cohérences apporte pour cela un éclairage et une clé majeure qui permettront, grâce à des moyens adéquat, de rendre cette idée réalisable et, qui plus est, féconde.
Pour en esquisser les propositions, il va falloir successivement envisager:
– la problématique théorique
– les conditions de faisabilité
– les moyens de l’évaluation
– les bénéfices de l’évaluation.
I – LA PROBLEMATIQUE THEORIQUE
Evaluer renvoie à la notion de valeur, l’une des plus floues qui soient. Nous y rajouterons la nécessité d’une échelle de valeur et de valeurs de référence pour juger ou mesurer quoi que ce soit. On peut même d’ores et déjà supposer qu’évaluer peut avoir une dimension qualitative et une autre quantitative.
– Qualitative pour qualifier la ou les valeurs
– Quantitative pour mesurer selon la ou les valeurs de référence.
La Théorie des Cohérences montre que la notion de valeur renvoie à celle du Sens selon lequel est envisagé le bien par et pour une personne ou une communauté.
Il y a donc trois premières observations à faire :
a) L’échelle de valeur et les valeurs de référence servent à repérer une certaine progression selon un sens: celui qui est jugé juste. Toute progression selon un autre sens n’a pas de valeur par rapport à cette échelle là.
b) Les valeurs sont toujours relatives, tout d’abord à celui ou ceux dont le « bien » et son sens sont en jeu. Ensuite à la nature spécifique de ce sens et de ce bien pour lui ou eux. Il faut donc toujours se rapporter à la détermination du « sujet »de référence et du « sens du bien » pour lui (motivation, aspiration, idéologie, éthique, ambition, etc…)
c) Les valeurs sont des repères identificatoires qui renvoient au bien espéré mais aussi au bien intériorisé. Il est donc délicat de toucher aux valeurs sans une grande attention pour ceux qui en sont les sujets.
Il y a maintenant d’autres remarques qui permettent de dépasser le caractère, semble-t-il, arbitraire de toute échelle de valeur ainsi comprise.
Le bien en question, dont le sens est la visée, est toujours un bien humain, individuel et/ou collectif. Or une anthropologie nouvelle(*) montre qu’il est possible de qualifier un sens général du bien de l’homme tel que tout progrès en ce sens le fasse grandir vers plus de conscience, d’autonomie, de liberté, de maîtrise, etc… au travers des contingences de l’existence. On peut alors parler de Valeurs au niveau de l’humanité.
Cependant la vocation singulière de chaque personne, de chaque communauté leur en donnera une traduction originale correspondant à leur meilleur bien. Le discernement et la conscience font souvent défaut aux intéressés pour repérer cette vocation et ces valeurs. Mais n’est-il pas traditionnellement dévolu aux experts, aux chercheurs, aux autorités de disposer du discernement suffisant à un tel repérage.
L’évaluation n’est possible que si l’échelle de valeur est repérée. Si le Sens de l’évaluation n’est pas déterminé alors il n’y a plus qu’arbitraire, durement vécu par qui se trouve évalué ou confronté à une évaluation.
Lorsque l’évaluation se réfère aux meilleures valeurs, selon le Sens de la vocation des personnes et de leurs communautés alors elle a un caractère pédagogique. L’évaluation trouve là sa meilleure valeur.
La Théorie des Cohérences, développant d’un point de vue neuf les notions de Sens, de Consensus, de Vocation, dans une perspective à la fois anthropologique, épistémologique et praxéologique, permet de faire de l’évaluation l’une des pratiques les plus fécondes pour le discernement et le développement des valeurs propres.
(*) La Théorie de l’Instance et des Cohérences: « Au coeur du Sujet » éditions Poliphile 1986, par l’auteur.
Il faut maintenant envisager où les politiques publiques trouvent leur valeur et leur sens. Une politique publique vaut d’abord par son Sens et l’échelle de valeur selon laquelle elle vise un progrès. On aura donc à envisager:
Sa pertinence relative au « public » spécifique et donc à la vocation de la communauté qui est l’objet de la politique. Sans pertinence, il n’y a pas de politique publique qui vaille.
Sa cohérence et en l’occurrence l’unité de sens de toutes ses composantes. Sans cette cohérence, les efforts des acteurs seront dispersés et les moyens dilapidés.
Sa performance qui est relative au moins à trois critères: la situation initiale effective, l’ambition affirmée, les effets enregistrés. Il faudra être vigilant à ne pas confondre performance et effets visibles. La dynamique suscitée et son rythme seront souvent bien plus significatifs.
II – LES CONDITIONS DE FAISABILITE
Une politique publique se caractérise tout d’abord par trois termes: son sujet, son objet, son projet.
Son sujet :
C’est la politique de qui ?
Quelle en est le Sens ? L’Intention ?
Sans élucidation de cette dimension, il n’y a pas d’évaluation
possible.
Viennent ensuite trois types de questions :
– l’auteur de la politique a-t-il autorité ? Est-elle reconnue,
repérée?
– le sens ou les valeurs implicites de la politique sont-ils justes
par rapport aux valeurs générales (politiques générales justes).
– la politique conduite respecte-t-elle les valeurs de référence
ou va-t-elle dans un autre sens.
Son objet :
C’est la question à laquelle elle se rapporte dans un contexte donné et pour une ou plusieurs populations différenciées(politiques globales et locales).
Il y a alors plusieurs questions qui se posent :
– l’objet de la politique est-il significatif pour la (les)
populations(s) concernée(s)
– l’est-il pour les acteurs impliqués
– quelle est la « vocation » (meilleure échelle de valeur) de la
collectivité.
– quel sens et quelles valeurs l’objet de la politique a-t-il pour
les acteurs aux différents niveaux de communauté.
– quelle pertinence y-a-t-il entre les vocations des communautés
visées et les intentions des auteurs de la politique en question.
Son projet :
C’est à la fois le but et le chemin pour y parvenir.
Trois types de questions feront l’enjeu de l’évaluation:
– Y-a-t-il « concourance » des moyens et des actions (unité de sens
et d’échelle de valeur)
– Y-a-t-il cohérence du projet par rapport à l’intention affichée
– Y-a-t-il pertinence du projet par rapport aux valeurs des
acteurs et populations visées et aux conditions actuelles
(ressources, contraintes, potentiels).
La performance du projet sera d’autant plus facile à évaluer que des indicateurs mesurables auront été prédéterminés. Encore faut-il qu’ils soient significatifs (sens, échelle de valeur, vocation) et discriminants (différenciation des sens).
Les conditions de l’évaluation peuvent être complétées par trois composantes complémentaires d’une politique publique.
Ce seront à la fois des conditions de la mise en oeuvre d’une évaluation mais aussi ce qu’elle peut permettre d’améliorer par le fait même de sa mise en oeuvre.
Le consensus , ce qui fera la prégnance, la puissance et le dynamisme d’une politique, c’est le consensus des acteurs dans le rôle propre qui est le leur. Encore faut-il que ce consensus porte sur le Sens même de la politique et qu’il vaille pour chacun qui s’y reconnaît et s’y valorise.
L’évaluation participative est un moyen macro-pédagogique qui peut précéder, accompagner et conclure toute politique publique.
L’identité . Représentation projective de la politique, sa formulation et sa communication permettent de l’identifier mais aussi à chacun de s’y reconnaître.
L’identification d’une politique est évidemment indispensable pour reconnaître sa consistance et ses perspectives et en vérifier la réalisation.
Bien au delà, toute politique publique projette une promesse qui est support d’identification pour la communauté et les acteurs. Encore faut-il qu’il y ait Cohérence d’image dans la communication selon le sens des meilleures valeurs des uns et des autres et les conditions réelles de leur vécu.
L’évaluation peut non seulement porter sur cela mais y contribuer largement avant, pendant et après la réalisation d’une politique publique.
Les pratiques . La manière de faire peut démentir ce que l’on fait. La valeur d’une politique s’incarne dans la valeur des actes et celle-ci dépend du concernement des acteurs.
Une politique publique vise toujours les hommes et leur communauté, les pratiques qui en découlent en sont les moyens et non la fin.
L’évaluation des pratiques ne peut se faire que par rapport à cela. L’efficience ne se mesure qu’à la contribution aux fins et non au résultat seul.
L’évaluation permettra de prouver concrètement que les personnes et les groupes sont bien la fin de toute politique publique, l’objet de la considération des autorités. On vérifiera que ne sont substitués aux fins, ni les moyens, ni les artifices, ni les opérateurs.
III – LES MOYENS DE L’EVALUATION
Le champ de l’évaluation des politiques publiques est extrêmement large et on se limitera à quatre cas envisagés deux par deux.
a) Au stade de l’élaboration ou/et de la réalisation
L’évaluation d’une politique publique peut être considérée comme un moyen de discernement participatif.
On cherche à donner une plus grande cohérence en évaluant la pertinence de ce qui est engagé puis la « concourance » entre les acteurs. L’optimum de performance justifie alors l’évaluation.
b) Au stade final d’une politique élaborée ou réalisée
L’évaluation va permettre :
– une compréhension de ce qui a été fait
– une validation de sa pertinence
– un diagnostic/pronostic.
Les méthodes et les techniques de COHERENCES® apportent un moyen de maîtrise tout à fait nouveau du domaine du qualitatif. Elles se caractérisent par une profondeur d’investigation exceptionnelle, une rapidité peu commune et une pertinence qui en rend opérationnels les résultats dans les termes appropriés aux différents acteurs.
Ce sont des moyens qui peuvent être dans certains cas pratiqués de façon participative et dans tous les cas, ils permettent de mettre en oeuvre les stratégies macro ou micro pédagogiques qui conviennent en fonction des buts visés.
Nous citerons pour mémoire les possibilités suivantes:
1 Cas :
– Repérage de la problématique « réelle » à laquelle la politique
tente de répondre:
Technique de centration et d’analyse figurative pour répondre aux questions.
Une politique :
De qui ?
A propos de quoi ?
Pourquoi (motivation) ?
Le concernement des acteurs peut en dépendre
– Recherche de pertinence
On procédera à l’analyse de cohérence culturelle de la communauté concernée (région, ville, quartiers, catégorie, etc…) et on mettra en évidence le sens de sa Vocation et de ses meilleures Valeurs.
La mobilisation des acteurs et leur implication peuvent être largement développées.
– Concourance des acteurs
On pourra positionner chacun par rapport à l’échelle de valeur précédemment élucidée et favoriser les ajustements ou les révisions nécessaires à l’aide d’une carte de cohérence.
En outre, une autre technique (analyse cohérencielle) permettra de situer la contribution spécifique de chacun et de structurer les concours réciproques.
2 Cas :
– Compréhension de ce qui a été fait
(l’analyse figurative est un moyen rapide pour une première approche)
– Conditions de validité
L’analyse de Cohérences culturelle va permettre d’estimer dans quelle mesure ce qui a été fait peut bénéficier à ceux qui sont visés.
– Diagnostic/pronostic
La carte de Cohérence résultant de l’analyse précédente va permettre de repérer le sens engagé réellement et d’anticiper sur ses conséquences. En outre, l’analyse cohérencielle permettra de repérer les atouts ou les manques d’une politique déjà conçue ou déjà réalisée à toutes fins utiles.
IV – LES BENEFICES DE L’EVALUATION
Si le premier bénéfice de l’évaluation des politiques publiques est d’en « apprécier la valeur », la pratique de l’évaluation en amène bien d’autre.
En tant que pratique de discernement, elle permet de mieux comprendre les problématiques, les situations et les enjeux et donc d’entraîner une spirale vertueuse de plus grande pertinence. Eviter la non pertinence et le gaspillage des ressources et des motivations n’en serait pas le moindre bénéfice.
Favorisant l’apprentissage du qualitatif, elle permet a beaucoup d’experts d’assouplir leur appréhension des problèmes et leurs modèles normatifs. Ce ne serait pas sans intérêt que de faciliter le dialogue et la possibilité de consensus plus authentique.
Révélant la véritable signification des politiques conçues et engagées, l’évaluation permet de dégager un langage commun entre les autorités en position d’auteur de ces politiques et le public en position d’électeur de ces mêmes politiques.
C’est au fond une véritable pédagogie de la pensée et de l’action politique que développe l’évaluation
judicieusement conduite. Son plus grand bénéfice est un gain de maîtrise face aux problématiques de plus en plus complexe de notre temps grâce à un meilleur contrôle qui doit plutôt relever du pilotage que de la surveillance.
Il y a tout une culture des politiques publiques, de l’art et la manière de les concevoir et les conduire que seule une évaluation systématique permettra de faire progresser. C’est l’instrument privilégié de tous ceux dont les responsabilités publiques réclament qu’ils répondent de la pertinence et de la cohérence de leur action.