La guerre du Sens
11 mars 2003. La guerre du Sens contre le monde a commencé. La guerre des Sens, chacun avec ses armes, ses fins et ses moyens. Croisade disent les uns, djihad disent les autres, droit disent encore d’autres, comme si les mots étaient le Sens comme s’ils étaient des armes de Sens. Les bombes émotionnelles, leurs tireurs et les canons à longue portée des médias sont en place. La guerre du sang va s’étendre. Mais s’il y a à combattre c’est en soi-même disent les sages de toutes religions, de toutes les philosophies dès lors qu’elles ont l’homme comme fin. L’Humanisme Méthodologique aussi. Le discernement du Sens la première exigence, la détermination dans le Sens du bien commun l’épreuve, son engagement dans toutes les choses de la vie celui pour lequel il faut être armé, des armes d’humanité.
"La guerre du sens" est le titre d’un
ouvrage
du général Jean Loup FRANCART
éditions économica
Quelle étrange situation où, au nom de la morale
– le même mot – des "pays amis" s’opposent quant
à savoir si la guerre contre l’Irak doit être déclenchée
tout de suite où si elle doit n’être envisagée
qu’après l’échec éventuel d’une procédure
fondée sur le droit international représenté
par les règles du conseil de sécurité. Question
de principe, dit-on ici ou là.
Que se passe-t-il? Y-a-t-il les bons et les méchants?
Les bons, les brutes et les truands?
On ne peut comprendre la situation que si on en discerne le
Sens sinon la "conscience". Elle même sert d’évidence
des logiques contradictoires.
La guerre du Sens à l’âge du Sens dans lequel
nous sommes entrés n’en est pas évidemment le meilleur.
Ce qui se produit, c’est que des pans entiers du monde (des
hommes, de l’homme) sont campés dans différents
Sens et lisent le monde dans ce regard, y rencontrent adversaires
et alliés (à leurs yeux), y posent les repères
du bien et du mal (à leurs yeux), y engagent leurs stratégies
cohérentes mobilisant les moyens significatifs de leur
logique propre.
Or pour le moins, quatre Sens sont en présence. Ils
sont Sens humains toujours en l’homme mais l’âge du Sens
en dévoile la pluralité et renvoie chacun au discernement
des Sens, au choix et à l’engagement.
Cet âge du Sens succède à un "âge
des représentations" (mentales) où idées,
formules et formulations (juridiques par exemple) semblaient être
les seuls moyens de réguler les affaires humaines, notamment
sous la tutelle de la Raison ou bien encore des modèles
idéologiques ou systèmes de croyance en vigueur.
Le Sens en échappait le plus souvent et la "conformité"
servait alors de seul critère. Alors qu’en est-il des quatre
Sens (*).
D’abord le Sens de la possession. L’administration Bush campe
sur le Sens de la possession, celui-là même qu’a
suractivé un Ben Laden. Un Con-Sensus donc, entre les deux,
sur la vision du monde, le manichéisme de l’affrontement
des "puissances du bien" et des "puissances du
mal".
L’identification religieuse réduite, distordue justement
à l’invocation de "toutes puissances" extrêmes,
légitime tous les extrémismes.
L’intégrisme est de cette veine (*). La paix est l’horizon
de la disparition de l’autre, de son assimilation (le retour au
même), de l’établissement pour cela d’une emprise,
c’est-à-dire "pouvoir d’empêchement" d’être
autre.
La possession, c’est cela, c’est aussi tout ce qui est tentative
d’emprise sur les hommes et les choses, critère du bien
pour soi, c’est-à-dire du bien universel pour qui n’a pas
d’autre. L’unité du monde sous la tutelle de "l’américan
way of life". L’emprise sur les alliés, traîtres
s’ils y dérogent.
La logique de guerre qui est la seule voie de la paix reconnue
dans ce camp, guerre économique, guerre de l’information,
guerre des armes, guerre par tous les moyens qui portent atteinte
à l’altérité de l’autre, c’est-à-dire
au critère du mal.
Le Sens de la possession habite tous les hommes et beaucoup
y ont installé leur demeure.
L’administration Bush est parfaitement cohérente dans
ce Sens. Sa marche est celle là, son jugement est celui
là, sa conscience, ses stratégies, ses modèles,
ses méthodes sont celles là.
Bien d’autres y campent et il est clair que là "qui
n’est pas avec nous (autre) est contre nous (rival sinon ennemi)".
Qui n’a pas de discernement et qui penche un peu par là
est rapidement "possédé" par l’activation
massive de ce Sens. Il se fait "même" ou il se
fait "autre" (allié ou rival). Qui campe dans
un autre Sens est automatiquement considéré comme
rival (traître, ennemi à réduire) pour les
précédents.
En particulier c’est là que la "vieille Europe"
peut être tentée de camper.
Auparavant on notera que toute position de Sens autre que celle
de la possession y est vécue comme identique à une
rivalité, c’est-à-dire une altérité
altérante, polluante, pernicieuse, menaçante, etc…
Logique de paranoïa. Le "principe de précaution"
est l’une des armes de la guerre du Sens alimentant l’arsenal
de la possession. C’est tout simplement la logique de l’administration
Bush en Irak notamment.
Les autres Sens ne sont pas pour autant du même camp
et on tomberait dans la logique de possession si on voyait le
mal incarné par l’administration Bush et le bien chez tous
les opposants ou l’inverse.
La vieille Europe donc, celle des lumières, celle de
l’âge des représentations d’avant l’âge du
Sens, pourrait incarner un autre Sens, l’inverse de la possession
celui qui consiste à confier au droit, aux conventions
formelles de la communauté internationale le soin de dire
le bien et le mal. La puissance est remplacée par le droit,
les stratégies guerrières par les jeux de procédures.
Qui ne voit que c’est l’une des façons de comprendre
l’alternative posée à celle de l’administration
Bush mais aussi à tous ceux qui partagent le même
Sens de la possession comme Sadam Hussein et bien d’autres "volontés
de puissance" intégristes ou terroristes (y compris
économiques).
Pour le camp de la possession ce n’est qu’hypocrisie, impuissance,
trahison;
Pour le camp de la Raison, c’est vertu, morale, recours aux
principes (formels), au droit sans lequel le monde ne serait que
chaos. Loi de droit contre loi de la jungle.
Voilà les deux logiques selon lesquelles, si on n’est
pas pris par la possession on pourrait comprendre la situation.
On voit bien que la seconde logique a raison de mettre en doute
la supposée morale de la possession mais aussi cette dernière
n’aurait-elle pas de bonnes raisons de critiquer l’hypocrisie
du camp de la Raison?
Il est vrai qu’au temps de l’âge des représentations,
cette dernière triomphait et il semblait n’y avoir comme
avenir que l’universalité de ses valeurs : démocratie,
droit, raison, sciences, idéaux, modèles…
Or toutes ces représentations ne sont pas Sens.
L’âge du Sens dévoile qu’elles peuvent prendre
n’importe quel Sens. C’est l’un des jeux d’ailleurs de la guerre
du Sens que d’employer les mêmes termes dans des Sens différents.
La démocratie selon l’administration Bush ou selon la "vieille
Europe" est-elle identique?
Seulement il y a encore d’autres Sens qui sont à l’oeuvre.
En rester à deux opposés et il est facile alors
de tomber dans la rivalité, victoire de la possession –
volonté de puissance – ou bien dans la raison hypocrite
qui se pose comme supérieure et volontiers "pédagogique",
certaine de savoir où est le bon droit.
Il y a encore en présence un autre Sens, celui de l’antihumanisme
radical qui fait des "lois de la nature des choses",
l’alpha et l’oméga. De la possession, l’animalisme naturaliste
le tenterait bien (défense de l’animal) mais la volonté
de puissance parle trop d’une hypothèse "humanité"
et donc d’une "pollution" de la vrai nature. S’allier
au rationalisme idéaliste, à la raison hypocrite
est alors bien tentant pour dénoncer la possession "qui
ne signe pas les accords de Kyoto".
Mais lorsqu’il y a de l’anti mondialisation, de l’anti américanisme,
de l’anti pouvoir, de l’anti loi hypocrite, c’est-à-dire
position de possession alors l’antihumanisme naturaliste s’y laisse
facilement embarqué.
D’un autre côté lorsque la Raison se veut plus
humaine que naturelle (scientifique), plus exigeante (scientifique)
que sentimentale alors c’est le lobby des puissances qui y est
dénoncé (ex: appel de Heidelberg, insultes à
l’académie des sciences…).
L’anti humanisme radical qui prône la renaturation comme
horizon c’est-à-dire la décivilisation massive,
utilise aussi bien le principe de précaution (paranoïaque)
que la loi de droit qui interdit, au nom de l’évidence,
de la science, etc. (la tendance totalitaire).
Que dit ce camp de la situation?
Il prépare la récolte, dénonciation des
pollueurs, dénonciation de ceux qui croient en l’humanisme
des lumières, recentration sur les peurs des temps préhistoriques,
archaïques. Recentrage sur le thème "la planète
est en danger à cause de l’homme" préparons
nous à d’autres guerres (de l’eau).
Raisonnements irrationnels, manouvres de possession manipulatrices.
Là où il n’y a pas de discernement du Sens même
négation du Sens humain du monde, tout est bon, sauf l’humain.
Obéissons à la Nature, rendons nous à l’évidence.
Cessons de croire à notre humanité et la paix viendra…
Enfin le quatrième Sens émergeant, est celui
du discernement des Sens – notamment des précédents,
parmi tous les Sens de l’homme. Là les mots ne sont pas
le Sens mais tentent de le véhiculer. Ce qui vaut ou non,
c’est le Sens, c’est-à-dire l’essence de l’homme mais aussi
la clé de son accomplissement ou de son échec. La
raison sert le Sens mais ne le dit pas aussi, pouvant servir n’importe
quel Sens, elle ne peut être critère du bien à
elle seule.
Le meilleur des Sens est toujours celui, en chaque situation,
par lequel les hommes gagnent en discernement (des Sens) donc
en liberté, en autonomie, en maîtrise, en responsabilité…
Alors le bien de l’homme c’est de trouver et cultiver ce Sens
là. C’est de former des communautés de Sens pour
ce faire s’y plaçant alors dans le Sens du bien commun.
C’est de s’engager dans le service du meilleur Sens des autres,
personnes et communautés. C’est donc le service de la maîtrise
de l’humanité en chacun et en tous.
Ce qui n’est pas bien c’est ce qui s’en détourne ou
s’y oppose.
C’est pour cela que les Sens ne se valent pas tous, ont leur
propre logique, leur propre cohérence, leur propre modèle,
leur propre jugement, leur propre méthode, leurs propres
valeurs.
Tous sont aveugles à la possibilité d’autres
Sens et sont donc enfermés dans leur logique propre, sauf
le Sens ici pointé.
Ce Sens est celui du discernement (des Sens), de l’entendement
donc et aussi de l’engagement, de l’autonomie responsable, de
la maîtrise de service.
Dans la guerre du Sens, il dispose de "l’arme" la
plus performante : le discernement mais cette arme ne tue pas
elle vivifie, elle rend libre. Elle ne porte néanmoins
que par le conSensus qui sera entraîné par la détermination
de ceux qui se tiennent dans le meilleur Sens.
En chaque situation rechercher le meilleur Sens, en chaque
homme reconnaître tous les Sens de l’humanité, en
chaque communauté rechercher le Sens du bien commun…
C’est dans les petites choses, les affaires communes, que se nourrit
le meilleur Sens et que se gagne la guerre du Sens. C’est dans
les grandes choses que cela se manifeste aux yeux de tous sauf
aux aveugles et à ceux qui n’entendent pas le Sens.
Travaillons-y.
Telle est la proposition de l’humanisme méthodologique.
* Textes illustrant ces quatre Sens
responsabilité