Communication crise et mutation
La communication est le terrain de la prolifération des représentations: images, discours, modèles, lois, idées, slogans. Meilleure et pire des choses elle médiatise le Sens et concoure aux affaires humaines ou elle déjoue le Sens et s’abîme en vanités. Le temps est à la crise et comme toute crise elle peut être salutaire en débouchant sur un dépassement inattendu.
I – INTRODUCTION
Gutemberg, c’est l’explosion de l’écrit et d’une transmission indéfinie des références culturelles qui donne bientôt à la Raison l’espace dans lequel, elle se doit d’être maîtresse.
Les affaires essentielles se traitent par écrit : constitution, droit, sciences, littérature, religion, administration, contrats, projets, plans… Les réalisations concrètes sont régies par les règles de l’écrit ou bien elles restent au niveau d’échanges plus primaires où les signes ne valent plus pour ce qu’ils représentent mais pour leur effet. L’effet de la communication vient toujours en concurrence avec la maîtrise quasi juridique des échanges et des règles collectives qui établissent la vie de la cité. A un stade primaire cet "effet" de la communication est le seul critère qui en fait une opération agissante. Si d’ailleurs on cherche un impact fort alors il faut toucher aux soubassements affectifs, à l’archaïque de l’homme.
Entre une communication rationalisante et qui tend, grâce à l’écrit, à dessiner les cadres et les règles de la vie collective et des fonctionnements humains et, par ailleurs, une communication efficace dont l’opérationalité va chercher du côté des affects les moyens de son efficacité, le dilemme est exacerbé par le temps de l’image, celui où les moyens de communication ouvrent à une très large diffusion.
Cette deuxième révolution que nous connaissons nous a amené à découvrir la puissance de l’image par son impact affectif et donc sa grande efficacité. Du même coup on a pu craindre que l’écrit en soit atteint, notamment au niveau de la presse. Il semble en première analyse que ce ne soit pas le cas. Or en seconde analyse, on s’aperçoit que l’écrit lui-même semble être voué aux lois de l’image. La rigueur du raisonnement est battue en brèche par le jeu des signes qui font image, condition de leur impact affectif.
Dès lors, la communication par l’image intègre en grande partie l’écrit. Diverses "écritures" (musicales, esthétiques, etc) se vouent au règne de l’effet. Faire de l’effet est clé de l’efficacité à tel point que les mesures d’impact sont souvent les seules qui intéressent les grands communicateurs.
Quant à l’efficacité réelle sur les gens, notamment à moyen et long terme, elle est rejetée hors du champ d’analyse.
Il n’est pas surprenant alors que l’audience des "médias" se joue sur l’impact des images, "le choc des photos", et que les professions de communication cherchent leur mesure dans cet effet. La réalité, "l’actualité", les règles et les affaires de la cité ou celles des entreprises sont subordonnées aux "effets d’image", la vérité soumise à la mesure d’impact dans l’opinion. Ce phénomène d’évolution de la communication entraîne la substitution des moyens aux fins.
L’utilité sociale, l’efficacité à terme étant négligées alors ce sont les médias et les représentations qu’ils fabriquent, qui prennent le devant de la scène. Nous en sommes à l’ère des vanités. L’engagement du devenir commun étant hors jeu, alors la communication devient vaine, alors elle est le théâtre de tous les assauts des vanités. Publicité, politique spectacle mais aussi tous les espaces de la vie sociale sont soumis à la pression d’un "bien communiquer" dont les règles en arrivent à éliminer l’essentiel au profit de l’effet produit.
Or, de cet "assaut des vanités", les moyens modernes de communication multiplient les possibles. La prolifération des images est énorme à tel point qu’elles deviennent le champ de toutes les surenchères. Surenchère d’effets, flash, scoop, messages hyper courts, multiplication et morcellement du discours en effets d’images, éclatement des signes dont chacun, isolé, doit être investi de la plus grande force d’impact. Ce caractère proliférant des signes et des images en diminue paradoxalement l’effet pour le spectateur hyper sollicité et qui en est de plus en plus passivé. La passion excessive passive et il faut encore plus d’images et d’effets. Toute une profession est engagée dans cette course où la compétition fait rage et les appels à la raison, au "mieux disant culturel", à l’éthique, à la responsabilité semblent avoir peu d’effet. Ils interviennent radicalement à contre Sens des critères de l’efficacité médiatique et communicationnelle.
Alors le "trafic des images" devient nécessaire. La puissance de cette communication associée à la vanité de ses effets conduit, au nom d’une certaine efficacité à toutes les manipulations. Manipulations des représentations mentales par les affects. L’espace créé par les médias de l’image, incluant l’écrit-image tend à s’imposer comme "espace imaginaire" collectif. Il constitue un territoire où toutes les rivalités se jouent , où toutes les guerres sont possibles.
Voyons comment les médias sont devenus l’arme majeure de puissances diverses, guerre du Golfe, Roumanie, Greenpeace, terrorisme. Les armes et les bombes sont médiatiques, les trafics aussi. Cette vision quelque peu catastrophique des médias est encore en dessous de la vérité non seulement pour la façon dont sont construites les images servies au public mais malheureusement aussi par les effets produits en termes de perte de discernement pour la collectivité et tous ses acteurs.
Pour combien de responsables l’impact prime-t-il sur l’efficacité véritable? Combien ont abandonné le traitement des problèmes réels pour le traitement de leur image. Combien de lois, par exemple jouent plus sur l’effet immédiat que sur l’efficacité médiate. A terme la prolifération et le trafic des représentations semblent incontournables.
Cependant, il reste encore des responsables. Il reste encore des professionnels dont les critères sont liés au réel, au devenir, au bien commun. Il leur arrive alors de se méfier de la communication dont ils ont besoin pour partager et engager leurs actions.
Il est des professionnels qui de l’image veulent faire aussi un langage et, comme tel, le mettre au service de Raisons citoyennes.
Connaissances, pédagogie, culture, compréhension mutuelle, mémoire enseignante, témoignages enrichis, sont autant de projets entrepris. Il ne semble pas que l’audimat soit alors l’instrument pertinent de mesure sur l’échelle de valeur qui remet les moyens au service des fins. L’efficacité est rendue médiate dans un cheminement et non pas immédiate comme par un coup donné.
Il y a là tout un effort qui puise dans les valeurs de rationalité, les moyens de dépassement respectueux de l’écrit par l’image.
Se dessine alors un paysage en tout point semblable à la révolution Gutemberg. Les règles et représentations de la cité vont trouver un nouvel essor, comme avec le livre, c’est l’annonce du multimédia .
A la place du texte simple, linéaire, un support d’images, de sons, de textes assorti de moyens d’accès variés, différenciés sinon interactifs. A la place du discours verbal, un système de représentations complexes enrichi. A la place du couple éditeur-libraire d’immenses réseaux interconnectés où résident ensemble émetteurs et récepteurs, ressources et consommations. De nombreuses perspectives en sont dessinées qui presque toujours transposent dans ce nouvel espace des représentations les enjeux de la Raison dont les lumières, après avoir emprunté la voie du livre et de textes largement répandus, accèdent heureusement au multimédia.
Or, c’est là une erreur de vision et de prospective. L’enjeu du temps présent est le dépassement des représentations. Après une ère des représentations où la communication des images s’est crue reine, vient une ère du Sens où les représentations deviennent servantes.
La communication ne trouve plus sa fin dans un effet de représentations mais dans un effet de Sens.
Les représentations médiatisent le Sens et le Sens est l’essentiel pour l’humain, dans la personne, dans la communauté. Le Bien personnel, le Bien commun n’est pas un état mais un devenir, il n’est pas un ordre mais un accomplissement de liberté, d’autonomie, de maîtrise et de responsabilité.
Alors toute la communication est à repenser pour en venir à l’essentiel.
Communiquer, c’est faire partager un Sens :
signification, commune et compréhension mutuelle
orientations et horizons désirables,
engagements et projets concourants.
Pour faire partager un Sens, la communication utilise des médiations inhérentes à l’expérience humaine, les représentations en sont une, éminente, mais pas la seule. L’un des bénéfices de la crise des représentations et de la prolifération de l’image, c’est d’en avoir disqualifié la suffisance. Ni l’écrit, ni l’image ne suffisent, toutes les dimensions de l’expérience humaine médiatisent le Sens.
Les affects médiatisent le Sens.
Les faits médiatisent le Sens.
Les représentations médiatisent le Sens.
En définitive se sont les situations vécues, elles-mêmes qui médiatisent le Sens.
C’est pourquoi la compréhension courante du phénomène multimédia est pauvre tant qu’elle reste enfermée dans l’ordre des représentations (régi par la raison). Il y a une autre façon de le comprendre, c’est comme une ouverture vers une "médiation intégrale" , c’est à dire une multi médiation qui intègre les différents plans de l’expérience humaine comme voie d’accès au Sens.
La "médiation intégrale" trouvera dans le concept de multimédia une approche d’une autre conception de la communication au seuil de l’ère du Sens. Ceux qui annonçaient que nous entrions dans une ère de la communication se sont lourdement trompé en ne faisant qu’extrapoler une nouvelle maîtrise des représentations, avec l’image notamment.
Par contre ont vu juste ceux qui ont deviné l’importance primordiale de la communication comme vecteur d’engagement dans un devenir commun. Mais alors, il s’agit d’une nouvelle ère avec l’âge du Sens et il s’agit d’une révolution copernicienne et pas seulement d’un changement de degré. C’est cela une mutation, un pas en avant qui transforme radicalement tout le paysage.
Ce n’est pas la règle du "encore plus de communication" qui annonce l’avenir mais celle d’un "communiquer autrement" avec le Sens comme enjeu, retour à l’essentiel à la place des vanités dont l’effet est vain.
Il faut donc maintenant dessiner ce qui devient la communication à l’âge du Sens qui s’annonce avec, de partout, l’émergence des questions de Sens. Il est patent d’ailleurs que les questions de Sens touchent et visent l’essentiel en contrepoint de la superficialité extrême des vanités. La profondeur prime sur la surface, le Sens sur la Raison, les fins sur les médias, le devenir commun sur la gestion d’état, l’engagement collectif sur le jeu des séductions réciproques.
A l’âge du Sens, la communication se fait virtuelle. C’est le concept majeur mais, comme toujours, il faut le dégager de sa gangue.
En voici une première lecture :
Par la "médiation intégrale" des différents plans de l’expérience humaine, c’est le Sens qui se trouve véhiculé, transmis, partagé. L’engagement commun en est l’effet et cet engagement se trouve traduit en actions, réalisations, progressions, activités, entreprises, projets, développements, accomplissements… La communication en est comme une préfiguration, elle en porte les virtualités parce qu’elle en porte le Sens afin qu’il s’actualise.
La communication est virtuelle par essence dans la mesure où elle propose et se propose de tels effets et dans la mesure où ces virtualités sont toutes concentrées dans le Sens qu’elle médiatise.
Alors la communication est vecteur virtuel de valeurs, Sens et vertus engageant les hommes dans leur devenir.
Alors toute communication doit être considérée comme virtuelle même lorsqu’elle dispose de médiations pauvres, par exemple réduites aux représentations, fussent-elles images.
Alors, toute communication virtuelle s’enrichit d’une médiation intégrale en considérant toujours l’intégralité de la situation comme communicante. Même avec un discours abstrait, les conditions factuelles et affectives de la situation peuvent concourir à la médiation du Sens.
La cohérence en est bien sûr une condition. Il est clair qu’une médiation intégrale dont les différents plans véhiculerait des Sens divergents, aurait des effets morcelants, cacophoniques et, au bout du compte, passivants et destructeurs. C’est trop souvent le cas lorsque la focalisation sur les média occulte la question du Sens et obère toute maîtrise des virtualités de la communication. De là une certaine vanité qui traduit l’ignorance et l’absence totale de maîtrise du phénomène humain de la communication et de ses enjeux. C’est aussi, il est vrai, une question de civilisation, une question de maturité humaine.
Après l’âge de la Raison, vient l’âge du Sens. En chaque chose, il s’agit maintenant de discerner le Sens, de choisir le Sens (le meilleur) et de s’engager ensemble dans le Sens choisi. Tels sont les grands principes à l’âge du Sens dans lequel nous entrons.
Les critères de l’action y sont :
Pertinence, c’est la question du juste Sens
Cohérence, c’est la question de l’unité de Sens des moyens et médiations,
Performance, c’est la question de l’efficacité relative au Sens engagé, c’est-à-dire selon une certaine rationalité (ratio).
La clé, c’est le Sens. L’action est toute entière conditionnée par la médiation du Sens. L’action humaine est alors communication virtuelle.
Tout un nouveau champ de connaissances et de pratiques doit être alors ouvert répondant par exemple aux questions suivantes :
Qu’est-ce que le Sens ?
Que sont les Sens pour l’homme ?
Comment se discernent et s’élucident les Sens des choses, des situations, des projets et de toutes les affaires humaines ?
Quels Sens choisir, selon quels critères du Bien humain ?
Comment avancer dans le Sens choisi et le faire partager ?
La théorie des Cohérences Humaines répond à toutes ces questions et bien d’autres où puiser concepts, éclairages, méthodes, pratiques pour l’âge du Sens annoncé et pour la communication virtuelle, si importante alors.
Partout le Sens se révèle l’essentiel, en politique, en économie, comme lien social, dans l’art, les cultures, la connaissance, l’éthique et l’action. Le religieux, le spirituel annoncés par Malraux comme devant prendre grande importance au 21 siècle sont aussi questions de Sens. Par le Sens, l’homme relie l’essentiel et le quotidien, le personnel et le culturel, l’individuel et le collectif, la pensée et l’action, le passé et le futur, le court terme et le long terme. Alors tous les enjeux sont des enjeux de Sens et les affaires humaines en sont le théâtre et le support.
La communication virtuelle, médiatrice intégrale du Sens y prend la place de l’action humaine, réalisatrice et révélatrice. Si ce sont les horizons philosophiques, spirituels, existentiels qui sont là en question, ils sont, à l’âge du Sens, en jeu dans le devenir de chaque communauté humaine et de chaque personne dans la communauté. Ils ne le sont pas autrement qu’au travers des affaires de la cité et celles des individus. La communication y trouve alors sa vocation pleinement humaine, celle d’être virtuelle, traductrice des intentions humaines et, par leurs Sens, de leurs vertus et virtualités.
L’étymologie du terme de virtuel y déploie toute sa puissance, à l’encontre d’une interprétation par trop superficielle qui n’y verrait que le jeu des artifices et que machination technologique aux fins suspectes.
Si la communication virtuelle peut aussi servir les pires fins humains rien ne permet d’échapper à la question du "meilleur Sens" dès lors que l’on a consenti à considérer l’essentiel au-delà des apparences médiatrices.
Il reste à mieux connaître ce qu’est la communication virtuelle au seuil de cette mutation dont l’Histoire n’est d’ailleurs pas sans traces à retrouver.
II – QUELQUES VERTUS DE LA COMMUNICATION VIRTUELLE
Elle est le "vecteur virtuel" de valeurs, Sens et vertus à partager
En cela elle est l’action même lorsque celle-ci vise au mouvement d’ensemble d’une communauté vers ses meilleurs enjeux. Communauté de travail dans une entreprise, communauté de développement d’une région, communauté éducative à l’école ou dans la cité, etc.
Elle constitue et cultive le lien social
Comme le montre la théorie des Cohérences Humaines, le lien social est Sens (Con-Sensus). La communication virtuelle est donc une façon de nouer ce lien et de l’exprimer. C’est l’instrument majeur de l’intégration et de la culture.
Elle sollicite le Sens des autres pour favoriser un engagement dans un Sens partagé.
Voilà une autre manière de souligner la vertu unifiante et pacifiante de la communication virtuelle dans la mesure où elle mobilise plus dans un engagement commun que dans un face à face duel qui hésite entre conflit et séduction ou bien dans une abstraction commune qui nie originalité, différence et au bout du compte l’essentialité humaine des enjeux collectifs.
Elle met en scène des "stratégies existentielles" et pour cela engage les personnes et les groupes sur le terrain de leurs modes d’existence au travers des modalités mêmes de cette existence, en situation. L’artifice y est art de faire et non acte ex-centrique.
Elle utilise la "médiation intégrale" de l’expérience.
Par cela, elle touche tout l’homme et ne le réduit pas à l’une ou l’autre de ses dimensions ou encore ne le clive pas en séparant par exemple affectivité et rationalité, ou bien imaginaire et faits. En cela, elle est intégratrice pour les personnes.
Elle est génératrice d’engagement, de changement ou d’évolution collectifs.
Dès lors la communication virtuelle retrouve les finalités les plus essentielles et devient le vecteur qui les sert au mieux. C’est le moyen privilégié de l’action dans le contexte collectif où, travaillant sur l’essentiel, elle en assume les exigences.
Elle généralise la pratique des homologies jusqu’à reconnaître le caractère de "réalité virtuelle" des réalisations humaines.
Par là, elle transforme notre rapport à la réalité pour nous en rendre plus responsable et favoriser ainsi la maîtrise de l’existence individuelle et collective. Le concept d’homologie peut être compris en première approche comme le "message" en tant qu’il porte le Sens même de ce qu’il provoque ou de ce qui le provoque. C’est par homologie que le message est porteur de Sens. C’est là tout l’enjeu de la communication virtuelle. La gestion des réalités virtuelles, alors posée, inscrit toute réalité dans l’ordre de la communication virtuelle, il faudra l’aborder un peu plus loin.
Elle intègre et relativise l’ensemble des moyens traditionnels et modernes de communication
Depuis les rituels, liturgies, chants, palabres, transmissions orales, tout l’art de la rhétorique, du discours jusqu’au livre et aux moyens électroniques en pleine expansion, rien n’est exclu par la communication virtuelle. Au contraire, tout concoure à construire "les situations communicantes" rassemblant les connaissances et les apports spécifiques des uns et des autres. Cette vertu intégrative les relativise tous à cette fin commune où ils jouent pleinement leur rôle de moyens. Cela peut déboucher aussi bien sur plus de complexité ou plus de simplicité, le critère d’évaluation étant la "médiation intégrale".
III – LA MEDIATION INTEGRALE, UN PROGRES DANS LA MAITRISE DES MEDIATIONS
Cette analyse s’appuie sur la théorie de l’évolution établie dans le cadre de la théorie des Cohérences Humaines. Elle montre que chaque plan de l’existence est successivement vécu et relativement maîtrisé pour avancer dans une intégration progressive de l’expérience existentielle. Celle-ci est corrélative d’un accomplissement dans le Sens propre aux vocations spécifiques des hommes ou de leurs communautés ou institutions. Chaque plan est donc une phase où se cultive un type de maîtrise nouveau mais où des "dérapages" peuvent voir le jour.
1 – Phase archaïque
Le médium du Sens est l’affect et c’est par les sentiments que la communication s’établit, c’est le stade de la communication émotionnelle. L’effet réactionnel qu’elle provoque entraîne un risque de passivité et d’aliénation, paradoxalement anesthésiant alors qu’elle est aussi un puissant ressort mobilisateur. Encore faut-il la considérer comme un moyen et pas comme une fin. Tout le problème à ce stade est la difficulté de discernement du Sens là où c’est surtout la confusion qui risque de régner.
2 – Phase objective
Le médium du Sens est le fait. C’est par les actes habituels et par le répétitif des rituels que la communication s’établit, factuellement. C’est le stade de la communication événementielle contrôlée par l’organisation objective des comportements collectifs. L’effet comportemental d’une communication événementielle mal comprise entraîne un risque d’agitation au lieu d’un effet de discipline éducatrice. Lorsque l’ordre des fins et des moyens est clairement différencié alors la communication événementielle permet d’intégrer la dimension émotionnelle en l’investissant dans des comportements objectivement utiles. Elle peut aussi être détournée et se donner alors comme fin l’effet émotionnel (plaisir, angoisse, crainte, haine, emballements, etc…).
3 – Phase rationnelle
Le médium du Sens est alors la représentation mentale par le biais des langages discursifs maîtrisés par la Raison et dans lesquels s’insère l’image lorsqu’elle a acquis la souplesse de production suffisante notamment avec les techniques électroniques. La communication est alors référentielle et son effet est identificatoire tant en ce qui concerne les individus que l’ordre social et la réalité environnante. Toutes les productions intellectuelles trouvent à s’y projeter pour être alors partagées. L’espace des représentations est devenu le champ avancé de notre civilisation sous le régime de la Raison, jusqu’à l’arrivée de cette crise des représentations que nous vivons maintenant. Cette crise montre d’une part que l’évolution ne s’achève pas là et d’autre part que cette avancée n’empêche pas tous les égarements et, en particulier, un usage régressif des représentations. C’est ce que nous avons évoqué au début avec l’image.
Déjà en butte à une idéologisation, une abstraction qui coupe les représentations des faits, la communication référentielle s’abîme dans les vanités lorsqu’elle perd ses références au lieu de les dépasser.
4 – Phase majeure
Le Sens est médiatisé par les relations humaines en situation. C’est là que les trois plans précédents se trouvent intégrés dans une communication virtuelle dont l’effet est d’engagement . A l’âge du Sens, la "situation communiquante" est médiatrice du Sens, visant au ConSensus, produisant d’autres situations à leur tour médiatrices de Sens. La responsabilité et l’enjeu de la communication portent sur le Sens, pour un engagement essentiel, par une participation existentielle. Il est alors tout à fait possible, dans une situation de communication, de privilégier l’un ou l’autre des plans précédents à condition de ne pas l’isoler. Il est possible ainsi d’enrichir toute l’expérience de la communication avec les concepts de communication virtuelle et de médiation intégrale. Alors toute la capitalisation d’expériences, de pratiques et de ressources d’images et de textes vont trouver là une nouvelle valeur.
IV – APPLICATIONS DE LA COMMUNICATION VITUELLE
Il y a là une explosion du champ de la communication. Tout ce qui engage l’homme vis-à-vis de lui même, vis-à-vis des autres, et ce qui engage les communautés humaines relève d’un moyen d’action : la communication virtuelle.
Il ne s’agit plus alors d’opérations de communication accompagnant ou soutenant l’action mais de communication virtuelle comme moyen d’action.
Prenons quelques exemples forts :
Le politique. L’essentiel du rôle et de l’action des hommes politiques se justifie par l’engagement de la communauté dans le meilleur Sens. Le jeu démocratique, les affaires du développement, les politiques publiques, l’action sur les problèmes de société, la politique étrangère… relèvent tous de la communication virtuelle. Celle-ci emprunte les scènes institutionnelles mais d’autres scènes sont possibles notamment dans l’action "macro-pédagogique" à l’échelle de toute une communauté.
Les dirigeants. A l’âge du Sens ils ont un rôle responsable : donner le Sens. Il faut du discernement et de la détermination pour choisir et tenir le meilleur Sens. Mais ensuite la communication virtuelle est indispensable pour le faire partager et engager la communauté dans ce Sens. Cela correspond tout à fait à la définition de ses enjeux, non pas l’effet, non pas la représentation, mais l’engagement collectif.
Le management . La plupart des artifices du management relèvent de la communication virtuelle au travers de moments ou de scènes signifiantes. Une simple réunion de travail relève de la communication virtuelle eu égard à ses fins. Simulations financières, états comptables, procédures formelles, management de projets, changements, formation, recrutement, relèvent de la communication virtuelle.
Les institutions, par les dispositions qu’elles prennent, font de la communication virtuelle. Les médias font de la communication virtuelle, les entreprises, les églises, les associations, les écoles font de la communication virtuelle. En fait, nous faisons tous de la communication virtuelle sans le savoir. Mais le savoir change tout, non seulement pour comprendre et interpréter les communications virtuelles qui nous sollicitent de partout mais aussi pour apprendre à les maîtriser.
Il y a là un enjeu de recherche fondamentale et de recherche appliquée considérable et ce dans les domaines et les métiers existants mais aussi ceux qui vont se révéler à l’avenir autour des compétences nécessaires.
V – METHODOLOGIE DE LA COMMUNICATION VIRTUELLE
Il s’agit là, bien sur, de quelques aperçus pour montrer les conditions de maîtrise de la communication virtuelle.
Il y a trois types de conditions qui doivent être successivement assurées :
Les conditions de pertinence
Les conditions de cohérence
Les conditions de performance.
L’évaluation de la communication virtuelle vient en définitive pour en apprécier et mesurer l’efficience selon ces trois mêmes critères.
1 – Les conditions de pertinence
Elles visent à ce que le juste Sens soit véhiculé par la communication. C’est ce qui en détermine les vertus à partir des potentialités humaines mobilisées. Toute erreur de Sens fait défaillir les communications d’où les deux étapes méthodologiques :
La centration pour répondre aux questions : qui communique à qui, à propos de quoi, pourquoi ?
L’élucidation, après la centration un travail de discernement est nécessaire pour repérer le meilleur Sens possible celui qui sous-tend l’intention initiale, celui qui est recevable par les destinataires, celui du projet et des enjeux de communication. Cela doit être un seul et même Sens.
Toutes sortes de moyens nouveaux sont fournis pour cela par la théorie des Cohérences Humaines (analyses cohérencielles, analyses figuratives, analyses de cohérences, cartes de cohérences, etc…).
Les conditions de pertinence sont d’autant plus appréciables que l’on imagine leurs défaillance. Contre Sens, malentendus, incompréhensions, oppositions, insignifiances, ambiguïtés et enfin perte de Sens, inquiétudes, conflits…
2 – Les conditions de cohérence
La décision de Sens
La première condition est d’assurer l’unité de Sens. Il s’agit donc de l’acte d’autorité et de responsabilité décisive qui consiste à donner le Sens. Après toutes les investigations et les ajustements nécessaires vient un temps où le Sens doit être fixé. C’est un acte humain qui suppose une certaine liberté, une certaine maîtrise, une certaine maturité. Il y a alors a en incarner le repère, c’est le rôle dirigeant par excellence.
La conception stratégique
La seconde condition de cohérence consiste en ce que toutes les modalités de la communication virtuelle aillent dans le même Sens. Cette unité de Sens doit se retrouver entre les différents plans de la médiation intégrale mais aussi entre les différentes parties qui composent chacun. Le médium et le message bien sur mais aussi le moment, les langages, la structure des rôles, les moyens matériels, le contexte, etc… Tout cela doit être cohérent. Tous ces aspects sont homologues (même Sens). Le moyen d’assumer cette cohérence est de concevoir globalement la stratégie de communication virtuelle. Il s’agit d’une stratégie situationnelle que l’on peut élaborer à partir du Sens choisi et des conditions du contexte. La pratique de la créativité générative est pour cela d’un grand secours en permettant d’éviter des juxtapositions, hasardeuses sur le plan du Sens, et de mettre en péril la pertinence de la communication.
3 – Les conditions de performance
Elles sont bien mieux connues. Il y a d’abord la programmation pour assurer le développement des moyens dans le temps. L’orchestration ou maîtrise d’oeuvre est indispensable pour assurer la performance de montages complexes dont les articulations sont porteuses de Sens aussi bien que les contenus.
La réalisation
C’est la conduite d’un processus évolutif qui fait appel à diverses spécialités. C’est là que les techniques et les compétences associées trouvent leur utilité véritable. Il est évident que ces conditions de performance dépendent des précédentes. C’est là qu’est la nouveauté radicale dans la pratique de la communication virtuelle qui permet de viser des enjeux plus ambitieux, plus subtils, plus profonds et plus durables.
L’évaluation et le contrôle de pertinence, de cohérence et de performance sont les moyens, non seulement d’assurer l’efficience, mais aussi de progresser dans la maîtrise de la communication virtuelle.
VI – CONCLUSION : LE TEMPS DES REALITES VIRTUELLES
La prolifération des images, le jeu des apparences, les dérives des représentations laissent planer un doute quant au statut de la réalité. Y aurait-il une réalité véritable et un semblant, faux évidemment, entre une fiction réalisée et une réalité fantasmée. Cette ambiguïté repose sur le même socle que celui qui définit la vérité d’un discours, d’une image, d’une représentation, par son identité formelle avec la réalité concrète, donnée comme critère de certitude.
Or l’épistémologie montre comment nos représentations interviennent dans l’appréhension même de cette réalité concrète. Pour la théorie des Cohérences Humaines, elles constituent elles-mêmes un des plans de la réalité.
Par ailleurs, l’âge du Sens renvoie le critère de vérité du côté de la justesse du Sens et non pas de l’identité formelle qui, en la matière, ne prouve rien quant à la vérité.
Ces considérations amènent à se saisir du faux dilemme virtuel-réel d’une façon inattendue évacuant du même coup divers jeux pervers dont nous abreuvent les expériences dites de réalités virtuelles comme si elles nous exonéraient de notre responsabilité de Sens, comme si elles nous libéraient d’une réalité contraignante.
La réalité est acte humain de réalisation des Sens, notamment par les sens mais aussi sous le mode des affects, de la raison, des images. La réalité réalise et révèle le Sens humain qui y est investi, c’est en cela qu’elle est virtuelle.
La communication virtuelle intervient dans le champ des réalités virtuelles qui sont les nôtres parce qu’elles sont humaines et parce qu’elles sont le terrain et le théâtre même de nos existences, de nos projets, de notre devenir et de nos accomplissements. Elle y joue le rôle de partage du Sens (Con-Sensus) qui n’est rien d’autres que la source de toute réalisation. La communication virtuelle réalise et transforme les réalités humaines. Elle est parole en acte.
Considérons cela au travers d’une entreprise. Celle-ci est une réalité virtuelle qui ne vaut et n’existe que par le Sens humain qui s’y actualise. L’entreprise se constitue et se développe par l’oeuvre de communication virtuelle qui rassemble et engage la communauté de travail. Elle est aussi acte de communication virtuelle dans la mesure où elle agit sur le monde, ne serait-ce que pour servir la communauté ce qui suppose d’être vecteur de Sens, par le biais de ses produits par exemple, les fameux "biens et services" produits.
Toute institution politique, religieuse, associative, éducative est une réalité virtuelle réalisée par communication virtuelle et devenue, à sont tour, acte de communication virtuelle.
Il en est jusque aux situations existentielles que nous vivons. La famille, l’habitation, nos activités et même nos connaissances sont des réalités virtuelles, c’est-à-dire vouée aux fins humaines (Sens). Elles sont l’oeuvre d’une communication virtuelle, ne serait-ce que par le travail culturel de consensus qui les réalise, et, enfin, acte de communication virtuelle dans la mesure où elles servent les fins humaines.
Cet aperçu est, bien sûr, d’un tout autre ordre, d’un tout autre enjeu que les extrapolations prospectives d’un âge des représentations qui déjà valorisaient la communication. L’âge du Sens est le fruit d’une mutation, révolution copernicienne largement engagée.
Si cela dessine un monde entièrement à bâtir au troisième millénaire, s’en trouve aussi éclairée une actualité où ce changement est déjà à l’oeuvre.
Le temps des réalités virtuelles n’est pas pour demain. La communication virtuelle est celle du temps présent.
Si elle préfigure un nouvel âge de l’humanité, elle est déjà engagée dans la trivialité des affaires humaines et offre de formidables alternatives dans l’actualité aux impasses de nos images et représentations défaillantes.