Les villes du cybermonde

On parle de villes numériques, cependant qui veut être numérisé? Certainement pas les habitants. Alors quelle vision, quelle perspective peut soutenir un projet d’avenir pour des villes avancées. Comment envisager l’emploi des nouvelles technologies pour participer au réseau des villes du futur à l’échelle européenne et même mondiale. Restera-t-on à la traine ou y mettra-t-on quelque génie propre du type de ceux que l’on n’a pas beaucoup montré jusqu’ici?

Les termes

Il y a un problème avec le terme “numérique” qui n’est pas objet d’expérience et de connaissance populaire ainsi que pour la plupart des acteurs. De ce fait “numérique” n’est qu’évocateur comme le “numéro de sécurité sociale” qui identifie l’homme.

Numériser est une affaire de spécialistes réduisant leurs enjeux à un aspect technologique important mais qui ne dit rien de ces enjeux de même que les casses des imprimeurs n’identifient pas la littérature. Pourquoi ne pas parler des villes “goudronnées” ou des villes “automobiles” prenant l’accessoire pour le tout, métonymie qui n’est pas sans signification.

Comme avec la “réalité virtuelle” on s’est ici beaucoup soucié d’univers machiniques morcelés comme rendant la matière animée. C’est bien une mythologie implicite de cet ordre qui fait que le nombre, quintessence de la matière, se ferait principe de vie grâce à l’homme démiurge. La ville numérique serait la ville accédant à un autre état d’Etre ayant réduit le qualitatif, l’analogique, le subjectif aux jeux des flux déterministes et aléatoires des bits.

Il faut donc se presser de trouver un autre vocable pour dire le projet, l’ambition, la promesse (devenir numérique ?? !!…).

Pour cela le projet doit être ébauché suffisamment pour dire Sens et horizons partageables.

Essai d’identification d’un projet

Pour une ville c’est un mode de projection dans le futur, de préparation et de partage d’une vision des possibles et des souhaitables, projective donc. Par ce fait elle veut “participer” à une aventure, une grande aventure qui touche toute la planète, en être, y prendre part, même une part modeste.

C’est donc “faire partie” d’un moment émergent, d’une communauté d’aventure des villes du monde, être dans le coup, partie prenante. Quelle aventure ? Une refondation de l’idée même de la Ville.

Elle est le lieu du lien, lieu d’urbanité, mais ce lien est en passe d’être profondément transformé. Relation de proximité à distance il permettra de tisser de nouveaux modes d’organisation collective, activités économiques, sociales, politiques, services. Les “technologies” rapprochent considérablement les hommes tout en maintenant la distance qui évite de ces fusions confusionnelles.

Toutes les activités humaines sont concernées et une formidable recomposition est amorcée. L’automobile avait familiarisé avec cette idée de recomposition des territoires, modes de vie, activités. C’est maintenant au centuple que celle qui vient prépare le futur.

Qu’en espérer? Peut -être dépasser certains maux de la “civilisation industrielle” et notamment les déséquilibres d’habitation du territoire. Sûrement inventer des solutions plaisantes à des problèmes pas encore posés. L’on ne se pose les problèmes que lorsqu’on en pressent les solutions.

Il y a déjà là tout un foisonnement. Seulement ce qui est significatif doit être discerné et les observateurs n’ont pas toujours ce discernement. Il s’agit ici des “recompositions relationnelles” qui retissent les activités humaines dans tous les domaines et même à “courte distance”.

Des clés pour comprendre

Il faut pour cela trois termes:

– Éclairer ce qu’est une relation humaine (notion bien plus difficile qu’il n’apparaît, surtout à ceux qui ont peu de lumières en ces matières.

– Comprendre en quoi, à distance, peuvent se mener des “relations de proximité” par la multi-médiation et donc identifier les moyens et expériences significatives en la matière au lieu d’observer l’accessoire.

– Comprendre et concevoir de nouvelles recompositions en rapport direct avec les enjeux, les métiers, les rôles, les relations. Ces recompositions touchent aux entreprises et leurs organisations, aux métiers associés, aux systèmes éducatifs, aux services, à l’administration et à toutes les institutions collectives constituées autour de communautés de tous ordres.

Là peut-être envisagée une observation intelligente et donc aussi pédagogique. Un référentiel de valeurs pour évaluer ! Quelle nouveauté inattendue !

Les enjeux essentiels

A ce stade on pourrait croire que seul l’enthousiasme de la nouveauté, du changement justifierait un tel engagement, un tel engouement.

Si ce n’était que cela alors cherchons des solutions nouvelles aux problèmes anciens, jouons avec nos nouvelles trouvailles et attendons que les choses changent pour nous y adapter. Telle est l’attitude de beaucoup.

Mais il y a autre chose, c’est une promesse de progrès humain, la ville a quelque chose à y gagner en humanité.

Nous sommes là loin des expertises technologiques. Du quasi métaphysique, de l’impensable, un progrès d’humanité!

Problématique de la Ville

Alors là il faut avoir recours à des questions très nouvelles. Qu’est-ce qu’humainement une ville ?

En quoi peut-elle progresser, sur quel axe, avec quelles visées. Comment les moyens nouveaux peuvent y contribuer, le faciliter, le rendre faisable et désirable ? La technologie ne sait pas répondre à cela.

On va donner ici une réponse venue d’ailleurs, d’une anthropologie fondamentale.

Tout d’abord une ville est une communauté humaine singulière, à nulle autre pareille. Communauté de Sens, incarnés dans une culture, des murs et des espaces, une histoire aussi et pour cela même la possibilité de se penser en projet.

Les villes ont une origine, une histoire de fondation, extraordinaire ou plus ordinaire. La théorie des Cohérences culturelles montre qu’elles sont fondées sur une “problématique humaine” qui leur donne leur caractère, qualités et défauts. Les conjonctures de l’histoire et des temps leur donnent jour sous différentes formes où l’on retrouve une même personnalité aux prises avec des circonstances changeantes.

Une vocation s’y joue en épreuves et compétences, talents qui se trouvent et se perdent, régressions et progressions.

La ville en progrès

Voilà le progrès! Sur quelle échelle de valeurs, dans quelle direction?

Ici deux notions apparaissent, celle d’abord du Sens du bien commun.

C’est justement parmi tous ceux qui la fondent, le Sens par lequel la communauté accomplit son humanité, sa vocation. Ce Sens lui est propre mais il est commun à tous ceux qui participent à la communauté de Sens, qui s’y engagent en projets.

Laissant de côté les différentes complexités des communautés de communautés intra ou extra urbaines, on retiendra que le rayonnement de la ville, sa notoriété, son attractivité, son identité prometteuse y sont inscrit. Le Sens du bien commun est aussi celui à cultiver, celui d’une culture se faisant civilisation.

Nous voilà dans le bon Sens, reste la progression.

La même anthropologie nous parle, pour les hommes et communautés humaines, de différents âges, l’âge archaïque pulsionnel, l’âge primaire, celui du faire, l’âge des représentations mentales couronné par la Raison, l’âge du Sens qui connaît les fondements, assure ses orientations et engage l’avenir dans un Sens librement choisi pour être celui du devenir commun.

Cette progression est celle que l’on tendra à appeler un “empowerment”, capacité progressive de maîtrise collective de son destin par l’accomplissement d’une vocation, découverte, cultivée et assumée. C’est celle qui donne aux hommes le contexte communautaire de leur propre évolution, leur propre accomplissement dans l’engagement dans le Sens du bien commun.

La mutation de la ville

Nous voilà donc avec le Sens, la direction et les marches de progrès sur lesquels une communauté de Sens peut légitimement projeter son avenir.

Alors nous pouvons intégrer les différents aspects.

La “ville numérique” est une ville engagée dans une nouvelle étape d’humanité, une nouvelle phase historique dont nous vivons la mutation inaugurale.

Bien sûr tout est toujours en jeu, régressions et progressions, surtout en période de crise. Crise des représentations sur lesquelles notre civilisation à cru pouvoir fonder ses certitudes et ses plus hautes maîtrises. Crise de Sens au pied de laquelle cette même civilisation se trouve démunie. C’est justement la prochaine étape, celle aussi où s’interroge et s’éclaire le Sens de l’avenir, le Sens des projets pour les villes, le Sens des recompositions à venir, le Sens du phénomène technologique qui vient comme une nouvelle promesse dont il faut trouver la clé. La clé c’est le Sens et, pour la ville, le Sens du bien commun.

Nous revoilà avec des villes mondes, mondes à bâtir, villes mondes à interroger, villes du Monde auxquelles elles participent.

C’est cela qui dit l’enjeu, à entreprendre. Le nouveau c’est que ce n’est pas pour la ville un simple tableau idéal à réaliser mais une communauté à accomplir. L’empowerment communautaire en est le moyen et la fin à la fois. Voilà pourquoi la prégnance technologique est si forte, si troublante, si égarante. La fin et les moyens : l’empowerment communautaire! L’accomplissement d’une vocation, la culture d’une civilisation, le service de l’accomplissement des hommes!

Les axes du projet de ville.

Alors quel projet pour les “villes du futur”. Trois axes de travail complémentaires sont indispensables:

1) L’appropriation des usages courants des moyens technologiques, notamment sur le plan relationnel. Il importe qu’un nouvel apprentissage relationnel élémentaire soit développé (ce que font d’emblée les plus jeunes).

Pour cela le maniement des outils et la navigation dans des “espaces virtuels” réclame une familiarisation. C’est en effet l’appréhension pragmatique des “mondes virtuels” de la “réalité augmentée” qui conditionne la possibilité d’y prendre initiative et d’y projeter quoi que ce soit. Il y a là un chantier considérable qui malheureusement est resté inaperçu dans son essentiel faute d’intelligence des phénomènes associés: mondes virtuels, trames de relations humaines. C’est l’information et la communication qui sont restés l’horizon de beaucoup qui n’ont rien vu de la mutation de civilisation engagée sinon un aspect purement instrumental. Grand chantier pédagogique.

2) Le deuxième axe est celui de la constitution, l’animation et le développement de “communautés virtuelles”. La ville comme communauté virtuelle à animer dans l’espace étendu et aussi comme communauté de communautés virtuelles, carrefour à l’intersection aussi de communautés de tous ordres.

Repenser la vie communautaire dans l’espace virtuel (espace étendu) et les modes d’animation relève d’une gouvernance qui a peu à voir avec les fadaises et naïvetés portées par ce thème.

C’est toute la complexité des communautés humaines qu’il faut affronter et la spontanéité des histoires collectives.

Ainsi c’est la structure des rôles et des fonctions dans la cité qui est à repenser progressivement. Grand chantier de recherche action.

3) Le troisième axe est celui de la recomposition des activités humaines. On n‘a pas assez aperçu que les institutions, les organisations dépendaient d’une part des processus, des métiers, des méthodes qu’elles ont à assumer mais aussi des conditions matérielles (et culturelles) environnantes.

La transformation du contexte bouleverse les organisations et même les métiers et méthodes et, en retour, transforment l’environnement.

Il y a ainsi à repenser les organisations, les entreprises, les institutions autour de leurs activités et celles-ci, en fonction des métiers, doivent se redéployer dans des conditions nouvelles de réalité et de moyens étendus. Dans la cité ce sont les fonctions économiques, sociales, administratives, éducatives par exemple mais aussi ce qui concerne le soin, les services de tous ordres, les échanges et rencontres, etc… Il y a là un grand chantier d’expérimentation et d’innovation à développer.

Alors autour de ces trois axes on voit bien se profiler d’abord l’appropriation des nouveaux moyens et des nouvelles conditions créées par l’accès aux espaces virtuels étendus.

On voit bien comment une ville peut développer une urbanité virtuelle c’est-à-dire un art de vivre ensemble dans un monde qui s’est brusquement étendu à un espace nouveau où les conditions relationnelles sont tout à fait transformées, affranchies de certaines contraintes antérieures, comme un sixième continent.

La finalité

Mais qu’en est-il de l’empowerment?

Le risque serait de ne voir que le côté instrumental et à la limite banalisé des nouvelles possibilités. Un côté accessoire, bouleversant certes mais qui ne change rien sur le fond.

Or la mutation change quelque chose de la condition humaine et pas seulement des conditions environnantes et cela change tout.

C’est pour cela que le projet des villes pour le futur doit croiser l’appropriation de “savoirs exister ensemble” nouveaux et l’accomplissement d’une vocation singulière portée à une nouvelle étape d’humanité.

C’est par la manière propre de s’approprier les moyens et conditions nouvelles que la vocation originale de la ville peut s’accomplir.

Nous avons donc à cultiver de nouveaux moyens d’empowerment pour cultiver la vocation originale de la ville et lui faire atteindre dans cette voie un niveau d’empowerment collectif plus avancé.

Voilà la philosophie et les principes.

Un nom alternatif

Peut-on identifier cette ambition pour la nommer et remplacer les “villes numériques” par autre chose ?

Méthodologiquement on pourrait choisir entre:

– se focaliser sur le factuel les “nouveaux usages”,

– s’identifier à une image idéalisée d’une “nouvelle urbanité”,

– se centrer sur une perspective les “villes du cybermonde” évoquant un changement de civilisation.

Ce questionnement n’est pas une solution qu’il faut encore différer.

Les soubassements théoriques et conceptuels:

Théorie des Sens et cohérences humaines et ses corollaires:

– les communautés humaines

– les cohérences culturelles

– les évolutions humaines (les moyens)

– la mutation (seuil de maturescence)

– l’accomplissement individuel et collectif.

Méthodologie générale

Avant d’en venir à un projet programme ajustable à chaque situation, il est important de tracer une méthodologie générale dont on pourra s’inspirer.

1) Centrer l’ambition au niveau de vision possible et avec l’autorité décisionnelle nécessaire.

2) Analyser les cohérences culturelles. Découvrir le Sens du bien commun, la vocation originale, les valeurs et potentiels de la culture.

3) Concevoir un processus macropédagogique de gouvernance du projet, culturellement fondé, tenant compte des niveaux d’évolution, de conscience collective et visant la mobilisation et l’appropriation par les acteurs et les publics concernés.

4) Construire une stratégie pédagogique d’appropriation des nouveaux usages par les différents publics de la ville (pas simplement des coups dispersés).

5) Concevoir une stratégie de développement d’une “nouvelle urbanité” culturellement et conjoncturellement pertinente par le biais d’innovations sociales (animations collectives).

6) Concevoir un plan de développement et d’appropriation d’actions pilotes de reconfiguration d‘activités, de services, dans de multiples domaines.

7) Mise en place d’un dispositif de participation au réseau international d’enrichissement mutuel des villes du cybermonde.

Les soubassements praxéologiques

Ingénierie du Sens et des cohérences humaines

– Méthodes et techniques de discernement, de conception stratégique, de créativité générative, de conduite de processus collectifs d’appropriation active, conduite de projets.

– Macropédagogie, gouvernance, concertation démocratique, prospective opérationnelle, attractivité territoriale, tourisme des valeurs, projets de territoires, empowerment collectif.

En pratique:

– Repérer des villes et leur niveau de sensibilité au projet,

– Effectuer un travail de réajustement des visions existantes pour redéfinir un projet au niveau possible,

– Construire un projet cadre avec la méthodologie générale en fonction du niveau d’appropriation initial.

– Fixer des objectifs d’organisation et d’action en fonction de la faisabilité pour chaque volet de la méthodologie.

– Accompagner l’évolution et le renouvellement du projet, ses ambitions et ses moyens.

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