Conception et ingénierie du tourisme territorial

Le tourisme territorial vise à mettre en valeur un territoire pour favoriser son attractivité et son développement. Le tourisme de consommation vise à satisfaire des intérêts particuliers comme dans toute filière économique. Ce n’est donc pas un marketing de la demande sur un marché concurentiel qui doit guider la démarche mais un marketing de l’offre qui forme la demande de ses propres valeurs et dégage les meilleurs services à ceux qui apportent aussi auterritoire leurs propres richesses.

L’évolution de la conscience territoriale, notamment avec les nouvelles intercommunalités, fait émerger la volonté d’établir maintenant politiques, stratégies et organisation touristique au niveau territorial.

Mobilisant les méthodes traditionelles du marketing et de la concertation, les responsables territoriaux pensent ainsi arriver à leur fin. C’est la plupart du temps une impasse. Pourquoi ?

L’Humanisme Méthodologique développe une conception du territoire qui met en avant le fait qu’il faut toujours le considérer comme une communauté de devenir, une communauté territoriale sans laquelle il n’y a ni identité, ni ambition, ni politique, ni projet, ni stratégie.

Encore faut-il que les communautés territoriales atteignent une certaine maturité pour assumer un positionnement majeur et ne pas se laisser embarquer dans des mécanismes ou des procédures standards banalisantes.

Or, très souvent, c’est la question touristique qui renforce la conscience d’une nécessaire identité commune, tant pour la mobilisation collective des ressources humaines et matérielles que pour la reconnaissance par “le marché”. C’est donc une très bonne occasion pour éclairer les racines de l’identité territoriale, ses valeurs propres et la “mettre en valeur” pour la rendre attractive.

Malheureusement les méthodes employées vont à contre Sens parce qu’elles ne sont pas destinées à résoudre ce type de problème.

L’Humanisme Méthodologique met en évidence la différence entre deux conceptions du tourisme (cf. Les deux tourismes).

Le tourisme de consommation d’abord est celui auquel tout le monde fait référence mais qu’il n’est pas et ne doit pas être, sauf exception, celui du tourisme territorial.

Le tourisme de participation est celui qui convient au tourisme territorial. Il cherche en effet à développer des relations d’échanges fructueuses avec notamment des visiteurs susceptibles d’apprécier ses valeurs et d’apporter leurs richesses (humaines, économiques, culturelles) dans une logique de fréquentation et de fidélisation. Le tourisme de participation est aussi un “tourisme des valeurs”. (cf. Le tourisme des valeurs)

En définitive c’est la reconnaissance, l’identification, la mise en valeur, la promotion et le partage des valeurs propres d’une communauté territoriale qui en est l’enjeu.

Nous allons d’abord expliciter en quoi les deux formes de tourisme sont différents et engagent des méthodes et des pratiques sans aucun rapport.

I – LE TOURISME CLASSIQUE, TOURISME DE CONSOMMATION

Relevant d’un marché concurrentiel, il cherche à capter la demande par des produits faciles à identifier sinon à consommer. Il est compréhensible que les opérateurs ou entreprises du tourisme, privées ou publiques, exploitent ce marché selon leurs intérêts. Il est logique aussi que cette activité économique soit facilitée et encouragée par la collectivité au même titre que les autres activités économiques du territoire, ni plus, ni moins.

Étudier la demande, se positionner, développer des produits et services, les commercialiser et en tirer bénéfice est la démarche basique de toute entreprise en la matière.

Seulement il n’y a aucune raison, ni aucune chance pour que l’ensemble des actions économiques du tourisme portent un projet de territoire et même convergent dans le Sens du bien commun auquel ils voueraient leur activité particulière.

Aussi les démarches habituelles:

– d’analyse de la demande,

– de coordination des acteurs,

– d’établissement d’une stratégie ou d’un plan d’action

sont totalement inadéquates pour le tourisme territorial.

C’est un peu comme si pour affirmer sa personnalité on se contentait d’être à la mode de se conformer au goût du jour et aux méthodes et pratiques qui vont avec. C’est un signe d’immaturité territoriale et on a vu comment la maturité d’une communauté territoriale conditionnait sa capacité à se doter d’un projet et de l’entreprendre. On peut être engagé dans le monde d’aujourd’hui et de demain sans être voué à la banalisation des idées et des méthodes.

Alors quelle ingénierie pour un tourisme territorial, tourisme des valeurs, tourisme de participation?

Auparavant revenons à la place du tourisme de consommation dans le développement territorial.

Il a très exactement la même place que les autres activités économiques. Il n’est pas question que le territoire se fasse l’entrepreneur des activités économiques. Les entreprises ont des chambres consulaires pour coordonner leurs intérêts communs et on pourrait penser à ce type de structure pour une meilleure concertation des acteurs du tourisme.

Cependant ce type d’organisme n’a pas en charge sauf, rares exceptions, la responsabilité territoriale, sa politique, sa stratégie, ses ambitions et son Sens du bien commun. La collectivité est tout à fait légitime pour y jouer son rôle mais pas pour s’y substituer.

Voilà pourquoi le tourisme territorial ne peut et ne doit être celui du “tourisme de consommation” qui est le lot des entreprises touristiques (privés ou non) et leurs intérêts particuliers. On notera que les confusions d’intérêt sont souvent dommageables.

II – L’INGÉNIERIE DU TOURISME TERRITORIAL, TOURISME DE PARTICIPATION ET TOURISME DES VALEURS

Pour comprendre la démarche type il faut au préalable remettre en question des habitudes de pensée et d’action devenues inadéquates.

Nous allons développer ici quatre questions décisives dont la connaissance et la compréhension sont indispensables pour comprendre la démarche méthodologique pertinente.

1 – La vocation touristique d’un territoire et son identité.

2 – Le marketing territorial, un marketing de l’offre, marketing des valeurs. Etudes de motivation.

3 – La conception, l’élaboration et la conduite d’un projet touristique territorial.

4 – La concertation et la participation des acteurs au projet territorial.

1) La vocation touristique d’un territoire. Identité et rôle du tourisme

L’identité d’un territoire est une notion délicate. Elle est souvent assimilée soit à un tableau des signes visibles, activités, patrimoine, événement…, soit à un plaquage d’images préfabriquées que l’on retrouve comme logo, communication, marketing classique, présentation avantageuse au goût du jour.

On est dans les deux cas à côté du sujet. L’identité territoriale, utile à son attractivité en vue d’un développement, doit être fondée dans les valeurs de la communauté humaine. Les valeurs s’enracinent toujours dans une histoire plus ou moins ancienne mais ont à s’exprimer dans le futur et à trouver leur position non en fonction du présent mais de l’avenir. Cela suppose deux approches complémentaires pour élucider l’identité territoriale:

– Introspective ou rétrospective pour dégager le Sens culturel propre au territoire, racine d’une vocation,

– prospective pour le “projeter” dans les horizons du futur de façon à ce qu’elle en porte la promesse.

Le rôle du tourisme, c‘est d’abord de poser la question du regard des autres et de leur intérêt pour le territoire et sa valeur.

C’est ensuite l’établissement de relations fructueuses de visiteurs concernés qui peuvent devenir des habitants ou des créateurs de richesses économiques, humaines, culturelles, etc.

Ainsi le rôle du tourisme territorial et avant tout un rôle de confortation identitaire de la communauté ainsi que l’établissement de relations fructueuses de fréquentation et de participation à la vie et au développement du territoire.

En tant que tourisme des valeurs, fondé sur les valeurs culturelles propres à la communauté territoriale, il est en cohérence avec le développement économique, le développement humain et le développement environnemental de la communauté.

2) Le marketing territorial, un marketing de l’offre, marketing des valeurs. Etudes de motivation

Le réflexe dans une société de consommation, c’est le marketing de la demande. Il conduit à une pléthore d’études clientèles qui sont le plus souvent des enquêtes d’opinion ou de satisfaction.

Photographie de l’existant ces études et cette démarche convient à un tourisme de consommation, tourisme de masse concurrentiel. Seulement c’est l’affaire de prestataires, pas du territoire.

En effet le tourisme de participation, le tourisme des valeurs ne s’accommodent pas de catégories banalisées. Au contraire, c’est l’originalité, la singularité des valeurs propres, la personnalisation culturelle du territoire et de sa vocation qui sont à rechercher.

C’est donc à un marketing de l’offre qu’il faut avoir recours. Comme pour le marché de l’innovation, il n’y a pas de demande à priori d’une innovation inconnue ou d’une offre singulière.

Il faut donc déployer d’autres moyens fondés sur un éclairage, une mise en valeur et un positionnement des valeurs profondes de la communauté territoriale, en définir “l’offre générique” et les voies de sa déclinaison.

Il faut aussi déterminer les “clientèles” concernées par ces valeurs, leurs profils de motivation. S’il y a des études de marché, elles doivent reposer sur des études de motivation.

A titre d’exemple dès 1995, le conseil économique et social de Basse Normandie s’étonnait qu’aucune étude de ce type n’avait été faite pour les visiteurs du Mont Saint Michel. Près de 10 ans après rien n’a changé malgré force études de clientèles. On ne sait toujours pas pourquoi au fond tant de visiteurs se déplacent du monde entier. Même chose pour la cathédrale de Reims ou la plupart des sites majeurs … Résultat la profitabilité pour le territoire est plus qu’aléatoire ce qui n’est pas le cas de certains exploitants.

Ces analyses de motivation en profondeur ont une conséquence pour comprendre le lien entre l’offre et la clientèle pertinente et ensuite pour “former la demande” petit à petit.

Ainsi pour le marketing de l’offre, l’analyse des valeurs du territoire éclaire les valeurs sensibles de la clientèle potentielle dont on peut comprendre alors les profils significatifs et les motivations. En effet les valeurs d’un territoire peuvent toujours s’exprimer en termes de motivations humaines quelques fois aussi inconscientes. C’est comme cela qu’un plan marketing peut être construit sur des valeurs profondes plutôt que sur des images ou des opinions toutes faites. Il doit être spécifique, original et ne peut être construit par la copie de solutions venues d’ailleurs, trop souvent la seule compétence de certains spécialistes, et légitimées par des études de clientèles banalisantes.

3) La conception et l’élaboration d’un projet touristique territorial

En la matière la plupart du temps les projets touristiques territoriaux sont vus comme la juxtaposition d’un ensemble d’actions et de dispositions qui relèvent des opérateurs du tourisme de consommation.

Il est donc impossible d’avoir une cohérence et une maîtrise réelle d’intérêts indépendants qu’il n’y a aucune chance de voir converger localement avec le Sens du bien commun. Le territoire n’est pas non plus l’entreprise générale des activités du tourisme de consommation.

Comment pourrait-il élaborer un projet qui ne soit un vœu pieux ou une agrégation des vœux des uns et des autres lorsque ceux-ci sont des opérateurs normalement animés par leurs intérêts particuliers?

Dans le tourisme territorial, la démarche ne peut être construite ni à partir d’une “demande” préexistante, ni à partir des offres dispersées des opérateurs.

Le projet doit d’abord s’ancrer dans les valeurs propres de la communauté territoriale. Il doit déterminer un Sens, formuler une ambition pour le territoire et la communauté qui l’habite. Le projet est alors une “projection dans le futur” d’un positionnement culturel original.

Cette projection traduite en axes stratégiques sera ensuite déclinée dans les termes appropriés: offre générique, marché générique, stratégies de mise en valeur, d’attractivité, de développement.

Le projet territorial peut réclamer la coopération d’opérateurs d’intérêt particulier lorsque ceux-ci font converger leurs projets avec celui du territoire et avec le Sens du bien commun. Ce seront d’ailleurs souvent des acteurs inattendus dont le concours sera sollicité en fonction du projet et des valeurs propres qui identifient le territoire.

Tout cela a une conséquence en termes d’organisation et de conduite d’un projet touristique territorial.

S’il n’y a pas un organisme qui en porte le projet politique et le développement de la stratégie aucun projet territorial ne peut voir le jour. Par contre des actions et des initiatives peuvent être portées par un grand nombre d’acteurs repérés en fonction de leur concourance avec le projet territorial.

En tout cas la “mise en réseau” d’organismes existants ne peut en aucun cas servir de base à un partage stratégique et politique du projet. Il ne peut qu’intervenir en second lieu pour faciliter sa réalisation tant auprès des acteurs du terrain que des visiteurs.

4) La concertation et la participation des acteurs au projet touristique territorial.

Chacun voit l’avenir du lieu de responsabilité qui est le sien. Il est de ce fait illusoire sinon mystificateur du vouloir faire participer tous les acteurs à l’élaboration d’un projet territorial. Cela a pour effet le plus souvent de ramener le débat au plus petit dénominateur commun et donc de limiter l’inventivité et l’ambition surtout en termes de prospective.

En fait il importe de sérier les niveaux de participation et donc de structurer les concertations en conséquence:

– Niveau territorial de l’avenir communautaire

C’est là que se traitent les questions de fond et l’orientation politique du projet en fonction des valeurs propres du territoire. Il n’y a que peu de responsables qui aient cette vue là. de façon prospective.

– Niveau stratégique du projet touristique territorial

Il fait intervenir des compétences d’expertise et ne peut réunir qu’un nombre restreint de responsables dans la phase de maturation et d’élaboration du projet cadre.

– Niveau opérationnel

C’est là que les acteurs du tourisme du territoire peuvent être sollicités pour favoriser initiatives, organisations, coordination et appropriation de l’ambition communautaire.

III – TOURISME TERRITORIAL – LA MÉTHODE

L’élaboration d’un projet touristique territorial relève d’une méthode spécifique dont les pratiques courantes sont malheureusement très éloignées.

On distinguera trois phases:

1) Le positionnement du projet touristique

Il ne s’agit pas d’une réponse à la demande supposée, d’un positionnement par rapport à un marché de consommation mais de la position que veut assumer la communauté territoriale dans le monde de demain.

Le positionnement du projet touristique est une prise de position fondée sur les valeurs propres du territoire qui détermine son identité et les critères de son attractivité originale et qui permettra les déclinaisons dans les domaines spécifiques du développement.

C’est pour cela qu’entreprendre ce travail pour le tourisme contribue grandement à la confortation et au développement du territoire et aux projets communautaires.

Inutile de faire un état des lieux ou un diagnostic du tourisme de consommation pour un projet touristique territorial.

On a vu par exemple que le contenu des activités touristiques classiques (tourisme de consommation) était tout à fait accessoire sinon contre productif pour le tourisme territorial.

A la place il faut mener les investigations de fond indispensables:

– Étude de cohérence culturelle, Sens et valeurs propres du territoire. C’est le travail de fond introspectif, rétrospectif et prospectif sur lequel reposera tout l’édifice.

Elle permet de comprendre la vocation et le rôle de la communauté territoriale dans le passé et le futur, d’en apercevoir les faiblesses et les forces humaines, les talents et les limites.

Ce positionnement du territoire vaut pour l’ensemble de son développement et d’autres projets que le tourisme.

Il vaut en particulier pour l’identité qu’il faudra faire valoir en interne et en externe.

Il vaut pour l’attractivité interne et externe et la mobilisation des acteurs et des vecteurs stratégiques.

Il vaut pour le tourisme territorial dont le rôle et les ambitions sont ainsi qualifiées et auquel on peut donner toute sa mesure.

C’est à ce stade que l’orientation et la philosophie du projet touristique seront définies.

2) Le projet cadre ou projet stratégique

il s’agit de définir les grands axes du projet en fonction des caractéristiques du territoire. En particulier c’est à ce stade que les ressources, expériences et patrimoine pourront être évalués pour leur pertinence avec le projet (et non l’inverse). Dès lors le projet touristique va se traduire dans un scénario de principe relevant d’un marketing des valeurs, un marketing de l’offre.

Sont dégagés par un processus de créativité :

– l’offre générique de valeurs du territoire et les conditions de son attractivité. Il s’agit d’une offre originale et non de produits classiques,

– la connaissance de “l’univers de pertinence” de cette offre, c’est-à-dire le type de clientèle défini par son attachement aux valeurs précédentes et les comportements, attentes et aussi apports avant même toute demande identifiée,

– le processus général de développement touristique avec ses vecteurs et ses étapes,

– les moyens stratégiques de développement touristique, communication, propositions, promotion, animation, ingénierie touristique, équipement, etc.,

– les conditions de maîtrise et d’évaluation du projet, structure porteuse, organisation, méthode, critères d’évaluation,

3) Le projet opérationnel

C’est à ce stade seulement qu’on se préoccupera de raccordement avec l’existant, uniquement pour la part qui concerne le projet territorial laissant de côté le tourisme de consommation qui lorsqu’il n’y contribue pas.

On se servira là de schémas, de programmes, de montage d’opérations, de financement et de coordination des acteurs en vue de prises d’initiatives ou même de prise en charge de projets concourants avec l’orientation territoriale.

Il s’agit là d’une “entreprise territoriale”, entreprise d’un projet touristique de territoire ce qui justifie cette fois-ci la pratique de méthodes entrepreneuriales et des moyens de management et de contrôle appropriés.

Un réseau n’est pas une entreprise, elle ne peut que la soutenir en y participant. Il ne faut donc pas confondre management du projet touristique territorial et coordination des acteurs du tourisme local.

La démarche d’élaboration d’un projet touristique territorial vise le moyen et long terme avant de préciser le court terme.

Il s’agit d’un investissement de grande importance pour l’avenir du territoire qui dépasse la question touristique. L’expérience montre que l’on débouche sur des perspectives toujours originales qui sont aisément appropriées par les populations et les clientèles concernées parce qu’elles touchent juste.

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