La maîtrise des risques

L’analyse des Sens du risque montre la diversité des positions et leurs conséquences. La charge émotionelle liée à l’évocation des dommages crée une confusion préjudiciable et trop souvent exploitée. Au contraire la maîtrise du risque s’oppose à toute aliénation à des discours et des pratiques calamiteuses.

APPROCHE DU RISQUE ET DE SA MAITRISE
POINT DE VUE DE L’HOMME

Celui-ci est développé à partir des positions conceptuelles et méthodologiques élaborées par Roger NIFLE dans le cadre de l’Institut Cohérences qui en a livré les aperçus donnés ici.
Ce point de vue est enrichi et illustré par les expériences menées lors d’interventions portant sur la mise en oeuvre de politiques publiques, notamment dans le domaine de la prévention des risques naturels.


SOMMAIRE

LA NOTION DE RISQUE
SOURCE DE MALENTENDUS ET DE CONFUSIONS

CULTURE DES RAPPORTS AU RISQUE

LA VULNERABILITE DANS L’APPRÉCIATION
DES RISQUES

LE PROBLEME DE L’EVALUATION
DES DOMMAGES POTENTIELS

UNE DEMARCHE DE CONCERTATION
LA METHODE D’APPROPRIATION ACTIVE

L’INGENIERIE HUMAINE AU SERVICE DE LA MAITRISE DES RISQUES


 

LA NOTION DE RISQUE
SOURCE DE MALENTENDUS ET DE CONFUSIONS

La réflexion sur la notion de risque est capitale. En effet, on s’aperçoit à l’expérience de décalages majeurs entre les acteurs de terrain lorsqu’il s’agit de prendre des décisions et surtout d’engager des actions pertinentes et durables.

Populations, élus, spécialistes, représentants de l’Etat n’ont pas toujours la même évaluation du risque et donc des dispositions à prendre.

Le malentendu est souvent rédhibitoire et le terrain des risques est alors le théâtre de jeux tactiques préjudiciables.

En conséquence, le temps de la réflexion sur ce que l’on entend par risque et son partage au cours d’une concertation réelle sont vivement recommandés. Le doute cartésien vaudra mieux que certitudes assurées.

On donnera ci-après quelques éclairages dont la traduction pratique sera développée ultérieurement.

1) Le risque est une anticipation

Il est donc de l’ordre d’une spéculation et non d’un fait. Il fait donc appel aux facultés imaginaires avec leur cortège de supports comme la mémoire, le calcul de probabilités, la construction d’hypothèses conditionnelles et même la créativité.

Cependant lorsqu’un danger est évoqué, surtout s’il est confus, lointain et que des hypothèses catastrophiques sont agitées alors les formes déviantes de l’imaginaire sont sollicitées surtout si elles sont encouragées par des mises en scènes émotionnelles fortes. Fantasmes et mêmes délires apparaissent alors.

Les spécialistes des comportements humains savent bien comment on peut construire des appareillages rationnels sophistiqués pour masquer ou justifier des délires ou diverses formes de paranoïa.

Les sociétés, on le sait aussi, ont inventé des rituels conjuratoires pour s’affranchir de la peur. Bien naïf qui nierait que nos sociétés modernes en sont exemptes là même où règne la rationalité la plus froide.

2) Le risque de l’anticipation d’un dommage

On ne prend pas assez garde à ce qu’un dommage c’est l’atteinte à un bien espéré. Cela renvoie donc à la corrélation qu’il y a entre la nature des dommages et celle des bien espérés et entre mesure.

Il est évident que si le bien des personnes ou le bien commun nous indiffère toute évaluation de dommage à leur endroit est sujette à caution.

Il y a là trois points majeurs à considérer:

2-1 La nature des dommages est en rapport avec le type de bien mis en jeu et on peut noter qu’ils peuvent être de plusieurs ordres:

– Les biens affectifs et donc les dommages affectifs liés à des attachements individuels et collectifs. La souffrance fait partie de ces dommages.
– Les biens matériels et donc les dommages matériels. Il faut encore les considérer par rapport aux biens espérés. La valeur d’un bien matériel peut être liée à l’usage attendu mais aussi aux bénéfices de fortune envisagés. C’est comme cela que le dommage sera notamment évalué.
– Les biens identitaires et donc les dommages identificatoires. Les êtres humains vivent de représentations individuelles et collectives dans lesquelles ils construisent leur identité et aspirent à son édification. Les dommages y peuvent être dans certains cas mortels.
– Enfin il y a des biens liés à des aspirations individuelles et collectives engageant un devenir, une vocation, des enjeux essentiels. Il y a aussi dommages possibles lorsque ces biens espérés sont atteint.

Ne pas prendre en compte la nature et la mesure des biens humains en jeu conduit à une rupture d’entendement sinon de considération entre les acteurs soumis au risque et ceux qui ont à le gérer; C’est quelquefois en soit une source de préjudice.

2-2 Comme les biens espérés les dommages possibles sont propres à ceux qui sont porteurs de ces espérances.

Autrement dit, les dommages ne peuvent être envisagés dans l’absolu mais toujours relativement aux personnes et aux communautés de personnes et, par suite, aux diverses formes de communautés de personnes que représentent les personnes morales, les institutions, les collectivités.

La nature et la valeur des dommages est un relatif et le même événement, par exemple la destruction d’un bien matériel, peut créer une série de dommages très différents pour différents acteurs.

Le dommage et donc à rattacher d’abord à l’acteur avant de l’être à l’objet.

Ne pas prendre en compte cette relativité des dommages, c’est implicitement se poser comme acteur universel et comme référent de l’évaluation.

On comprendra d’autant mieux pourquoi ce type de problème est source de conflictualité.

2-3 Les dommages sont pour une grande part d’ordre subjectif et les tentations de réduction quantitatives ne peuvent que rater leur sujet.

Or lorsqu’il y a lieu malgré tout de qualifier et d’évaluer des dommages, fussent-ils anticipés, il y a une méthode incontournable qui est celle qui permet d’associer des subjectivités différenciées dans des engagements communs.

Les processus de concertation sont la seule méthode qui le permette. Qu’elle soit inter-individuelle ou collective.

Cependant c’est un champ méthodologique peu connu des experts et pourtant très vaste et très riche de possibilités.

Cela va de la discussion de groupe bien menée au travail pédagogique de maturation collective. Cela va de la mise en oeuvre de l’écoute réciproque jusqu’à la mise en oeuvre des processus de la démocratie, qui, après tout, sont fait pour cela.

L’évaluation du risque ne peut être issue que d’un travail de concertation dans lequel sont intégrés évidemment les facteurs objectifs mais où les évaluations sont confrontées aux « échelles de valeur », collectives ou particulières.

CULTURE DES RAPPORTS AU RISQUE

Si le risque fait référence à l’intervention de facteurs exogènes aléatoires (ex. des événements naturels, inondations, séismes, incendies, etc.), il est par nature existentiel, c’est-à-dire qu’il touche à la vie et aux biens des personnes et des communautés humaines.

Or étant l’anticipation d’un dommage existentiel, le risque imaginé se construit en fonction des réactions humaines face aux hypothèses de dommages.

Il faut donc enregistrer que les représentations du risque, les évaluations, les explications, les attitudes, les comportements, les raisonnements, les stratégies, les solutions dépendent fondamentalement des positions induites par l’hypothèse du risque.

Fuites ou négations, calculs intéressés ou prises de responsabilité, stratégies conjuratoires ou paranoïaques, etc. n’expriment pas la même attitude, ni ne conduisent aux mêmes actions. Il faut aussi considérer que personne, ni individu, ni institution, ni collectivité, n’échappent à l’humaine condition, n’est exempt de ce type de réactions.
Les travaux portant sur le Sens des rapports au risque ont mis en évidence l’existence:

– Des positions antagonistes dans la conception même du risque.
– Des logiques divergentes qui ont chacune leur cohérence interne.

Les deux couples de positions antagonistes remarquables sont les suivantes:

1) Le refus du risque et de toute incertitude qui conduit à ériger l’absence de risque en devoir et considérer toute prise de risque comme une faute.

Cette logique conduit immanquablement à considérer que ce sont « les autres » qui sont fauteurs de risque et encourage aux attitudes de revendications extrêmes, de contrôle social, de dénonciation et pourquoi pas de provocation( une bonne catastrophe !).

Les responsables qui manient ce type de logique devraient méditer (risque zéro, précautions extrêmes) à l’effet boomerang que cela induit.

2) L’acceptation du risque et de l’incertitude de la vie

La sagesse populaire dit que pour vivre il faut savoir prendre des risques mais des risques mesurés.

Cela suppose une acceptation de l’incertitude en même temps qu’une vigilance. Cependant, on peut aussi oublier la mesure ou bien se tromper de mesure. Cela pose le problème de l’évaluation du risque qui est décisive non seulement dans la mesure mais aussi la nature du risque. La seule quantification ressortissant d’un calcul coût/avantage laissera de côté les dimensions du risque non quantifiables mais essentielles et conduira de fait à des comportements préjudiciables. L’excès de mesure ou de démesure aggrave le risque.

3) Le risque comme aléa statistique

La confusion classique risque et aléa n’est pas le fait du hasard mais bel et bien un symptôme, celui d’un rapport fataliste (fatum) aux événements ce qui fait dire : le risque est un fait et même un fait objectif.

C’est toute la dimension humaine qui est éliminée, l’intentionnalité, les choix, les responsabilités, l’expérience, la décision, l’action qui deviennent subordonnés mécaniquement au « calcul d’aléa ».

La sécurité au prix de la négation de l’humain, tel est aussi le fantasme terrible d’une politique scientifique ou d’une réglementation scientifique qui élimine le jugement humain.

4) Le risque comme probabilité conditionnelle

Si le risque est existentiel, il dépend non seulement d’aléas exogènes mais principalement des dispositions prises, c’est-à-dire des conditions de maîtrise des situations.

Le risque est donc inversement proportionnel au niveau de maîtrise des situations « à risque ». Cette proportionnalité est tout à fait identique à celle qui définit le principe de précautions qui veut que l’on prenne des dispositions proportionnées à un niveau de risque pour le réduire s’il y a lieu.

Bien sûr une attitude de refus du risque entraînera du côté de la disproportion et à un usage abusif du principe de précaution.

Les quatre logiques comportementales qui correspondent à des « cultures du risque » divergentes dérivent des positions précédentes ou plutôt de leurs combinaisons.

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Ce tableau montre bien les oppositions (A – D), (B – C) et dans quel Sens il est le plus judicieux d’aller.

On observera que les acteurs de terrain peuvent être mobilisés dans des logiques multiples et incompatibles.
Cela signifie que le travail de consensus sur une logique de responsabilité est une part importante de l’action.

La méthode « d’appropriation active » décrite ultérieurement est une démarche qui cherche à y répondre.

Cependant pour piloter une telle démarche, il importe de bien comprendre les différentes logiques qui peuvent être en présence tant pour les éviter que pour les faire évoluer autant que possible.

A – LA LOGIQUE D’EVITEMENT ET DE DEPLACEMENT DU SUJET

Elle suppose le risque fatal (assimilé à l’aléa) et le risque coupable (interdit). De ce fait il n’y a pas de place pour un quelconque effort de maîtrise de la situation, ni de mesure dans l’évaluation des possibles.

Cette logique revient à éviter la responsabilité du problème en la déplaçant sur une responsabilité de type juridique ou sur l’accomplissement de rituels conjuratoires. Discourir du risque inacceptable et désigner des coupables au cours de scènes convenues est la recette constante.

Si les rituels et les médias sont très variés au cours des âges, le sens et les processus conjuratoires sont les mêmes. Malheureusement ils ne rendent pas lucide.

Face à cette attitude il faut recentrer les choses sur les personnes et les communautés soumises aux risques et les responsabilités qui sont les leurs de prendre la mesure et les mesures nécessaires.

Se substituer à elles, est une position particulièrement suspecte en dehors d’un mandat démocratique ou d’une position pédagogique compétente et authentique.

Sans cela la logique du risque prêt à toutes les manipulations et les jeux de pouvoir.


B – LA LOGIQUE DE SECURITE ABSOLUE

Elle refuse le risque mais considère que son élimination dépend des mesures à prendre, à faire prendre plutôt. Le risque 0 légitime des mesures de protection extrêmes (une vie n’a pas de prix). Les exigences de sécurité conduisent à rechercher des garanties totales. Cela conduit aussi bien à évacuer les zones à risques supposant qu’existent des zones à risque 0.

La démesure dans l’évaluation des conditions de sécurité conduit soit à l’impossibilité des investissements ou de l’application des mesures radicales imaginées, soit à l’oubli du risque assorti d’une confiance absolue et bientôt illusoire dans des mesures de protection ou de prévention qui se substituent à la capacité de maîtrise et de responsabilité des gens.

Face à cette logique, c’est encore à la responsabilité personnelle et communautaire qu’ils faut en faire appel. Il faut noter que la référence à la responsabilité « collective » rejette celle-ci dans l’anonymat ou à la charge de ceux qui sont sensés avoir en charge le collectif. L’élimination du risque aura bientôt un coût exorbitant si on en favorise et encourage la demande ou si on en propage l’offre.

C – LA LOGIQUE DE CALCUL COMPENSATOIRE

Elle est favorable à la prise de risque surtout le considérant comme fatal, c’est-à-dire identique à un aléa statistique.

La prise de risque doit alors faire l’objet d’un calcul de compensation en cas d’accident de façon à ce que le bénéfice de la compensation couvre largement le dommage subi.

Cette rationalité plaira aux calculateurs et aux « professionnels du risque » ou du « management du risque ». Elle conduit à banaliser le risque et consacrer plus à l’obtention de compensation qu’à la maîtrise des situations et l’évolution des comportements. Notons qu’elle est encouragée par la réduction du risque à l’aléa qui élimine l’autonomie des comportements humains responsables. Il faut noter aussi que les bénéfices compensatoires peuvent être de nature différente. Les psychologues savent que les « bénéfices secondaires » de situations dommageables sont quelquefois largement compensatoires et que la non résolution de problèmes ne va pas sans bénéfice. Toutes sortes de jeux d’acteurs peuvent se comprendre ainsi.

Face à cela il est toujours utile de se demander en quoi cela fait progresser la compétence individuelle et collective dans l’évaluation et la maîtrise des situations à risque. Si la réponse est négative alors le « calcul » est suspect.

D – LA LOGIQUE DE RESPONSABILITÉ APPROPRIEE

Elle repose tout d’abord sur une juste évaluation des risques, leur hiérarchisation et leur intégration au contexte existentiel des biens espérés.

Autrement dit le risque ne peut être traité indépendamment de l’histoire et des valeurs propres de la communauté et donc aussi de son devenir.

C’est sur une trajectoire de progression collective, développement, niveau de maîtrise et de compétence, poursuite du bien commun que peut s’évaluer le risque et les dispositions à prendre.
Ces dispositions dépendent bien sur du type de risque encouru mais aussi du niveau culturel d’appréhension de la problématique du risque en question et plus généralement de la culture des usages, des pratiques et des représentations locales.

C’est donc une trajectoire de maturation favorisée par l’expérience pédagogique de l’épreuve du risque qui est à engager. Elle a pour intérêt autre une progression continue et durable du niveau de maîtrise du risque, une maturation de la vie collective et des rôles d’autorité et de responsabilité. C’est une logique proprement « politique » au sens fort du terme.

Il est facile de détourner cette logique soit en substituant l’aléa au risque, le calcul à l’évaluation consensuelle, la menace en responsabilité pénale au lieu de l’apport pédagogique, la réduction juridico technique de l’incertitude, l’isolement du risque des autres affaires de la cité, la méconnaissance en définitive des hommes et des communautés, assortie du soupçon de leur incapacité ou de leur culpabilité.

A ceux qui voudraient néanmoins persévérer dans cette logique il est recommandé d’être attentif à la logique des acteurs spécialisés pour l’intégrer dans leur stratégie.


LA VULNERABILITE DANS L’APPRÉCIATION
DES RISQUES

Il est souvent convenu que le risque est proportionnel :

– d’une part à un aléa où interviennent l’intensité de l’événement dangereux et la fréquence de son occurrence,
– d’autre part à la vulnérabilité qui dépend des biens exposés et leur valeur et de la maîtrise du risque par les personnes ou collectivités concernées.

Ces considérations semblent tellement difficiles à comprendre qu’un exemple aidera à mieux en intégrer le contenu.

Supposons qu’il s’agisse de traverser une rue ce qui n’est pas sans risque.

Pour le piéton l’aléa, c’est la circulation. Son intensité et sa fréquence sont aisés à imaginer comme facteur de risque. S’il y a beaucoup de circulation (intensité) le risque est plus grand. Si le flux automobile est très intermittent, aux heures de pointe par exemple, ou quasi permanent la fréquence n’est pas la même. Cela dit, le nombre de traversée du piéton intervient sur la fréquence dans l’aléa. Sans traversée il n’y a évidemment pas de risque et le piéton pourrait rester chez lui.

Concernant la vulnérabilité, elle est d’abord proportionnelle aux biens exposés. Le schéma simpliste pourrait nous interroger sur le « bien espéré » que représente la vie du piéton et on conçoit qu’un piéton désespéré en vienne à prendre plus de risques. Par contre on conçoit plus facilement que s’il y a plusieurs piétons et singulièrement des enfants (pourquoi ? c’est sans doute lié à une valeur d’espérance) les « biens exposés » sont d’autant plus importants.

Enfin il y a la maîtrise. A aléa égal le risque est-il le même s’il s’agit d’un enfant ou d’un adulte ? Non le risque est directement proportionnel à la « maîtrise » de la situation. Il serait faux d’évaluer le risque sans cette dimension.

L’exemple bien que simpliste donne déjà une idée de la nature de cette « maîtrise » :

– Connaissances et expérience de ce type de situation qui n’est évidemment pas limitée à la connaissance du code de la route ou du règlement.
– Faculté d’anticipation, d’observation, d’alerte,
– Utilisation appropriée de « signaux » feux tricolores, marques sur la chaussée mais aussi perceptions sonores, visuelles…
– Maîtrise de soi et de son comportement,
– Evaluation du risque admissible, ni un excès de précaution (attendre la nuit pour traverser) ni un excès d’imprudence (parier sur la vitesse de traversée ou sur l’intimidation des automobilistes),
– Responsabilité citoyenne qui a pu s’exercer pour l’aménagement du site, l’installation de signaux, de mesure de protection, de surveillance, de régulation des flux automobiles, etc.

On voit d’ailleurs que cette « maîtrise » de la situation n’est jamais totale mais ce qui compte c’est une mesure acceptable de celle-ci. Pour l’enfant ou ceux qui n’ont pas l’habitude d’une telle situation, cette « mesure » est difficile à trouver et c’est le travail de maturation et de pédagogie qui sera nécessaire. Le laxisme ou la sur protection sont les deux plus mauvaises méthodes.

On voit aussi dans cet exemple comment la maîtrise du risque, l’un des facteurs essentiel d’évaluation de la vulnérabilité est à la fois personnelle et collective. Le piéton a été éduqué par un environnement familial et social mais il est aussi aidé par l’action de la collectivité (aménagement de passage piétons, de signaux lumineux, etc.). Il y a donc des rôles et des responsabilités qui se sont exercé pour qu’il acquière une certaine maîtrise.

En outre, on conçoit que ce piéton a aussi un rôle social, familial, professionnel, civique tel que par différentes possibilités il peut contribuer à la maîtrise de ce type de situations pour les autres et d’une façon générale pour la collectivité.

Enfin, on découvre sans peine que tout le travail de maîtrise de ce risque banal a des incidences non seulement sur la maturité et la maîtrise pour d’autres risques mais aussi sur le degré de maturité collective de la cité.
En définitive de proche en proche, l’exemple évoque l’idée que c’est par la confrontation mesurée à la maîtrise du risque de l’existence que les personnes et les communautés humaines progressent et se développent. C’est en cela que les espérances donnent valeur à la fois aux biens vulnérables et à la fois à la recherche d’une plus grande maîtrise.

Il est aisé de transposer ce modèle analogique à des situations de risques d’inondation, risques sismiques, risques d’incendie, risques de mouvement de terrain, risques d’avalanches, etc.. chacun avec ses spécificités.
En tout cas le travail sur la maîtrise du risque, intervient toujours directement sur l’évaluation de celui-ci et sur la nature des investissements nécessaires. Cela n’exclue en rien le travail sur la vulnérabilité des biens exposés dont il faut retenir que la valeur dépend des « espérances » investies plus que de leur réalité factuelle, espérances individuelles et collectives, économiques, culturelles, etc.

Cela n’exclue en rien les actions sur l’aléa à condition de prendre la mesure des priorités et des cohérences nécessaires.

Reste que le travail sur la maîtrise du risque s’il emprunte les moyens de quelques accessoires (signaux, cadres, aménagements…) ne peut en aucun cas s’y réduire; En outre la pédagogie ne peut se réduire à cette forme dégradée qu’on appelle l’information et la communication », c’est un peu si on réduisait l’éducation nationale à l’édition des livres de classe.

C’est là qu’intervient ce que l’on peut appeler l’ingénierie humaine pour concevoir et piloter des processus collectifs de maturation ainsi que des stratégies macro-pédagogiques destinées en outre à avoir des effets durables.


LE PROBLEME DE L’EVALUATION
DES DOMMAGES POTENTIELS

Ce problème est d’autant plus complexe que, comme on l’a vu, interviennent différents aspects :

– Le caractère subjectif des dommages encourus,
– La référence incontournable aux « biens espérés » qui suppose qu’on apprécie l’échelle de valeur de ces espérances.

– La relativité de l’évaluation aux valeurs propres des personnes et communautés concernées.
– La nécessaire concertation pour aboutir à des évaluations collectives et partagées.

L’évaluation des dommages potentiels passe donc :

– par l’établissement d’une « échelle de valeur » propre aux personnes et communautés concernées,
– par une « analyse de la valeur » des dommages potentiels,

deux moments de l’évaluation des dommages potentiels et, par suite, des solutions, vulnérabilité, enjeux, etc.
Pour entrer dans le vif du sujet il nous faut préciser quelques points.

L’approche envisagée ici repose sur trois piliers dont deux sont originaux.

Le premier est lié à la question de la nature et de la détermination d’une « échelle de valeur » collective.
La théorie des Cohérences Culturelles (par l’auteur) met en évidence qu’une communauté humaine quelconque dispose d’une culture propre au sein de laquelle peut être élucidée une « aspiration au bien commun » qui coïncide avec ce que l’on peut appeler sa « vocation ». On peut transposer cela à une institution, une collectivité, une ville, une région, etc.

La « vocation » de la cité donne le Sens du bien commun dont la traduction essentielle est l’aspiration au développement.

Ce développement, durable par essence, s’ancre dans l’histoire aux racines de la culture et se projette dans le futur pour y trouver des formes sans cesse à renouveler.

La notion de valeur des biens est attachée, on l’a vu, aux « espérances » qu’ils portent. Ce sont les espérances collectives propres de la communauté qu’exprime sa vocation et les diverses figures du bien commun que ses projets représentent.

Il est toujours difficile de mettre au clair le sens et l’axe de cohérence de l’aspiration au bien commun. Les analyses de cohérences culturelles le permettent et du même coup on peut en dégager « l’échelle de valeur » sur laquelle toute évaluation pourra être faite.

Il est clair que l’intérêt dépasse l’évaluation du risque mais il est naturel par ailleurs que celle-ci soit cohérente avec le système de valeurs qui caractérise le bien commun de la cité.

La nouveauté conceptuelle et pratique peut être appréhendée avec l’intuition de chacun qui a la souci authentique du bien commun. Aux autre, elle paraîtra très abstraites et ils préféreront des modélisations plus élégantes ou des pratiques moins éclairantes.

Le deuxième pilier de l’approche est lié à la question de l’évaluation.

Là aussi les travaux de l’auteur portent sur l’évaluation des politiques publiques ou sur l’évaluation de l’immatériel (menés avec le collectif de recherche sur l’immatériel qui fait l’objet de diverses publications) sont particulièrement utiles.

Tout d’abord il confirme qu’on ne peut parler d’évaluation sans référence à une échelle de valeur. Toute échelle de valeur est propre à une communauté humaine, si l’expérience montre, malheureusement, que l’on peut prendre comme valeur n’importe quel critère nous nous référerons systématiquement aux critères du bien commun et de la vocation collective pour déterminer l’échelle de valeur de référence propre à une communauté.

L’approche de l’analyse de cohérence culturelle répond à cette nécessité.

Ensuite interviennent trois critères dans l’évaluation:

– Le critère de pertinence par rapport à l’échelle de valeur déterminée.

Comme on le verra cette détermination de même que cette dimension de l’évaluation demande des formes de concertation appropriées.

Il s’agit tout d’abord de caractériser comment ce que l’on veut évaluer se situer sur cette échelle de valeur (et pas une autre). Cela revient, pour l’évaluation du risque et plus précisément des dommages, à apprécier en quoi ils portent préjudice aux biens espérés dans cette perspective du bien commun.

On imagine assez bien que s’il y a divergence sur l’échelle de valeur, il y aura divergence sur la pertinence des enjeux vis-à-vis de cette échelle de valeur, d’où les incompréhensions radicales ou les consensus hâtifs difficilement pérennes.

Par exemple si un bâtiment à une grande valeur par rapport à ce qui y est projeté du bien commun en terme de projet de développement il peut avoir une valeur nulle ou même négative s’il est voué à la destruction pour permettre un développement.

Le critère de pertinence change tout entre les deux situations.

– Le second critère de l’évaluation est le critère de cohérence. On ne peux évaluer un dommage, un risque sans l’intégrer dans son contexte et l’ensemble de la « situation existentielle ». Si on prend le cas de notre bâtiment sa valeur dépend sans doute du projet dans lequel il s’inscrit mais aussi par exemple de son concours au projet.

S’il est secondaire ou principal, s’il y a ou non des alternatives, s’il est indispensable ou non dans telle ou telle situation changent complètement  » la valeur » de l’élément et celle d’un dommage éventuel.

On ne prend pas assez garde dans certains cas que le « coût » de la prévention du risque peut être supérieur au risque lui-même notamment parce que le souci de cohérence est resté insuffisamment par rapport à la « situation existentielle ».

Le troisième critère est le critère de performance ou, en terme de dommage, le critère inverse de défaillance. C’est celui qui va donner la mesure éventuellement quantifiable. La mesure est bien évidemment relative au « bien espéré », la contribution ou le préjudice par rapport à celui-ci.

Il est clair qu’on ne peut mesurer une performance ou une défaillance que par rapport aux espérances de toute nature que l’on porte. Il sera donc indispensable de s’y référer.

Reste à noter que non seulement l’évaluation est relative à une communauté, à l’échelle de valeur du bien commun, qu’elle doit prendre en compte et dans cet ordre les critères de pertinence, cohérence et performance.Il ne faut pas oublier que l’évaluation des dommages potentiels ne constitue qu’un des termes de la vulnérabilité et qu’il faut y associer maîtrise et aléa pour évaluer le risque.

Le troisième pilier de cette approche est la réhabilitation des méthodes d’analyse de la valeur; Ces méthodes ont souffert dans leur pratique de la difficulté d’apprécier « la valeur », de qualifier des dimensions subjectives et de hiérarchiser les éléments à évaluer.

Or c’est très précisément le problème résolu par les apports précédents.

De ce fait, on pourra retrouver les trois bénéfices promis par l’analyse de la valeur.

– D’abord la qualification et la hiérarchisation des enjeux selon une même échelle de valeur (critère de pertinence),

– La recherche de solutions optimales par rapport à un ensemble cohérent (il vaut mieux agir sur un point que sur un autre, choisir telle mesure plutôt que telle autre) (cohérence, performance).

– Enfin le travail de consensus qui permet non seulement une appropriation partagée des évaluations mais aussi des solutions et des engagements.

Cette approche, bien sûr, paraîtra aux spécialistes bien trop complexe, préférant utiliser des modélisation sophistiqués plus familières et moins impliquantes humainement parlant.

Par contre, se construisant dans une démarche de concertation, il est toujours possible d’évaluer à tout moment l’évaluation (sa pertinence, sa cohérence, sa performance) sachant qu’au bout du compte c’est la prise de décision et l’appropriation authentique qui en sont le seul but.


UNE DEMARCHE DE CONCERTATION
LA METHODE D’APPROPRIATION ACTIVE

Lorsqu’il s’agit d’élaborer un projet, un plan d’action ou des dispositions locales en matière de maîtrise des risques, il y a certes des réflexions techniques ou réglementaires à mener mais en réalité, s’agissant de risque existentiel, c’est un processus humain qui est à mener.

Certaines formes de réductionisme en sont à oublier sinon rejeter ce qui est l’essentiel de l’enjeu et par suite le terrain même du travail à mener.

Or s’il s’agit de diminuer le risque, surtout un risque exceptionnel et en plus quelque fois sur un périmètre où l’identité collective ne va pas de soi alors c’est le travail de maturation collective qui est l’essentiel.

La méthode d’appropriation active est destinée à la mise en oeuvre de politiques publiques locales de maîtrise des risques. On peut considérer qu’il s’agit d’une démarche stratégique de concertation de type macro-pédagogique, c’est-à-dire qui vise une appropriation responsable du problème et des solutions par la collectivité concernée.

C’est évidemment la condition nécessaire pour que des dispositions prises puissent être non seulement conduites dans le bon sens mais aussi cultivée durablement.

Il est en effet peu crédible que des dispositions prises dans l’immédiat, ponctuellement, par la coercition ou de façon passive puissent avoir un impact réel à moyen et long terme sauf à se tenir dans une vision mécaniste ou programmatique des sociétés humaines.

En effet, un projet, des dispositions prises n’auront véritablement d’effet durable que si elles sont appropriées par la collectivité concernée, c’est-à-dire intégrée à son système de valeur, sa culture, son « bien commun ».
Or pour cela il faut intégrer deux dimensions pour l’action.

L’une qu’on appellera « endogène », c’est-à-dire que l’on partira de l’histoire, la culture, les valeurs propres de la collectivité plutôt que de plaquer des modèles « exogènes » souvent abstraits de leurs racines culturelles ou qui les ignorent.

L’autre qu’on appellera « bottom up », c’est-à-dire qui consiste à partir de la base, c’est-à-dire du niveau de connaissance, d’expérience ou d’organisation existant pour progresser vers une plus grande qualification, une plus grande maîtrise collective ou bien de faire l’inverse, imposer une solutions préétablie (top down).

Nous sommes là au coeur du problème de la concertation qui est malheureusement trop souvent comprise comme le moyen de « faire passer le message », approches top down et exogènes.

Ayant posé les principes qui justifient la démarche d’appropriation active, il reste à en signaler les étapes:

1) L’étude préalable


Il est toujours nécessaire d’établir l’état initial de la situation (bottom up) appréhension du risque par la collectivité) ce qui réclame aussi quelquefois de définir de quelle collectivité il s’agit (quartiers, groupements de communes, bassins…).

En outre, il importe d’élucider les caractéristiques endogènes – histoires, systèmes de valeur, projets, vocation culturelle, sens du bien commun, autorités, rôles, processus de décision, etc.

Tout cela peut être utilement appréhendé grâce à une analyse de cohérence culturelle qui permet d’en comprendre le Sens et la logique, condition nécessaire pour une intelligence suffisante des processus.

Cette étude préalable débouche sur la conception d’un savoir stratégique pour conduire et développer ensuite le processus d’appropriation active.

Cela intègre bien sur la prise en compte pertinente des autorité de référence légitimes et de la structuration des rôles dans le cheminement de maturation de la collectivité.

2) Le processus d’appropriation active et ses trois étapes clé

Si le scénario est toujours singulier, les étapes de progression passent toujours par trois temps:

– Appropriation d’une connaissance partagée du risque (évaluations),
– Appropriation d’un engagement partagé de maîtrise du risque (volonté, projet),
– Appropriation partagée d’un plan d’action ou de dispositions (intégrés aux projets et actions de la collectivité).

Ce processus, même s’il est destiné à préparer la mise en oeuvre d’un plan d’action, est aussi destiné à favoriser une dynamique permanente de progression dans la maîtrise des risques au service du bien commun de la collectivité et ses projets d’avenir.

– Appropriation d’une connaissance partagée du risque.

Ce processus vise une élaboration collective de la connaissance locale du risque et son évaluation. Cette élaboration collective n’est pas la transmission d’un savoir de spécialistes à des responsables décideurs ou des populations ignares, mais la coalition de différents savoirs, y compris les savoirs techniques et scientifiques utiles pour une évaluation collective du risque et des enjeux. On sait que cette évaluation est propre à la culture et au bien commun de la collectivité tout en dépendant aussi de l’aléa qui doit être appréhendé de façon aussi rigoureuse que possible. On notera qu’il ne s’agit pas ici d’élaborer une connaissance « documentaire » mais une connaissance « opératoire », sur le plan décisionnel notamment.

Cette phase de connaissance locale du risque doit intégrer la question de l’évaluation de dommages éventuels donc des « biens espérés » et ainsi, rappelons le, des perspectives d’avenir et de développement qui en donneront l’échelle de valeur.

Pratiquement la démarche dépend des analyses culturelles précédentes et du scénario stratégique ad-hoc. Il n’y a donc pas ici de recette à reproduire.

– Appropriation d’un engagement partagé de maîtrise du risque.

Il y a là de multiples dimensions à examiner : prévention, précaution, protection, alerte, gestion de crise, pédagogie collective, etc. L’important, une fois la situation collectivement évaluée, le terrain est disponible pour la réflexion collective en termes d’orientation et de principes et non en termes de solutions définitives. Il s’agit, en fait, de faire émerger et renforcer une motivation collective à la maîtrise dans le sens du bien commun. Cette émergence favorisera considérablement le dialogue, la réflexion, la compréhension mutuelle et donc la traduction en dispositions de principe concrètes et partagées.

L’expérience montre que cette phase est très riche et les évolutions souvent spectaculaires grâce aux préparations précédentes qui auront non seulement permis de poser un cadre, un contenu et un sens partagé à la discussion. Là aussi, par contre, les formes doivent toujours être « culturellement » singulières. La manifestation de l’engagement final engage les responsables au premier chef et aussi la reconnaissance et l’exercice de l’autorité de leur rôle dans la suite du processus. La représentativité des intéressés est aussi capitale pour que soit assumés les relais légitimes vis-à-vis des populations concernées.

– Appropriation partagée des solutions et dispositions pratiques

Cette phase est la concrétisation de ce qui précède jusqu’à établir les plans et programmes d’action selon toutes les dimensions opérationnelles nécessaires.

Là aussi la réflexion technique, administrative, financière etc. est grandement facilitée par ce qui précède et les solutions pratiques plus évidentes.

Cette phase peut déboucher sur des formes de contractualisation diverses, selon le cas, mais surtout elle prépare la transition avec le temps de l’action et aussi avec la persévérance et le progrès dans la maîtrisedu risque.

Il y a donc, au bout du processus d’appropriation active, non seulement de bonnes solutions appropriées à la situation, non seulement un engagement durable du à l’appropriation du problème, du projet et ses réalisations par les acteurs responsables, mais aussi un apprentissage collectif de très grand intérêt même pour d’autres domaines.

Enfinilfaut rappeler en conclusion que le processus d’appropriation active est un processus de production, à la fois d’un contenu « technique » et à la fois d’un contenu « social » c’est à dire de la maîtrise d’une communauté à propos d’un problème de risque lié à des phénomènes physiques.

A SIGNALER


L’INGENIERIE HUMAINE AU SERVICE DE LA MAITRISE DES RISQUES


Il s’agit simplement d’indiquer que si, à un risque existentiel répond un processus de maîtrise collective alors ce problème relève principalement de problématiques et de phénomènes humains. Le constat d’aléa est une donnée à partir de laquelle le phénomène humain est décisif (y compris dans sa connaissance, sa décision et ses solutions techniques).

On n’insistera jamais assez sur l’intérêt qu’il y aurait à prêter autant d’attention, de science et de compétence qu’aux aspects techniques concernés.

Déjà la connaissance des logiques humaines permettrait de mieux comprendre les attitudes, comportements, les rationalités collectives, culturelles et aussi les problématiques humaines sollicitées.

En outre, l’action qui vise à analyser pour comprendre et pour agir relève d’une ingénierie humaine qui doit valoir pour le moins l’ingénierie qui a cours dans tel ou tel domaine technique, administratif, économique ou autre. Sa caractéristique, par contre, n’est pas de juxtaposer une discipline à d’autres mais d’être intégratrice.

L’ingénierie humaine développée sur la base des cohérences humaines par l’Institut Cohérences est sans doute la première disponible à l’échelle de la mise en oeuvre de politiques locales aussi complexes que celles de la maîtrise des risques.

Cependant elle relève d’une position qui, à l’instar de la déclaration de RIO dans son article un, place l’homme au centre des problèmes qui sont les siens. Il ne faut pas s’étonner que la « gouvernance » ou le gouvernement des hommes ait à retrouver leur place là ou la gestion des choses avait pris l’exclusivité.

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