Le Sens du bien commun
Conférence de prospective de Vanves. La question du Sens du bien commun suppose communauté territoriale. C’est la condition pour échapper à l’arbitraire d’un intérêt général toujours particulier, celui de ceux qui n’ont pas l’autorité politique dans la communauté et y fondent une pseudo légitimité non responsable.
Le Sens du bien commun devient alors celui du développement de la communauté. Toute autre conception qui ne s’y réfère pas est un exercice de l’arbitraire et de non considération de l’humain.
Aujourd’hui se pose à nouveau fondamentalement la question du lien qui noue l’existence de communautés territoriales, citons :
Les régions et la nation,
Les nations et l’Europe
Les communautés territoriales nouvelles et les communes.
On pourrait y rajouter aussi la question du lien des personnes et des organisations auxquelles elles participent, des entreprises ou institutions et des territoires où elles exercent leur activité, la question aussi des groupements des uns et des autres.
Cette question tend, avec la mutation, à se tourner vers l’idée de projet commun pour ébaucher une nouvelle réponse. Les analyses issues de la théorie des Cohérences Humaines parlent de « Communautés de Sens » et de devenir et aussi de relations de « concourance » dans la poursuite du bien commun dont tout projet se fait l’expression. Si tel n’était pas le cas, il n’y aurait pas d’appropriation par la communauté d’un tel projet. C’est la cause d’échec le plus fréquent dans la constitution de groupes ou « communauté » de territoires ou même d’entreprises.
Or deux questions font obstacle au déploiement de ce tableau:
L’une c’est la dialectique antagoniste, intérêt général – intérêt particulier, dont le débat, ou son orchestration maligne, paralyse l’émergence de la communauté ou du moins sa capacité d’assurer la responsabilité de son existence et son devenir.
L’autre c’est la question de l’articulation des niveaux du bien commun dont la réponse, si elle n’est pas clairement comprise fera le lit de l’emprise stérilisante de la dialectique précédente.
Il est clair que l’articulation, intérêt général – intérêt particulier, est une question qui touche un champ extrêmement vaste des problématiques du monde actuel. Gageons que les quelques éclairages localisés ci-après puissent être transposés à plus grande échelle, par exemple au travers d’une « économie du bien commun » ou d’une « politique du bien commun » sans compter les projets conçus comme « stratégies du bien commun ».
La question du bien commun et de l’intérêt général
Vaste sujet philosophique certes mais retenons en ici quelques indications :
– Pas de bien commun sans communauté et donc la responsabilité commune de convenir de son « bien commun »,
– L’intérêt général, en particulier dans la pratique constante de la plupart des « autorités » se garde à l’abri de la référence à une quelconque communauté. Les uns invoqueront le droit ou la loi abstraction faite de la réalité, démocratique ou non, de son élaboration. Les autres feront allusion aux lois de l’économie, du marché, de la nature pour poser un supposé intérêt général au-dessus de toute délibération communautaire. D’autres invoqueront l’opinion, la démocratie ou quelque principe sui generis ou de circonstance pour légitimer une affirmation arbitraire de l’intérêt général.
Si toute qualification du bien commun est culturelle, dans la culture de la communauté l’intérêt général se dit universel. Lorsqu’il s’identifie à l’intérêt national, c’est ce dernier qui est voulu universel par le biais d’une déformation du concept de souveraineté.
Le bien commun de la communauté pose avant même la question de son mode de qualification, celle de ce que signifie le bien dans l’expression du bien commun. Une conception économiste fait du bien (biens et services) une marchandise échangeable ou simplement une utilité. Or le bien commun doit être compris à trois niveaux.
Au fond c’est le bien humain de la communauté humaine. Il est lié au Sens de la vocation communautaire. Sens du bien commun, celui-ci n’est reconnaissable que là où on conçoit ce que veut dire communauté humaine. (cf. Les communautés de Sens).
Ensuite c’est le projet commun qui projette des buts constituant les références communes du bien commun.
Enfin tout ce qui concoure au Sens de la vocation communautaire, en référence aux buts communs, devient une expression particulière du bien commun.
Cependant aucune forme particulière ne peut s’ériger ni en référence, ni comme le bien commun lui-même. Aucun but commun convenu ne peut être considéré comme le bien en lui-même mais une forme convenue dans un temps et des circonstances données. Seul le Sens du bien commun de la communauté est une constante intrinsèque qui la qualifie et l’identifie sous son meilleur jour (Il y a toujours dans chaque communauté des maux communs, tout ce qui diverge du Sens de son bien).
Il est difficile d’appréhender le bien commun propre à une communauté sinon par une élucidation de ses Sens culturels (analyse de cohérence culturelle).
On peut remarquer que le Sens du bien commun a toujours quelque chose à voir avec la fondation (ou plutôt la problématique fondatrice) de la communauté en question. Relié aux origines communes, il traverse le présent, engage le futur et trace la voie d’un accomplissement progressif de la communauté.
L’intérêt général ignore tout cela. Il est souvent un bien commun dévoyé. Par exemple une référence culturelle posée comme absolu, universel, une contribution spécifique posée en norme.
C’est en cela que la référence à l’intérêt général qui pourrait être une autre formulation de la notion de bien commun en est trop souvent le fossoyeur. Il est, ce faisant, le fossoyeur de la communauté, privée de son « bien commun ».
On va assister de plus en plus à cette tension entre des tenants de l’intérêt général pour s’opposer à la montée en puissance des « biens communs », c’est-à-dire des communautés territoriales et leurs projets par exemple.
Alors que l’Europe pourrait exalter le bien commun propre à chaque communauté territoriale et en faire l’essence du bien commun européen, on voit tomber des directives normatives fondées dans des déclarations d’intérêt général arbitraires parce que non délibérées. Elles sont justifiés, comme c’est souvent le cas, par quelques « rapports scientifiques » qui deviennent les légitimations de l’arbitraire.
Cela étant, les références à l’intérêt général sont le plus souvent justifiées non par un bien, commun à quiconque, mais comme l’opposition nécessaire aux intérêts particuliers.
Hormis cette croyance mécanique ou magique (à moins qu’elle ne soit une vulgaire auto exonération) qui considère que l’intérêt général dérive d’une combinaison des intérêts particuliers, c’est toujours le rempart aux abus de l’intérêt particulier qui devient rapidement dénonciation de toute particularité jugée abusive. Ainsi tout bien commun d’une communauté est classé dans la catégorie des intérêts particuliers. L’actualité en est pleine.
Par ailleurs dès que l’on discerne un peu les intentions et les jeux de certains défenseurs, détenteurs possessifs de l’intérêt général, on voit comment sont mis en scène et provoqués les conflits d’intérêts particuliers (d’usages par exemple) pour détourner de la recherche du bien commun et ainsi soumettre la communauté à l’autorité détentrice du pouvoir « supposé » de qualification de l’intérêt général. Le cynisme n’est en général pas loin en même temps que la concurrence entre les interprétations de l’intérêt général au nom d’un même absolu.
Il existe d’autres pratiques d’évitement du bien commun mais c’est là une des plus éprouvée, dénoncer l’intérêt particulier abusif au nom de l’intérêt général.
L’articulation des communautés et leur bien commun propre
Reste l’autre question, comment les « biens communs » s’articulent-ils entre eux. Sont-ils à fusionner pour n’y en avoir qu’un seul? Sont-ils additifs et à cumuler? Sont-ils complémentaires comme les parties d’un tout? Aucune de ces versions, classiques, n’est humainement acceptable.
C’est d’ailleurs la reconnaissance de la nature humaine des communautés humaines et de leur bien commun qui renvoie la solution du côté de la compréhension de l’homme et de la personne. C’est cette référence que nous allons utiliser pour analyser la question.
Toute personne est (potentiellement) souveraine mais doit, pour exercer sa souveraineté, la cultiver en grandissant, en mûrissant, en s’accomplissant.
Par analogie (par analogie seulement) on peut en dire autant de chaque communauté territoriale, grande ou petite, mais aussi de tout groupement humain ou organisation par exemple. Par ailleurs aucune personne ne peut exercer sa souveraineté ailleurs que dans une et en fait plusieurs communautés et l’inscrire dans leur bien commun respectif (citoyenneté?). La souveraineté personnelle dans son exercice dépend de la communauté sans laquelle elle n’est rien.
Ainsi le bien de la personne propre, unique, devient-il concours au bien commun propre de chacune des communautés auxquelles il participe et, en définitive, qu’il sert. Elle accomplit son bien propre en servant le bien commun des communautés auxquelles elle concoure et qui sont différentes. Ainsi le groupe familial, le groupe professionnel, la commune, telle association mais aussi la région, la nation et l’humanité entière sont des communautés auxquelles communément les personnes concourent. Seulement la personne qui concoure au bien commun familial, ou qui concoure au bien commun de la communauté professionnelle (entreprise, institution) ou qui concoure au bien commun de sa commune n’est pas dans la même activité tout en restant une.
Ainsi on ne peut pas parler de bien commun en général sans se référer à une communauté particulière et en même temps la participation à la poursuite de ce bien commun n’est pas exclusive de la poursuite d’un autre bien commun dans une autre configuration.
En revenant aux communautés territoriales ou tout autre groupe humain il en va de même. Les biens communs particuliers sont « souverains » et propres dans leur communauté. Celle-ci peut concourir simultanément à d’autres « biens communs », ceux d’autres communautés auxquels elle participe et elles aussi souveraines.
Ainsi la hiérarchie des souverainetés n’a de valeur que dans une relation de service où la souveraineté de l’un en s’exerçant aide celle de l’autre à progresser. Ce pourrait être le cas de l’Europe vis-à-vis de toutes les communautés européennes en même temps que chacune exerce sa souveraineté dans d’autres contextes nationaux, régionaux, etc. Ce peut être le cas d’une communauté territoriale vis-à-vis de communes mais aussi l’inverse lorsque telle ou telle commune sert le bien commun de la communauté territoriale. De même un professionnel dans une équipe est souverain dans l’exercice de sa maîtrise professionnelle mais l’équipe est en même temps souveraine en ce qui concerne la poursuite de son bien commun et de même entre l’équipe et l’entreprise ou l’organisation à laquelle elle concoure.
Ainsi former une communauté de communautés ce n’est pas aliéner celles qui y participent mais leur permettre d’exercer leur souveraineté dans le service du bien commun tout en étant servies par les communautés en question.
Il n’y a plus conflit des biens communs particuliers, ni même additivité mais concourance réciproque des vocations propres aux différents biens communs.
On voit bien quelle importance décisive revêt pour l’avenir la considération pour chaque territoire de la communauté qui l’habite et de chaque communauté par son bien commun.
L’élucidation de celui-ci, sa projection en horizons qui font référence : le projet d’avenir, l’appropriation active par ceux qui participent à la communauté deviennent les clés essentielles de la « gouvernance des communautés territoriales » mais aussi de toutes communautés entreprenantes.
Politique du bien commun, économie du bien commun, stratégies du bien commun se posent, avec la mutation, en alternatives à celles dialectiques de la puissance et de l’impuissance, de l’accumulation et de la rareté, de l’inclusion et de l’exclusion, de l’intérêt général et de l’intérêt particulier.