Les racines de la certitude
Nos certitudes ne sont pas toutes de même nature. Elles témoignent toutes d’un rapport à la vérité et à la vérité de nous-même. Elles participent aussi de nos relations aux autres, tant comme milieu d’influence (conSensus) que comme type de considération.
Celui qui affirme un fait, une idée, un sentiment de façon absolue se place dans un position totalitaire et gomme toute altérité en lui-même aussi bien. Il doit en effet se placer dans une position de jugement absolu, position divine donc.
L’expérience courante montre avec quelle vigueur nous sommes communément ancrés sur nos jugements, nos opinions, nos certitudes. Quelque fois, mis à l’épreuve, c’est dans nos "derniers retranchements" qu’il nous faut trouver argument. C’est alors que Dieu, la Science, l’Evidence, la Raison, l’Opinion commune, l’Expérience, etc… viennent à la rescousse. Dans des cas extrêmes, mais dont notre histoire est remplie, ce sont colères et violences et jusqu’au meurtre et à la guerre qui sanctionnent des conflits de "certitudes". "Mourir pour ses idées" n’est pas que le thème d’une chanson, c’est aussi une réalité.
Mais qu’est ce qui fait donc que nos certitudes puissent aller jusqu’à une question de vie ou de mort. Question de vie dans nos options, nos choix, nos engagements, nos rencontres, nos refus ! Question de mort lorsque notre certitude réclame le prix de la vie, soit celle de l’autre, soit la nôtre avec tous les degrés intermédiaires de la violence ou du rejet.
Il y a, bien sûr, une attitude qui consiste à nier l’importance de quelque certitude que ce soit au bénéfice de la certitude de l’intérêt immédiat bien compris. Cette fuite est vaine. Un vain débat offre alors celui de la comparaison des certitudes dans leur affrontement mutuel. Que le meilleur gagne, que le plus fort l’emporte, et c’est la bagarre à coup d’arguments, et c’est la guerre verbale et physique.
C’est une autre voie que nous voulons proposer. Avant de juger de telle ou telle certitude, de telle ou telle référence à la Vérité, il nous faut nous interroger sur les fondements et sur les enjeux de ce phénomène : nos certitudes, notre appel à la vérité.
C’est lorsque nous aurons compris quel en est le véritable enjeu, quelquefois mortel, quelles en sont, en nous-mêmes les racines, qu’il sera alors possible d’envisager la question du discernement et, pourquoi pas, de la conversion de nos certitudes.
Sur le plan de leur manifestation nos certitudes existent sous tous les modes de nos existences (cf. la théorie de l’existence). Les vérités auxquelles nous tenons, banales ou philosophiques, idéologiques, scientifiques ou religieuses, se présentent sur le mode formel, mental, sous forme d’idées, de pensées, d’imagination et toutes formes de représentation qui alimenteront nos discours. C’est le cas en particulier des textes (dans leur lettre), des formules, mais aussi des mythes et légendes de toutes sortes, jusqu’aux "photographies" qu’en abondance nous offrent les media contemporains.
Nos vérités certaines sont aussi chargées d’affectivité. Nous y tenons, nous y sommes attachés et nous sommes touchés, affectés lorsqu’elles sont par exemple approuvées ou rejetées. Qui n’éprouve quelque plaisir à être reconnu dans ses idées? Qui n’éprouve quelque agacement à ce que ses convictions soient critiquées.
En outre, il arrive sans cesse que nous nous appuyons sur des faits pour prouver nos idées, pour confirmer nos certitudes. Expérience de ce qui s’est passé antérieurement, preuves concrètes actuelles ; l’argument de la matérialité des faits est de nos jours fort à l’honneur. "Les faits sont têtus" disent mêmes ceux qui leur font ainsi l’honneur d’être critère de vérité.
Si nous excluons l’un de ces plans, nous voyons bien que l’effet de certitude ne tient plus, pas de référence concrète à la réalité, pas de conviction affective, pas d’identification formelle.
L’important dans tout cela, c’est que nos certitudes existent toujours en rapport avec le monde, les autres, dans notre existence toujours partagée, au moins avec nos proches. Or la théorie de l’existence nous montre comment notre réalité personnelle est intrinsèquement liée à tout ce qui existe, y compris à nos certitudes. A ce stade, on peut comprendre quelle confusion peuvent se produire entre nous et nos sentiments, nous et nos idées, nous et les faits dans lesquels nous sommes impliqués. Il y a là un premier indice.
L’existence de toute chose est faite de consensus entre les êtres humains, entre leurs Instances, royaume du sens.
La différence des certitudes est très souvent une différence de sens, un "dissensus" qui fera discussion éventuellement.
Nos certitudes sont toujours partageables. C’est ce qui leur donne corps, consistance. Elles ne sont quelquefois partagées que par un petit nombre, du moins nous semble-t-il. D’autres fois, elles sont largement partagées lorsque nous sommes "dans le SENS du courant".
Au delà des liens entre nos réalités existentielles et nos certitudes (immanence et dépendance) il y a un fondement commun : le Sens en notre Instance, investi dans un consensus plus ou moins largement partagé.
Nous touchons là aux profondeurs de l’être, là où notre conscience (mentale ou sensible) n’atteint pas, là où seule une conscience d’être, conscience de sens, lumière intérieure, peut nous éclairer.
Il y a donc, au delà de notre vie existentielle, des racines plus profondes à nos certitudes : le sens, dans l’Instance que nous sommes chacun, notre ^âme spirituelle, notre être essentiel.
C’est comme cela que nous pouvons comprendre que l’attachement à nos certitudes peut aller au delà de la vie, au delà de notre réalité existentielle. Certains suicides, dit-on, sont une tentative de supprimer l’existence pour arriver à Etre. Il y a aussi des actes de foi qui visent plus haut que la vie. Cet ancrage de nos convictions dans notre être profond est la racine de nos certitudes, de nos positions de vérité.
Arrêtons-nous pour en tirer les conséquences.
Tout d’abord on comprend qu’une remise en question de nos certitudes puisse être comme une mise en question de nous-mêmes, de même que l’on peut dire qu’en elles, nous nous y "retrouvons". Il y a bien là des expressions banales qui indiquent ce lien entre nos positions de vérité et nous-mêmes.
Nous sommes le dernier rempart de nos convictions, quelques soient les artifices pris pour leur défense qui est notre défense.
Voilà ce qui peut être source de toutes les extrémités. En particulier si nous nous confondons avec la manifestation de nos certitudes comme si elles étaient un "organe vital", alors tout est possible dans l’alliance fallacieuse ou le conflit. Le fanatisme n’est pas loin de même que l’idolâtrie, son pendant. Selon, évidemment, tous les degrés, c’est à ce jeu là qu’une grande part de notre vie s’épuise et se gaspille dans nos relations et nos sociétés (affrontement idéologique, complicité, idolâtries, etc…).
Il est vrai, néanmoins, que nous ne sommes pas faits d’un seul Sens mais très souvent nous sommes installés dans un sens principal. C’est pour cela que nous nous retrouvons avec ceux qui y sont aussi installés et que ceux qui sont installés dans un autre Sens, avec d’autres certitudes donc, nous paraissent un péril, sinon immédiat, une menace latente, à moins que ce soit le signe de quelque malveillance à notre endroit.
De là des solidarités de reconnaissance ou de mépris. De là des alliances guerrières et des combats meurtriers.
Toutes nos certitudes ne se valent pas. Certaines sont telles qu’elles méprisent d’autres hommes, d’autres s’abstraient de toutes questions humaines, d’autres enfin se fondent sur l’amour. Et pourtant, impérialismes, sciences, religions de l’amour ont toujours donné lieu au même type de problème. Nous pourrions dire que ce problème est celui de la confusion entre notre être, le Sens dans lequel nous sommes positionnés et investis, et les manifestations de ce Sens en termes de certitudes ou de vérité.
Cependant selon tel ou tel de ces Sens nos positions ne donneront pas les mêmes effets, n’auront pas les mêmes conséquences. Avant d’examiner cette diversité des positions possibles, positions épistémologiques ou positions de vérité, il nous faut nous interroger sur le fait que nous soyons investis dans un Sens plutôt que dans un autre et que nous tenions en conséquence à tel type de certitude, à tel critère de vérité.
Cette vérité qui s’ouvre en nous-mêmes, dont, à nos yeux, nous sommes le dernier garant malgré les arguments "extérieurs" dont nous appelons la caution ; cette vérité est le Sens même de notre orientation vis à vis du monde. C’est le Sens qui parmi tous ceux de notre Instance est le "lieu d’être" où nous sommes installés. Cette installation n’est pas forcément fixe et elle n’est pas non plus arbitraire. Le Sens selon lequel nous sommes dirigés, celui des consensus principaux que nous partageons, est celui qui nous vient de notre éducation, de nos héritages familiaux et culturels. Il peut être aussi celui selon lequel notre milieu nous sollicite le plus.
Qu’il y ait un rapport, éducation/certitude, un rapport milieu de vie/ certitude n’a rien d’étonnant. Il n’est pas automatique, mais avec un peu de recul chacun peu apercevoir que nos propres certitudes sont influencées en nature ou en degré selon les périodes et les milieux où nous vivons. La norme est bien dans une transmission éducative et socio culturelle des certitudes.
Cependant rien n’interdit qu’il y ait au cours de la vie des changements "radicaux". Nous ne parlons pas là des oppositions "réactionnelles" qui, si on y regarde de près, ont souvent le même sens que celles à l’encontre desquelles elles se définissent. Les changements radicaux peuvent résulter, soit de l’influence du milieu (changement d’environnement, de mode, de courant), soit d’une "conversion" personnelle qui nous amène à voir les choses différemment.Heureux celui qui a vécu de telles conversions dans ses certitudes et qui est resté capable de la souplesse qui consiste à comprendre les autres positions, les autres points de vue, à se remettre à la place des autres, c’est-à-dire : changer de sens, de lieu d’être en lui-même. C’est la condition pour qu’aucune certitude ne vienne aliéner la personne, pour que sa conscience d’être lui permette de ne pas s’y confondre, mais aussi, et c’est le plus important, de choisir librement ses certitudes, celles qui lui offrent la plus grande vérité d’être, qui lui offrent cette liberté même.
Si mes certitudes sont que l’homme est entièrement déterminé par son milieu extérieur et psychophysique, alors il n’y a pas une telle liberté, la vérité aliène de cette liberté. Si, au contraire, mes certitudes sont que toutes les certitudes humaines, témoignent d’une diversité de positions, de dimensions de l’être (de sens), alors la vérité est ce qui place en face (ou au coeur) du choix de la liberté et de la responsabilité humaine, en ce qui concerne le Sens de son devenir. La vérité est alors la vérité du Sens, vérité de l’être-Instance de l’homme dont les certitudes ne sont que les révélateurs qui y sont enracinés.
Les certitudes qui témoignent de cette possibilité d’une conscience d’être, du lieu de la vérité de l’homme en l’homme sont celles dont on peut dire que la lettre révèle l’esprit, le sens, sans qu’elle s’y confonde et en y restant subordonnée.
Les lois et certitudes sont faites pour l’homme, pour son être et non l’homme pour la loi ou la certitude.
Il faut revenir maintenant à la question de la variété des positions de certitude.
Il est remarquable en effet que la vérité semble être le trésor précieux de n’importe quel détenteur de certitudes même les plus opposées. Il y a un lien étroit entre le type de certitudes et les critères de validation, de vérité, qu’il réclame. Ce lien c’est le Sens, le Sens de la position ontologique qu’ils expriment, lieu d’être de ceux qui s’y disposent.
Ceci est vrai dans les positions religieuses lorsque la vérité est supposée donnée d’avance, formellement, et qu’il ne s’agit plus que de la défendre en dénonçant toutes les autres références. La lettre tue, dit Saint Paul, et l’esprit vivifie parce que la vérité est de l’ordre de l’esprit, du Sens en l’homme et non pas de la lettre qui n’est que forme d’expression. Dans le domaine des idéologies politiques, il en est de même lorsque l’erreur ou la malveillance sont les seules interprétations des positions différentes, caractérisant aussi l’ignorance des racines de ses propres positions.
Dans le domaine scientifique et plus généralement tout le champ épistémologique où, au fond, on peut intégrer l’élaboration des savoirs, connaissances et certitudes, les débats sont tellement graves qu’on n’ose même pas bien souvent, reconnaître les différences, tellement la "vérité d’évidence" règne sur un marécage "d’obscurantisme".
L’aveuglement y est confondu avec la lumière. Il n’y a qu’à voir comment le réalisme matérialiste où l’idéalisme rationaliste s’ignorent superbement. Avec quelles passions les rationalistes dénoncent l’irrationalisme de ce qui n’est pas conforme à leur raison. Dans quel mépris certains scientifiques et philosophes se tiennent-ils mutuellement. L’incompréhension, plus commune, des tenants du "bon sens" et des opinions domestiques mutuelles, témoigne de cette diversité des critères de vérités dont tous semblent les heureux propriétaires et chacun des autres un menteur ou un imposteur.
En fait, toutes les certitudes sont vraies en tant qu’elles témoignent d’un sens authentiquement humain. Aucune n’est la Vérité puisque le lieu de la vérité (de l’homme pour l’homme) est le Sens. Cependant toutes les certitudes ne se valent pas et seules quelques unes permettent l’accès à cette vérité du Sens. Seuls quelques Sens permettent d’accéder au sens. C’est alors et alors seulement qu’une vérité au-delà de l’homme, au-delà du sens peut être envisagée, celle de son origine, celle du fondement du Sens, de tous les Sens en l’homme et donc de toutes ses certitudes.
Examinons maintenant une typologie de familles de certitudes (cf. théorie de l’Instance et des Cohérences, carte de cohérence épistémologique) que nous allons caractériser chacune par :
– le type de rapport à la vérité,
– une définition (approximative) des critères de vérité,
– le genre de certitudes qui s’y côtoient,
-quelques indications sur les "bénéfices" personnels de ces positions,
Cette typologie se présente comme un ensemble de vecteurs (sens) divergents. On ne s’attachera qu’à quelques sens (8) en commençant par se repérer avec quatre types de base (1 à 4)
I – TYPES 1 ET 2 : LA CROYANCE ET LA FOI
Voilà bien deux rapports à la vérité fondant des certitudes opposées, de sens inverses. L’opposition ou la confusion, croyance et foi, sont classiques. Si on se rapporte à leur sens, l’opposition se révèle.
1 – La croyance (type 1)
La croyance se fonde sur une idée, un schéma logique, une forme, une loi ou une norme, considérée comme première, c’est-à-dire la cause de toute chose, de l’homme et du savoir y compris. La croyance est croyance à quelque chose , qui est la raison ou la cause de tout. Il y a, ainsi, autant de croyances que de modèles ou de formes premières.
La croyance se décline donc en une multitude de croyances plus ou moins dépendantes ou isolées les unes des autres.
Le critère de vérité pour ce type de certitude c’est la conformité à la cause formelle. Croyance dans les lois mathématiques, croyance dans les structures génétiques, dans celles du langage, croyance dans des "idées", dans le schéma de l’évolution, un scénario cosmologique. Croyance encore dans les structures sociales, la "démocratie" ou la "république" ou le "libéralisme". Est vrai ce qui confirme la croyance, faux le reste. De ce fait, les croyances s’excluent entre elles, quelquefois tout en étant de la même famille.
Les certitudes de type scientifique ou idéologique des siècles récents mais aussi les philosophies idéalistes ou structuralistes sont très souvent de ce type de certitude (avec des variantes bien sûr).
La croyance dans les modèles, organiscismes et rationalismes vont de pair avec la recherche de conformité, l’idée que les choses arrivent par "développement structurel" reproduction à l’identique. Vérité est synonyme de normalité et ce qui est "normal" est digne de la vérité.
Cette position, celle du conformisme, est abandon de la responsabilité humaine aux bons soins d’une vérité étrangère préétablie. C’est celle "normale" de l’enfant vis à vis de l’ordre établi, d’abord par ses parents, c’est l’attitude la plus fréquente de celui qui subordonne son devenir à un ordre des choses préétabli dont il serait l’objet et au mieux un organe important, d’autant plus important qu’il est près de la cause formelle première (cadres, représentants, mandatés, élus démocratiquement, savants, détenteurs de statuts, places et titres officiels, chercheurs (de causes formelles et de leurs applications) etc… L’appareil social, de même que l’appareil biologique, linguistique, institutionnel, sont investis d’autorité responsable, moteur de la croyance.
La croyance dénonce comme croyance toute certitude qui n’est pas conforme, pas "normale".
2 – La foi (Type 2)
Elle se fonde dans une source ontologique, dans une ^âme que les réalités expriment. Il y a une personne, un être derrière la réalité qui en est la manifestation.
La foi pour l’homme est foi en l’être , le sien ou celui des autres ou un Autre être.
La vérité est synonyme d’authenticité. Est vrai ce qui témoigne de la présence de l’être, d’une source créatrice, d’un auteur de ce qui se présente.
La foi est celle des certitudes qui se fondent dans l’âme, dans la personne humaine et au delà en Dieu. La foi en Dieu n’est pas croyance en une idée ou une structure divine mais en un être créateur.Il y a des variantes très typées qui entraînent la foi vers un matérialisme de la puissance animale, dominatrice et possessive, source de violence et d’aliénation ou vers une foi en l’être humain et au sens (esprit) de son accomplissement. Historiquement la première variante a pu servir de repoussoir pour disqualifier les certitudes de foi.
Celles ci se trouvent bien sûr dans les religions mais pas forcément chez les "croyants", pas toujours "fidèles". La distinction peut se faire encore sur les rapports à l’esprit ou à la lettre selon ce qui est placé comme critère de vérité (fidélité en l’esprit, croyance à la lettre). Sur le plan de la connaissance, la foi ouvre la vérité dans la reconnaissance de l’origine. Tout savoir est pris comme témoignage de son auteur et comme repère pour les autres.
Le savoir, la connaissance, les certitudes se fondent sur l’autorité reconnue, non pas le statut institutionnel mais l’authenticité et la profondeur de la parole de connaissance tenue. Il en est de même des certitudes de chacun vis à vis de sa propre autorité. Une certitude est donc toujours une prise de position responsable dont la vérité ne se situe que dans son auteur et dans l’auteur de tout acte de reconnaissance, confiance ou foi dans l’authenticité de la parole.
Il va sans dire qu’une dégradation de la foi est possible. La foi est risquée, d’un risque de responsabilité d’abord, d’un risque d’aliénation à l’imposture. La foi aveugle, celle plus précisément qui parie sur l’évidence et le savoir absolu, est source de destruction ou de violence. Seule la foi qui cherche est saine, celle donc qui n’a pas trouvé d’avance, celle qui s’accompagne du doute. Les certitudes de foi saines sont celles qu’accompagne le doute, la "remise en question de soi" ce qui est différent du soupçon critique qui, lui, cherche la vérité dans une croyance d’exactitude. Ces certitudes de foi reconnaissent leur fondement et donc la responsabilité d’auteur de la personne humaine vis à vis d’elles. Un discernement est donc là indispensable. Autonomie adulte, responsabilité personnelle, dignité particulière de la personne humaine sont les bénéfices des certitudes de foi. Elles s’éprouvent comme vérités personnelles dont le partage communiel permet la révélation d’une humanité commune mais dont la possession jalouse conduit au fanatisme et aux pouvoirs dominateurs et impérialistes de ceux qui se jugent investis personnellement de la vérité toute puissante.
II – TYPES 3 ET 4 : L’ABSOLU ET LE RELATIF
Certitudes absolues, certitudes relatives, voilà une opposition qui suppose un certain rapport à la vérité, à soi même, aux autres, aux choses et au monde en général. L’absolu et le relatif pourraient être pris comme deux degrés de connaissance. La connaissance parfaite et celle qui s’en approche. Elles sont au contraire radicalement opposées, impliquant des attitudes inverses.
1 – L’Absolu (type 3)
La certitude absolue se fonde sur la vérité des faits, sur leur matérialité. Il y a une réalité, là, en fait, matérielle, absolument indépendante de nous et dont nous constatons la vérité qui est toujours d’évidence pour celui qui consent à voir ou qui en a les moyens.
La vérité se confond avec cette objectivité qui consiste à se soumettre au constat de l’évidence matérielle des faits, des causes et des effets, des interactions et de la loi fatale qui mène toute chose à ce qu’elle doit être.
La certitude ne se discute pas, la discussion est suspecte à moins qu’elle ne soit effort pour s’approcher au plus prêt de la vérité intangible qui attend qu’on la découvre.
Projet scientifique ou projet dogmatique selon les variantes, il implique que l’homme fasse partie des faits de vérité, qu’il s’y confonde. Il n’y a donc de distance que coupable entre le savoir et la vérité. Le Savoir appartient à la Vérité et l’homme qui est le support du savoir n’en n’est que porteur et toutes ses certitudes ne dépendent pas de lui mais de ce qui existe concrètement.
Ce sont là les certitudes matérialistes d’un monde factuel dans lequel l’homme et le savoir ne sont que des péripéties dont la trajectoire est tracée d’avance. Les positions de certitude absolue fondées dans une réalité hors de l’homme et sa réalité matérielle ou psychologique elle-même, se retrouvent dans les variantes de type dogmatique lorsque l’absolu est possédé par des êtres (dans le monde) qui réclament une foi absolue donc aveugle. On a là le dogmatisme idéologique, politique, religieux, de tous les fanatismes où la puissance justifie la vérité.
Dans une autre variante, plus scientifique parce que plus formelle, c’est la croyance absolue qui se fait totalitaire au nom de la Nature, du Système, du Marché, de l’Etat et toute autre ordre établi absolument dont seuls les "imbéciles" et les " méchants" ne veulent pas consentir à l’évidente nécessité.
Les certitudes absolues, polarisées par le fait ou la chose absolue qu’elles se donnent, entraînent l’exclusion de toute interrogation et l’inclusion confondant l’homme à la vérité qui s’impose à lui.
On voit le rôle que la faute, la culpabilité peuvent jouer comme critère d’écart à l’absolu avec la menace et la condamnation qu’exige cet écart. C’est le domaine des vérités tabou, indiscutables.
Mais de telles positions, à la fois terribles et combien courantes, sont aussi des positions humaines. Elles se fondent principalement sur un Sens selon lequel l’homme est toute impuissance ou alors investi de toute puissance. Position la plus archaïque, celle de la confusion avec la matrice originelle. Elle est aussi celle de l’avidité. La soif (ou la faim) d’absolu, lorsqu’elle s’exprime dans le monde, se fait connaître selon ce sens et de telles certitudes. Les certitudes autres sont des menaces terribles, l’autre qui n’est pas le même n’est pas supportable. Seules les distinctions matérielles, extérieures, accidentelles sont acceptables.
Les certitudes absolues se défendent comme si la vie était en jeu, soit par le conflit, soit par la dissimulation. En tout cas l’homme y est toujours subalterne.
2 – Le relatif (Type 4)
Les certitudes relatives sont celles qui dépendent des conditions humaines de la connaissance. Il n’y a pas de certitude absolue mais il n’y a qu’un certain état de qualité de notre connaissance. On ne peut pas dire alors que la vérité est déjà là, établie absolument, puisque notre connaissance n’est pas absolue. Elle nous permet, au mieux, de faire des hypothèses de probabilité.
Est vrai ce qui nous semble, relativement à ce que nous pouvons en connaître ou ce que l’homme en connaît. L’intelligence et le progrès de son travail amènent les seules certitudes que l’on peut avoir, humainement parlant. Les certitudes sont donc qualifiées en valeurs relatives et différenciées. Il y a des certitudes meilleures que d’autres sur telle ou telle façon de comprendre les choses. Elles sont provisoires en attendant une amélioration de la connaissance.
Cette position entraîne une certaine humilité (non l’humiliation de la certitude absolue) qui consent à ne pas connaître d’évidence l’absolu, conscience des limites humaines et absence de prétention à la possession d’une vérité absolue au delà du savoir déjà acquis. Elle suppose aussi l’espérance et la persévérance. Si l’absolu n’est pas déjà là le progrès est possible, progrès des qualités et valeurs humaines, de son intelligence et de la vérité relative qu’il édifie (science, philosophie, arts, etc…).
Il s’agit là de certitudes qui s’attachent au devenir de l’homme, à sa valeur, à ses oeuvres et à l’espérance qui dépasse la contingence. Il n’y a, ici bas, que des certitudes relatives justifiées par un au delà de toute certitude.
C’est là que des variantes peuvent intervenir sur cet au delà.
Ou il est dans l’homme lui-même, son être et ce qui le fonde (Dieu) et la certitude relative devient aussi foi prudente (avec discernement).
Ou il est dans une norme, un idéal de perfection et la certitude relative devient croyance raisonnable.
On a là le type de certitude qui accompagne l’espérance et les projets humains. Certitude relative sur leur intérêt et leur possibilité mais engagement concerné cependant.
La vérité est à mesure d’homme, il ne peut alors y avoir que des certitudes mesurées, prudentes. Cela ne veut pas dire qu’elles sont sans implications puisqu’au contraire elles ne sont qu’humaines et dépendent donc de ce que l’homme y met de lui-même. Ces certitudes sont respectueuses de l’humanité en chacun et en tous. Ce respect de l’homme et de sa vérité se traduit dans une éthique, soit en rapport avec la foi, respect de la personne humaine; soit en rapport avec la croyance, respect de la règle commune (moralisme).
Les positions de ce type correspondent à celle d’un progrès, d’une espérance qui fait de la vie un parcours de croissance en sagesse et en intelligence, en valeurs d’humanité. L’absolu n’étant pas déjà là dans le monde il y a place pour l’oeuvre humaine et sa dignité. Le monde se fait relatif à l’homme, au service de son progrès, moyen de son espérance et les certitudes de l’homme font partie de ce monde.
Depuis ces quatre types de position, il est plus facile de découvrir les quatre autres à leur voisinage. L’exercice peut être poursuivi allant vers un discernement de plus en plus subtil.
La considération de ces possibilités multiples est une expérience qui peut faciliter la confrontation à la responsabilité personnelle de ses choix et à la relativité des positions humaines. On voit bien comment l’exercice personnel du discernement entraîne à un type de certitude de foi relative où le doute va avec la prudence et où l’espérance guide à la persévérance de la connaissance et de l’accomplissement fortifiant la certitude, de moins en moins identifiable a une croyance absolue. Les sages et les saints ne sont pas des fanatiques et sont pourtant sans compromissions.
Nous allons terminer cette approche de la certitude humaine par une esquisse de ces quatre familles en s’arrêtant quelque peu sur le 8ème type et ses implications déjà entraperçues dans différents domaines.
III – TYPOLOGIE DES FAMILLES DE CERTITUDES SELON LEUR SENS
1 – Famille 5 – Certitudes naturelles
– croyance absolue et impersonnelle, croyance dans la réalité objective d’un système,
– la vérité, c’est la réalité objective, indépendante absolument de la personne humaine,
– la nature et la naturalité des choses ou des systèmes est critère de vérité incontournable,
– croyance absolue en la nature, en la physicalité des choses, en l’économie, dans les lois naturelles, dans l’équilibre mécanique des forces,
– évitement de toute responsabilité humaine. Terrorisme froid, désaffecté, aseptisé, désenchanté, négation de la personne humaine,
– compensation du vide intérieur par la multiplication des objets en circulation,
– le bénéfice est le renoncement aux exigences de la personne humaine et l’abandon de toute responsabilité personnelle (amoralisme naturaliste ou scientifique).
2 – Famille 6 – Certitudes "impérieuses"
– foi aveugle dans l’expérience personnelle de la réalité absolument vraie,
– expérience personnelle comme critère de vérité absolue,
– possession de la vérité absolue (non relative),
– détention arbitraire du pouvoir de savoir,
– justification par une puissance supérieure absente, d’un pouvoir et d’un savoir présent,
– interdiction des certitudes autres,
– aliénation personnelle à la vérité absolue objective,
– dogmatisme, sectarisme, impérialisme, complaisance,
– pouvoir sur les autres, justification de ses passions et ses pulsions, contrôle des autres.
3 – Famille 7 – Certitudes "raisonnables"
– vérité rationnelle, conforme à la Raison,- vérités communes acquises par le raisonnement,
– la vérité est ce qui est rationnel et raisonnable,
– certitudes techniques, opératoires, morales,
– certitudes relatives à l’état du droit, de la science,
– croyance en la vérité et l’opérativité de la raison humaine,
– espérance constructive mais impersonnelle ; suivi de voies conventionnelles sans conflit, ni responsabilité propre ; perfectionnement technique de l’appareil humain ; absence d’incertitudes :confusions, risques, inconnu, spontané, imprévu…
4 – Famille 8 – Certitudes révélatrices
Ce sont des positions qui marquent symboliquement le stade d’accomplissement de la personne et des communautés humaines et leur discernement.
Le savoir est vrai en tant que symbolique, révélateur de sens, accompagnement du discernement du sens et de la conscience d’être.
La vérité est justesse, authenticité humaine non confondue avec ses manifestation. Elle est là où se trouve la liberté et la responsabilité de l’être-Instance de la personne que les certitudes ne font que révéler.
Les certitudes symboliques ne sont pas absence de certitudes mais certitudes de foi et certitudes humaines donc relatives, dignes et humbles.
Dans ce type de position, il n’y a de savoir que provisoire mais riche de sens. Le savoir ne peut être que culturel mais expression possible de l’universel qui le transcende (en l’homme).
La religion est une expression de vérité et acte révélateur. La lettre est le véhicule de l’esprit qui le transcende. Elle est la médiation qui permet la révélation personnelle de l’esprit (sens en l’homme).
La science est travail de lecture et d’écriture de la réalité du monde pour être livré à l’esprit pour une révélation symbolique. Elle est théorisation humaine de l’univers de l’homme, d’une théorie qui signifie l’homme. Elle est contingente dans ses formulations (culturelles, relatives, inter-personnelles) mais universelle dans sa portée si elle est au service de l’accomplissement humain.
Les opinions communes, certitudes domestiques, sont faites pour le service d’autrui et le sien propre en tant que parole donnée. Parole dont le langage révèle son auteur et l’autorité propre de celui qui l’entend.