La loi et l’ordre

La loi est un terme qui a plusieurs Sens comme toujours. Les civilisations primaires ont pu y cadrer leur fonctionnement. Les civilisations secondaires en ont fait l’alpha et l’oméga de toute vie personnelle et collective. A l’âge du Sens c’est tout le rapport à la loi qu’il faut interroger pour refonder un autre civilisation. Cela ne se fera pas sans troubles dans tous les Sens. Lois de droit, lois scientifiques, lois des organisations, lois de la nature, lois morales tous les domaines sont concernés.

Qu’est-ce que la loi et quels rapports l’homme peut-il instaurer avec la loi ?

Différents registres sont concernés par cette question où le thème de la loi prend différents autres nom : règles, ordre, dogme, droit mais aussi peut être liberté et vérité si l’on retrouve un sens moins commun, celui de la loi juste.

Parmi ces registres rappelons celui de la loi normale-règle de vie et de relation ; celui de la soi sociale, nationale ; celui de la « loi du père » que la psychanalyse invite à voir comme fondatrice. Le dogme religieux n’est-il pas encore loi , Et que dire des « lois de la nature » ou de la loi de la jungle avec ceux qui font la loi et ceux qui la subissent.

Un travail de discernement conduit à placer des repères dialectiques dont les combinaisons nous amènent à examiner particulièrement quatre types de lois et leurs enjeux pour l’homme.

On verra ainsi qu’une loi qui ne serait pas manifestation d’autorité personnelle est lettre morte à moins que l’homme consente à s’y conformer, au péril de son âme. Une loi qui serait faite d’interdits ou d’obligations plutôt que de directives et d’orientations ne ferait qu’aliéner l’homme. C’est ainsi tout le rôle éducatif de la loi qui est alors en question de même que la justice.

Un premier repère nous est donné par cette opposition entre une loi qui manifeste la détermination de son auteur (personne ou collectivité) en face d’une loi purement formelle : structure ou ordre à priori auquel il ne s’agit que de se conformer.

La première n’est rien d’autre qu’une manifestation révélatrice dont l’observation amène à son origine-son auteur-son sens- le consensus collectif qui s’y exprime. Une telle loi n’a d’autre fonction que de repérage. Elle marque le lieu de l’autorité et en exprime le sens ou l’interdiction. Sa fonction n’est que dans ce repérage à partir duquel il est possible de participer ou non, ou aussi d’assurer sa propre autorité exprimant sa propre loi ou encore assumant à son compte la loi commune dans le partage d’autorité.

La seconde, à priori, n’a pas pour fin d’exprimer et de repérer mais d’ordonner. C’est la conformité qu’elle propose se faisant modèle, structure à visée de normalisation. Cette loi vise l’arrangement peut d’ailleurs être le reflet d’une norme choisi démocratiquement, destinée à se généraliser. C’est une loi formelle, formellement établie, destinée à former le monde qui en est l’objet.

C’est bien d’un être objet qu’il s’agit en étant sujet à cette loi. La loi de l’Etat dans sa finalité d’ordre, organisateur, administrateur, gestionnaire est de ce type opposée ainsi aux lois personnelles dont les autorités sont auteurs, autorisées ou non par ceux qu’elles concernent, ce qui charge tout.

A la loi ordre révélé et à la loi ordre établi, il faut combiner une autre opposition dialectique. Celle ci présente en inverses : la loi ordre absolu qui oblige ou interdit et la loi ordre éducatif qui oriente et dirige.

La première caractérisée par un ordre absolu n’est plus qu’à exécuter. L’exécution n’est rien d’autre que condamnation directe ou par défaut. C’est bien de fatalité d’une part, et de faute d’autre part qu’il s’agit avec cette loi. Elle a pour fonction de confondre ou d’exclure et s’exerce dans la confusion des coupables ou (et) leur exclusion. Cette loi tranche et c’est en son nom que les sanctions se font sections. Cette loi totalitaire réduit l’homme à l’ordre qu’elle constate. Elle est toujours totalitaire et sa fonction est de condamner lorsque l’homme n’a pas chu assez vite à ses pieds. Cette loi a ses coupables et ses coupeurs ceux qui donnent les ordres qui ne restent qu’à exécuter avec les interdits qui y contraignent. A l’inverse la loi directrice propose. Elle différencie et discerne l’ordre selon sa finalité. C’est ainsi qu’elle guide et dirige, jalonnant les parcours, orientant les oeuvres. Cette loi est plutôt plan. Non pas plan à exécuter, ni plan formel mais plan directeur. La loi évolue, mesure les directions et les valeurs. Elle juge non en tranchant mais en pondérant, son rôle est ainsi de permettre le choix, l’analyse et aussi de donner la mesure selon le choix. La balance symbole de justice pourrait alors être interprétée comme instrument de discernement et non pas comme un fléau fatal. Ainsi, donner des directives pour indiquer le chemin et donner des ordres pour exécution font-ils appel à deux lois de sens inverse.

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Ces quatre types de lois rapidement posés, examinons leurs combinaisons situant ainsi quatre sens pour quatre lois dont on envisagera la nature et les conséquences.

I – LA LOI DE LA JUNGLE OU LOI DU PLUS FORT

C’est la loi de celui qui « fait la loi » et l’impose. Cela définit le pouvoir personnel dont la loi exprime l’arbitraire. Le diktat, le bon vouloir, le fait du prince font loi et celle ci doit être exécutée. Loi d’autorité et loi absolue nous avons là la loi impériale et impérieuse. Elle s’impose aux assujettis qu’elle confond ou élimine avec l’autorité qui la déclare. Cette déclaration se fera du même coup volontiers au nom de tous qui s’y confondent et à l’encontre des autres qui s’en excluent. Cette loi toujours personnelle est toujours énonçable au nom du peuple, de l’intérêt commun ou de la défense commune, elle défend la limite (et tranche) entre le propre (propriété) et l’impropre (l’autre). C’est toujours une loi inique quelques soient ses termes. Il faut ranger dans ce sens la compréhension courante du dogmatisme et de l’antidogmatisme dogmatique, dans tous les domaines du religieux au politique notamment.

La loi qui révèle peut ainsi devenir violence inique si elle est combinée avec un ordre nécessaire et fatal, la loi absolue. L’histoire nous relate la fréquence des ravages de cette loi d’injustice au nom de Dieu, du peuple ou de personnes sacralisées. L’autorité qui inscrit ses fins dans la matérialité se fait pouvoir inique se sacralisant par la loi qu’elle impose au nom d’une toute puissance.

II – LA LOI DE LA NATURE OU LOI D’EQUILIBRE

Après la violence de la loi précédente, celle-ci peut paraître rassurante, indiscutable, objective. C’est bien là le drame. Elle combine le sens de la loi fatale et celui de la loi formelle, éliminant du même coup l’autorité personnelle. Il n’y a plus d’autorité donc plus de responsable et ainsi il s’agit d’une loi d’irresponsabilité. La nature viendra comme caution d’une loi qu’il faudra bien quelque homme pour formuler. Les lois scientifiques, des sciences de la Nature, d’une « nature humaine », promues comme lois objectives régissant l’ordre naturel sont celles qui règlent la circulation, l’évolution et la nature même des choses. Ainsi les lois de la mécanique régissent-elles le jeu des rouages des machines y compris la « mécanique céleste » et la mécanique corporelle des êtres vivants. La loi régit l’équilibre ou plus précisément y vise équilibre au plus bas, entropie ou l’inverse.

Les théories sociales, économiques se donnant comme lois de la nature sont de cet ordre. Elles ont pour fonction l’objectivation et comme méthode l’objectivité. Quoi de moins subjectif ? Quoi de moins arbitraire ? Quoi de plus normal ?

Or ces lois de la nature ont comme caractéristiques de ne pouvoir être transgressées sinon par faute contre-nature. Elles sont critères du bien et du mal, indépendamment, prétendent-elles, de la subjectivité humaine. L’homme est objet de nature, objet des ses lois nécessaires. Obligations et interdits sanctionnent la conformité à la loi. La loi objective qui se donne comme « vérité » est lettre pure et « vérité » absolue. Et cette lettre tue. Cette loi est meurtrière de l’esprit, du sens de l’homme qui se dénie et dénie son rôle d’auteur. La loi objective ignore qu’elle n’est qu’objectivation,, relative à son sujet, auteur. C’est aussi une loi totalitaire qui prête à l’abandon de soi, l’abandon de toute liberté propre, l’abandon d’être puisque tout est écrit dans la loi y compris dans la loi encore à connaître.

Considérer la loi comme vérité nécessaire et formellement exacte ou la proposer comme telle équivaut à une aliénation, à un « ordre naturel des choses », dénégation de l’humanité en l’homme, de la liberté humaine, de tout devenir personnel contraire à l’ordre naturel seul porteur de devenir et de son sens. Il n’y a alors de fin pour l’homme que l’abandon à la fatalité conformément à la loi. Or le texte de cette loi peut être juste en tant que loi humaine, authentique notamment. C’est la considération de ce qu’est la loi et du rapport à la loi qui est en question.

Comme St Paul le répète, la loi condamne par sa lettre. Pour qu’à l’inverse elle justifie, la loi suppose la foi, déjà en l’autorité de soi et de l’auteur et aussi le discernement des directions du devenir. Avant de passer à cette loi « sainte » ou « saine », c’est-à-dire juste, il nous faut envisager un troisième cas, la loi de Raison

III – LA LOI DE RAISON OU LOI DE DROIT

Comme la loi de la nature, elle est aussi formelle et n’est pas une loi d’autorité. Cependant elle n’est plus ordre à exécuter, fatal ou nécessaire mais direction indiquée, directive.

La loi de raison établit des rapports ordonnés selon des valeurs humaines. Elle est ainsi loi morale.Cependant elle prétend être normative. Sa lettre est modèle premier ou ultime de perfection à laquelle il ne peut qu’y avoir (normalement) conformation. L’anormalité est ce qui n’est pas conforme et enjoint de se rectifier. Les raisons de la loi sont conforme à LA RAISON et s’il s’agit bien de guide, d’orientation, c’est la géographie même du chemin qui est proposée à parcourir et non l’expérience humaine à vivre. La rectitude est le rapport attendu à la loi et celle ci est le droit ou l’état du droit. Ce droit est directif, indicateur et s’écrit dans sa lettre comme loi.

A l’opposé de la loi de Raison, la loi de la jungle ou du plus fort est celle ou le droit est enjeu d’avoir. Avoir le droit, comme avoir raison : c’est faire la loi. Ici le droit résulte d’une norme collective, démocratique par exemple et indique la bonne direction. Il est malheureusement notable que cette loi de droit et de raison est prise à contre sens lorsque sont en jeu pouvoirs et avoirs. La loi de raison captée par le pouvoir et l’autorité.

IV – LA LOI JUSTE, LOI REVELATRICE EN VERITE

C’est toujours une loi-directive mais cette fois aussi une loi d’autorité. Elle indique le lieu et le sens de l’autorité. Indicatrice et repère elle joue un rôle de médiation tant pour la connaissance et reconnaissance de l’auteur de la loi que pour la connaissance et reconnaissance de celui qui s’y exerce comme autorité, libre et responsable. Il ne s’agit donc plus d’obligation absolue, ni de conformité à la lettre mais au contraire d’indications et de reconnaissance. La loi juste est à la fois expression authentique et orientatrice vers la voie juste pour soi.

C’est en tant qu’autorité libre et responsable que le rapport à la loi est possible ou plutôt c’est ce qu’il amène. Elle aide à discerner la voie d’accomplissement de l’homme reconnaissant son autorité propre et le sens de son devenir. Cela suppose que ce soit une loi d’Homme mais aussi qu’elle soit proposée comme telle tout en indiquant dans sa révélation, la direction à prendre.

Telle peut être la loi politique si elle révèle les sens du consensus et particulièrement celui qui mène chacun à se reconnaître auteur avec les autres de ce consensus.

Telle peut être la loi religieuse, sociale, familiale. Toute loi juste est éducatrice et édificatrice, révélatrice à condition de n’être pas prise comme loi objective autonome. La loi juste est fruit de la connaissance qui ne doit être détaché de son arbre : l’Homme. C’est comme cela qu’elle peut être reconnue comme juste et féconde. Il n’y a pas de loi juste sans autorité qui guide et oriente.

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