Le management par la valeur

(Conférence ICAD 11 Avril 2001) La notion de valeur est difficile à saisir au-delà des bons sentiments et des sombres calculs (sombres parce que souvent peu éclairés quant au Sens). Le Sens et la raison, raison du Sens, Sens de la raison, voilà le terrain de ce qu’il y a à manager dans l’entreprise avec la question des valeurs. Il faut sortir d’une certaine schyzophrénie. L’Humanisme Méthodologique en donne les instruments conceptuels et pratiques inédits (et notament maintenant avec la Méthode des référentiels de valeurs partagés MRVP)

INTRODUCTION Le Sens de la valeur


La notion de valeur est l’une des plus difficiles à cerner. En faire un facteur de maîtrise ou d’efficacité peut paraître une gageure. Nous sommes dans un temps de mutation où émergent comme cela des thèmes notamment dans le contexte des entreprises, qualité, valeurs, culture, citoyenneté, sens, ethique.
Selon moi ce sont à la fois des signes d’émergence significatifs mais qui donnent lieu à toutes les récupérations et toutes les confusions possibles. La crise des représentations dévalue les images, les idées et les modèles, la crise du Sens interpelle sur la responsabilité qu’il y a à donner un Sens, et pas n’importe lequel, aux mots comme aux actes et aux entreprises. Le terme de valeur n’y échappe pas, pas plus que la conception du management.

Faute de pouvoir traiter la question sur le fond je voudrais établir cependant quelques liens dans l’ordre de la raison et dans l’ordre du Sens.

Dans une première partie je voudrais souligner quelle rationalité peut être rattachée à la notion de valeur en termes d’efficacité, de management et de structure d’entreprise. La notion de Sens se révèle le principe logique sur lequel doit être fondé un « management par la valeur ».

Dans une seconde partie, je voudrais montrer que le Sens en question et les valeurs attachées sont de nature humaine. Dès lors le choix de Sens est d’abord un choix éthique sur lequel reposera la maîtrise logique ou rationnelle de l’entreprise.

En conclusion nous verrons que cette question du management par les valeurs est une entrée au dépassement de l’âge de la Raison à l’âge du Sens, enjeu de la mutation qui réclame de refonder sur le Sens tous les édifices de la Raison. Le management des entreprises est de ceux-là.

1 – LA RAISON DU SENS

L’efficacité est une notion relative : Un rapport entre les moyens mobilisés et le résultat attendu. Evaluer l’efficacité c’est la confronter à une échelle de valeur celle qui est attachée au résultat. L’efficacité d’une équipe (ou d’une technique) est liée à la façon dont elle concoure au résultat. La valeur de l’une dépend de son concours à la valeur de l’autre.

Dès lors nous en venons à la question d’évaluation. Comment évaluer la valeur de l’efficacité d’une action par exemple sinon avec l’échelle de valeur propre au résultat.
Cela dit il n’y a pas d’échelle de valeur propre au résultat si celui ci ne s’inscrit pas à son tour dans une échelle de valeur, par exemple un autre résultat auquel il concoure, par exemple un service auquel il contribue.

Ainsi peut être mis en évidence un lien une chaîne de valeur entre l’efficacité d’une action, le résultat de l’action et tout ce à quoi ce résultat concoure.

A chaque stade l’évaluation dépend de l’échelle de valeur du stade suivant.
Attardons nous sur cette notion d’évaluation. J’ai pu mettre en évidence qu’elle repose toujours sur trois critères, une séquence de trois questions hiérarchisées :

Critère de pertinence
Est-ce ça va dans le bon Sens, sans quoi cela ne vaut rien.

Critère de cohérence
Est-ce que tout concoure au même Sens, à l’intérieur comme à l’extérieur.
Par exemple toutes les actions, les moyens, le management et aussi les attentes d’un marché, les usages culturels, les enjeux collectifs…
Sans cela on a une déperdition d’énergie, de ressources, de valeur donc.

Critère de performance
Quelle est la mesure du concours apporté (au résultat) en rapport avec les moyens mobilisés, question de rapport entre les valeurs ou de valeur ajoutée. Tout cela mériterait un examen plus attentif notamment par sa généralisation à toutes les échelles et tout au long de la chaîne de valeur.

C’est là que je veux en venir. Ce qui fait lien dans le chaîne de valeur, c’est le Sens. Le Sens de l’action, celui du résultat, celui des objectifs plus généraux, celui du service rendu, des attentes socio-culturelles, etc… c’est le même. Autrement dit la valeur est un indicateur de Sens, l’évaluation repose toujours sur une échelle de valeur qui dépend d’un Sens. L’efficacité et la rationalité de l’action s’évaluent en fonction de ce Sens.

Nous avons ainsi posé rapidement le lien logique entre efficacité et valeur par le biais du Sens. Une fois déterminé le Sens permet d’évaluer la pertinence, la cohérence et la performance de toute action et même de toute entreprise. Cette cohérence logique renvoie à deux questions : Qui détermine le Sens de l’entreprise et de l’action? Ma réponse c’est le dirigeant. Seulement c’est tout un problème et toute une compétence qu’il serait trop long d’aborder ici. Je vous renvoie à différents textes qui s’y rapportent.

Ensuite on peut demander au management d’assumer la pertinence, la cohérence et la performance de l’action une fois le Sens déterminé. L’échelle de valeur posée, le management aura à assurer l’efficacité de la « production de valeur ». A cet effet intervient une notion particulièrement utile, celle de concourance.

Qu’est-ce qui justifie et organise le lien entre les hommes, les équipes, les projets, les fonctions et tout ce qui constitue une entreprise? C’est le lien de concourance. Le principe de concourance est un concept tout à fait important dans cette optique. La concourance suppose une unité de Sens, une cohérence des actions et une addition des performances. Ce principe vaut pour les groupes d’entreprises et même pour les territoires à toutes les échelles.

Voilà quelques clefs de rationalité pour le management par les valeurs, la raison du Sens. Le Sens comme principe logique qui relie efficacité et valeurs.

2 – LE SENS DE LA RAISON

Il reste maintenant à se demander ce qu’est le Sens et qu’est-ce qu’implique ce choix de Sens sur lequel repose tout l’édifice précédent. En voilà une définition nouvelle.

Un Sens est une disposition d’être, une orientation intérieure par laquelle :
– les choses nous apparaissent significatives, nous les comprenons,
– les choses sont orientées et ont une valeur relative à nos aspirations,
– les choses sont articulées les unes aux autres pour produire des effets attendus.

A un Sens correspond :
– une certaine compréhension du monde, de l’entreprise par exemple, du management,
– un certain type d’orientation, du désir, d’aspiration, d’intentions, de motivation, de finalité
– un certain type de rationalité, de façon d’agir et de s’organiser en conséquence.

Le Sens est ainsi toujours un Sens humain même lorsqu’il se rapporte aux choses et aux réalités de l’existence. Je prendrais un exemple particulièrement important pour notre propos : le Sens de l’entreprise qui détermine, conception, aspiration, logique de management. Je ne ferais qu’en évoquer quatre, portés sur une carte des Sens, sorte de boussole des Sens qui peut servir à s’y retrouver.

Il y a l’entreprise de possession, fondée sur une volonté de puissance et d’emprise qui organise son monde dans des rapports de pouvoir et de puissance dans une guerre économique sans fin. Tout y est question d’armes, de prises, de victoires (provisoires), d’accumulation de moyens et de territoires d’emprise. Logique fatale. En général le Sens y est occulté et les valeurs des moyens d’emprise.

Il y a l’entreprise rationnelle idéale. Elle est fondée sur la fixation d’objectifs considérés comme des valeurs (sinon des idéaux) et l’organisation rationnelle de l’action pour les atteindre efficacement. Ce sont alors les modèles de management, les techniques, les compétences qui sont mobilisés pour chaque fonction et l’ensemble. Un cas d’école. Seulement le Sens (humain) est ignoré. Du moment que l’objectif est attaché à une valeur alors la technicité et l’efficacité sont les seules vertus réclamées. Valeurs et efficacité sont dissociées.

Il y a l’entreprise système qui peut être décrite quasi scientifiquement comme un processus fonctionnel, sous système d’un système économique régi par l’équilibre des input et des output et la gestion des flux économiques et matériels. Le Sens y est nié bien que cette conception ait un Sens humain de déni d’humanité. Les valeurs sont des artifices régulateurs des comportements fonctionnels.

Il y a enfin l’entreprise comme communauté humaine engagée dans un Sens commun et formant ainsi une communauté de Sens unie par des liens de concourance. Dès lors la question du Sens du bien commun pour l’entreprise et du Sens du bien commun auquel concoure l’entreprise se trouvent posés. Par exemple dans ce Sens on pourrait concevoir une économie des biens et services où il s’agirait de ce qui concoure au bien de l’homme et de ce qui sert le bien des personnes et le bien commun les critères de toute valeur. Le Sens des mots a changé. Le Sens est devenu à la fois l’essence de la question éthique et la rationalité opératoire en découle.

A chacune de ces conceptions de l’entreprise son Sens propre, son rapport au Sens humain, sa conception et son usage de la notion de valeurs, sa logique de management et donc aussi ses critères d’efficacité propres. C’est bien ce type de conception qui émerge et qui permet seule de lier explicitement valeurs éthiques et efficacité manageriale.

Conclusion

L’examen attentif de cet exemple de discernement des Sens de l’entreprise montre notamment que la raison ne suffit pas, que l’efficacité est relative et que ce qui est dorénavant l’essentiel, le déterminant, c’est le Sens. A son tour il se décline en termes de valeurs, de rationalité, d’efficacité manégériale.

Un art de diriger et de manager nouveau doit se développer qui suppose de cultiver :
– Le discernement du Sens, possible et souhaitable,
– La détermination du Sens à engager,
– Le développement entrepreneurial selon ce Sens.

C’est le chantier qui nous attend, celui que la mutation de l’humanité nous propose, se saisir de ce qui constitue l’essentiel de l’humain et de son devenir : le Sens principe d’humanité et vecteur de toute entreprise humaine.

Visuels

Introduction :Le Sens de la valeur

1 – La raison du Sens : niveau logique

2 – Le Sens de la raison : niveau éthique

Conclusion : de l’âge de la Raison à l’âge du Sens

Niveau logique: Chaîne de valeurs

Action <> Efficacitérelative <> Résultat

Valeur de l’action <>Concours <> Valeur du résultat

Echelle de valeur 1 <>Echelle de valeur 2 <> …

Niveau logique: L’évaluation

Question – 1 – Pertinence (Sens)

Question – 2 – Cohérence (rationalité)

Question – 3 – Performance (mesure)

Niveau logique: Chaîne d’évaluation

– unité de Sens La chaînedu Sens

– principe de concourance La cohérencemanagement

– mesure des performances Additiondes contributions

Niveau éthique: Le Sens. principe d’humanité, . disposition d’êtreorientée

– la connaissance, la compréhension,la conception des choses (épistémologique)

– aspirations, valeurs,finalités, direction, orientations, (éthique)

– rationalité, cohérence,structuration, (praxéo-logique)

Niveau éthique: le Sens de l’entreprise

conceptions, motivations, logiquede management, rapports au sens, notion de valeur

L’entreprise communauté humaine engagée
le Sens du bien commun

L’entreprise rationnelle
le Sens ignoré

managval1.png

L’entreprise de possession logique de puissance et d’emprise
Le Sens occulté

L’entreprise système fonctionnel
Le Sens nié

Les âgesde l’humanité, de l’entreprise, du management

managval2.png

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