019 – La réalité formelle

Dans l’expérience du Sens en conSensus les dimensions premières, subjective et objective et la dimension seconde projective sont accompagnées de plans d’expérience que l’on peut situer dans l’espace qui relie deux des dimensions.

Cohérenciel

 La réalité formelle est la réalité réalisée dans un plan de représentations mentales, c’est-à-dire de formes. Les formes sont des discontinuités identifiables. Par exemple un cercle ou un carré sont des formes caractérisées par leur périmètre, leur limite, la discontinuité entre l’intérieur et l’extérieur par exemple. Parmi les formes dans l’expérience humaine il y a les formes géométriques bien sûr, mais aussi les formes langagières, les figures, les images, les structures et la cohorte des modèles, des règles, des normes. Les idées sont des représentations formelles, l’imaginaire est peuplé de représentations. Toute chose a une existence formelle, a une forme et si elle n’en avait pas, même floue, elle n’existerait pas pour nous. Toutes nos descriptions ordonnées du monde et des choses en sont des représentations formelles. En sont aussi nos créations mentales, du rêve à l’art en passant par la pensée et le discours ordinaire. Le fantasme et les formules rigoureuses comme toutes les représentations mentales peuvent être classées, découpées, en de multiples catégories.

La raison y est présente sous le mode de l’ordre et des rapports rationnels entre les formes construisant ainsi des édifices formels structurés et hiérarchisés. C’est une des caractéristiques de l’activité intellectuelle.

Trois grandes questions se posent alors. Comment se produisent les formes ou représentations mentales dans l’expérience humaine ? Les formes peuvent-elles être détachées des autres plans d’expérience (factuel et sensible)? Des formes sont-elles la cause première des réalités ?

Les formes apparaissent selon une morphogenèse. René Thom, un mathématicien contemporain, a été l’un des rares à avoir exploré cette question avec sa théorie topologique des catastrophes. Ses «prégnances» ne sont pas sans rapport, selon lui, avec les «Cohérences» impliquant des Sens en conSensus. Selon l’expérience première les formes sont dessinées par l’intention engagée dans une projection. Si bien que les formes apparaissent comme des projections formelles ou le volet formel de la réalité projective. La morphogenèse se produit dans l’expérience humaine du Sens en conSensus. Et en constitue un volet. Il est donc important de se tourner vers la dimension subjective intentionnelle comme une source de morphogenèse et vers la dimension projective comme déploiement rationnel de cette morphogenèse. Pour le langage par exemple une intention en est le vecteur de Sens, la signification, et un ordre discursif en donnera la structure syntaxique. Ainsi le Sens devient forme. Le rêve serait aussi bien l’expression d’un Sens inconscient, projeté selon une histoire en formant des images mentales. Cependant nous savons maintenant que cette expérience tiens aussi de la présence des autres et les variations de présence/absence. C’est là que se noue une complexité des formes et leur développement.

Si les représentations mentales sont posées comme abstractions de la réalité objective, comme une production autre qui représente la réalité en second lieu, alors elle serait comme une figuration de la réalité sensible ou de la réalité factuelle et en serait comme détachée. Un peu comme si l’activité intellectuelle était dissociable de son objet. Un peu aussi comme si la forme était détachable du corps qui la porte ou bien qu’une autre forme mentale celle-là était attribuée à un corps qui en a déjà une. Cela pose la question du rapport corps/forme ou affectivité/forme. On sera amené à différencier l’expérience première et l’expérience de re-présentation de l’expérience première dans un chapitre sur la conscience humaine. Il n’y a donc pas, dans une réalité donnée, de séparation entre le plan formel et les autres sauf à passer à une autre expérience. C’est le cas lorsque j’écris le récit d’un évènement antérieur, ce sont deux expériences distinctes avec leurs propres composantes formelles mais aussi factuelles et sensibles.

Si dans l’expérience de la réalité réalisée, toutes les dimensions et composantes sont co-extensives, simultanées si on veut, des distorsions de l’expérience vont donner à tel ou tel aspect un statut fondateur ou bien vont l’ignorer ou encore le séparer des autres. Ainsi la réalité formelle est-elle vue quelques fois comme séparée, artificielle, abstraite. D’autres fois c’est comme une réalité produite par la composante factuelle ou la composante sensible, comme une ombre portée ou un reflet. Elle est quelques fois aussi auto-produite lorsque des formes premières seraient à la base de compositions et de constructions plus complexes de la réalité formelle. Il y a aussi cette conception d’une réalité dont les causes seraient formelles. Ainsi dans la science moderne c’est une croyance fréquente, les formes mathématiques seraient explicatives de la réalité physique par exemple. Les lois de la nature sont ainsi d’ordre formel et structureraient la réalité qui en émane. Les systèmes qui sont des représentations du monde ou des choses sont pris comme déterminants de la réalité. Les structures des modèles, des méthodes sont considérés comme la source causale de réalisations qui en découlent. Il est vrai que s’y rajoutent quelques fois l’idée que ce qui est réalisé par la cause formelle l’est en s’appliquant à quelque substance informe et par conséquent indéterminée. S’ ajoute aussi l’intervention des hommes dotés d’une volonté de conformité et se faisant les agents des formes premières sinon sacrées.

Ce type de surinvestissement des représentations mentales, de la réalité formelle, est à la fois du à la culture d’une intelligence mentale justifiée mais aussi à une disqualification de l’origine humaine de cette réalité. Comme si les mathématiques n’étaient pas une production humaine mentale ! La raison s’est faite rationalisme, l’intention s’est faite déterminisme. Nous sommes là au lieu de pseudo humanismes qui dénient la centralité de l’homme, ce qui justifie aussi le développement d’un Humanisme Méthodologique.

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