Entreprises et motivations humaines
Les motivations humaines sont ce qui fait avancer et s’engager les hommes dans les affaires qui sont les leurs. Dans une entreprise il ne suffit pas qu’il y ait motivations mais motivations convergentes. Il ne suffit pas qu’il y ait motivations convergentes mais convergence dans le Sens du bien commun de l’entreprise. C’est dire que la connaissance des motivations humaines et des moyens de leur mobilisation est décisive pour la réussite et la perrenité des entreprises humaines.
En cette fin de 20ème siècle la conscience que
le monde en est à un carrefour est de plus en plus présente.
Les espérances qui ont suivi la dernière guerre
se sont malheureusement transformées en blocages et en
impasses. Les conflits Est-Ouest, Nord-Sud ont atteint leur paroxysme
au moment même où une crise mondiale ébranlait
toutes les certitudes et les positions acquises. Cependant, après
une première réaction de crispation frileuse éclosent
aujourd’hui les signes d’une ouverture qui se répercute
à tous les niveaux de la vie politique, sociale ou économique.
Cette ouverture se traduit par un recentrage sur l’homme, une
plus grande sensibilité aux droits de l’homme conscience
accrue de la responsabilité de la personne humaine.
Une des figures de cette dernière est à lire dans
l’émergence d’une nouvelle conscience de l’importance
de l’Entreprise comme mode d’engagement majeur de l’homme
moderne.
Se faisant, c’est l’entreprise elle-même qui est interrogée
dans ses finalités et l’on voit se développer dans
ce contexte le souci des valeurs , celui de
l’éthique dont on cherche les racines
dans la culture d’entreprise et que doit exprimer
son projet. Le projet d’entreprise perçu
comme acte d’engagement collectif est significatif lui aussi
du fait que l’entreprise est véritablement perçue
comme entreprise humaine, comme engagement de motivations spécifiquement
humaines.
C’est alors que devient indispensable de mieux comprendre sur
quelles motivations et de quelles manières les entreprises
s’entreprennent.
Il faut, pour cela expérimenter et aussi interroger toutes
les expériences qui permettent d’expliquer et de comprendre,
humainement parlant, ce qui fonde l’entreprise et préside
à son développement. Il est aussi de plus en plus
nécessaire d’élaborer une anthropologie nouvelle
qui intègre l’acte d’entreprendre dans toutes ses modalités
jusque, et y compris dans la façon dont se construisent
et se gouvernent les entreprises humaines. c’est à cette
tâche que s’est attelée le théorie des Cohérences
dont on verra ici les éclairages qu’elle apporte sur la
question des motivations des entrepreneurs et leurs conséquences
pour l’entreprise.
Il faudra pour cela clarifier la notion de motivation pour sortir
des stéréotypes ou des confusions trop courantes.
Il faudra aussi comprendre comment les motivations sont à
l’origine de toute entreprise, en éclairant et déterminent
l’histoire et en orientent le gouvernement. Enfin, une typologie
des principales motivations permettra d’illustrer, par une série
de portraits constatés, les différents types de
dirigeants et les conséquences pour leur entreprise.
I – QU’EST-CE QU’UNE MOTIVATION
La notion de motivation est à la fois très commune
et délicate à saisir. S’il est clair pour chacun
qu’un homme non motivé n’est pas très concerné
par ce qu’il fait, cela ne suffit pas pour définir ce
qu’est une motivation.
Nous en donnerons d’abord une première définition.
La motivation est un désir du sujet focalisé sur
un objet et engagé dans un projet.
Elle s’accompagne de sentiments, d’idées ou représentations
et d’actions. La nature intrinsèque de la motivation est
de l’ordre du désir de la personne mais elle se manifeste
sous différents aspects extérieurs avec lesquels
il ne faut pas la confondre.
La motivation est en quelque sorte un mouvement intérieur,
subjectif et orienté qui est focalisée sur un centre
d’intérêt dans lequel la personne se retrouve et
qui est engagé dans une démarche où le désir
s’accomplit en même temps qu’il peut éventuellement
se renouveler.
Il ne faut donc pas confondre la motivation comme phénomène
intérieur à la personne et ses caractéristiques
extérieures qui la provoquent ou dans lesquelles elle
s’engage.
Avec la motivation nous sommes dans le règne du subjectif,
du qualitatif, du désir et du sens profond de l’âme
humaine.
Nous pouvons alors remarquer que les questions de motivation,
fussent-elles dans l’entreprise, réclament une connaissance
de l’homme à laquelle les sciences de la gestion ou de
l’action n’ont guère préparé. Il ne faut
pas pour autant ne s’en remettre qu’au flair ou aux recettes,
d’autant plus simples qu’elles ne tiennent compte que des aspects
superficiels ou artificiels de la question.
Il faut bien percevoir que la motivation est de l’ordre :
– d’un désir particulier, profondément personnel
– d’une signification personnelle de l’engagement,
– de l’activation d’un dynamisme vital mobilisé,
– d’une disposition intérieure (position d’être),
– de l’expression d’une échelle de valeur propre,
– de la traduction d’une vocation personnelle spécifique,
– du sens donné à la volonté et à
l’action.
La motivation est ce qui donne au sujet son intention, sa volonté
et sa détermination.
Elle n’est pas de l’ordre du raisonnement bien qu’elle puisse
être quelquefois suscitée ou justifiée par
la raison.
Elle organise et intègre l’affectif, le mental et le comportement
de la personne motivée.
C’est en définitive le vecteur subjectif et qualitatif
de l’engagement de la personne, suscité ou focalisé
par un objet d’intérêt ou de préoccupation.
On n’accède aux motivations humaines que par l’intuition
et aucune définition ne peut les enfermer.
Par ailleurs, il faut remarquer que la motivation est un terme
générique et que l’on doit s’attacher à
discerner et différencier « les motivations ».
Les motivations humaines sont très nombreuses et sont
autant de vecteurs différents des engagements personnels
ou collectifs, autant de raisons et de façons d’entreprendre.
On peut d’ores et déjà distinguer trois couples
de motivations dialectiquement opposées.
Les motivations positives et négatives
Les premières sont orientées par l’espérance
d’un progrès, d’une amélioration qui dépasse
les conditions du présent et par lesquelles la personne
croit en qualités et en valeur.
Les secondes sont justifiées par la nécessité,
la fatalité, une menace ou un besoin primaire incontournable.
Jouant sur la peur ou l’envie, elles suscitent des réactions
fortes de fuite, de retrait ou d’avidité.
Autant les premières s’assortissent d’une mobilisation
progressive, suscitent l’enthousiasme, autant les secondes suscitent
des réactivités qui tendent à l’immobilité
défensive et gênèrent stress et amertume.
Les premières se fondent dans les valeurs humaines, les
secondes jouent sur les faiblesses humaines et sont de ce fait
plus faciles à provoquer.
Les motivations actives et passives
Les motivations actives sont orientées par l’expression
personnelle du sujet. L’homme y cherche et y trouve sa vérité,
son originalité, sa créativité, son autonomie.
Au contraire, les motivations passives sont provoquées
par un souci d’identification, de conformité fusse d’un
modèle marginal.
Dans les secondes, la place, le statut, le titre, la normalité
et le conformisme sont majeurs, alors que pour les premières
ils sont mineurs. A l’inverse, les motivations du premier type
rendent l’homme majeur et les secondes le rendent mineur.
Les premières se fondent sur un personnalisme et la responsabilité
propre et unique de tout homme alors que les secondent sont normatives
et jouent de la sécurité identificatoire et conformiste.
Les premières sont actives parce qu’elles suscitent des
actes d’auteur (et d’autorité). Les autres sont passives
parce qu’elles sous-tendent une subordination à des modèles
extérieurs.
Les motivations participatives et individualistes
Les motivations participatives trouvent leur justification dans
un concernement et envisagent leur engagement dans le champ collectif.
Les motivations individualistes au contraire se veulent résulter
d’un choix individuel arbitraire et viser l’intérêt
particulier « égocentré » de la personne.
Les premières cherchent à se conjuguer et à
se partager avec d’autres tandis que les secondes sont spéculatrices
et calculatrices de l’intérêt individuel et plus
« détachées » ou « distanciées »
du contexte collectif.
Les motivations participatives se satisfont d’une contribution
et de ses fruits alors que les motivations individualistes ne
se soucient que du rapport et du gain obtenu ou attendu.
Nous retrouvons là les grandes dialectiques des enjeux
et des tendances de l’homme auxquelles il faut apporter la multitude
des nuances et des conditions qui font l’infinie diversité
et subtilité de l’âme humain? Il y aurait aussi
à songer à toutes les ambivalences, les ambiguïtés,
les hésitations et les conversions que tous ces vecteurs
laissent supposer et que confirme l’expérience. Il y faudrait
rajouter en outre des facteurs d’intensité, des facteurs
culturels, des processus de résonance et d’influence que
la pratique doit prendre en compte pour tenter de maîtriser
les questions de motivation des hommes.
II – LA MOTIVATION AXE DE COHERENCE DE L’ENTREPRISE
La motivation personnelle traduit le sens selon lequel la personne
peut s’engager. La motivation collective dans une entreprise
est le vecteur à partir duquel toute son activité
est engagée.
Mais la motivation collective n’est rien d’autre qu’un « bouquet
de motivations personnelles » autour d’un axe initial représenté
par la motivation de l’entrepreneur.
Celle-ci est donc le vecteur autour duquel se forme le consensus
d’entreprise et se rassemblent et convergent les motivations
de tous les partenaires.
Il est clair que si les motivations divergent, soit par l’ambivalence
de celles des dirigeants, soit par l’absence d’un consensus collectif,
alors on assiste à une dispersion des énergies,
à la création de clans, de chapelles et au bout
du compte une déstructuration ou un éclatement
de l’entreprise.
Trop souvent une grande partie de l’énergie et des ressources
humaines et matérielles sont consommées par des
antagonismes, des efforts divergents ou non coordonnés.
On peut même aller jusqu’à ce que des pans entiers
d’une entreprise atteignent des résultats préjudiciables
à l’ensemble. Lutte intestines, chacun pour soi, identité
floue, qualité hétérogène, etc…
La cohérence de l’entreprise repose sur l’harmonie des
motivations et celle-ci sur la « direction » indiquée
par les « dirigeants ».
La motivation collective, par sa nature et son intensité
est un pilier majeur qui fonde l’unité, la permanence
et la persévérance de l’activité.
On peut aussi l’assimiler à l’intention collective, la
vocation fondamentale, l’échelle de valeur, la finalité
et au bout du compte l’orientation politique de l’entreprise.
C’est dire l’importance du discernement de sa nature et celle
de l’établissement d’un « consensus » des motivations.
En outre, il est important de bien comprendre comment l’entreprise
trouve son unité logique à partir de la motivation
collective. Celle-ci d’abord va se rapporter à un centre
d’intérêt, un objet de préoccupation en réponse
aux attentes d’un milieu social ou d’un marché.
Sans motivation, la personne comme l’entreprise n’ont d’intérêt
pour rien, ne sont concernés par rien et n’arrivent pas
à trouver leur véritable métier.
C’est donc la rencontre entre ces motivations entrepreneuriales
et les attentes du terrain qui vont déterminer l’objet,
le métier de l’entreprise et le type de service à
rendre.
Le développement de l’entreprise
va résulter de cette conjonction, définissant le
projet commun et orchestrant la « concourance » des projets
personnels.
La convergence des motivations rapportée à une
même unité de préoccupation suscite la mobilisation
du dynamisme collectif.
Une motivation sans objet, une attente du milieu sans motivation
et rien ne se passe.
C’est donc en donnant à la motivation de chacun à
se nourrir d’objectifs communs dans l’axe de la direction générale
que l’on va mobiliser les énergies et trouver la cohésion
et la mobilisation des potentialités de l’entreprise.
Par ailleurs, la coopération entre tous s’effectuera sur
le terrain commun où se situe l’intérêt de
l’entreprise au service d’un projet collectif auquel chacun contribue.
C’est donc l’unité de motivation qui est indirectement
à la racine de la coopération et d’une organisation
efficace du travail.
Enfin, c’est encore la motivation qui s’exprimant dans la perspective
du projet de l’entreprise va sous-tendre son image et l’identifier
aux yeux de ses partenaires (internes et externes).
On peut schématiser tout cela dans une « structure
cohérencielle » de l’entreprise.
La motivation est en quelque sorte l’axe
directeur de l’entreprise. C’est à la fois vrai pour l’entreprise
globale, collective mais aussi pour celle de chaque personne
qui y concoure.
Lorsqu’on a ainsi une unité de motivation, on peut dire
que l’entreprise est une véritable « société
de concourance », c’est-à-dire une société
d’entreprises personnelles qui concourent à l’oeuvre commune.
Au commencement de l’entreprise, il y a donc la motivation de
l’entrepreneur qui va non seulement rassembler autour d’elle
la participation de tous les partenaires mais qui va donner l’unité
et le style de l’entreprise.
On peut donc établir une typologie des entreprises à
partir de la typologie des motivations de leur dirigeant.
Ces dernières comme toutes les motivations humaines ne
sont pas toujours conscientes ou avouées. Cependant la
vie et le développement de l’entreprise en sont toujours
une conséquence révélatrice si l’on veut
bien apprendre à les lire avec discernement.
III – PORTRAITS DE DIRIGEANTS ET DE LEURS ENTREPRISES
La combinaison des trois catégories de motivations
permet de définir huit profils types de chefs d’entreprise.
Chacun de ses profils est caractéristique d’un type de
motivation personnelle et d’une logique d’entreprise dont on
pourra dégager quelques comportements significatifs.
LE MAITRE (ou l’initiateur)
Il est motivé par l’accomplissement de soi et des autres.
Il cultive chez lui et chez les autres la capacité a être
vraiment responsable, c’est-à-dire à être
capable de tenir et assumer le sens de ses engagements. Son entreprise
est alors une oeuvre au travers de laquelle il exprime sa vocation
personnelle au service de la collectivité en favorisant
les liens de concourance.
Dans l’entreprise, il assume une autorité qui est à
la fois repérante et interpellante pour ses collaborateurs
et dans son milieu. Il s’agit d’une autorité d’auteur,
engagée dans la réalité mais orienté
vers une ambition de progrès humain c’est-à-dire
éthique et qualitatif.
Le recrutement des hommes se fait plus par des rencontres et
des alliances contractuelles qui permettent de dégager
les convergences et d’engager les concourances.
C’est comme cela que toute l’entreprise devient un engagement
partagé autour de son autorité.
Ce type d’autorité n’exclue pas les autres et l’entreprise
est une conjonction d’autorités originales, plus ou moins
assumées selon la maturité des gens mais chacune
apportant, à la mesure de sa responsabilité, le
bénéfice de sa compétence et de ses qualités
personnelles. C’est comme cela que chacun, cultivant sa vocation
personnelle concoure à l’entreprise commune initialisée
par son dirigeant qui en reste le garant et incarne sa raison
d’être.
Le Maître est le serviteur de ses partenaires
et c’est comme cela que ceux-ci le servent et servent l’entreprise.
Celle-ci aura tendance à s’inscrire dans un réseau
de concourance tant sur le plan interne qu’externe et
trouvera ainsi son intégration dans la société.
Quelque soit son activité cette entreprise est une entreprise
de service. C’est l’esprit même de l’entrepreneur et la
valeur de son service est toujours en terme de progrès
humain même s’il ne s’agit que d’en favoriser les conditions
matérielles. Le profit matériel y trouve toute
sa justification et sa signification particulière qui
n’est pas d’accaparement mais de fructification.
LE CHEF (ou le héros)
Sa motivation est se réaliser un idéal de soi identifié
avec l’atteinte d’un objectif idéal qui lui permettra
d’être reconnu et distingué.
Son entreprise n’est rien d’autre que le moyen de réaliser
un exploit dont le bénéfice est toujours en termes
de notoriété, de position sociale. C’est un faire
valoir personnel.
Ce type de dirigeant est très mobilisateur. Il dynamise
ses collaborateurs (et ses admirateurs) en leur montrant l’idéal,
la cause à atteindre. C’est par le jeu d’identifications
qu’il s’entoure d’une équipe et il veille à l’image
et l’identité de tous. Cependant c’est toujours lié
à l’idée qu’il se fait de lui-même. Il ne
reconnaît les contributions des gens que dans cette mesure
même. Il serait préjudiciable à ses collaborateurs
de croire aux objectifs de l’entreprise comme fins en soi. La
fin c’est toujours la réussite de l’idéal du chef.
Ce type d’entreprise est en général très
soucieux de son image et de sa notoriété comme
démonstration de la réussite ou de la valeur de
son dirigeant. Il n’empêche personne de l’imiter à
condition de ne pas l’égaler sur son propre terrain. Il
n’est guère concerné par ce qui se passe autour
de lui sinon comme occasion d’aller plus loin dans sa motivation
propre.
LE PRATIQUANT (ou l’expérimentateur)
Sa motivation c’est de devenir plus compétent, de progresser
grâce aux expériences qu’il peut faire.
Pour cela il empruntera des voies préétablies ou
cherchera un modèle, un parrain dont il pourra suivre
les méthodes.
Son entreprise est une expérience, presque un terrain
d’apprentissage. Friand d’expériences nouvelles c’est
le client privilégié de conseils, d’idées
nouvelles qu’il va essayer pour en tirer le meilleur
enseignement. Les collaborateurs qu’il recherche sont des gens
ouverts, des partenaires avec lesquels il combine ses tentatives.
L’entreprise terrain d’expérimentations et d’apprentissages
pour lui, est tout à fait propice à l’innovation,
innovation technique, sociale, managériale qui fait bouger
les choses y compris dans l’environnement.
Cependant la mobilité de ce chef d’entreprise peut l’entraîner
d’expériences en expériences et d’entreprises en
entreprises jusqu’à ce qu’il se stabilise peut-être
un jour.
LE MILITANT (ou le spécialiste)
Sa motivation, c’est d’atteindre un grade supérieur dans
la hiérarchie sociale et d’y gagner une identité
et un statut satisfaisant.
Pour cela, il est très soucieux des normes et son entreprise
sera celle d’un spécialiste discipliné et quelque
peu conformiste. Son souci est d’atteindre une performance suffisante
par des moyens normaux. Ce chef d’entreprise se consacre à
sa tache et attend la même chose de ses collaborateurs.
Ceux-ci sont choisis plus en fonction de leur spécialité
et de leur niveau que de leur personnalité. Il dirige
sans états d’âme et cette direction est plutôt
normative, technocratique, fixant des objectifs et contribuant
à leur réalisation. On a là un type d’entreprise
laborieuse qui peut exceller en situation conjoncturelle stable
ou protégée par une spécialité momentanément
appréciée.
L’entreprise comme l’entrepreneur mènent une vie rangée
à l’abri d’un système socio-économique qui
au fond les soutient. Le chef d’entreprise n’est au bout du compte
guère concerné par ce qu’il fait mais surtout par
ce que cela lui permet d’obtenir: une identité normale.
C’est là toute son ambition et sa vertu.
LA VICTIME (ou le malchanceux)
Sa motivation c’est de s’en sortir rien ne lui convient dans
la vie et son entreprise est une tentative pour sortir de la
situation, pour devenir quelqu’un d’autre. Cela l’entraîne
a un pessimisme généralisé et à une
attitude de rejet vis-à-vis des autres. Il n’assume pas
ses initiatives et en rend les autres responsables. Il choisira
ses collaborateurs parmi des personnes qui ont une sorte de prix
à payer et se sentent contraints d’assumer les problèmes
au delà de ce qu’ils devraient.
L’entreprise est un calvaire pour tout le monde. Chacun se rejette
la responsabilité et espère en sortir, y échapper.
Plus l’entreprise avance, plus les difficultés sont grandes,
plus les risques croissent et plus les gens sont piégés.
Ce chef d’entreprise s’essouffle à tenir son entreprise
et le personnel vit dans un climat d’amertume qui peut devenir
vindicatif. C’est la persistance d’un certain échec personnel
qui maintient l’entreprise toujours entre deux eaux dans un cercle
vicieux à la limite de l’effondrement et l’ensemble de
son personnel dans une dépendance aliénante dont
le chef d’entreprise est le premier exemple.
LE DOMINATEUR (ou l’autocrate)
Sa motivation est un désir de puissance fondé sans
doute dans quelque sentiment d’impuissance. Il n’a de cesse de
démontrer sa puissance, sa force, par tous les signes
d’emprise et de possession qu’il veut faire résulter de
l’exercice de son arbitraire.
Son entreprise est une arme et un piège pour capturer
le bien d’autrui en capturant autrui s’il le faut par les moyens
de la dépendance, menace-séduction.
Ce type d’entreprise, structuré comme une toile d’araignée
ou dans un style commando est toujours en guerre. Les affaires,
c’est la guerre, à la fois comme démonstration
de force et comme contrainte d’une logique conflictuelle, en
butte à la rivalité sans cesse provoquée
et subie des possessions de territoires.
Le pouvoir est à la fois la fin et le moyen et le profit
n’est que le signe du pouvoir. La confusion des fins et des moyens
prête à toutes les manipulations et c’est comme
cela même qu’est conçu le pouvoir dans l’entreprise.
Les collaborateurs sont sans cesse pris dans la dialectique conflit/allegeance
qui se reproduit à tous les niveaux. Elle est même
présente dans les rapports clients-fournisseur-s avec
tous les partenaires.
On n’est pas loin de l’entreprise de prédation dont la
jungle est le climat préféré et qui peint
sans cesse de ces couleurs l’environnement socio-économique.
LE MATERNANT (ou paternaliste)
Sa motivation est la protection des autres dans un dévouement
qui vise à en être aimé en retour.
Ce type de chef d’entreprise se veut sécurisant, protecteur,
nourricier. Son entreprise est la reconstitution d’un schéma
familial, maternel, d’un milieu privilégié où
peut se vivre un jeu de relations affectives fusionnelles. La
prise en charge des problèmes est la façon dont
le dirigeant conçoit son rôle et il demande à
ses collaborateurs de faire la même chose. Il est là
pour compenser leurs défaillances. Le recrutement des
collaborateurs est une question d’affectivité, on entre
dans la famille.
Ce type d’entreprise n’a guère d’autre ambition que la
satisfaction de ses membres et de ses proches sans autre projet
à long terme que de pérenniser la situation.
Confort et agrément pour tous ; tel est le but mais aussi
le profit de l’entrepreneur. Les biens matériels valent
alors comme patrimoines de sécurité. Ces entreprises
quelque peu régressives doivent en quelque sorte trouver
la « niche économique » qui leur permettra de
subsister. C’est la responsabilité du chef d’entreprise.
L’ENFANT (ou le profiteur)
Sa motivation est de profiter de l’environnement en s’y intégrant.
Son entreprise doit être un « jeu d’enfant ». Il
s’agit de s’installer sur un créneau, dans une rente de
situation et d’en profiter sans complexe.
Ce type de chef d’entreprise ne manque pas de générosité
pour qui joue avec lui. Son entreprise est une sorte de théâtre
où chacun joue un rôle et y trouve plaisir et profit.
Il est évident que ce type d’entreprise ne peut exister
que grâce à une conjoncture exceptionnelle (comme
par exemple les trente glorieuses) ou sous couvert d’un patrimoine
hérité ou d’un privilège particulier. Dans
ce type d’entreprise on pratique volontiers les jeux et techniques
à la mode pour être dans le coup. C’est l’agrément
de la vie d’entreprise: faire des expériences et prendre
des risques en toute sécurité. Il faut bien sur
être pour cela très adaptatif et n’avoir d’autre
ambition que de tirer le maximum de profit, c’est-à-dire
de plaisir et de moyens de satisfactions.
CONCLUSION
Chaque type de motivation dessine une psychologie et un système
de valeur sur lesquels toute la logique d’entreprise repose grâce
au consensus qu’elle rassemble. Il ne s’agit donc pas de poser
simplement les problèmes en termes d’absence ou de présence
de motivation mais de nature de la motivation.
Un collaborateur de type « militant-spécialiste »
s’ennuiera dans l’entreprise d’un « maternant ». Un collaborateur
de type « dominateur » ne comprendra rien à l’entreprise
d’un « maître ». Un chef d’entreprise « victime »
s’effraiera et bloquera l’expérimentation d’idées
neuves par un « pratiquant ».
On voit se dessiner là l’importance d’une culture d’entreprise
fondée sur les motivations qui y ont cours.
La théorie des Cohérences, développée
par l’Institut Cohérences des Entre-prises Humaines et
mise en oeuvre par le Groupe Cohérences (consultants),
montre que la motivation est une clé majeure de l’entreprise
à la source de sa cohérence et de son dynamisme.
A partir de ce constat se pose le problème de la connaissance
et de la maîtrise des motivations comme l’une des composantes
majeures du gouvernement des entreprises.
A partir de l’existant, il est possible de réaliser une
« analyse de cohérence » qui permet de mettre
en évidence l’éventail des motivations présentes
dans une entreprise, cela permet au dirigeant de discerner, de
choisir et confirmer le type de motivation original qu’il veut
privilégier et dans lequel il se retrouve personnellement.
Valeurs, cultures, vocations, finalités, orientations,
philosophies et raisons d’être en découlent, définissant
l’axe politique du gouvernement des entre-prises, leur positionnement
fondamental.
Ensuite il est possible à partir d’un tel positionnement
d’ajuster des visées et des positions dans l’environnement
économique qui en soient significatives pour enfin construire
des projets et stratégies de développement cohérents
avec les paramètres précédents.
La structure cohérencielle de l’entreprise et son gouvernement
en montrent l’articulation.
Le choix et la détermination d’une
motivation d’entreprise sont ensuite simultanément:
– à partager,
– à communiquer,
– à mettre en acte.
Une maîtrise particulière de l’animation est à
mettre en oeuvre. Il ne suffit pas de faire participer ou de
mobiliser encore faut-il le faire dans l’axe d’une motivation
de direction. Des méthodes de « compréhension
mutuelle » ont été élaborées
pour réajuster, renforcer ou susciter une dynamique d’auto-mobilisation
progressive (opérations d’animation stratégique).
Tout cela s’accompagne d’un travail d’expression et d’identification
collective à partir des valeurs fondées sur la
motivation de l’entreprise. Les représentations symboliques
ou explicites doivent être conçues ou réajustées
pour alimenter toute la communication interne et externe qui
témoigne du vouloir de l’entreprise et le fait savoir.
Les techniques d’homologie, de créativité générative
permettent de concevoir des opérations de communication
stratégique à cet effet.
Enfin la motivation est aussi l’unité d’esprit qui doit
prendre corps dans la coopération. L’organisation du travail
en est le moyen. La motivation de l’entreprise va devenir qualité
et performance qui y trouvent leur racine. C’est la culture technique,
celle des savoir-faire individuels et collectifs qui y est ancrée.
La motivation est la graine d’une espèce de savoir-faire
particulier qu’il s’agit de cultiver par des méthodes
« culturales » appropriées et qui implique par
exemple un rapport particulier aux technologies modernes et à
leur intégration.
Tels sont globalement les conséquences et les conditions
d’une maîtrise des motivations dans l’entreprise.
Il faut enfin comprendre que cette maîtrise est celle de
la cohérence des « concourances » internes de
l’entreprise, mais aussi celle de la cohérence et des
concourances de l’entreprise dans son milieu économique,
social et culturel où les motivations d’entreprise rencontrent
les motivations collectives. C’est le gage de la réussite
de ses projets et de la fidélité de ses partenaires
et clients, c’est le gage aussi d’une reconnaissance de l’entreprise
et de sa participation au développement de la société
humaine à laquelle elle concoure.