L’économie de territoire
Après une économie de la terre et des matières premières, après une économie logistique des moyens de transport qui ont vidé certains territoires de leur contenu sinon de leur âme, vient une économie de l’immatériel qui redonne aux territoires la possibilité d’un nouvel avenir. Ce que certains appellent économie résidentielle, est fondé sur la mise en valeur de patrimoines culturellement significatifs autour d’une vocation originale à élucider.
Le temps est à la constitution de
pays, conçus comme des territoires de projet.
Cependant les réflexes vont naturellement
vers l’aménagement du territoire et ses infrastructures
et vers un développement économique conçu
comme l’incitation à l’implantation et au développement
d’entreprises industrielles, commerciales, agricoles, touristiques,
etc…
Or des régions entières continuent
à décliner avec de telles méthodes. Leur
économie traditionnelle s’est délitée et
continue à régresser, aucune alternative satisfaisante
ne s’est imposée.
On en vient à une question, comment
sera-t-il possible dans le futur d’habiter de tels territoires,
d’en faire vivre des habitants.
Après l’agriculture qui entretenait
le pays, après l’industrie qui exploitait les ressources
locales et retenait une main d’oeuvre importante, s’enchaîne
le déclin de l’artisanat, de l’économie de proximité,
des services publics.
Pour beaucoup de pays on ne voit pas d’issue
et une certaine désespérance pointe derrière
la répétition des projets d’aménagement
et de développement classiques.
Pendant ce temps la mondialisation, la
nouvelle économie semblent renforcer l’extra territorialité
de l’économie et certains y voient une condamnation supplémentaire.
En fait, une mutation profonde se produit
qui dans un premier temps s’accompagne de la régression
des modèles classiques à tel point qu’on en viendrait
à une conception de pôles de concentration humaine
et économique entourés de vastes déserts
parcourus par des touristes visitant un indigénat résiduel.
A cela un nouveau modèle peut répondre,
celui de l’économie de territoire. Elle s’appuie sur trois
principes. Le territoire comme un lieu patrimonial, le patrimoine
comme étant celui de la communauté de destin qui
habite le territoire, le développement comme l’entreprise
territoriale de mise en valeur du patrimoine territorial de la
communauté territoriale.
Dès lors une méthode s’impose:
– Qualifier le patrimoine du territoire,
– Elaborer le projet de territoire avec ses enjeux, ses stratégies,
ses processus de concertation et de décision,
– L’entreprendre et faire fructifier le patrimoine territorial.
On observera qu’on est plus là dans
une logique entreprenante que dans une logique conservatrice.
Une rapide analyse de la mutation économique
et son dépassement avec l’économie de territoire
Dans les projets territoriaux, on peut
dire que le modèle classique qui habite les esprits est
celui d’une économie d’exploitation et de production.
Cette économie est en effet attachée
au terrain soit avec l’exploitation des terres, soit avec l’exploitation
de ressources locales par des unités de productions. La
dominante matérielle de cette économie en a rendu
l’attachement au territoire d’un côté et le transport
des biens produits, deux facteurs décisifs.
Dans la compétition économique
ces facteurs jouent contre un grand nombre de territoires, ceux
de la montage ou ceux de zones relativement éloignées
des concentrations urbaines et des grands axes de transports.
C’est ce que cherchent à compenser
ou renverser souvent vainement la plupart des programmes.
Dans le même temps un modèle économique déterritorialisé
se fait jour. Mondialisation, nouvelle économie, économie
de l’immatériel, en sont des mots clé.
Tout se passe comme si l’économie
n’avait plus d’attachements territoriaux et que ses points d’ancrages
sont plus d’opportunité que de nécessité.
Dès lors il est compréhensible
que cela apparaisse pour les territoires en déclin comme
une raison de désespérance transformée en
colère lorsque des puissances aux intérêts
aveugles semblent se jouer des territoires à leur seul
profit.
Alors comment concevoir la vie dans ces
espaces habités par une économie traditionnelle
qui s’épuise et perd la capacité de faire vivre
des régions entières. Certains y voient l’occasion
de revenir à un état de nature, d’autres en font
un espace de retrait et de promenades bucoliques, d’autres essaient
de renouveler le modèle économique avec des ressources
touristiques localisées. Mais cela ne répond pas
à la question du devenir humain des territoires
Une alternative : l’économie
de territoire
La première caractéristique
de ce modèle est de considérer le territoire comme
une ressource au travers de son patrimoine naturel et culturel.
La notion de patrimoine est ici à
préciser. Il ne s’agit pas de faire un inventaire de sites
intéressants pour les experts en matière de patrimoine
mais de prendre tout le territoire comme patrimoine. Les sites
intéressants prendront sens par rapport à ce patrimoine
global.
Un débat pourrait être engagé
entre nature et culture pour définir le patrimoine du
territoire. Ce débat est tranché dans la mesure
où le patrimoine ne vaut pour le territoire que par rapport
au bien commun, celui d’une communauté territoriale qui
lui donne sens, l’investit de ses valeurs et projette de le faire
fructifier grâce à ses ressources culturelles, historiques,
actuelles, prospectives.
Ainsi il s’agit de qualifier ce patrimoine
territorial pour définir une vocation du territoire, traduite
en projet de développement territorial original qu’il
alors s’agit d’entreprendre.
L’entreprise territoriale
Le projet du territoire est celui de l’entreprise
territoriale. La culture d’un patrimoine propre, d’une vocation
singulière, originale est à la racine d’un "service"
visant non seulement ceux qui habitent le territoire mais aussi
la clientèle de l’économie a-territoirale mondialisée.
La mise en valeur du patrimoine que constitue
le territoire n’est donc pas à concevoir comme une simple
"exposition" mais comme un service à la fois
matériel et immatériel.
Il s’agit donc pour le développement
du territoire de concevoir un "projet d’entreprise"
avec son marketing, ses financements, son management, sa production,
ses équipements, etc… Il ne s’agit pas de calquer n’importe
quel modèle d’entreprise d’autant plus que nous sommes
sur le territoire démocratique d’une communauté
de vie et de devenir.
Cependant rien n’empêche d’en retenir
des rationalités pour construire une communauté
entreprenante à l’échelle du territoire.
Dès lors, les entreprises classiques
peuvent concourir elles-mêmes au projet de territoire,
à l’entreprise territoriale, dans la mesure même
de leur engagement dans le bien commun. L’entreprise territoriale
créant une dynamique et une économie nouvelle entraîne
ipso facto la redynamisation d’une "économie de proximité"
en même temps que la participation à une économie
a-territoirale. Elle est donc propice à l’émergence
de nouveaux modes de vie, de nouvelles façons d’habiter
le territoire, de nouveaux modèles de société.
Il est évidemment concevable que
des "entreprises territoriales" s’associent tant dans
des domaines communs que dans des espaces partagés. Il
est aussi concevable que des territoires s’entremèlent
croisant en un même lieu plusieurs entreprises territoriales
de même que les communautés humaines sont complexes
et ne se définissent par des frontières que pour
mieux s’opposer aux autres et créer des logiques territoriales
inextricables.
LA METHODE
Les principes en sont clairs : qualifier,
projeter, entreprendre.
Qualifier
la valeur patrimoniale du territoire, c’est-à-dire l’identifier
et l’expliciter en termes de potentiels originaux, de vocation
et dans tous les termes propres à la nature spécifique
de ce patrimoine.
Pour ce faire les analyses de potentiels,
les analyses de cohérences culturelles, les évaluations
prospectives sont nécessaires reposant sur des méthodes
qualitatives et d’analyse de Sens. Il importe qu’il y ait une
validation et une appropriation par les acteurs responsables
du bien commun du territoire (élus, acteurs impliqués…)
qui seuls peuvent se reconnaître et porter l’ambition.
Projeter.
Le potentiel patrimonial ne prend valeur que s’il est projeté
en ambition et cette ambition mise en projet c’est-à-dire
ici un service, une stratégie de développement,
un mode de direction (concertation, prise de décision)
une programmation des ressources, équipements et compétences
à réunir et un plan d’action. Il s’agit avec le
projet de préfigurer l’entreprise territoriale de développement.
Entreprendre.
Pour beaucoup un projet est destiné à être
appliqué. Il faut préciser qu’il s’agit ici de
l’entreprendre. En cela la mobilisation des hommes, des compétences,
des moyens est principale. Faire concourir les "forces vives"
à l’entreprise commune est un autre genre de travail que
de mettre en place des programmes. Il faut donc que le territoire
se dote des moyens de "gouvernance" appropriés.
On notera que ceux-ci doivent être cohérent avec
la vocation culturelle du territoire et ne peuvent se contenter
du placage d’idées générales. La structuration
de l’entreprise territoriale et l’entraînement de sa dynamique
sont l’essentiel de la responsabilité des dirigeants,
à charge pour de multiples opérateurs de produire
les concours appropriés.
C’est pour cela qu’un projet de développement
dans l’esprt d’une entreprise d’économie territoriale
est principalement un projet de mise en mouvement et de pilotage
du développement de ce mouvement à partir du patrimoine
que constitue le territoire.