Appropriation du développement

Le développement est souvent le lieu d’exercice d’une rationalité technique alors qu’il s’agit de développement humain, quelques soient les questions auxquelles il s’applique. C’est un changement de paradigme que la mutation exige et non pas l’intégration de quelque formule incantatoire.

Pour conduire une politique dans

un nouveau sens ce sont toutes les conceptions et les méthodes

qu’il faut changer. L’appropriation par les communautés

de vie de leur développement suppose trois changements

radicaux.

1) Un changement de modèle

mental . Passer

d’une logique de procédure, conformative, à une

logique de processus et d’appropriation active.

2) Un changement de modèle

opératoire

. Passer d’une pratique de méthodes participatives conformatives

à une pratique de l’ingénierie humaine des processus

d’évolution et de maturation. Les méthodes participatives

habituelles sont pratiquement toujours dans une logique conformative

(conformation aux procédures, savoirs, grilles, schémas

que l’on cherche à « faire passer » et qui suscitent

au mieux des réponses « conformes »).

L’ingénierie humaine s’appuie

sur les potentiels propres aux communautés de devenir,

sur les relais de maturation et d’évolution et sur des

stratégies macro-pédagogiques appropriées.

3) Un changement de modèle

conceptuel

Passer d’une approche normative et standardisée des problèmes

à une approche culturelle des potentiels, des enjeux et

des pratiques.

Les concepts et les méthodes

des Cohérences Humaines, notamment avec le concept de

culture et de développement approprié, apportent

les moyens d’un tel changement de vision et de pratique.


Nous sommes dans un monde en mutation mais

on n’en voit souvent que les symptômes: perte de contrôle

des systèmes classiques, prolifération des tentatives

de substitution.

La gestion des territoires et des agglomérations

urbaines en est le théâtre. De multiples procédures:

européennes, nationales, régionales locales se

disputent le privilège de redécouper le territoire

et de le voir gérer par les principes qui sont les leurs.

Les prérogatives des différents promoteurs sont

ainsi en rivalité. Sur le terrain rien n’est possible

sans allégeance à l’une ou l’autre procédure

à tel point que l’exercice en est devenu un art, perdant

de vue quelques fois ses enjeux propres.

La vertu de conformité serait la

seule payante. C’est ainsi que l’aménagement du territoire

trouverait sa cohérence et le développement durable

son sens.

Or il ne s’agit là que de la fin

d’une époque, croisée avec une nouvelle qui se

cherche. L’enjeu ? Une alternative antagoniste ou un rapport

de complémentarité.

Ce que nous allons montrer c’est que les

logiques gestionnaires et conformatives traditionnelles

doivent laisser la place à des logiques d’appropriation

du devenir par les collectivités humaines .

Notre objectif sera surtout de proposer

une conception et une méthode mais aussi un nouveau rapport

entre les collectivités locales et les services de l’Etat

qui pourraient réactualiser leur tradition de service

à condition de repositionner leur compétence sur

une ingénierie du développement

.

Nous montrerons d’abord l’opposition des

deux termes de l’alternative et des modèles mentaux qui

les accompagnent.

Nous verrons ensuite pourquoi l’ingénierie

humaine est décisive pour susciter et accompagner

les dynamiques de développement approprié.

1) Une alternative, celle d’une

mutation des modèles mentaux.

Les trente glorieuses ont aussi fait la

gloire de conceptions de l’aménagement du territoire consistant

à cadrer et structurer l’espace physique et économique

pour donner à la croissance une régulation optimale.

La conception planificatrice et ses différentes périodes

plus ou moins rationalisantes en venait à croire avec

ses aménagements structurants qu’elle était la

source même de la dynamique de croissance. Le fait d’influer

sur celle-ci en jouant sur certaines variables laissait croire

qu’elle en était la cause.

Aujourd’hui rien n’échappe aux procédures,

il n’est guère d’action publique qui ne soit l’application

d’une procédure à tel point que l’on imagine à

peine ce qu’il pourrait advenir sans elles; sans doute chaos

et corruption.

Le modèle qui tend à dominer

c’est de penser qu’implicitement la cause de l’action, c’est

la procédure et cette procédure, de réglementaire

se fait technique, organisationnelle, financière, etc.

Dès lors, un territoire c’est avant

tout le champ d’une procédure, procédure qui tente

de définir la vie ou les règles qui doivent s’y

imposer. C’est ainsi que l’aménagement du territoire est

devenu à diverses échelles près, la mise

en oeuvre de procédures tendant à rationaliser

les dispositions et les équipements qui conviennent au

dit territoire.

Le modèle mental est celui-là:

partant d’un cadre formel à priori doivent y être

intégré, les opérations à conduire

dans l’intérêt de ce territoire selon sa rationalité

spécifique.

Il s’agit d’une démarche

conformative du début à la fin, depuis

ceux qui s’en chargent, ceux qui en décident, ceux qui

sont sensé l’appliquer sur leur réalité

afin qu’elle en soit transformée.

Il n’y a là nulle appropriation

même lorsqu’une « procédure participative »,

souvent leurrante et conformative, est appliquée.

A l’inverse la conception est la suivante.

Le devenir d’un territoire c’est celui de la communauté

qui lui donne une identité et une histoire (les territoires

n’ont pas d’histoire par eux-mêmes et donc pas de développement).

On peut parler de développement

lorsque cette communauté est en marche, dans une marche

de progrès ce qui suppose un mouvement, un but, une démarche.

Le développement est alors conçu

comme le déploiement d’une dynamique orientée par

laquelle la communauté progresse sur tous les plans de

son existence selon les enjeux et les valeurs qui lui sont propres.

Déjà certains lecteurs trouveront

cela utopique surtout s’ils sont attachés à examiner

le fonctionnement des sociétés humaines selon les

procédures qu’elles emploient et les dysfonctionnement

qu’elles subissent. Et pourtant nous sommes le fruit de cela,

du développement de richesses humaines, du déploiement

de ressources culturelles.

Dans cette optique, le développement

est véritablement endogène, né d’une source

propre, originale, engagé selon des modalités,

des rythmes qui lui sont propres, originaux, déployé

selon des formes qui expriment la culture même de la communauté.

Cela n’empêche en rien que ce développement

soit ordonné, rationalisé. Cela n’empêche

en rien qu’il tienne compte des « conditions extérieures »

d’intérêt plus général ou de solidarités

plus globales. Cela n’empêche en rien que cela se formule

selon des plans, qu’il y ait plans d’aménagements et même,

au bout du compte, réalisation d’équipements appropriés.

La différence c’est que les plans ne sont plus conformatifs

(pour y conformer la réalité) mais projectifs (pour

guider la marche en avant vers des horizons structurants).

Pour résumer considérons

deux modèles implicites ici simplifiés à

l’extrême afin de permettre d’en comprendre l’antagonisme.

D’un côté, imaginons un cadre,

une structure organisée, un plan, un schéma selon

lequel on va essayer de conformer la réalité, prétendant

ainsi agir pour le bien public dont chacun est sommé d’être

solidaire.

D’un autre côté, imaginons

un centre, un foyer, une source de richesses humaines et à

partir de là un déploiement qui prend des formes

originales bien qu’adaptées aux conditions environnantes.

Dans le premier cas on se heurte sans cesse

au divorce entre concepteurs de plan et collectivités

qui s’approprient mal les bienfaits qu’on leur destine.

Dans le second cas il s’agit d’un développement

approprié:

– approprié par ceux dont c’est

l’histoire même,

– approprié à l’originalité

et la singularité de la communauté et sa culture,

– approprié aux conditions environnantes

qui sont rencontrées.

Il est clair que ce type de développement

peut aussi être qualifié de durable en cela qu’il

s’inscrit dans une histoire et donc une portée de long

terme, et en cela qu’il s’inscrit dans un environnement auquel

il est aussi adossé et enfin parce que toute action maîtrisée

ne peut se contenter d’aménagement à court terme

mais doit inscrire ses projets et réalisations dans la

durée.

2) Le développement approprié

ne peut être qu’endogène et durable. Mais comment

le conduire ?

Depuis peu le thème de la gouvernance

est associé au développement dans les références

du développement durable. Il s’agit bien, vu sous l’angle

qui est le nôtre, de la façon dont on peut conduire

humainement un tel déploiement.

Très vite le modèle traditionnel

y a vu gestion, administration et procédures.

Malheureusement la prégnance des

modèles mentaux s’impose aux idées les plus avancées.

On met donc en place des « procédures participatives »

dont le formalisme stérilise systématiquement toute

originalité, toute véritable dynamique humaine

de développement en en créant l’illusion ou la

déception. Il reste aux réflexes conformatifs à

parachever l’oeuvre et à qualifier d’endogène ce

qui est élan technocratique, maintenant cautionné

de l’onction participative.

Il faut dire ici avec force que la méconnaissance

des phénomènes humains et des savoir-faire d’ingénierie

humaine sont criants.

Le recours aux références

conformatives semble être le seul secours et le seul discours

disponible pour ceux qui vertueusement voudraient y concourir.

N’y échappent que naïvetés, bons sentiments,

malignités ou talents atypiques.

Il y a là une carence que seule

la mutation des modèles mentaux peut permettre de combler.

Ne cherchons pas alors une nouvelle recette conformative que

l’on pourra, comme une procédure, pousser devant soi.

Au contraire la compétence réclame

à la fois l’humilité de l’action sur l’autre, l’acceptation

de l’inconnu de la communauté, toujours étrangère,

dont on ignore plus qu’on connaît et que l’on va néanmoins

encourager, aider par son action. Elle réclame à

la fois aussi une intelligence des situations, une compréhension

des dynamiques, une appréhension du réel beaucoup

plus larges et complexes que n’importe quelle procédure

ne peut les prendre en compte. Il faudra aussi s’y impliquer,

dans une action qui est à la fois animation et stratégie.

Tels sont les premières caractéristiques de l’ingénierie

humaine.

Elle réclame connaissances, intelligence,

ingéniosité, intégration de tous les plans

du réel, ambition, humilité et réalisme,

maîtrise personnelle et professionnalisme, méthodes

et techniques, Sens et cohérence, respect et considération.

Voyons en quelques images ce que l’ingénierie

humaine peut apporter en pratique pour le développement

approprié.

Le foyer de développement

Les territoires n’offrent pas toujours

une identité collective, signe de l’existence d’une communauté

de développement.

C’est donc le premier enjeu: constituer

ou mettre en évidence la communauté de développement

sans laquelle il n’y a tout simplement pas de développement.

On notera qu’une communauté qui

ne s’est pas encore identifiée ne peut se « projeter »

dans l’avenir, ni engager une démarche volontariste quelconque.

Elle ne peut aussi assumer son développement.

Ainsi chaque communauté humaine

est radicalement différente mais toutes ont à parcourir

différentes étapes, différents âges,

différents degrés de maturité. Mais ce n’est

là rien d’autre que la voie du développement qui

donc est aux prises avec le problème de maturité

et de maîtrise, à la fois fruits du développement

et conditions de celui-ci. Ce paradoxe trouve aisément

sa solution de deux façons complémentaires:

– L’apport d’un service de maîtrise

extérieur. Voilà un repère pour le service

public et les services de l’Etat.

– L’existence au sein d’une même

communauté de différences de niveaux de maturité

et de responsabilité, les plus avancés ayant à

aider les autres à progresser. C’est une loi, quelques

fois oubliée, de la hiérarchie des valeurs et des

charges dans les sociétés humaines.

S’il y a parmi ces charges, certaines qui

tiennent à l’enjeu d’unité et de devenir de la

cité alors ces responsables « politiques » doivent

être considérés comme ceux qu’il va falloir

aider à assumer leur charge, maintenant qu’elle se définit

ainsi.

L’ingénierie humaine a à

connaître de ces phénomènes et situations

et y situer son art et son rôle.

Par exemple, elle saura comment intervenir

de l’extérieur, quelque fois de façon volontariste,

pour faire se lever la maîtrise, l’originalité,

la liberté de l’autre, l’autre étant ici la communauté

qu’il s’agit d’accompagner. C’est là que se pose la question

de la conduite du développement alors que c’est la communauté

qui a à se conduire elle-même.

Pour cela une des clés de l’ingénierie

humaine, c’est de repérer les sources de potentiels, les

pôles de maturité et d’aider à en révéler

et développer les capacités propres.

Il s’agit là par exemple de la question

des dynamiques humaines. Seules sont durables celles qui cultivent

les aspirations les plus gratifiantes (et certainement pas celles

qui se fondent sur la menace à moins de faire commerce

de l’insécurité et de la diffusion de l’inquiétude

et de la peur).

Il existe, on le verra des méthodes

pour interpeller, solliciter, identifier le meilleur d’une communauté,

ce dans quoi elle se plaît à se reconnaître

authentiquement.

Cela dit ces dynamiques collectives se

déploient par entraînement, par contamination vertueuse.

Il y faut donc des relais et des cadres.

L’ingénierie humaine aura ainsi

à construire des stratégies macro pédagogiques

de dynamisation collective.

En outre, la mise en mouvement se heurte

aux craintes, aux dérangements qui font que tout développement

s’accompagne de fragilités et risque d’avorter. L’ingénierie

humaine devra former les cadres structurants, les soutiens, les

concours, les réunions qui donnent de la force au mouvement.

Par ailleurs, le développement intègre

la diversité des aspects de la vie collective et des conditions

de ce développement, elle aura alors à savoir se

déployer sur différents registres si bien que l’ingénierie

humaine se fait ingénierie du développement et

intègre plusieurs types d’ingénierie classiquement

séparés en disciplines qui s’ignorent.

La gouvernance trouvera là ses concepts

et ses méthodes et pourra troquer ses naïvetés

contre de véritables compétences. Mais n’est-ce

pas la condition pour apporter un véritable service de

maîtrise du développement pour les collectivités

concernées?

En résumé l’ingénierie

du développement se base sur une ingénierie humaine

qui sait préparer les conditions d’une dynamique appropriée

et en accompagner la montée en puissance et le développement

de la maîtrise.

La stratégie de rayonnement à

partir d’un foyer se traduit par une stratégie de rayonnement

à partir d’un petit nombre entraînant le grand nombre

sur les voies qui lui appartiennent.

C’est certainement un travail plus proche

de la maïeutique que de la mécanique.

3) La culture comme concept structurant

du développement approprié et comme clé

opérationnelle de l’ingénierie du développement.

L’erreur mécaniste est de croire

que le jeu des opinions à un moment donné produit

le sens de l’histoire. On pourrait craindre alors qu’elle soit

plus errance que développement.

Mais alors se pose le problème d’un

Sens du développement qui précède, sous-tende

et oriente le développement approprié.

Le développement est approprié

s’il va dans le Sens du bien commun. Le Sens du bien commun est

approprié, s’il actualise le meilleur potentiel de la

communauté. Le développement approprié « cultive »

ce potentiel dans le Sens du bien commun.

Ainsi émergent les notions de culture

et de vocation d’une communauté humaine comme clés

conceptuelles et opérationnelles sans lesquelles tout

l’édifice du développement approprié et

de l’ingénierie humaine ne resteraient que voeux pieux.

C’est d’ailleurs ce qui s’est passé

au cours des décennies précédentes.

Notre pays a l’inconvénient d’être

peu familier avec ce concept de culture et l’avantage d’être

ainsi plus disponible à son renouvellement radical qui

le rende enfin opérationnel.

Une communauté humaine peut être

conçue de différentes manières soit en fonction

de son degré de maturité, soit en fonction du degré

de maturité du concepteur.

On distinguera alors quatre niveaux d’évolution:

Les groupes archaïques liées

par le jeu des affects et des logiques d’inclusion / exclusion.

Les agglomérations primaires coordonnées

autour de préoccupations de subsistance et de sécurité

matérielle.

Les sociétés secondaires

rassemblées par une identification collective, un jeu

de représentations et de règles communes.

Les communautés majeures, communautés

de Sens partagé et d’engagement mutuel.

Sauf à s’égarer chaque communauté

humaine intègre les différents niveaux et dans

son histoire et dans son actualité.

C’est cette trajectoire d’évolution

qui est celle de son développement et dont on a quelques

repères généraux ici.

Ce chemin est celui de sa vocation, celui

où se cultive une richesse qui lui est propre, des potentiels

originaux, les racines d’une culture.

La culture d’une communauté peut

être comprise à trois niveaux:

– Celui des racines, des soubassements

où se situe le Sens qu’elle a à cultiver – la culture

comme racines,

– Celui de l’expression de ces racines

selon des formes, des manières et des réalités

qui sont les siennes – la culture comme expression,

– Celui de l’activité de développement

et de progrès qui est un travail de culture – la culture

comme activité.

Le développement approprié

est le fruit d’un travail de culture des meilleurs potentiels

sur des modes d’existence collective appropriés.

L’ingénierie du développement

trouvera là quelques points d’appui décisifs:

– Il est possible d’élucider le

sens de la vocation d’une communauté humaine quelque soit

son propre niveau de conscience.

– Il est possible de valider cette vocation

tant dans l’histoire que dans l’actualité et notamment

par l’appropriation qui en est faite par des représentants

de la communauté.

– Il est possible de repérer où

en est la communauté de son évolution, ou ses différentes

parties.

– Il est possible de construire des stratégies

de dynamisation qui entraînent un processus de développement

approprié à la mesure des capacités de maîtrise

de la communauté.

– Il est possible d’évaluer le service

rendu à la communauté par le progrès de

son appropriation de son propre devenir.

Des techniques et des méthodes existent

pour cela ainsi que des exigences éthiques et des disciplines

pratiques.

Les termes de toutes ces questions appartiennent

au champ des préoccupations de l’actualité collective.

On le dira en termes d’économie, d’identité, de

projets, d’aménagements, d’équipements, de finances

et même de procédures.

On le dira aussi dans des termes originaux

propres à l’histoire et à la culture de chaque

communauté dont le développement est imprévisible

et ne peut être conformatif.

L’ingénierie du développement

inclue la maîtrisede diverses techniques mais surtout

la maîtrise de processus dont les stratégies doivent

être imaginées sur la base d’une connaissance de

la vocation culturelle propre.

Au fond ce qu’apporte de nouveau le développement

approprié par rapport à l’excès des procédures

que l’on connaît c’est de centrer le développement

sur l’homme (article 1 de la déclaration du RIO!). Reste

à en développer la connaissance et la compétence

et à en assurer la charge de service auprès des

collectivités locales et territoriales de toutes tailles.

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