Les Sens de la religion

En ce temps de crises de passage vers un autre temps de l’homme, les régressions et les abstractions de l’humain font assaut de promesses alors que la religion de l’humanité se dessine. Elle était déjà là dans les religions connues et inconnues. Un travail de discernement est nécessaire dont la révélation de l’homme est la voie et la fin. A lire avant de conclure trop hâtivement et jeter des anathèmes.

La religion est un phénomène humain aux multiples Sens. C’est toujours l’expression d’une disposition d’être, individuelle et collective qui s’exprime selon différents paradigmes. A chaque conception de la religion est associée une conception du monde, des critères et visées du bien, des pratiques considérées comme bonnes. C’est à chaque fois un paradigme différent

Le panorama proposé ici s’inspire des travaux de l’Humanisme Méthodologique et d’une carte des Sens pour parcourir une palette de conceptions et d’’interprétations. L’exercice repose sur les bases anthropologiques de l’Humanisme Méthodologique et en particulier la théorie des Sens et Cohérences humaines. Il est cependant plus illustratif que démonstratif mais peut supporter des questionnements plus profonds et fondamentaux. La carte des Sens utilisée ici fait partie des instruments d’analyse sinon de discernement que propose l’Humanisme Méthodologique associée à la notion de paradigme dont une typologie est dessinée aussi selon leur Sens.

Reste à souligner que toutes les religions peuvent se trouver engagées dans tous ces Sens ainsi elles peuvent véhiculer le pire et le meilleur comme au travers de tendances, de courants, de traditions multiples. Il est aussi notable que des mouvements, des idéologies, des communautés de croyances se trouvent porteurs des mêmes logiques, des mêmes types de pratiques et de discours. Ainsi la référence à une conception de Dieu se trouve alors remplacée par un équivalent symbolique. Les différentes religions qui vont être explorées sont en fait les différentes logiques auxquelles elles peuvent s’identifier ou être identifiées aussi bien que ces communautés de croyances évoquées ci-dessus.

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1 – Les religions passionnelles
L’obligation d’une implication totale dans le camp du bien contre les puissances du mal. Conjugaison de la soumission à un absolutisme salvateur et d’une discipline de responsabilité.

La toute-puissance du bien est en butte paradoxalement à une toute-puissance du mal. Tel est le schéma structurant de ces religions. L’obligation est de s’engager dans la lutte contre le mal, identifié à la religion des autres et à tous ceux qui ne partagent pas cet impératif d’allégeance au bien (possédé) et de lutte contre le mal. Ce combat est ici le principe de l’activité religieuse avec toutes les modalités qui s’y rattachent, en commençant pas la soumission à la toute-puissance du bien et ceux qui s’en disent les représentants légitimes. La communauté doit être fusionnelle par le partage des passions qu’elle nourrit et entretient. Pas d’écart possible.

Le bien c’est la victoire finale contre le mal, la méthode c’est l’allégeance totale au service de la lutte, même contre des proches qui transgresseraient cet impératif.

On voit bien là le principe de tous les intégrismes mais aussi de bien des mouvements politiques, économiques, philosophiques qui se justifient selon les mêmes principes.

Il se trouve que cette logique correspond à une disposition humaine dont les pulsions passionnelles s’expriment dans toutes les velléités de domination, d’emprise, de pouvoir d’empêchement (du mal) aussi bien familières qu’extrêmes. C’est alors les logiques de la paranoïa qui prédominent, réduction de l’autre au mal, justification de sa domination, constructions pseudo rationnelles d’arraisonnement. A noter que le langage a une fonction magique plus que logique, une arme de combat et d’emprise. Si toutes les dimensions de l’expérience humaine peuvent être convoquées, ce sont les passions qui prédominent avec leur régime réactionnel et compulsionnel.

Ainsi d’autres types de religions se trouvent à leur tour engagées dans cette logique lorsqu’elles perdent pied et sombrent dans une lutte de pouvoir et un combat contre les autres, assimilés utilement à ce type d’intégrisme ou ses visages politiques, économiques etc..

Cette disposition humaine comme toutes autres est contagieuse. Mais celle-ci réveille les passions et les confusions archaïques de la personnalité et des communautés. Cette contagion est pathogène comme la haine suscite la haine par exemple cercle vicieux des terrorismes par exemple.

Cela pose le problème d’une défense qui ne sombre pas dans le même régime de croyance, remplaçant un Dieu par un autre ou par quelque totem équivalent.

Faut-il aussi disqualifier toute autorité qui se voudrait incarnation du bien? La réponse est dans la réfutation d’un absolutisme salvateur dont quiconque voudrait se dire le garant. Cette réfutation ne peut se trouver ailleurs que dans la référence au Sens du bien commun d’une communauté humaine identifiée et certainement pas dans une abstraction d’humanité, idéale ou systémique.

On notera que la désignation des religions comme obscurantismes, justifiée dans ce cas par le régime fantasmatique des passions, ne garantit pas le discernement de ceux qui les condamnent.

2 – Les religions naturalistes
L’adaptation rituelle aux lois de la nature des choses et ses règles immanentes. Conjugaison de la soumission à un absolutisme salvateur dans un cadre de fonctionnement normatif.

Les religions de la nature sont les plus anciennes et les plus actuelles. On y pense que la nature des choses est régie par des lois qui en assurent le fonctionnement. L’homme y est chose parmi les choses mais défie la nature lorsqu’il revendique sa transcendance au travers d’un libre arbitre ou d’une conscience propre, conscience non standard ni obligée. Le pire est sa prétention à une maîtrise de la nature sauf s’il s‘agit de s’inscrire dans ses lois « scientifiques » par exemple et s’y adapter.

Les religions naturalistes préconisent des modes d’adaptation aux lois et systèmes de la nature tant pour retrouver une pureté originelle qu’exprimer une dévotion respectueuse à une nature matricielle, englobante. Les religions de la nature célèbrent cette communion symbiotique et condamnent les actes dysfonctionnels que la prétention d’altérité de l’humanité lui font commettre.

Cette condamnation et l’interprétation catastrophiste de cette prétention de l’homme d’être ainsi contre nature est si bruyante qu’on pourrait en deviner le succès dans une communication qui veut faire « prendre conscience » et de cette malignité de l’homme, et de cette nécessaire adhésion totale au régime de la nature.

Il y a plusieurs conceptions de la nature et ses systèmes y compris ceux qui sont posés comme scientifiques, économiques, biologiques, neuronaux, sociologiques, cosmologiques, etc., tous inscrits dans une sorte d’équivalence universelle. Les religions naturalistes les célèbrent et exercent leur vigilance proposant l’adaptation comme application de la règle d’immanence.

Il y a, bien sûr, un paradoxe à affirmer la réduction de l’homme à la nature des choses et condamner ce qu’il pourrait poser comme actes contre nature, tout en lui suggérant de choisir de participer au développement des systèmes naturels. La grande convergence des systèmes est une des figures actuelles d’une religion naturaliste en gestation. L’éternel retour au sein d’une nature aux fonctionnements cycliques invite à multiplier les rituels et y inscrire la vie individuelle et collective.

Y a-t-il un Dieu dans ces religions. La version commune est qu’il s’identifie à la Nature et n’est surtout pas un Dieu personnel ou créateur mais plutôt matriciel comme la déesse Gaia pour certains. La vie et toute autre manifestation de la nature est quelques fois érigée en divinité mais toujours inscrite dans une immanence.

Cette disposition humaine qui se manifeste en religion se retrouve dans des conceptions englobantes, holistiques, systémistes, auxquelles s’adapter sinon se fondre. Elle est à la fois réductionniste, régressive et privilégie les sentiments d’enveloppement, d’englobement dont les représentations mentales structurent les comportements. Elle est caractéristique d’une coupure entre être et exister, une schyze qui alimente une maladie de l’époque. D’une part, une réalité à laquelle se réduire par une « dite » conscience qui consiste en une reddition à l’évidence normative, ou l’acceptation de tout ce qui est « naturel » et d’autre part un libre arbitre qui réclame non pas de nier la réalité environnante mais l’exigence d’y trouver la médiation d’une révélation de la transcendance de l’homme. Mais ça c’est un autre type de religion.

3 – Les religions idéalistes
La poursuite d’un idéal selon un ordre établi. Conjugaison d’un cadre de fonctionnement normatif avec une démarche de progrès humain.

Une idée est une représentation mentale. Une idéal est la représentation d’une idée posée comme perfection de ce que peut atteindre l’homme et donc qu’il peut viser pour progresser. Il y a des idéaux normatifs qui ne sont que des modèles de conformité destinés à établir ou obtenir un bon fonctionnement. Ici l’idéal est référé à l’humanité et son développement. S’il y a une dimension normative c’est notamment ce qui concerne la trajectoire du progrès humain. Là viennent les philosophies idéalistes qui proposent des idéaux humains et des trajectoires de progression. Il en vient une discussion sur ces idéaux et sur leur origine ainsi que leur justification comme horizon de l’humanité et des hommes.

Un Dieu orchestrateur ou architecte peut être imaginé compte tenu du fait qu’il faut bien expliquer l’idéal et la possibilité de l’atteindre ou du moins de progresser lorsque les hommes n’y sont pas parvenu, n’ont pas atteint cette perfection.

Le rationalisme instaurant la raison comme moyen et comme fin du progrès humain en a même permis de penser une divinité, la Raison elle-même. Un Etre Suprême a pu ainsi être postulé pour établir les normes de la déclaration française des droits de l’homme.

Ces religions idéalistes ont comme projet le progrès humain au travers des réalisations de l’humanité comme ce qu’on appelle civilisation mais aussi ses conceptions de la « cité idéale » et des compétences humaines à développer. Il y a donc une dimension formatrice dans l’exercice de ces religions et aussi constructive s’agissant d’édifier l’homme en même temps que la cité et aussi toutes les constructions matérielles ou intellectuelles et même émotionnelles ou artistiques.

Le conception de telles religions, vite qualifiées d’humanistes puisqu’elles visent le progrès humain ne se reconnait pas dans les religions passionnelles jugées irrationnelles, obscurantistes, ni dans les religions naturalistes qui ne cessent de contester ce primat du progrès humain, individuel et collectif, basé sur une exploitation raisonnée et maitrisée de la nature, mais aussi engagé dans la construction d’un autre monde, celui de la civilisation humaine.

La performance rationnelle de ce modèle, son intelligence des modèles utiles, sa formulation du bien dans l’idéal, ses compétences pratiques, notamment au travers du développement technologique, en ont fait une croyance religieuse qui s’oppose à l’obscurantisme passionnel ou régressif et à un absolutisme qui échapperait à la maitrise du devenir humain.

Malgré leurs succès au coeur de toutes les civilisations ces religions sont on l’a vu contestées et particulièrement maintenant sous les coups de boutoir des deux autres types de religions. Les violences irrationnelles comme les régressions naturalistes sont vécues comme une défaillance du modèle et une perte de contrôle. De ce fait bien des adeptes se convertissent à une religion naturaliste où on retrouve une normativité mais aussi un forte présence du calcul dans les représentations systémistes. Une rationalité instrumentale et fonctionnelle soulage de la perte de la visée de progrès humain.

Les courants, organisations, cercles, chapelles qui se sentent en perte de contrôle cherchent parfois à rétablir une puissance en entrant en combat contre les religions passionnelles et se trouvent pris pas ces passions.

Il manque à ces religions un essentiel, la transcendance de l’humanité de l’homme que certains voudraient atteindre dans un dépassement de l’immanence. Mais cette transcendance est déjà là au coeur de l’homme et il s ‘agit de la révéler. Tel est l’axe des religions spirituelles.

4 – Les religions spirituelles
Engagement dans l’accomplissement et la révélation de l’humanité de l’homme. Conjugaison d’une discipline de responsabilité avec une démarche de progrès humain.

Les religions spirituelles engagent l’homme à répondre de lui-même et des autres dans leur existence en vue d’une révélation de leur humanité et de son accomplissement.
Le premier problème est la nature de l’esprit de l’homme ou encore celui de sa nature spirituelle. C’est de cette révélation qu’il s’agit mais reste à savoir ce qu’est une révélation spirituelle, l’en soi de la personne où l’esprit est le lieu et l’enjeu de cette révélation et même le vecteur. Il s’agit de conscience ou de discernement spirituel (discernement ou conscience des esprits ou des Sens en l’homme).

En quoi cette révélation progressive est-elle un accomplissement ? Parce qu’elle permet à l’homme de reconnaitre son humanité et la liberté qui lui est propre, maîtrise de son humanité (spirituelle).

Mais cela ne suffit pas. Encore faut-il que son existence dans un monde qu’il partage en communautés soit directement dépendante de l’esprit qui est le sien en même temps qu’il le partage avec les autres dans cette communauté. Ainsi l’existence humaine individuelle est aussi communautaire et c’est au travers de cette existence commune que se trouve possible l’accès à l’esprit partagé (communion d’esprit).

Nos existences engagées dans nos mondes communautaires témoignent de notre humanité mais la connaissance ou la conscience de cette réalité existentielle, même nécessaire, ne suffit pas à en connaitre la source spirituelle en nous-même. Encore faut-il suivre les voies qui le permettent sans s’égarer et sans rester fixés sur le chemin plutôt que sur le travail de révélation intérieure.

Ainsi les religions spirituelles proposent des chemins où s’engage l’existence personnelle et communautaire mais dont l’essentiel n’est pas la trajectoire mais ce qu’elle permet de révéler à celui qui se met en quête. Il s’agit de disciplines dont témoignent quelque prédécesseur. Ceux-ci montrent la voie qui a été la leur sans que cette voie soit une norme de fonctionnement ni qu’elle soit la seule pour l’homme qui a aussi à trouver sa voie propre.

Paradoxalement il ne pourrait la trouver que s’il l’avait déjà parcourue, par sa conscience spirituelle et sa liberté conférée. Sans cela il peut cependant bénéficier d’un support, celui d’une communauté d’existence dès lors qu’elle est engagée dans le Sens du bien commun. Pour les communautés humaines c’est l’enjeu de leur devenir de trouver et cultiver ce Sens du bien commun, partage d’un Sens d’accomplissement (conSensus) par ceux qui la composent. Mais comment les communautés humaines peuvent-elles y répondre ? C’est là que les religions communautaires y contribuent mais aussi toute gouvernance des affaires communes politiques, économiques, éducatives etc. Ces religions communautaires ont souvent un repère charismatique (spirituel) pour cela.
Reste que les communautés en question sont elles-mêmes engagées dans de multiples ensembles communautaires comme les personnes qui les forment. Il en vient que des hommes charismatiques sont devenu les repères de vastes communautés comme témoins de la voie qui a été la leur et dont ils rendent témoignages pour que d’autres témoins témoignent comme eux, de leur lieu propre et de leur accomplissement personnel.

La question de l’universalité des repères se pose ainsi que celle de l’universalité de l’humanité en chacun. Tout témoin charismatique témoigne d’une universalité de l’humain mais selon la ou les communautés singulières où se déploie son témoignage. Ce qui fait que le Sens du bien commun est propre à chaque communauté, bien que porté par l’humanité entière et que la voie d’accomplissement de chacun lui est propre bien que l’humanité entière lui est aussi sienne.

Ainsi par la médiation des communautés existentielles, les réalités humaines et les réalités communes sont le théâtre des réalisations humaines en même temps que les vecteurs de révélation de l’humanité de chacun.

Dans ce type de religion spirituelle qui ne se nomme pas forcément ainsi, la question de Dieu renvoie à ce qui fait l’humanité de l’homme et les conditions existentielles de son accomplissement ainsi que la liberté d’être (spirituelle) qui lui est dévolue. De même elle renvoie à ce qui fait que l’existence humaine se réalise dans un ou des mondes dont les réalités sont communautaires et donc entièrement humaines.

Et Dieu dans tout cela ? Ni réalité existentielle, ni esprit, ni nom, ni Sens, sinon en l’homme pour témoigner de son humanité spirituelle et la contingence de son existence où la nature des choses dérive de la nature humaine. Ainsi Dieu n’est pas connaissable et toutes ses désignations sont des reflets de l’humanité dès lors qu’elle est engagée dans son accomplissement. Dieu serait-il une ombre humaine ? Peut-être plutôt la lumière par laquelle l’homme se révèle et se réalise.

Ce tableau des religions spirituelles montre la possibilité de leur diversité mais aussi de leur universalité en l’homme. Cette diversité est celle des communautés humaines et des ensembles communautaires porteurs d’une part de l’universalité humaine. Peut-il y avoir une religion unique ? Oui s’il s‘agit de la communauté humaine dans son ensemble mais cette religion se décline en nombreuses religions communautaires puisque c’est là leur raison d’être.

Il reste à considérer que si les religions spirituelles sont attachées à des communautés en quête du Sens du bien commun qui leur est propre, elles s’inscrivent dans les conditions du devenir qui sont les leurs, dans leur développement et celui des personnes qui les constituent. Le développement humain sur la voie de l’accomplissement et donc de la liberté responsable, se réalise selon une progression des âges de l’humanité, des niveaux de conscience et de maîtrise. Ainsi les religions traversent différents âges selon les personnes et les communautés. Elles sont ainsi confrontées aux âges archaïques qu’elles doivent pacifier, aux âges primaires où s’organisent les coexistences, les âges secondaires où les institutions et les représentations intellectuelles sont en jeu et enfin l’âge des communautés majeures où c’est leur « empowerment » et leur liberté responsable qui s’exercent dans leur implication dans des communautés plus vastes, sinon la religion de l’humanité. Ce sont des visages différents des religions spirituelles qui correspondent à leurs stades de maturités qu’il ne faut pas confondre avec ce qui apparait maintenant comme des déviances dans d’autres Sens que celui de l’accomplissement humain.

Pour conclure il faut considérer la diversité des positions que les religions peuvent tenir :
la multiplicité des communautés humaines et leurs ensembles communautaires
les niveaux de maturité humaine où elles sont engagées
les déviances qui ont été reconnues avec les paradigmes associés.

Cela complexifie la question des religions, nommées comme telles ou nom, et en même temps la mutation de civilisation de notre époque. L’avancée en âge de l’humanité, s’accompagne des crises où tous les Sens, toutes les cultures communautaires, se présentent souvent en dehors des modèles antérieurs. C’est l’enjeu des crises actuelles que d’engager le discernement des Sens en même temps que la poursuite partout du Sens du bien commun et de progresser en âge jusqu’aux nouvelles avancées de l’humanité dans l’ère de l’esprit, si souvent annoncée qui se présente.

Lecture recommandée : « Les communions humaines » de Régis Debray »