Les nouveaux fondements de l’éducation

Depuis des années la question de l’éducation se traduit dans ce pays par une guerre de religion. Il faut dire que révolution, laïcité, république, sont interprétés le plus souvent non pas comme solutions à des problèmes communs mais comme combats dogmatiques contre d’autres dogmes. L’école a été considérée comme le temple des idéologies régnantes dont le sectarisme n’a pas manqué. Si l’Education Nationale épouse les maux de la nation elle révèle des perspectives, des finalités qui sont celles des différentes parties prenantes au pouvoir éducatif. On notera que le politique, les parents, les collectivités locales en ont été exclus excluant les communautés de vie et d‘activité et la maîtrise de leur devenir, c’est-à-dire une démocratie majeure.

La confusion qui règne mélange aussi finalités, structures, fonctionnements, pédagogies, doctrines, habitudes, sciences, passé, présent et avenir, singularités et universalités. Aucun débat structuré n’est possible dans cette confusion générale.

On va donner ici quelques repères à partir desquels construire des conceptions et pratiques différentes et dont le discernement permet d’en éviter les maux et d’en cultiver les bienfaits. Ces repères dialectiques opposent chacun deux tendances, deux logiques, deux conceptions de l’éducation.

1 L’éveil des potentiels par l’expérienciel
La mise en situation permet de faire des expériences et le fait d’en éprouver les conséquences révèle des potentiels et favorise un développement personnel singulier. Sans permissivité pas de d’expérience personnelle significative. On devine que ce n’est pas suffisant.

2 La normalisation des comportements
La contention des comportements par des cadres matériels, mémoriels, intellectuels et moraux vise à acquérir la capacité de les reproduire. Ces cadres doivent être préétablis par une puissance normative indiscutable du moins de son point de vue et régis par des critères de conformité bien établis.

Dans ce premier antagonisme le rôle des affects est opposé, guide pour le premier obstacle pour le second.

3 Le témoignage de maîtrise humaine
Le maître est celui qui a cultivé une maîtrise dont il témoigne par les repères significatifs d’orientation, de détermination et de décision qu’il manifeste, le Sens qu’il donne ainsi. L’élève se trouve confronté à devoir trouver et assumer sa propre position d’initiative et pour cela s’engager dans un chemin de maîtrise, une discipline.

4 L’adaptation à la pression des emprises
L’absence de repères ou leur arbitraire conduisent à devoir réagir aux nécessités, aux besoins vitaux, aux menaces dont on est soumis à l’emprise. L’acquisition des réflexes conditionnés permet de réagir automatiquement aux impulsions perçues.

Dans ce second antagonisme c’est l’autonomie proprement humaine qui est en jeu avec l’ambiguité entre la maîtrise des choses comme emprise exercée et la maîtrise de soi qui passe souvent par une déprise des choses.

Alors qu’en est-il des oppositions habituelles ?

Les pédagogues de l’éveil hérissent les normalisateurs dont l’idéal rationaliste et universaliste consiste justement à évacuer le spontanéisme permissif qui déstructure les cadres de pensée et d‘organisation de notre société. Comme le disent quelques-uns, l’idéal de l’homme est en avant, égalitaire, selon les mérites de conformité alors que la théorie des potentiels personnels est inégalitaire et pulsionnelle source d’un libéralisme forcément désorganisateur et dé-régulateur.

Cependant, il faut le conjuguer avec l’autre dialectique. Pour celle-ci le monde est d’essence matérielle (matérialisme) soumis à des forces et à l’emprise des uns contre les autres. La lutte pour la survie est une nécessité d’adaptation dont il faut acquérir les savoir faire. L’accomplissement humain personnel est alors une illusion comme d‘autres opiums des masses, destinés à exercer une emprise sur les plus faibles. L’émancipation s’oppose à la maîtrise de soi et les maîtres d’écoles seraient simplement des libérateurs.

Rationalisme universaliste et matérialisme défensif se conjuguent pour une éducation normative conditionnée, qui se pose comme un salut. C’est une instruction disciplinaire qui est prônée comme on le dit de ces caricatures d’enfermements militaires. C’est l’une des conceptions idéologique traditionnelle prédominante en butte tant à la maturité grandissante des hommes qu’à leurs aspirations libertaires.

On identifiera aussi deux conceptions classiques.

La formation civilisatrice comme acquisition des disciplines classiques grâce à des maîtres qui forment ainsi des élites. La maîtrise des conformités et des normalités n’est ce pas la définition de nos grandes écoles ?

A l’inverse la formation sur le tas comme acquisition de réflexes destinés à dominer l’adversité sans se laisser dominer. Ne pas se laisser faire et tirer son épingle du jeu. C’est la caricature que les anti-pédagogues dénoncent, formation par la permissivité de délinquants potentiels.

Enfin il serait temps de considérer l’éducation dans ses deux dimensions complémentaires en opposition radicale avec le matérialisme et le rationalisme, idéologiques et politiques, dominant le monde scolaire avec leurs conjugaisons, leurs malentendus et leur manichéisme.

La refondation de l’éducation.

Elle doit reposer sur deux piliers.

L’expression des potentiels dans l’expérience. Avec la permissivité c’était une des bases des «nouvelles pédagogies» du 20ème siècle soigneusement écartées par l’Education Nationale. Elle s’appuie sur les situations créées par un environnement favorable et sécurisé donc en présence d’animateurs. La prospective nous fait découvrir un champ immense d’expérience et de permissivité comme il n’y en a jamais eu dans l’histoire de l’humanité avec Internet. Cela n’empêche pas d’autres espaces adaptés aux publics et notamment leur âge de maturité et aussi des fonctions d’animation pertinentes. Cependant, dans l’espace d’expérience d’Internet les environnements sécurisés et les animateurs sont encore rares. Il faut aussi souligner qu’il s’agit d’expérience individuelle dans un espace communautaire et d’expériences communautaires dans des ensembles communautaires élargis. C’est d’ailleurs le type de structure qui se déploie sur le monde d’Internet et dans toutes les affaires humaines à l’avenir. On notera que si le relationnel est le terrain favorable de l’expérience il implique bien sûr l’affectivité mais aussi les comportements factuels et physiques et aussi les expériences imaginaires et mentales.

Le second pilier est celui de la discipline de maîtrise qu’un maître repère propose à ses élèves dans une relation pédagogique initiatrice de la maîtrise de soi. Nombre de traditions dont l’université à ses origines, nous en ont laissé en mémoire des héritages où la dimension symbolique de la pédagogie est essentielle. Quel Sens, propre, personnel, peut-on donner à telle ou telle expérience ? C’est un travail de discernement qui engage une liberté d’ordre spirituel (ce qui ne veut pas dire ici intellectuelle). Le libéralisme spirituel de Ferdinand Buisson repris par Vincent Peillon nous décrit cette nécessaire référence à une maîtrise symbolique qualifiant ainsi la fonction des maîtres et aussi la référence symbolique ultime à Jésus Christ. On conçoit que ce sont les principes reposant sur une conception de l’homme et sa transcendance (c’est-à-dire au-delà du matérialisme en opposition).

C’est dans la conjugaison des deux qu’il s‘agit d’engager une refondation. Pas d’éducation sans expériences ni sans témoignages de maîtrise associé, sans permissivité et sans autorité repère. Le terrain est immense et les animateurs possibles mais où sont les maîtres et leur école ?

On notera ici comment les tendances négatives qui se combattent ont aussi un autre effet interdire les tendances positives ou du moins leur conjugaison. L’universalisme rationaliste déteste la versatilité des situations ouvertes par Internet. Rien n’interdit pour autant des espaces d’animation et des animateurs compétents. Le matérialisme «émancipateur» a une sainte horreur de l’autorité qu’il ne sait interpréter que comme pouvoir d’emprise et ne voit dans la maîtrise que la visée d’un esclavage. Cela est patent dans la mise en question et la diabolisation des pouvoirs qu’il faut d’urgence supplanter et ce d‘ailleurs sans vergogne. Ainsi la grande confusion qui règne avec ses guerres de religion a pour but principal d’empêcher la refondation que les temps venus attendent. Qui a déjà essayé d’appliquer le «libéralisme spirituel» au champ d’expérience immensément diversifié d’Internet. Qui joue à déjouer cet enjeu ?