006 – La corporéïté humaine
L’existence corporelle pose quelques problèmes classiques. Avons nous un corps ou sommes nous un corps ? Mais d’abord qu’est-ce que l’existence sur le plan corporel.
C’est d’abord un corps physique, composé de matière comme tous les corps physiques du monde matériel avec leurs propriétés mécaniques ou chimiques. On notera que ce corps est inscrit dans un environnement matériel avec lequel il est en interaction permanente et sans lequel il n’existerait pas. Nous disposons d’un corps entièrement dépendant du milieu matériel d’où il provient et où il retourne et qui le supporte.
Le corps de notre existence individuelle est aussi organique et à ce titre semble être en activité comme tous les organismes vivant. Il faut dire que si nous expérimentons cela notamment par des fonctions biologiques comme l’alimentation ou la respiration parmi bien d’autres, nous n’avons pas souvent l’occasion de voir nos organes et nous en croyons des représentations ou des descriptions qui nous sont proposées. Ainsi il faut distinguer notre expérience existentielle corporelle des représentations qui en sont faites. Il y a donc une corporéïté d’expérience et une corporéïté représentée et même fantasmée.
Ensuite notre corps, nous l’expérimentons au travers d’interactions physiques. C’est dans cette interaction que notre corps prend consistance pour notre expérience. La résistance des corps matériels qui nous environnent nous fait expérimenter et éprouver la résistance et la consistance matérielle de notre corps qui, en définitive, rassemble l’ensemble de ces expériences d’interaction. Il est probable que pour un sportif spécialisé, le corps entrainé soit différent que pour un autre qui ne l’est pas ou bien autrement. Les habitudes comportementales forgent nos corps en même temps qu’elles en sont l’exercice.
C’est un autre aspect fonctionnel, comportemental de notre corporéïté que d’établir des comportements d’interaction avec notre environnement et de ce fait d’acquérir des comportements efficaces, des habiletés, des capacités physiques par la mobilisation de propriétés physiques, même dans l’apprentissage du langage, des gestes, des habitudes, des modes de fonctionnement de tous ordres. L’apprentissage construit ces capacités d’exercice approprié de nos fonctions corporelles d’interaction avec d’autres corps.
Notre existence corporelle est ainsi soumise tant à ses conditions environnantes qu’aux capacités acquises. Ainsi celles-ci ne permettent pas au petit enfant de survivre par lui-même mais à tous d’exister sans le monde, matériel et corporel notamment. Cette existence réclame entretien, protections, réparations pour sa subsistance et sa pérennité. Ce sont des activités complexes impliquant des organisations avec d’autres corps et choses matérielles et qui se constituent comme conditions d’existence corporelle.
Cette existence corporelle se caractérise aussi par le fait que notre corps n’est pas le même au début de notre existence, tout au long de ses âges et à la fin. Il est en transformation permanente et cette transformation réclame des activités spécifiques de croissance ou de développement par exemple, dépendant de ces âges. Il est vrai que nous pourrions considérer que cela occupe toute notre existence et la constitue surtout si nous y rajoutons des activités motivées par la recherche ou l’évitement de sensations, d’émotions qui servent de ligne directrice à beaucoup de nos activités corporelles celles de l’enfance particulièrement.
Subsistance, apprentissages, interactions, développement, défense et protection, entretien et réparations, activités utilitaires ou vouées à quelque plaisir, organisations interactives de production, de subsistance, de défense, de confortation (confort), de consommation d’intrants, d’éliminations de déchets sont des éléments de l’existence corporelle qui, on le sait, peut sembler constituer la composante la plus important de notre existence sinon la seule qui vaille.
Il reste que c’est dans une activité d’interaction corporelle que d’autres corps viennent à apparaître et que s’entretient ainsi une chaine de production et de reproduction des corps. Cela nous différencie-t-il d’autres populations animales ? Il nous est souvent suggéré que des corps matériels mécaniques, des machines auraient une existence similaire et même nous remplaceraient après avoir interagi avec nous comme c’est le cas dans un monde mécanisé et rempli d’électronique comme le nôtre.
Mais notre corporéïté, corps et comportements, organisation et activités sont très liés aux représentations qui évoluent avec les époques, les sciences, les paradigmes, si bien que ce qui nous parait stable et immuable dans l’existence corporelle des hommes est mis en question, se transforme sans cesse. Les techniques médicales, la bionique, les interactions à distance, le confort des corps, font que notre existence corporelle est appelée comme toujours à changer profondément. La génération assistée, les techniques d’entretien et de contrôle, les cultures évolutives, les équipements, font de l’existence corporelle si stable semblait-il pour beaucoup un terrain de transformation majeur de l’existence humaine.
Il est intéressant de noter que le moteur de l’expérience et de l’activité corporelle est bien souvent l’affectivité, on pourrait dire aussi leur motivation sous cet aspect-là. La construction de la corporéïté dépend de l’expérience affective en même temps qu’elle la renouvelle. Les structures affectives deviennent pour une part les structures comportementales de la corporéïté. On verra plus loin à quel point.
Il y a un autre plan d’existence qui est conditionné par l’expérience corporelle et qui la conditionne en retour c’est l’expérience mentale. Outre qu’elle peut précéder ou accompagner l’expérience corporelle elle en est aussi une représentation. De ce fait par exemple il est difficile de savoir si la représentation du corps est la cause ou la conséquence de l’expérience corporelle. Le «schéma corporel» n’est-il pas aussi le corps de l’expérience corporelle. De même qu’avec le plan de l’affectivité on ne sait pas d’évidence celui qui précède ou qui suit. Cependant, les conceptions de l’homme vont souvent avec la primauté donnée à l’un ou à l’autre.