005 – L’affectivité humaine
L’affectivité est l’ensemble de ce qui est éprouvé, ressenti par le fait d’être affecté par quelque chose d’autre, quelqu’un d’autre. Cette affectation, relative à un rapport, est éprouvée selon de nombreuses variations sensibles. Les sensations sont du même ordre comme les sentiments, les appréciations. Cet «éprouvé» peut prendre des formes subtiles ou plus violentes à tel point que l’on peut ressentir un débordement d’émotion, ou bien de passion. La gamme est très vaste et même étendue, affinée par des activités comme la musique ou toutes sortes de pratiques, de rapports aux choses et aux autres destinés à vivre des sensations, des émotions, des sentiments ou bien, au contraire, destinés à éviter, réduire ou fuir certaines sensations.
Il y a une corrélation entre le vécu, l’éprouvé et la relation entre soi et non soi. Cette dimension de l’existence humaine sert de repère et de guide pour rechercher une bonne expérience sensible, affective ou pour en éviter une mauvaise. Sentiment de bonheur comme de malheur en font partie, comme le bien être ou le mal être. Il faut y rajouter toute la gamme des jouissances et des souffrances, plaisirs et douleurs.
Exister, pour une part, c’est éprouver cela. Si on imagine qu’il n’y ait aucune sensation, aucune affectation alors il n’y a plus d’existence – vécue. A l’inverse l’existence prend une épaisseur, une vigueur différente en fonction de la nature et de l’importance de cet éprouvé. A tel point que cela peut paraître l’essentiel de l’existence, le reste (que nous examinerons aussi) secondaire. Pour aller plus loin il est même possible pour certains de considérer que c’est là le fondement même de l’existence et pourquoi pas sa finalité, le reste, accessoire. L’hédonisme y ressemble mais aussi des formes de misérabilismes ou de macérations où le mal être est jugé mieux que rien ou la condition humaine elle-même. C’est dire l’importance de cette dimension même pour ceux qui veulent en faire abstraction.
Cependant une caractéristique de cet éprouvé est tel que par lui-même il ne permet pas de différencier le soi et le non soi et donc le rapport d’affectation réciproque. Boris Cyrulnik dans «La naissance du sens» montre bien comment, avant la naissance, le vécu ne permet pas encore la différenciation. Juste après la naissance il semble bien que ce soit encore le cas et qu’il faudra de nombreuses expériences ou épreuves de séparations pour que la distinction soit possible. On peut même dire que des immaturités résiduelles portent sur cette indistinction, cette confusion du soi et du non soi pas encore résorbée. Mieux, il arrive que la quête d’un état affectif, du vécu d’une émotion ou d’autres affects soit assimilable à une régression à un stade de fusion/confusion affective.
Il faut alors pousser l’analyse sur le fait que l’éprouvé soit identifié comme, non pas l’effet de la présence de l’autre, mais son existence même. Par exemple éprouver une émotion agréable à l’écoute d’une musique fera dire que c’est la musique qui est belle. Ainsi nous attribuons des qualités aux gens et aux choses qui ne sont que l’expression du vécu dont nous leur attribuons d’être la source en en étant seulement réceptacles, lieu d’un effet. Inversement il nous arrive de nous identifier à ce vécu de se sentir bien et d’en être bien sinon quelqu’un de bien. C’est par exemple le cas si des affects agréables, répétés lors de multiples relations nous font considérer d’être quelqu’un de bien, d’éprouver une confiance une estime de soi. L’inverse arrive et même des cycles d’exaltation et de dépression, d’auto appréciation positive ou négative. C’est là un des ressorts important de l’existence humaine notamment dans la construction de la personnalité.
Pour aller plus loin il est même possible que l’éprouvé paraisse comme une sorte de puissance qui affecterait les uns et les autres dans leurs rapports. Comme si l’éprouvé ne venait pas de l’un et l’autre et leur relation mais de l’ambiance, du milieu, ou de quelque puissance tutélaire ou maléfique, qui les affecterait en satisfactions ou punition, récompenses ou peines.
On devine que sur ces confusions se construisent des mondes fantasmés, des identités aléatoires qui font nos existences selon une part qui parait plus ou moins déterminante. Et pourtant c’est sur ces bases que se construisent nos existences et les autres dimensions. De ce fait on peut qualifier cette dimension de l’existence d’archaïque. Archaïque comme cette confusion primitive et les considérations ou tendances qui s’y attachent. Archaïque aussi comme ces arches qui soutiennent et sous tendent toute construction, ici de notre personnalité (même si on n’a pas défini encore cette notion là).
On peut penser aussi que les situations relationnelles, avec les autres et les choses dans les débuts de l’existence, accumulent une expérience qui sera structurante d’une personnalité tant pour ses potentialités que pour ses handicaps. Les «structures affectives» des expériences premières forment les problématiques que nous aurons à vivre pour les cultiver les subir ou les dépasser.
Reste une question que nous allons tenir en suspens : sommes-nous ces affects où sont-ils seulement une part de notre expérience existentielle, de l’existence vécue qui est la nôtre? La question de l’amour n’est pas loin mais restera ici aussi en suspens.