Sortir de la tyrannie

Faut-il protéger ou faut-il ne pas intervenir? La difficulté c’est de penser une réalité humaine que l’on n’a pas pris le temps de considérer. La mutation du monde réclame une autre considération des peuples comme des communautés confrontées à leur problématique qu’il faut comprendre et reconnaitre pour pouvoir les assister.

La question des peuples gouvernés par une tyrannie n’est pas nouvelle mais l’actualité leur donne un relief particulier. Le fait que la diffusion d’internet place un grand nombre au contact de communautés multiples les met en conflit entre les effets de la gouvernance communautaire tyrannique et ce qu’ils voient d’autonomies et d’initiatives dans le reste du monde auxquelles ils participent aussi. La difficulté c’est de savoir comment sortir de la tyrannie.

Tout d’abord la gouvernance d’un pays traduit le Sens du conSensus. Elle n’est pas le seul fait du tyran mais de la communauté qui fait conSensus, inconsciemment bien sûr. De ce fait c’est souvent au nom d’une autre tyrannie que la révolution est engagée, le Sens n’étant en rien changé, seule la distribution des rôles l’est. L’histoire en est pleine. L’intervention extérieure ne peut être vécue que dans les logiques de la communauté, sauf à la détruire, et se trouve étonnamment embarquée dans le même Sens dont il s’agissait de sauver le pays. A l’âge du Sens il serait temps d’avoir une compréhension plus profondément humaine du phénomène et des voies pour en sortir.

Un peuple gouverné par une tyrannie est dans une dominante archaïque. Cela se trouve souvent quand il est en phase préhistorique, proche de sa création, de son unité sans que celle-ci ait pu être réappropriée par la communauté en dehors justement du tyran qui l’incarne. Voyons comment les tyrans se justifient par la défense de l’unité de la communauté. Voyons aussi comment beaucoup se sont posés comme salvateurs, comme protecteurs, comme défenseurs avant de se confondre avec l’unité du pays de le posséder comme ils s’en disent possédés. Voilà bien deux caractéristiques des situations de tyrannie, un niveau archaïque de développement communautaire et une logique de possession pour justifier l’emprise exercée. Il faut remarquer que cette situation est aussi celle de multiples communautés qui se trouvent quelque peu en déshérence, quartiers en difficulté, groupes humains ou organisations, communautés mafieuses, bandes, banditismes en tous genres. Cette situation est soit associée à la création de la communauté soit le fait d’une régression correspondant à une période ou des circonstances de perte de maîtrise humaine. On observera que ce n’est pas incompatible avec un haut niveau de capacités techniques ou même de représentations intellectuelles qui sont les stades à partir desquels la régression s’est engagée. Par contre c’est incompatible avec le discernement des Sens (à l’âge du Sens) qui met en évidence le Sens du bien commun aussi bien que les conséquences des autres. C’est pour cela que l’entrée dans l’âge du Sens va rendre de plus en plus visibles ces situations de tyrannie autant d’ailleurs que d’autres déviance par rapport au Sens du bien commun.

On entend dire que c’est l’affaire des peuples ou communautés de se sortir de cette situation comme si les peuples n’y étaient pour rien comme si ce n’était pas leur histoire, comme s’il n’y avait pas eu un conSensus (inconscient) sans lequel ce Sens de soumission à la tyrannie n’avait pas été cultivé. Quelqu’un a dit « l’esclave ne vaut pas mieux que le maître » (Jésus Christ). Bien sûr dans une communauté tous ne sont pas engagés dans le même Sens ce qui crée des dissensions et des tensions. Cependant, il existe un état d’aliénation de la communauté qui favorise l’émergence du tyran ou du système tyrannique. Ce que nous dit l’Humanisme Méthodologique c’est que chaque communauté humaine est fondée dans une problématique, un carrefour de Sens où le pire et le meilleur sont liés. De ce fait par exemple vouloir éradiquer le pire en le combattant ne fait que détruire la communauté. C’est en cultivant le meilleur en le reconnaissant d’abord pour le faire partager ensuite que le conSensus pathogène peut se défaire par investissement du meilleur. Nous retrouvons ici la question de la lutte contre le mal qui s’oppose à la culture du bien.

Il apparait aussi que la situation est une situation pathologique c’est-à-dire la dominance d’un pathos qui est le propre des régimes archaïques et aussi des logiques de possession privilégiant le vecteur émotionnel avec ses vagues de menaces et de séduction, de peurs et de réjouissances, de désir fusionnel et d’exclusion de l’altérité. C’est ce qu’on trouve souvent aussi dans les sociétés claniques.

Alors quoi faire puisque toute entreprise de la communauté ne fait qu’exprimer son pathos ou ses symptômes même quand il s’agit de lutter contre, ce qui supposerait le problème résolu. La connaissance des questions de participation communautaire montre qu’au stade archaïque il ne peut y avoir que prise en charge par un tiers une communauté tierce, communauté internationale ou communauté voisine ou communauté d’initiative. Cela suppose que celle-ci ait la capacité de discernement et les compétences pour le faire. Si ce n’est pas le cas alors comme dans les institutions chargées de traiter des pathologies humaines, c’est le pathos qui prend l’ascendant sur l’institution qui en devient un symptôme. Il ne faut pas sous-estimer le niveau de compétence et de discernement nécessaires pour affronter les problématiques humaines engagées dans un Sens qui n’est pas le bon (et il n’y a pas que les régimes archaïques qui posent problème).

La prise en charge de la communauté a deux enjeux premiers sa subsistance et sa protection. Là l’apport de ressources et l’exercice de la force peuvent être nécessaires. Cependant la visée est de sortir de l’emprise par l’appropriation progressive d’abord des conditions de subsistance et de confortation communautaire. Il faut apporter des facilitations et même une aide d’encadrement administratif. En effet vouloir une prise en charge immédiate de structures démocratiques c’est confronter la communauté à un niveau de maîtrise prématuré qui réclame un rétablissement suffisant, une sorte de convalescence préalable. Il est clair que tout cela ne peut être fait selon les canons d’une communauté étrangère mais ceux de la culture de la communauté elle-même. Sinon c’est à un autre type d’aliénation communautaire que l’on se livre et les pays occidentaux devraient bien s’interroger sur les vertus de leurs assistances aux pays concernés, notamment à cause de leur rapport à l’universalisme qui méconnait les communautés et leurs vertus propres. C’est là toute l’ambiguïté du modèle occidental où le niveau de civilisation ne va pas sans déviance tant que le Sens n’en est pas interrogé et reconnu le Sens du bien commun de chaque communauté. Craignons aussi qu’il ne mène pas à des régressions que l’on voit déjà se développer.

Il est donc très important qu’avant d’intervenir un travail de discernement des Sens de la problématique humaine de la communauté soit réalisé. Outre la reconnaissance des vertus culturelles à cultiver c’est la capacité de maîtrise personnelle et collective de la communauté intervenante qui est en jeu. Sans celle-ci elle ne peut mener à bien sa mission sans risques majeurs pour elle-même et pour les autres. Ne faudrait-il pas, au titre de la considération pour les communautés humaines, faire un travail systématique de reconnaissance indépendamment des situations de crise et d‘urgence. Les analyses de cohérences culturelles devraient être une activité de fond des pays soucieux des autres, s’il ne s’agit pas seulement de gestion de bonne conscience.

Il faut donc retenir que l’assistance aux pays ou communautés soumis à une tyrannie, qu’ils soient en situation de crise ou non, est un travail quasi thérapeutique, souvent en régime paranoïaque. La prise en charge initiale ne peut se faire qu’à partir d’une reconnaissance de la problématique communautaire et de son Sens du bien commun pour pouvoir cultiver les vertus qui lui sont propres et dans lesquelles les populations concernées peuvent se reconnaitre utilement. La méthodologie générale de gouvernance communautaire que propose l’Humanisme Méthodologique vise à l’empowerment et l’autonomisation, progressivement. Elle réclame la mise en oeuvre d’un processus stratégique ad-hoc.

Il y aurait lieu de développer des pôles de compétence pour systématiser des interventions de ce type. Il faudra aussi considérer que ce qui arrive à nos voisins nous arrive aussi et que nous sommes responsables de nos frères en humanité.