Les Sens de l’Architecture

L’architecture est à la fois un catalogue de réalisations des plus imposantes aux plus banales, des plus techniques aux plus artistiques. Elle concerne des constructions mais aussi l’urbanisme. Porteuse de civilisations et de culture elle est aussi celle de toutes sortes d’édifications humaines. C’est pour cela qu’elle est l’enjeu de bien des spéculations, d’investissements, de questionnements allant du sacré au plus trivial. L’analyse des Sens de l’architecture nous révèle un enjeu bien plus profond que les formes visibles et ses différents Sens nous instruisent sur les engagements humains qu’elle médiatise jusque dans les espaces les plus avancés qui surgissent à notre époque, les espaces virtuels.

Cette étude a été initialisée il y a plus de 25 ans par une équipe animée par un architecte Charles Yoba. Elle a été reprise récemment ce qui permet d’y introduire une perspective nouvelle celle du virtuel.

L’architecture est un art et un métier, elle est aussi la qualité de ce qui est ordonné et se tiens dans la continuité. Tout cela paraît simple mais fait l’objet de discussions et de querelles qui laissent soupçonner une implication humaine sous-jacente. Un peu comme si une architecture humaine sous-tendait une architecture visible. Il est vrai que cette architecture visible est souvent le référent de l’histoire, des talents et de l’ambition des hommes si bien qu’elle sert de support d’identification collective, de mise en valeur des civilisations dont nous sommes héritiers. Et puis cette architecture de l’art et des monuments serait mise en péril par celle des ingénieurs et des économistes dont les règles de calcul ne seraient pas les mêmes.

L’analyse des Sens et cohérences est issue de l’Humanisme Méthodologique et la pratique de l’intelligence symbolique ou intelligence du Sens. Elle repose sur un travail de discernement des Sens (des esprits?) dont les processus ont été mis en évidence. La carte des Sens ou carte des cohérences est une représentation de ces Sens discernés dont la structure radiale évoque une boussole dont nous sommes l’aimant et l’aiguille, tous intérieurs.

A chaque Sens correspond une conception de l’architecture et de ses méthodes et pratiques mais aussi une disposition humaine orientée. Ces dispositions figurées sur la carte des Sens sont celles relatives à une problématique humaine que l’architecture incarne ici. Cette problématique humaine rend l’architecture familière de tout un ensemble de situations humaines où elle est aussi en jeu. Elle en est un mode d’expression, de réalisation et d’accompagnement. Ainsi l’analyse de cohérences dévoile-t-elle un fond de problématiques sur lequel s’incarne l’objet d’analyse, ici l’architecture, et la profondeur de ses implications.

La structuration du rapport à l’altérité est la problématique sous-jacente à l’architecture. Tout se passe comme si l’architecture venait structurer un certain type de rapports avec les autres, entre les hommes, avec le milieu environnant, la nature, le cosmos ou même la divinité. N’a-t-on pas aussi parlé de Grand architecte à ce propos? L’altérité est ce lieu de l’inconnu, pour chacun et pour nos communautés. Notre rapport à l’altérité nous amène à des configurations comportementales et matérielles associées à des configurations mentales, affectives sinon spirituelles dont la structuration est significative. L’architecture en est porteuse et sa vocation dépasse sa seule matérialité. Elle est engagée dans bien autre chose que les spécifications techniques et même celles-ci traduisent des réalités humaines bien précises.

Pas étonnant que l’on trouve l’architecture chargée de ces problématiques majeures de l’humanité dont elle nous livre une vision, une matérialisation comme un livre d’humanité. Il ne s’agit pas seulement de la construction de bâtiments mais aussi de la structure porteuse des constructions humaines dans d’autres domaines de réalisation. Il n’est pas jusqu’à une architecture du virtuel qu’il nous faudra envisager dans de nouveaux environnements.

Les Sens de l’architecture, voies ou tentatives de résolution d’une problématique humaine.

Nous allons parcourir la carte des Sens issue de l’analyse tant pour découvrir ce qu’il en est de la problématique sous-jacente que du type d’architecture que l’on peut y associer. Chacun dans sa sphère d’intérêt ou de compétences pourra l’illustrer par ses propres références.

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Deux axes dialectiques :

A – Séparations et cloisonnements.

Le rapport à l’altérité est défensif. ll suscite une recherche de séparation, de distinction entre soi et l’autre. Il trouvera son expression dans un cloisonnement, des murs de séparations dont la solidité incarne la sécurité recherchée. La coupure décisive entre ici et là, l’un et l’autre s’établit par une frontière auxquels les Etats nous ont habitués. Il n’est pas jusqu’aux grandes murailles qui continuent à se construire entre les peuples lorsque les limites juridiques ou cartographiques ne suffisent pas. Le dessin des limites et des cloisonnements constitue l’architecture des rapports de défiance et de défense. Il constitue aussi l’aspect privatif de l’en propre. Le cloisonnement des différences, la clôture des espaces dédiés. Si on imagine ces séparations sur le plan du terrain ou de la carte il faut aussi les envisager entre les niveaux ou même avec le ciel et toutes les menaces qu’il nous suggère. L’architecture des séparations et des cloisonnements va aussi avec les disciplines scientifiques de nos universités, avec la multitude des affaires et des activités humaines qui ne veulent pas se mêler aux autres qui les concurrencent ou les menacent.

B – Relations et aménagements

Le Sens inverse se traduit par la relation entre soi et l’autre. Cette relation se ménage pendant que ses modalités s’aménagent. Le rapport, relationnel se traduit pas des conjugaisons, des participations, des aménagements donc qui les manifestent en même temps qu’elle les matérialise. L’architecture accommode les différences, adapte l’un à l’autre, le milieu à ses occupants et ceux-ci au milieu environnant. Il s’agit donc d’établir des places pour chaque rapport selon ses enjeux propres. On y voit apparaître un certain « urbanisme » fait d’urbanités et aussi d’aménagement du territoire. On y voit se réaliser des conjugaisons, des rapprochement, des lieux de rencontre et de relations pour la vie des gens et leurs affaires en fonction des milieux matériels, naturels, spirituels où elles s’installent. Il s’agit bien d’installations lorsqu’il s’agit de mettre en place des activités relationnelles avec les autres ou l’environnement. On peut comprendre que les circulations font partie du champ infiniment varié et complexe de « l’architecture relationnelle ».

C – Prises de position et centrations.

Le rapport à l’autre est ici le lieu de l’édification de soi. En même temps que s’affirme l’autorité dans l’altérité, s’érigent les marques de celle-ci et celle-là. Ces marques sont des prises de position, des positions prise, des postures tenues et incarnées par des édifices repères. L’architecture de l’affirmation de soi est celle qui exprime l’originalité dans la créativité, et la puissance dans la hauteur. C’est en effet une verticalité qui est affirmée, verticalité humaine à laquelle fait écho une verticalité physique.

Ces lieux marquants sont des lieux repères si tant est que chacun est invité à s’y référer dans l’édification de sa propre autorité. Sites et monuments consacrés à ce sacré de l’humanité qui s’exprime dans cette créativité potentielle qui interpelle l’être en soi comme en l’autre. Selon les milieux la nature des repères sera différente bien sûr et ainsi celle des monuments qui les incarnent et les manifestent.

L’architecte est ici mis à l’épreuve, celle de l’affirmation de sa propre originalité, sa propre altérité, sa propre autorité et celle de d’expression de l’autorité qui lui demande d’ériger l’édifice repère de sa grandeur ou de la grandeur à signifier. Question de maîtrise.

D – Errances et confusions

A l’inverse le rapport à l’altérité se joue dans la confusion, le mélange, l’indifférenciation, l’indétermination. La précarité, le nomadisme sont à l’opposé de la prise de position, du choix d’un lieu de référence. Dissolution dans l’environnement, errance selon les mouvances se traduisent par une « architecture floue » faite de montages d’opportunité qui ne durent qu’un temps.

L’architecture est ici structuration déstructurée, déconstruite, qui ne laisse ni trace ni présence durable tant elle colle à la surface des vagues et des courants. Il en va de même pour les organisations humaines dont le spontanéisme apparent est plutôt une passivité laxiste. Le primat de l’horizontalité va avec cette dissolution dans l’altérité qui n’est qu’une mêmitude et une architecture du même, du mimétisme, de la répétition.

Quatre autres conceptions de l’architecture

1 – Massifications et agglomérations

La punition de l’architecte classique c’est d’avoir à calculer des cités de logements locatifs. La relation d’altérité se dissous dans la masse, l’identique, l’anonyme. L’aménagement y devient ménagement d’une case, d’une cavité, d’un logement dans une masse immobilisée, un immeuble comme on dit ici. L’image typique est celle du squat dont l’architecture est un peu celle de la fourmilière, aménagement selon des rapports anonymes, indifférenciés.

L’agglomération comme agglutination lorsque les rapports de proximité sont mesurés en mètres et pas en relations humaines comme dans ces « grands ensembles ». Il y a des conceptions de l’homme qui se matérialisent dans une architecture urbaine sans urbanité, des rapports avec l’altérité qui ne tolèrent que les mêmes et on s’étonne que ceux qui logent là développent des comportements homologues. L’architecture exprime, signifie et incite à une certain rapport aux autres.

2 – Constructions et rationalisations

Lorsque s’affirme l’autorité, la volonté propre, dans un rapport à l’altérité défensif alors les relations se construisent, s’organisent selon des règles rationnelles de structuration. La fonctionnalité se déduit des besoins et non pas de la relation, de l’utilité individuelle et non pas de l’intégration au milieu. La construction incarne le fonctionnement individuel et collectif et les relations sont remplacées par des circulations, des liaisons. Rien n’interdit une composante esthétique volontariste si elle ne vient pas gêner l’harmonie fonctionnelle de l’architecture. Nous sommes là dans une architecture « pavillonnaire » ou chacun dispose de son espace clos, cloisonné, ainsi que chaque fonction de la vie ou l’activité individuelle ou collective. Les zones d’activités et les zonages associés sont souvent les témoignages de cette architecturation de l’espace urbain.

L’architecture n’est pas sans rapport avec l’exercice de la raison laquelle, dans le contexte de la relation d’altérité, marque la méfiance, l’abstraction rationnelle du lien inter humain. On le trouve dans des conceptions du lien social quasi juridique, dans des sociétés modernes qui veulent ignorer le fait communautaire ou le disqualifient. Substituer la raison à la relation interhumaine ou la rationalisation à la culture dénote d’une société de défiance mutuelle, d’une société rationnellement solidaire mais pas fraternelle. L’architecture en porte le témoignage.

3 – Isolements et fortifications

La défiance conjuguée avec la confusion de l’autre et du même et c’est tout un chapitre des relations d’exclusion, d’hostilité qui s’ouvre. Dès lors les séparations défensives deviennent des fortifications, L’architecture une structurations des espaces « hors sol », hors territoire, exterritorialisés. De ce fait ici ou ailleurs ne change pas les plans de défense. On peut implanter des espaces clos n’importe où pour rester entre soi, entre mêmes, en sécurité où y enfermer l’altérité en ghettos et prisons. Evidemment ce sont des lieux d’exclusion où les menaces intérieures ont tôt fait de rejoindre les menaces extérieures nécessitant une multiplication des sécurités. On peut aussi s’attendre à voir se multiplier une architecture du principe de précaution dans les années à venir alliant aussi individualisme et mimétisme.

4 – Edifications et co-habitations

Ici l’altérité, le milieu environnant, sont d’abord la communauté dans laquelle chacun tend à se développer et accomplir sa vocation originale. Dès lors l’environnement est déjà une construction communautaire matérielle, mentale et affective, culturelle donc. Les relations à cet environnement culturel tissent la trame d’un monde commun, architecturé selon la singularité de la communauté culturelle et celle de chacun. Il faut noter que chaque communauté se trouve aussi inscrite dans une communauté de communautés de même que chacun peut s’inscrire dans plusieurs communautés, différentes selon leurs enjeux et leur culture.

On voit là que se posent des problèmes de structurations relationnelles des singularités d’un toute nouveau genre. Cependant il n’est pas nouveau que des cités soient construites depuis un rapport à d’autres cités et une grande diversité de parties prenantes et d’habitants. L’architecture urbaine comme celle des lieux particuliers doit intégrer cette double dimension d’originalité des singularités et de participation à des communautés de devenir où le bien commun incarne l’unité. On imagine assez bien le caractère symbolique de l’architecture tout en structurant les rapports. Le concept d’aménagements symboliquement structurants, développé par l’Humanisme Méthodologique, y est particulièrement bien placé.

Au fond l’architecture incarne le Sens partagé par la communauté au lieu de chaque participation singulière, individuelle et collective. En cela elle exprime ce Sens et le révèle en même temps qu’elle le transmet et le réalise. L’architecture est maintenant « virtuelle » c’est-à-dire qu’elle incarne dans ses formes créées le Sens humain partagé. Elle se trouve ainsi à la base des réalisations humaines, incarnation de « l’archétype » ou inconscient collectif elle établi les ponts (arches) entre des êtres et avec les communautés et elle déploie les volontés partagées dans les oeuvres communes. L’architecture de la cité n’est pas seulement statique et matérielle elle est politique, culturelle, éducative, économique, et en définitive virtuelle (De la racine indo européenne Wir qui signifie homme dans sa dimension intentionnelle, volontaire).

L’émergence d’internet fait prendre conscience du fait que les espaces collectifs ne sont pas que physiques non sans être structurés pour autant. L’architecture y trouvera sa vocation n’oubliant pas que l’espace communautaire environnant dans lequel on s’inscrit est aussi un espace physique et matériel ce qui ne l’empêche pas d’être virtuel pour autant.