Cohérence transdisciplinaire de la gestion des risques

La question des risques est de plus en plus élargie à l’ensemble des risques encourus par une population, territoire, entreprise avec une préoccupation de maîtrise ou de gestion globale. C’est le mérite de la sytémique et singulièrement de la cyndinique d’avoir éclairé cette situation et sa complexité. C’en est aussi la limite notamment opérationnelle. Un certain niveau de complexité systémique n’est pas maîtrisable par des systèmes mais par les communautés concernées. C’est là qu’intervient la socio-performance pour en construire les conditions et les réalisations

Complexité de la gestion des risques

Tout d’abord apparaît la multiplicité des types de risques. Risque industriel lié à des organisations de production elles-mêmes très diversifiées selon les procédés et les phénomènes en jeu (physiques, chimiques, mécaniques, nucléaires…); risques dits naturels avec l’interventions de phénomènes comme les inondations, les séismes, les mouvements de terrain, les incendies de forêts, les tempêtes etc.; risques sanitaires avec les épidémies par exemple et les conséquences d’autres risques; risques sociaux avec les mouvements et les violences extrêmes; risques liés à la vie quotidienne, ménagère, aux accidents du travail ou de la vie courante; risques économiques et financiers etc.

Dans tous les cas cela concerne les hommes physiquement et moralement, les biens individuels et collectifs, les communautés humaines et leurs enjeux.

Par ailleurs une temporalité intervient avec des moments d’appréhension différents

Il y a la spéculation, une confrontation anticipée aux menaces et aux épreuves imaginables, les risques, qui mobilise les affects et l’imagination.

Il y a le moment de la préparation aux risques, précautions, préventions, protections, systèmes d’alerte qui mobilise des dispositifs, des modélisations, des procédures, des méthodes…

Il y a le moment de la crise avec les questions de sauvegarde, de réactivité, de moyens et compétences spécifiques.

Il y a le moment de la restauration, de la résilience, de la reconstruction matérielle et humaine.

Il y a enfin le moment de l’intégration avec la mémoire et ses processus complexes, les enseignements, la progression des compétences, l’évolution des moyens et méthodes et des processus de décision.

On notera que c’est de cette capitalisation finale que la spéculation initiale se nourrira, jusqu’à changer le cours des choses.

Chacun se trouve focalisé souvent sur l’un de ces moments et même une de ses phases, cela multiplié par les diverses thématiques génère un grand nombre de spécialités.

Ajoutons que le croisement entre les risques est une dimension à considérer. Sur le plan imaginaire et émotionnel, la mémoire traverse les domaines et une épreuve retentit sur toutes les spéculations ultérieures. La peur, l’inquiétude, l’angoisse sont des paramêtres majeurs du vécu, de l’interprétation, de l’anticipation, de l’évaluation, et même des comportements, des raisonnements , des postures et dispositions prises. De même les effets matériels sont liés ne serait-ce que par le plan économique. Sur le plan intellectuel les modèles tendent à vouloir se généraliser et ainsi à transposer les solutions mais aussi l’analyse des problèmes, enfin c’est toujours dans la sphère des affaires humaines collectives sinon communautaires que les différents domaines à risque vont se croiser en rapport avec les enjeux communs et même tout ce qui est appréhensions et pratiques individuelles, forcément prises dans le contexte culturel de la vie collective. Question de socio-performance communautaire par exemple.

Comment s’en sortir pour établir une cohérence dans les approches scientifiques et opérationelles alors que de très nombreuses expériences semblent légitimes malgré les incompréhensions patentes qui se font jour à chaque fois. La multiplicité des questions, des domaines, des circonstances conduit-elle à un morcellement indéfini où est-il possible de trouver une cohérence une unité transdisciplinaire qui se plie à la diversité des situations et de leur appréhension. C’est sans doute la condition de la capitalisation des connaissances, des compétences et de la maîtrise des situations.

Mais n’est ce pas le projet de la cyndinique née d’une vision systémique? C’est celui de l’Humanisme Méthodologique en tout cas. Il ne sera pas question ici de faire une analyse critique comparative qui demanderait notamment de s’assurer à quel stade de conception de la systémique la cyndinique en était arrivée, avec l’expérience de son fondateur du côté des choses humaines.

On se contentera de dresser un aperçu de la question au travers de trois analyses qui permettent de relier les problématiques liées aux risques à des problématiques plus générales dans lesquelles elle s’inscrivent.

L’analyse épistémologique de « l’intelligence des risques ».

L’analyse structurelle de l’expérience et des situations humaines

Les niveaux de maîtrises et de défaillances des situations

L’analyse épistémologique de « l’intelligence des risques ».

Quatre Sens balisent une « boussole épistémologique » comme autant de « postures de connaissance » avec leurs préssuposés et leur logique propre.

1 – Les risques sont la conséquence de l’existence de menaces, porteuses de violences potentielles vis-à-vis desquelles différentes attitudes sont possibles : les subir, les dominer ou composer par la ruse, le détournement, le défi ou « la part du feu ». Tout se passe comme si il y avait une altérité de la menace, source d’altération, un ennemi vis-à-vis duquel se défendre, manoeuvrer sinon se soumettre. Le langage utilisé le signifie mais aussi les logiques engagées vis-à-vis d’une source forcément exogène de danger.

2 – Les risques sont la possibilité d’un dysfonctionnement du à l’intervention d’un aléa dans un système. La défaillance d’une boucle de contrôle peut produire des dysfonctionnements en chaîne. Aussi faut-il renforcer les systèmes de contrôles et pour cela anticiper sur les aléas. Il y a, bien sûr, une compétition possible entre la complexité du système de contrôle et celle du système contrôlé. L’idéal c’est d’établir une boucle d’auto-apprentissage des systèmes de contrôles et d’éviter les « défaillances humaines » qui n’appréhendent jamais la complexité avec une sureté parfaite.

Ces deux logiques partagent un certain fatalisme sur l’origine des risques.

3 – Les risques sont ceux d’un désordre intervenant dans le cadre d’un projet. Ils manifestent une limite dans la maîtrise des procédures opérationnelles et la rationalisation des facteurs intervenants.

Les désordres pourraient être évités si on édicte des règles permettant d’anticiper sur les impondérables et que l’on perfectionne les moyens et les compétences de rationalisation des situations.

Les deux logiques précédentes prennent facilement les acteurs pour des facteurs plus que des sujets humains.

4 – Les risques sont la traduction de l’imperfection de la condition humaine. Ils invitent à cultiver des capacités de maîtrise en rapport avec les enjeux engagés. Une intelligence collective et une compétence collective sont le fruit d’une confrontation au risque, son hypothèse et son expérience. L’évaluation du risque est fonction de la valeur des enjeux eux-mêmes traduisant les valeurs communautaire et le Sens du bien commun. C’est le domaine de la socio-performance.

Les deux logiques précédentes relativisent le risque à des enjeux et à leur niveau de maîtrise.

La dernière et la première personalisent le risque et les réactions vis-à-vis de son occurence.

A chaque position épistémologique on peut associer aussi bien les modes de connaissance en vigueur dans les univers scientifiques ou autres, rejoignant là des problématiques majeures de notre époque où le rapport au monde et aux réalités est en question, notamment en resituant ce qu’il en est de l’homme dans le procès de connaissance comme sujet, objet et projet.

L’analyse structurelle de l’expérience et des situations humaines

L’expérience humaine et par suite les situations sur lesquelles porte cette expérience comportent trois dimensions structurantes (trialectique sujet objet projet).

Il y a toujours un contexte qui peut être décrit par une unité d’objet et une multiplicité de composantes. C’est la dimension objective de l’expérience et des situations souvent seule considérée.

Il y a toujours un sujet qui se manifeste soit par le regard porté sur l’objet et son contexte, soit par l’orientation d’une détermination, soit par une volonté agissante. C’est la dimension subjective de l’expérience et des situations déterminante mais trop souvent ignorée.

Il y a enfin toujours un projet, projection d’un devenir, conjugant l’intention du sujet à l’attention à l’objet, préfigurant et réalisant le moment de la situation, son histoire que l’on peut raconter ou réaliser. C’est la dimension projective de l’expérience ou des situations qui seule donne une échelle de valeurs pour mesurer les valeurs.

La maîtrise d’une situation est toujours celle d’un sujet (personnelle ou communautaire) à propos d’un objet et d’un contexte, en vue d’un projet de devenir ou de réalisation.

Traduisons pour la question du risque

Il n’y a de risque que pour un sujet (personnel ou communautaire) sans lequel il n’y a pas de dommage ni d’évaluation. Il y a risque qu’en fonction d’un aléa étranger au sujet. Il n’y a risque que par la conjugaison des deux, intervenant dans une histoire, un projet.

Ainsi, s’il y a une dimension objective aux occurences aléatoires, il n’y a risque que parce qu’un sujet s’est investi dans une histoire qu’elle conditionne. On ne peut appréhender les notions de danger, de dommage, de vulnérabilité, de maîtrise ou de défaillance que dans cette conjugaison qui défini une situation d’expérience humaine.

La structure de l’expérience comporte aussi trois composantes.

La composante affective qui correspond au vécu, à l’éprouvé dans la relation sujet objet. Peurs, craintes, inquiétudes, souffrances, terreurs, douleurs, angoisses sont des termes relevant de ce régime. Faire comme s’ils ne prennaient pas part à la situation et à la gestion des risques serait s’en refuser toute évaluation et donc tout dimensionnement significatif. On sait bien que la dimension objective n’y suffit pas et que la dimension subjective est chargée de toute une mémoire, une culture, des sensibilités qui ressortissent aussi d’un inconscient individuel et collectif. L’affect est à la croisée des deux et paraît conditionner fortement tout le reste. Comment ignorer une dimension aussi déterminante malgré le prétexte d’une méconnaissance de ces phénomènes?

La composante mentale de l’expérience qui correspond aux représentations, tant anticipées que mémorielles, et aussi aux représentations construites rationnellement à portée explicative ou prédictive. Elle est corrélée à la dimension affective, et emprunte des images, des formes, des logiques qui y sont liées. Cette composante est comme une projection du sujet dans son projet. C’est là qu’il s’identifie en rapport avec sa vision, ses représentations des situations. C’est là aussi qu’il cherche souvent une maîtrise qui est celle d’un effet plus que d’une cause (le meilleur modèle n’est la cause d’aucune action par lui même). Quant aux représentations par les sujets communautaires de leurs situations communes, elles relèvent aussi d’une culture dans laquelle le singulier veut s’inscrire dans du connu scientifique ou historique par exemple. Un science formelle des risques y trouverait là son expression.

La composante factuelle de l’expérience, où sont impliqués le corps et les choses dans des comportements utiles, est le lieu du fonctionnement objectif engagé dans la dimension projective. Un verre se casse n’est pas forcément un problème s’il ne devait servir pour boire. Le risque, le dommage sont corrélés non seulement à l’objet en contexte mais au projet, à l’histoire à laquelle ils participent. Il y a un risque « concret », matérialisé dans cette composante de l’expérience et des situations, souvent prise pour le tout mais entièrement liée avec les autres dimensions. Donner à l’une ou à l’autre le caractère de cause ou d’effet correspond seulement aux réductionnismes qui nous sont familiers.

Nous avons là les dimensions et les composantes de toutes les situations, celles de gestion des risques aussi bien. Les appréhender pour comprendre, orienter ou agir sur les risques « situés » doit donc prendre en compte, dans leur interrelation, les trois dimensions structurantes et les trois composantes de l’expérience et de toute situation.

Une dimension objective contextuelle

Une dimension subjective intentionnelle, personnelle ou communautaire

Une dimension projective s’inscrivant aussi dans une histoire avec ses enjeux et ses marches de progrès.

Une composante affective avec tout le ressenti et les résonnances émotionnelles ou sensibles.

Une composante mentale avec toutes les représentations et leurs constructions.

Une composante factuelle avec les faits, comportements, et les opérations associées.

Voilà donc un deuxième champ de complexité mais qui est ramené à la structure de l’expérience humaine et une « théorie des situations » qui va aider à construire l’action. Dans le traitement des situations on verra que seules les situations sont agissantes et que les « mises en situation » en sont le moyen privilégié. Pour la gestion des risques aussi il s’agit de maîtrise des situations; situations à risques, situations agissantes, situations espérées (socio-performance). Ce sont toujours les mêmes structures d’expérience humaine qu’il faut considérer. C’est l’enjeu de l’ingénierie humaine de l’Humanisme Méthodologique.

Les niveaux de maîtrises et de défaillances des situations

Après la pluralité des regards et de Sens qui posent un problème épistémologique, après la variété des dimensions et composantes des situations qui sont considérées ou non dans la façon d’envisager les risques et leur gestion vient la question des niveaux de maîtrises et de défaillances.

Le niveau de maîtrise c’est le niveau d’intégration des composantes de l’expérience et des situations. Le niveau de défaillances c’est notamment la réduction de l’expérience à l’un des plans sans considérer les autres.

Le niveau archaïque est celui de la gestion des pulsions, c’est la maîtrise des risques gérée par les médias, régime des fantasmes, des paranoïas qui prennent quelques fois des formes d’hyper-rationalisations, des souffrances et des inquiétudes entretenues. Le règne de l’angoisse se traduit par des psycho-pathologies individuelles et collectives qu’il est bon de comprendre pour savoir les traiter le cas échéant quelques soient leurs formes. C’est l’enjeu d’une maîtrise avancée des phénomènes humains source de bien des risques de défaillances.

Le niveau primaire est celui des faits, du « terrain » donc et des techniques et savoir faire opérationnels. Il intègre les faits économiques, physiques, matériels, subsistanciels, la sécurité matérielle. C’est dans l’action que les affects peuvent être investis utilement avec une mobilisation organisée. Cependant la limite de maîtrise est la vision à court terme, la réaction bien préparée se fait réactionnelle et non hiérarchisée. L’urgence, par exemple, entraîne des collusions avec l’immédiat qui font perdre toute maîtrise s’il n’y a pas un niveau supérieur de gestion.

Le niveau secondaire est celui des représentations. Bien qu’ils soit souvent contesté par des opérateurs de terrain le niveau des représentations permet d’anticiper, de modéliser, de projeter et ainsi d’ordonner et d’ordonnancer l’action. C’est le niveau stratégique qui intègre aussi rationnellement que possible le connu et l’inconnu, le possible et l’éventuel et aussi tous les acteurs et facteurs de situations complexes. Il y a cependant à ce niveau un type de défaillance particulièrement actuel c’est celui de l’autonomisation des représentations. Les modèles et stratégies se dégagent du Sens des situations de ceux qui sont concernés; ils se libèrent aussi de la complexité opérationelle et de ses conditions; ils se considèrent comme seul champ de maîtrise confondant la maîtrise des constructions intellectuelles avec la maîtrise des situations. La résistance du réel oblige à complexifier et rationaliser encore et encore les modèles, les procédures, et à les éloigner de toute opérationalité, reportant sur d’autres la faute de l’échec.

Le niveau tertiaire est celui de la maîtrise du Sens des situations. Il s’agit de discerner le Sens du bien commun des communautés concernées par la maîtrise de leurs enjeux, leur socio-performance. Le risque c’est la limite d’une socio-performance, la gestion des risques le développement d’une socio-performance ou sa restauration. La maîtrise des risques comme l’évaluation des risques est l’affaire des communautés concernées et aussi des ensembles communautaires complexes le cas échéant. Les méthodes de socio-performance viennent pour poser et traiter ces problèmes en intégrant les niveaux précédents.

On en arrive donc à une transdisciplinarité dans la maîtrise des risques. La spécialisation à outrance conduit à perdre l’unité et l’intégrité des phénomènes, des situations et donc la maîtrise des risques. Il y a deux sources d’unité qui sont d’ailleurs corrélées. L’unité de situation intégrant une complexité qui doit beaucoup aux phénomènes humains et l’unité de traitement qui repose sur l’unité du sujet responsable, la communauté et ceux qui en assument la poursuite du bien commun. C’est en conséquence l’unité d’action et sa cohérence qui en découle, sa valeur pour la communauté.

Ainsi la maîtrise des risques ne peut se couper des réalités communautaires pour trouver sa cohérence mais aussi de la mutation du monde actuel qui fait des communautés d’enjeu et de dévelopement le principe structurant des affaires humaines mais aussi des problématiques épistémologiques émergentes.