Prospective de l’entreprise

La mutation de civilisation engagée est comme la tectonique des plaques. Des courants de fond et la surface qui apparait immobile jusqu’à ce que cela craque. Les bouleversements sont à venir mais les tendances en jeu sont déjà là. Mieux les changements de fond sont déjà visibles même s’ils ne sont pas encore tous aboutis. Seulement cette visibilité demande un changement de regard, de moyens d’observations. C’est d’ailleurs une caractéristique d’une mutation de civilisation, un changement de conscience qui change les pratiques et le visage du monde.

Suivre de façon aveugle ou anticiper avec discernement c’est là l’enjeu de la prospective humaine. Elle s’intéresse plus aux mouvements de fond qu’au décor et à l’écume des vagues. Maintenant c’est une affaire de peu d’années pour tout changer…

1° Partie :

Des clés pour une prospective de l’entreprise

Que sera l’entreprise dans cinq ans, dans dix ans? Il y a plusieurs manières d’engager cette réflexion.

La plus fréquente consiste à spéculer sur des idées dans l’air du temps sans rien changer au fond sur les croyances et les processus de décision, d’organisation et d’action.

Ces idées sont par exemple:

– La compétition mondiale de plus en plus tendue et ses délocalisations?

– La nécessité d’épouser les valeurs et les sentiments du public, développement durable, commerce équitable, diversité des recrutements, thèmes à la mode

– L’adaptation aux changements incessants comme l’innovation technologique, les législations, le coût de l’énergie.

On se plaît alors à croire que les vicissitudes induites sont pour les autres et que l’on s’adaptera bien si nécessaire.

Dans cinq ans, dans dix ans, les titres des journaux feront toujours l’actualité et les entreprises seront toujours ce qu’elles sont, voilà la croyance la plus ancrée.

Si le rythme des créations, disparitions d’entreprises s’accélère, si aucun des grands groupes que nous connaissons n’existera en l’état, dans dix ans, l’absence de mémoire et de vision prospective permettra malgré tout de maintenir la croyance. Et puis qui peut prédire l’avenir ? Les futurologues se sont toujours trompé.

Il y a cependant une autre manière, prospective, d’aborder cette réflexion. Comprendre ce qui se trame en profondeur dans le monde d’aujourd’hui, discerner les implications pour les entreprises, entreprendre les changements souhaitables en évitant les fausses pistes.

Pour cela la prospective humaine apporte des repères qui font trop souvent défaut malgré les intuitions de tel ou tel visionnaire, de tel ou tel prospectiviste. Trois phénomènes sont d’abord à considérer pour comprendre les situations en cette période de mutation.

1) Les tensions de fond

Des tensions profondes sont à l’oeuvre dont les équilibres sont instables.

Comme avec la tectonique des plaques des ébranlements majeurs affectent la surface. La prospective ne peut prévoir les moments de rupture mais anticiper sur de nouveaux équilibres. Les tendances profondes peuvent être identifiées à trois couples de logiques opposées.

La logique des acteurs

– La logique spéculatrice, le règne de l’intérêt particulier; miser moins pour gagner plus, l’individualisme de toutes les parties prenantes.

– A l’opposé la logique industrieuse, la coalition des ressources, des moyens et des compétences pour réaliser des buts communs.

L’exacerbation de la première et ses excès en pleine défaillance ne doit pas masquer la (re)montée en puissance de la seconde.

Les logiques structurelles

– La logique formelle, la reproduction des modèles et procédures, la conservation des cadres et des structures, la vertu de conformité.

– La logique entrepreneuriale, l’engagement personnel et collectif, l’initiative et la créativité, la mobilisation dans l’action.

Les modèles industriels et bureaucratiques traditionnels relayés par les grandes trames systémiques sont en pleine défaillance alors que l’autonomie grandissante des acteurs débouche sur un foisonnement d’initiatives réclamant de nouvelles configurations des entreprises.

Les logiques intentionnelles

– La logique d’exploitation, des ressources matérielles, des ressources naturelles, des ressources humaines, des clientèles, toutes justifiées par les nécessités, les besoins, la “demande”, l’avidité…

– La logique de projet visant la production de plus grandes valeurs, des ambitions de progrès, de services, de développement humain.

La première est fortement combattue et la seconde trouve de plus en plus de champ.

Dans chaque entreprise on peut repérer ces différentes tensions et leurs conséquences, les conflits et ruptures que cela peut entraîner et celles que l’on veut favoriser.

2) Les modèles d’entreprise

Quand on parle entreprise la variété des cas et des situations est immense. Quel rapport entre Microsoft et l’entreprise artisanale du coin, entre tel grand groupe financier et les établissements de production qu’il contrôle, entre les multiples secteurs d’activité privés ou publics.

Il y a cependant une typologie possible des modèles d’entreprises ou des formes d’entendement de ce qu’est une entreprise indépendamment de la taille.

On peut distinguer quatre modèles types dont la prégnance évolue, exprimant des changements que la prospective pourra discerner.

L’entreprise de possession et d’emprise

Elle se justifie par la guerre économique qui légitime l’emploi de tous les moyens appropriés, chacune à son échelle. Elle est vouée à absorber ou être absorbée dans l’affrontement des puissances à la recherche de la plus large emprise, des possessions les plus grandes.

A l’opposé l’entreprise rationnelle et technique.

Elle se conçoit comme une organisation hiérarchisée de fonctions, avec l’exercice de compétences et de méthodes toujours plus avancées pour une performance grandissante et des résultats qualitatifs et quantitatifs en progrès. C’est l’idéal que l’on enseigne dans les écoles et les formations où il n’est nulle part question de volonté de puissance ou de motivations humaines.

L’entreprise système

avec l’idéal machinique d’un fonctionnement répétitif bien huilé. L’adaptation incessante condition de survie l’amène à adopter les modèles normatifs du moment. Systèmes d’information, inter connections, gestion optimisée des flux et des circulations. Ses modèles évoluent mais c’est le fonctionnement du modèle qui retient toutes les attentions, des hommes y sont de simples agents de circulation ou de régulation.

L’entreprise communautaire.

A l’inverse l’entreprise est celle d’une “communauté entreprenante”, une communauté de projet, de valeurs, une communauté de parties prenantes, communauté de communautés aussi.

Elle est aussi communauté de services, services des communautés clientes, ses marchés… communauté d’intelligence, de compétences.

De l’équipe au plus grand groupe en passant par toutes les associations et partenariats on est dans une logique communautaire. Elle donne sa cohérence et sa performance à l’entreprise ainsi que la pérennité et la flexibilité de son évolution.

3) Les âges et les niveaux de maturité des entreprises

Comme toutes les organisations humaines, l’entreprise passe par différents niveaux d’évolution qui dépendent de son histoire mais aussi de l’environnement économique qui est le sien.

Ainsi on trouve des entreprises de premier niveau qui sont entièrement centrées sur leur production dans une vision à court terme de leur activité.

Les entreprises de second niveau sont en mesure de construire des structures plus complexes et d’élaborer des pôles et stratégies à moyen terme. Cela demande un autre niveau de compétence intellectuelle, de connaissance des marchés, de communication et d’organisation.

Les entreprises de troisième niveau intègrent en plus une maîtrise des finalités à long terme, (du Sens, des valeurs) en rapport avec la communauté entreprenante et ses fondements et avec toutes les communautés concernées (territoire d’implantation, communautés clientes, communautés partenaires, communauté de parties prenantes).

2° Partie :

Entreprises – Prospective 2018

La prospective en période de mutation c’est surtout un changement de point de vue :

– pour comprendre autrement les déterminants de l’entreprise,

– pour agir autrement, pour une performance accrue et aux critères réajustés.

Il est difficile de “voir” lorsque ça va dans tous les Sens et lorsque les instruments d’analyse disponibles ne permettent pas de discerner les clés de l’essentiel. Et pourtant 10 ans c’est demain…

10 ans demain c’est bien plus de changements que 50 ans d’hier ou même 100 ans. Combien de temps pour le déploiement d’Internet ? L’explosion des économies émergentes ? Dans 10 ans quel visage pour les entreprises ?

Il s’agit ici de développer une vision à 10 ans. Mais nous sommes en 2008 pas en 2018. C’est pour aujourd’hui qu’il s’agit de porter un autre regard pour comprendre et engager l’avenir.

La mutation commence par les esprits et la capacité même de voir ce qui change, de le comprendre et d’en prendre la gouverne.

Une vision c’est un exercice pour s’y entraîner, pas un livre de nouvelles recettes mais une nouvelle intelligence de ce qui est déjà engagé.

Les tableaux qui viennent sont issus des travaux de prospective humaine et des apports de l’Humanisme Méthodologique pour la compréhension des affaires humaines et l’apport de nouvelles conceptions de l’action. Ils proposent des éléments d’analyse, d’inspiration, et font appel à l’imagination surtout à la créativité du lecteur

A 10 ans

L’économie communautaire

Avec la domination sans partage de l’occident, ses modèles de compréhension et de justification de l’économie se sont posés comme universels. On en est venu à croire que les lois de l’économie ainsi que le jeu économique l’étaient.

On voit bien, avec l’échec répété de l’OMC et les tensions résultant de l’émergence de nouvelles économies que les pays, les régions n’ont pas les mêmes valeurs, pas les mêmes histoires. Le crach financier va dans le même sens

Braudel avait déjà distingué aussi trois niveaux économiques qui peuvent inspirer cette analyse.

– Il y a l’économie de proximité où les échanges sont inter relationnels et donc fortement conditionnés par la vie collective locale.

– Il y a l’économie de marché définie par un champ culturel d’échanges à l’échelle d’un territoire local, d’un pays ou d’une grande région ou même d’une communauté de valeurs non localisée.

– Il y a enfin l’économie monde où c’est l’affrontement des entreprises – puissances qui prédomine.

A chaque fois les règles et les valeurs sont différentes.

Dans la mutation l’émergence des communautés de valeurs va amener à cette prise de conscience. Il n’y a d’économie que communautaire.

Dès lors si l’affrontement des puissances ou l’anonymat des entreprises techniques et systémiques continuent d’ignorer les diversités et les identités culturelles, les entreprises humaines vont avoir à se positionner dans le champ de l’économie communautaire, s’y ancrer, y trouver leurs ressources humaines, y apporter biens et services.

Libéralisme sans frontières ou étatisme protectionniste? C’est en fait un tout autre jeu qui s’amorce.

En effet les économies communautaires sont rattachées aux valeurs culturelles et notamment au Sens du bien commun de chaque communauté économique.

Ainsi la reconnaissance du Sens du bien commun et des valeurs qui en sont les indicateurs déterminent les “biens et services” qui y ont cours et la valeur qui s’y attache.

Cela en a toujours été ainsi à toutes les échelles mais masqué par des logiques et des analyses différents, gommant les identités et valeurs culturelles pour de multiples bonnes raisons et les croyances associées.

Dès lors les justifications économiques, les besoins et potentiels économiques ne sont pas les mêmes selon les communautés et pour les entreprises non plus.

Les entreprises humaines, communautaires, ont à situer leurs différentes communautés d’intervention. Cependant elles auront intérêt à savoir où se trouve leurs assises pour assurer une pérennité liée à l’histoire de leur communauté de référence qu’elle soit territoriale ou simple communauté de valeurs.

On voit poindre le problème des constellations communautaires, communautés de communautés tant pour les entreprises communautaires que pour les communautés économiques d’enrichissement.

Les organisations et le management communautaires

La conception de l’organisation de l’entreprise est très liée au modèle sous-jacent. Armée en campagne avec ses images anciennes, machine complexe avec ses rouages, système pragmatique avec ses agents, des variantes sont aussi venues avec des modèles biologiques, scientifiques (supposés) ou même centrés sur une dimension humaine (management émotionnel).

C’est l’organisation communautaire qui va se révéler indispensable, associée à la prise de conscience de l’entreprise communautaire.

Dès lors deux questions vont devenir cruciales :

– comment optimiser et manager une “unité” communautaire ?

– comment se constituent des ensembles complexes de communautés ?

C’est à la fois des questions d’organisation et de management avec ce que l’on peut appeler déjà le management communautaire avancé.

A la première question c’est la connaissance du phénomène communautaire qui est source des réponses.

Sur le fond l’unité communautaire dépend d’une unité de Sens et de valeurs.

Cette unité se décline en six conditions:

– unité de direction, orientation et détermination

– unité de contexte, champ d’activité

– unité de projet, buts et stratégies

– unité d’action, coordinations

– unité d’appartenance, vécus, liens et moments partagés

– unité de représentation, image, identité collective.

Ce modèle qui constitue l’unité communautaire de l’entreprise vaut à toutes les échelles. L’équipe, l’établissement ou l’unité d’activité (Business unit) mais aussi l’entreprise entière ou même le groupe; le tout à géométrie variable.

La réponse a la deuxième question est celle-ci : un ensemble de communautés doit être considéré comme une communauté.

Ainsi la complexité des ensembles communautaires se ramène à la désignation et au management de communautés.

On peut y voir ainsi des communautés hiérarchisées, des communautés transverses, des communautés de projet, des communautés partenariales, des communautés d’enjeux de tous ordres, des communautés professionnelles.

On voit bien que les structures hiérarchiques ou matérielles ne suffisent pas à traiter la flexibilité des organisations, des entreprises et leurs groupements de plus en plus incontournables. Le modèle communautaire permet de penser la diversité des organisations complexe et les conditions d’un management communautaire avancé. Question de socio-performance

La pérennité des entreprises et les structures ternaires

Il est clair qu’un conflit de temporalité existe entre une volonté de stabilité et de pérennité et une innovation permanente dans l’activité. En outre les contextes sont sans cesse en mouvement, techniques, situations, acteurs, marchés, etc. C’est une source de déstructuration que l’on verra s’accélérer.

A cette question le modèle d’entreprise puissance va au cœur de la bataille et on en voit disparaître comme ils étaient venu dans des reconfigurations incessantes orientées vers la puissance ou le sauve qui peut.

Les modèles techniques et systémiques vont intégrer le facteur temps et tenter de s’aligner sur la plus grande vitesse ou bien ne pas l’intégrer et tenter de rigidifier leur structure. Ce sera de moins en moins viable.

Le modèle des entreprises communautaires conçu comme des communautés de communautés peut lui maîtriser des temporalités différentes.

Ainsi un modèle ternaire répond à la complexité temporelle.

L’entreprise doit se penser d’abord comme une communauté ancrée dans un univers communautaire plus large (pays, territoires, communauté d’enjeu) qui lui donne ses valeurs et aussi la plus grande assise pour sa pérennité.

Le noyau communautaire assumera cette dimension avec des personnes et des équipes relativement stables et en tout cas durables. Ce noyau identitaire, porteur des valeurs, d’une vocation, d’une histoire, se pense dans le long terme.

L’entreprise doit aussi se penser comme partie prenante de projets et stratégies qui la dépassent sur le plan des enjeux, des compétences et des moyens.

Alors ce sont des communautés stratégiques constituées avec des partenaires qu’il faudra développer. Elles n’ont pas la même pérennité et vont évoluer en fonction des environnements à maîtriser à moyen terme.

Il y a enfin la production de biens et services soumis à l’innovation permanente et aux fluctuations des marchés (économies communautaires). Les unités ont alors une durée de vie relativement courte et sont constituées de ressources et de moyens d’origines multiples. Ces communautés opérationnelles sont destinées à des vies courtes (court terme, relatif à l’activité).

La communauté de communautés qui constitue l’entreprise peut parfaitement intégrer ces trois types. Mieux, des individus peuvent faire partie de plusieurs communautés dans l’entreprise les unes pérennes, les autres volatiles.

Cela déterminera des rapports nouveaux et diversifiés entre les entreprises et leur personnel avec des statuts différents.

Les lieux de l’entreprise

Pour l’entreprise puissance, le schéma est classique un lieu de pouvoir, central et un déploiement des forces selon les champs de bataille. Les entreprises techniques sont localisés par leurs moyens techniques et les entreprises systèmes sont dispersées souvent dans un non lieu délocalisé.

Pour l’entreprise communautaire ce sont les conditions de l’existence et de l’action communautaire qui sont essentielles. Là la révolution d’Internet permettant d’établir des relations de proximité à distance change la donne.

Ainsi ce sont des “espaces virtuels” qui vont abriter les entreprises communautaires et leurs activités. L’énorme charge des déplacements et des concentrations physiques va se dissoudre et être réduite au nécessaire.

Là le management communautaire est indispensable pour constituer les communautés d’enjeu et assurer leur développement et leur performance. Il deviendra surtout un “management de proximité à distance” qui réclame une plus grande maturité des parties prenantes.

Alors on verra des espaces virtuels incarner, identifier et localiser (sur Internet) les multiples communautés de l’entreprise.

Le siège virtuel associé à une communauté de direction, les multiples équipes managées à distance, les projets avec leur espace de rassemblement et de réalisation, les communautés-métier, transverses, des communautés stratégiques en partenariat et des communautés opérationnelles de durée de vie variable.

Ces espaces virtuels de l’entreprise forment un espace virtuel global répondant aux mêmes lois de composition que les communautés qui le constituent. Leurs frontières sont d’ailleurs de même ordre, à géométrie variable, étendue aux espaces virtuels habités par les parties prenantes, partenaires, clients et ceux des communautés d’ancrage auxquelles elles participent.

Ce schéma est déjà là pour de nouvelles entreprises. Il est encore ignoré par beaucoup surtout dans des pays trop ancrés dans les modèles anciens. Le “télétravail” en est un symptôme, encore si faible dans notre pays.

Ce n’est pas seulement l’économie considérable de moyens matériels, locaux, déplacements et toutes les charges induites, ce n’est pas seulement l’accès à des espaces d’activité et de collaboration plus étendus, ce n’est pas seulement la réponse à des aspirations et modes de vie moins standardisés, c’est aussi, grâce au management communautaire, la possibilité d’une plus grande performance humaine par le biais des relations de proximité à distance.

Les multiples sphères communautaires de l’entreprise et des parties prenantes ou des espaces d’activité, matérialisent dans le virtuel des ensembles complexes dont ce sera quasiment la seule visibilité. Paradoxe du virtuel, le concret de l’immatériel.

Le travail

Plusieurs problématiques traversent ce thème:

– Le rôle du travail dans la vie des gens. Faut-il le réduire comme un mal nécessaire ou faut-il lui donner un autre Sens, convergeant avec les enjeux économiques et d’entreprises

– Le rôle du travail dans la vie humaine selon les phases de maturité individuelles et collectives.

– Le “contrat de travail”, la conception et l’évolution des entreprises.

Déjà la contradiction entre un travail conçu comme une contrainte plus ou moins pénible à subir et les tentatives de mobilisation et d’implication dans les enjeux de l’entreprise est fréquente. Les compensations deviennent d’ailleurs plus aléatoires devant la flexibilité sinon la volatilité des activités d’entreprises.

Or la montée en puissance d’entreprises considérés comme des “communautés” engagées change tout. La convergence des valeurs, le soutien de l’activité communautaire donnent paradoxalement une plus grande liberté d’expression et de contribution que les modèles “contraints” que sont les autres.

Le travail est l’activité qui mobilise les potentiels personnels et collectifs pour contribuer aux enjeux communs, dans le Sens du bien commun donc. Ce sont les “évidences” actuelles qui ne tiennent plus et de nouveaux modèles qui se développeront à la place. Ils apparaissent sans doute comme marginaux aujourd’hui au contraire aux principes qui apparaissent intangibles à beaucoup, notamment autour du salariat.

Crise des motivations, crise de l’emploi, crise des compétences, crise des retraites sont autant de symptômes de la fin d’une époque. Reste à bâtir la suivante.

Il n’en résulte pas un modèle uniforme et, une plus grande compréhension de l’évolution humaine, amène à distinguer trois étapes dans la maturité humaine et donc dans la nature et le rôle du travail humain.

Au niveau primaire le travail est à la fois un apprentissage d’une certaine maîtrise des choses sous le signe de l’utilité pratique et à la fois la production de “biens” qui, par définition, ajoute aux biens utiles à la communauté et aux utilisations par ses différentes populations et parties prenantes.

Construction personnelle et construction sociale de la personne et de la communauté vont de pair.

A un autre stade le travail est plus une contribution à la maîtrise des représentations collectives, facteur de socio performance. Les services associés sont liés aux représentations partagées et réclament une activité intellectuelle de conception, d’expression, de communications. Activités d’encadrement et fonctions supports sont le plus souvent concernés.

A un autre stade, enfin, c’est la responsabilité et la maîtrise des situations qui sont sollicitées. Cela demande un discernement, une autonomie et un engagement majeurs que l’on associe souvent aux fonctions de direction ou de conseil.

Dans tous les cas il y a un rapport direct entre capacités sollicitées et mise en œuvre et les services ou produits résultants.

La qualification de ces derniers (qualités et valeurs) n’est pas sans rapport avec la qualification des acteurs.

C’est la sortie des modèles mécanistes ou contraints qui permet de renouer avec des approches du travail-œuvre plutôt que du travail-peine.

Enfin vient la question du rapport entre l’évolution des entreprises et celle du travail, aboutissant à des structures contractuelles différentiées.

On en viendra à croiser:

– la structure classique des rôles selon les niveaux d’évolution et donc de qualification du travail en intégrant les trois stades précédents. Ils existents déjà mais quelques fois insuffisant clarifiés.

– trois types de situations professionnelles,

– les situations d’apprentissage justifiant l’expérimentation de plusieurs situations sans être attaché spécialement à une entreprise. Cela correspond d’ailleurs aux structures de production de durée de plus en plus courte. Il y faut une contractualisation spécifique et une sécurité économique indépendante.

– les situations plus stratégiques qui réclament des emplois à durée de vie incertaine. Ces contrats temporels doivent avoir une certaine fiabilité dans le temps comme dans le cas des emplois salariés.

– enfin l’identification à des responsabilités, à une autonomie responsable engage plus dans le devenir à long terme de la communauté entreprenante.

On distinguera donc :

– le noyau de responsabilités communautaires

– le groupe des fonctions et compétences stratégiques

– les équipes opérationnelles.

L’innovation permanente et la rapidité des évolutions économiques en période de mutation conduit à différencier les types de contrats et de durées contractuelles.

Rien n’empêche cependant que plusieurs contrats coexistent avec les mêmes personnes.

La créativité structurelle des entreprises répondra à la diversité actuelle des statuts intervenant dans l’activité des entreprises.

Les compétences de l’entreprise communautaire.

Compétences individuelles et compétences collectives sont indissociables. On ne peut établir ou définir l’une sans l’autre.

Une compétence individuelle non située, indépendante d’un contexte collectif de communauté engagée n’a guère de valeur.

Une compétence collective qui n’est pas portée par les individus dans un processus de concourance est une vue de l’esprit bonne pour des modélisations abstraites.

La gestion des compétences, fusse-t-elle prévisionnelle, est dominée par le principe de conformité. Les référentiels en sont des représentations extrapolées de l’expérience antérieure. Comment alors former à des compétences qui n’existent pas encore et donc qui ne peuvent être référencées. Ce sera la grande révolution de la formation et des compétences à l’avenir.

Le champ des compétences sera l’un des plus bouleversés par la mutation et un des plus “résistants” au changement.

On trouvera donc la subsistance crispée des modèles anciens, reproduits même sur internet (e leaning) et le foisonnement de méthodes et de pratiques fondées sur la révolution des compétences à venir.

Cette révolution des compétences peut être éclairée par quatre analyses.

La notion de niveau de compétences

On peut distinguer déjà:

– le niveau opérationnel visant des habilités techniques et faisant l’objet d’apprentissage ou l’empirique prédomine avec l’intelligence pratique,

– le niveau conceptuel visant la construction et la compréhension rationnelle de modèles, plans, structures et projets. L’intelligence mentale, rationnelle privilégiée par les institutions scolaires et universitaires s’accompagne de l’acquisition de savoirs et de représentations établies, donc à reproduire.

– le niveau de la maîtrise des situations, il vise l’évaluation, la décision et l’engagement des situations, fait appel au “traitement des situations” avec toute une ingénierie (humaine) associée. Il mobilise l’intelligence symbolique ou intelligence du Sens dont les processus, les techniques et les méthodes sont encore presque totalement ignorées surtout dans une civilisation des représentations encore dominante.

Si on prend par exemple le management, on distinguera un niveau d’apprentissage pratique, un niveau plus conceptuel de modèles et de méthodes et un niveau de “maîtrise des situations”, avec le management communautaire par exemple.

Le type de compétences

Trois types de compétences seront à identifier et surtout à rééquilibrer.

– Le potentiel vocationnel.

Il résulte d’une équation particulière souvent liée à l’histoire et aux origines. La “diversité culturelle” s’y exprime au premier chef. Ce potentiel, fait de qualités singulières et de capacités associées (talents) est souvent méconnu des porteurs eux-mêmes qui n’en perçoivent pas le caractère spécifique.

Ce potentiel n’est pas toujours cultivé et on retrouve là aussi des niveaux de culture différents depuis le “tour de main” pratique, en passant par une forme d’intelligence des choses, pour aboutir à l’expression d’une originalité au travers d’actes ou d’oeuvres d’intérêt communautaire.

Ce potentiel ne peut cependant ni être cultivé sans un contexte d’exercice ni être identifié à une seule expression contextuelle. Ainsi si l’entreprise est un des témoins de la culture des potentiels ils ne doivent pas y être assimilés.

– La compétence adaptative

C’est celle, classique, des savoirs et savoir faire définis par une fonction, une tâche, un rôle, et fait l’objet justement des référentiels et des formations classiques.

Formation “sur le tas” pour les opérateurs, formations aux modèles de référence pour les cadres et les “fonctionnels”.

Il faudrait y rajouter certainement des formations d’ingénierie des situations pour traiter les problèmes de changement, d’innovation, de restructuration, de reconfiguration de plus en plus fréquents.

– La compétence “professionnelle”

C’est celle de la maîtrise des situations et de leurs enjeux, leur “socio-performance”. Faute de base théorique et des moyens de l’intelligence symbolique ce domaine était laissé à “l’expérience” ou à des capacités personnelles mystérieuses. Or l’entreprise communautaire et toutes les incidences de la mutation en font un domaine nouveau à cultiver, que ce soit au niveau des petits groupes (équipes) des grands groupes (entreprises, projets, organisations) ou même des très grands groupes (populations, très grandes organisations, publics nombreux…).

Cette compétence “professionnelle” s’exerce donc à une certaine échelle mais toujours dans un contexte de communauté (proximité, communauté culturelle…). Comment imaginer une responsabilité d’entreprise sans cette dimension, comment la laisser à une question de potentiel individuel même haut alors que le “fait communautaire” y est primordial.

Les compétences collectives

Le reflux de l’individualisme généralisé laisse apparaître le phénomène de “compétence collective” associé quelquefois a une “intelligence collective” quelque peu ambiguë.

Cependant les communautés “culturelles” petites ou très grandes aussi sont “porteuses de compétences” qu’il s’agit aussi de cultiver.

Les entreprises ayant identifié progressivement cet enjeu de socio-performance auront commencé à le prendre en compte et établir des programmes de formation associés.

Il y a des “potentiels” collectifs, culturels donc, qui jouent un très grand rôle dans le choix de positionnement, de vocation, d’ambition, à l’origine de projets singuliers. Si c’est la communauté qui est agissante alors la singularité de ses potentiels et primordiale à connaître et à cultiver.

Il y a des savoirs faire collectifs qui font qu’une équipe ou un grand groupe savent pratiquer telle ou telle technique, réussir tel ou tel objectif.

Il y a enfin des capacités collectives de “maîtrise des situations”. Pensons à une équipe de direction ou certaines entreprises qui renouvellent leur expérience de réussite ou qui assument une responsabilité “institutionnelle”. La formation aux compétences collectives passe alors par trois types de pédagogies selon l’ampleur du collectif:

– la micro pédagogie avec des individus réunis en groupe

– la méso pédagogie avec des cursus partagés par les collectifs plus nombreux

– la macro pédagogie avec des stratégies qui touchent aux grands groupes.

Un domaine de révolution à venir et encore bien peu identifié.

Valeurs et évaluation

La question des valeurs monte en puissance. Cependant c’est la plus grande confusion qui règne (crise de Sens) notamment sur le Sens même de la notion de valeurs.

Ici il s’agit de démonstrations ostentatoires basées sur les “bonnes” idées et la “bonne” conscience du moment, anonyme et universelle. Là il s’agit d’un modèle moral à inculquer au personnel avec force communications internes.

Dans d’autres lieux, avec par exemple le management par la valeur (norme AFNOR) il s’agit simplement d’optimiser les processus de production de valeur qui dépendent d’objectifs spécifiques ou la morale n’a rien à faire (dissociation des valeurs et de la valeur).

Or le thème des valeurs est porteur d’une autre vision souvent intuitive mais détournée de son Sens par des pratiques d’un autre type. Les valeurs sont des indicateurs du Sens du bien commun. Cela nous ramène au principe de communautés, communautés économiques, communautés d’entreprises, communautés d’enjeu, communautés de projet ou de devenir, etc.

On peut parler de communauté de valeurs là où le Sens du “bien” commun est recherché et cultivé. Notons que la valeur est la mesure de la contribution au bien commun ce qui fait le lien entre la valeur et les valeurs.

Il y a ici une image qui se forme de l’entreprise qui aura intégré :

– Le Sens du bien commun et les valeurs comme principe éthique qui se dégagera des confusions actuelles,

– Le Sens du bien commun et les valeurs comme principe de définition d’une offre de services et de produits (biens et services) pertinents pour une communauté économique (marché). Là c’est tout une approche du marketing (marketing des valeurs) de l’innovation et au-delà du commerce (commerce des valeurs) qui se substituera à des pratiques souvent profondément dégradées intellectuellement et moralement.

– Le Sens du bien commun et les valeurs comme principe de compétences. A deux titres les compétences se définissent par une capacité de progression des valeurs (et de la valeur) mais aussi par la capacité “d’évaluation” indissociable de la notion de valeur.

C’est une nouvelle cohérence que l’entreprise à 10 ans expérimentera avec une montée en puissance progressive au milieu des désordres actuels.

Les valeurs pour l’entreprise du futur c’est aussi l’importance des référentiels identitaires pour ces communautés entreprenantes avec des valeurs aux racines rétrospectives, introspectives et prospectives qui rassemblent et mobilisent pour de nouvelles ambitions de nouveaux projets.

C’est aussi l’importance des référentiels opérationnels dont le partage fait la cohésion, la cohérence et la mobilisation collective. Peut être aura-t-on acquis des compétences en ces matières, moins déficientes que celles trop souvent en vigueur.

Enfin les référentiels d’évaluation indissociables des référentiels de valeur rejoignent ce souci de maîtrise de la socio performance des équipes, des entreprises et des groupements de tous ordres et de toutes tailles.

A ce sujet devenu crucial des valeurs pour les entreprises communautaires il faut ajouter trois précisions.

– La nécessaire acquisition d’une connaissance et d’une ingénierie des processus en jeu (intelligence symbolique) qui existe déjà mais reste confidentielle.

– Le travail de “méditation” nécessaire pour reconnaître dans l’existant les prémisses de cette importance à terme de la question des valeurs sous des formes beaucoup plus professionnelles et systématiques.

– La prise en considération de “l’appropriation” par les multiples groupes constituent une communauté d’entreprise qui réclament, non pas un standard de conformité, mais une transposition ad-hoc des valeurs et référentiels généraux dans chaque secteur avec ses langages et ses références propres.

Une conclusion pour l’entreprise du futur

D’une certaine façon les ingrédients de l’entreprise du futur sont déjà là mais bien souvent encore très immatures et mal identifiés. Surtout ils le sont au milieu de grandes confusions liées à la multiplicité des Sens et logiques à l’oeuvre mais aussi à l’obscurcissement de ces questions par certaines logiques dominantes (spéculation, mécanisation, rationalisation, rigidité, autosatisfaction narcissique). Cela dit on peut s’attendre à ce que se dégage deux tendances pendant qu’un marais restera toujours ignorant lui de ce qui se passe.

D’un côté les entreprises de fin du monde qui vivent la mutation comme une fin du monde avec des effondrements qui sont déjà l’horizon de l’actualité. Le principe de conformité dominant les amènent là, fatalement, de façon suicidaire. Persévérer dans les voies qui ont fait leurs preuves en d’autres temps ou emprunter compulsivement les modes et les modèles qui devraient marcher.

D’un autre côté il y aura les entreprises du nouveau monde, pas très différentes de celles que nous connaissons mais qui auront changé de paradigme et auront fait de ce qui est marginal aujourd’hui l’essentiel de leur existence. Le principe d’autonomisation (empowerment) des communautés économiques, communautés d’enjeux, communautés d’entreprises en sera le guide avec la culture des valeurs et le Sens du bien commun.

Mais toutes ces entreprises n’existent que dans un contexte de fin d’un monde et ses désespérances et dans un contexte de Renaissance avec sa créativité, sa foi en l’homme et ses entreprises et la formidable envie d’entreprendre qui semble faire défaut ici ou là et exploser ailleurs. Le futur est en marche. Maintenant !