Le point de vue de l’Homme
La mutation de notre époque est un passage de l’âge des représentations mentales, de l’âge de la Raison à l’âge du Sens. C’est du même coup un passage de l’accessoire à l’essentiel. L’homme est un être de Sens, doué de ce fait de raison mais celle-ci ne suffit pas à « s’orienter dans la pensée » ni non plus à comprendre pourquoi faut-il placer le centre explicatif de l’univers ici où là. La nouvelle révolution copernicienne consite maintenant à placer en l’homme le « point de vue » explicatif de toute expérience humaine. Révolutionnaire non? et pourtant quel bouleversement. C’est ce que propose et réalise l’Humanisme Méthodologique.
L’humanisme méthodologique part d’une position fondamentale :
Adopter le point de vue de l’homme dans toutes les situations plutôt qu’un point de vue seulement “extérieur”
– exemple 1 : géocentrique, héliocentrique, “universel”, divin,
– exemple 2 : un livre, une idée, un objet (disciplines), une règle, un fait.
– exemple 3 : égocentrique, affects, corps, mental avec leurs variantes.
Ce “point de vue de l’homme” a pour conséquence:
– reconnaître une significativité humaine à toutes les situations et réalités extérieures,
– donner une finalité humaine à toute activité, projet et réalisation
– recourir à des modalités humaines pour l’action.
Il s’agit au moins, d’une révolution copernicienne, changement radical de point de vue central.
Un “point de vue” est l’adoption d’un point posé comme centre explicatif et descriptif de toutes choses.
Les points de vue classiques
La science moderne, après Galilée, tente d’identifier un point de vue mental (mathématique notamment) et un point de vue expérimental associés l’un et l’autre à l’universel (matérialiste pour une part, platonicien pour une autre).
Les usages et pratiques courantes se donnent des points de référence très variés ce qui fait des “points de vue” très différents et souvent prétendant soit à l’universalité, soit à la liberté de choix (individuel ou collectif), soit identifiant les deux (totalitarismes). Exemples, idéologies d’économie politique, nationalismes. Les religions ont souvent confondu “le point de vue divin” avec l’interprétation de tels ou tels.
Irénée de Lyon disait pourtant (en termes actuels) “nul homme n’est assez grand pour en savoir quelque chose des états d’âme, des intentions ou des activités divines”.
Hormis certains philosophes, rares sont ceux qui se sont penché sur le problème de la variété des points de vue et surtout les conditions d’adoption de tel ou tel. Le plus souvent ces points de vue ne sont même pas identifiés restant implicites comme des évidences premières, ce qui obscurcit évidemment les conflits de points de vue ou favorise des adoptions mimétiques (opinion publique).
Que dit l’Humanisme Méthodologique de son point de vue?
– il dit que s’exerce là une capacité humaine dont la source, humaine, reste inconsciente mais dont le point de référence extérieur est cependant significatif.
– il dit que même les “points de vue” ou “centrations” extérieurs sont d’origine humaine, sont des positions humaines ignorées.
Comme prétendre maintenant le contraire? Cela reviendrait à nier l’acte de celui qui adopte telle ou telle position sous prétexte qu’il n’a pas conscience de son acte et d’en être à l’origine, quelques soient d’ailleurs ses motivations. Il faudra dorénavant lorsque l’on parlera de ceci ou cela ne pas oublier de dire « pour l’homme », « du point de vue de l’homme » seul point de vue adoptable par les hommes.
Voilà une première conséquence de la révolution copernicienne, rendre compte de l’adoption de tout “point de vue”, d’un point de vue humain. Le “point de vue” humain serait-il là un “méta point de vue”?
Si c’est le cas alors il ouvre à une véritable liberté de choix, en pleine conscience et capacité.
Le point de vue de l’homme
Le point de vue “intérieur” n’est pas celui d’une simple intériorité psychique, affective ou mentale, sensible ou imaginaire, subjective, ni celui d’une intériorité physique, liée aux fonctionnements bio-physico-chimiques du cerveau et du corps par exemple.
Le point de vue de l’homme se situe là où réside celui qui existe ainsi participant aussi au monde “extérieur”.
L’Humanisme Méthodologique nomme ce lieu l’Instance humaine, l’Instance de la personne là donc où ça se décide et ça s’assume (ce qu’évoque le terme d’instance).
Or s’il y a la possibilité de multiples choix, c’est qu’il y a une multiplicité de possibles en l’Instance humaine.
En définitive tout point de vue humain correspond à une “position” de l’Instance de la personne (partageable avec d’autres personnes) qui se traduit par des “positions” ou “points de vue extérieurs” qui en sont les repères, les indicateurs.
Ainsi le point de vue de l’homme n’annule pas les points de vue extérieurs mais au contraire en est la source et par là même en rend possible une liberté et une capacité de choix. Le paradoxe de la liberté est que si elle s’exerce dans un choix elle renonce aux autres possibles (mais pas à la liberté de remettre en question ses choix).
Or il y a des positions humaines qui obscurcissent les possibilités et d’autres qui les éclairent. Ce sont ces dernières que l’Humanisme Méthodologique favorise, non pour nier la possibilité des autres, mais pour pouvoir en différencier les conséquences.
C’est cela qui conduira à adopter le “Sens du bien commun” comme position intérieure et des figures du bien commun comme positions extérieures et ce pour chaque communauté humaine et l’humanité entière.
Qu’est-ce qu’un “point de vue” humain ?
La théorie anthropologique de l’Humanisme Méthodologique doit évidemment expliquer et rendre compte en pratique de ce qu’est un point de vue et de leur multiplicité.
Elle montre qu’il s’agit à chaque fois d’une position prise, d’une disposition intérieure orientée. On les retrouve d’ailleurs comme postulats, axiomatiques ou sources des “apories” dans les sciences et les philosophies et aussi comme paradigmes.
On les retrouve aussi dans tout ce qui est “positionnement”, “libre arbitre”, jugement, décision, détermination. A la position intérieure dans l’Instance va correspondre une position dans la réalité extérieure (individuelle et collective). La détermination se fait en soi et se traduit hors de soi.
En acte l’adoption d’un point de vue est une “centration”:
– centration en soi même en un lieu de l’Instance, une position intérieure une disposition d’être,
– co-centration avec d’autres qui adoptent et partagent la même centration,
– con-centration sur un objet, une situation, un objectif, une action, une idée, un sentiment, un moyen, une volonté et tout cela à la fois,
– centration sur un objet dans un contexte, une intention, un but mais tout cela toujours rapporté à un homme ou une communauté d’hommes, jamais “isolés” d’un “point de vue humain”.
Par exemple on considérera maintenant qu’il n’y a pas de problème en soi mais toujours le problème de quelqu’un ou d’une communauté (étroite ou très large) et donc relatif, comme le seront en conséquences, les solutions et, bien sûr, les modes d’action. Par contre on considérera que “poser un problème” c’est adopter un point de vue, une position, une disposition dans un acte de liberté et de responsabilité.
L’Humanisme Méthodologique qui éclaire cela (théoriquement et méthodologiquement) suggère d’adopter toujours le Sens du bien commun comme disposition relative. C’est là un humanisme, c’est-à-dire qu’est privilégié ce qui concoure au bien de l’homme dans une liberté de choix qui est à la fois finalité et condition de ce choix. Cela ouvre à des questions théoriques, éthiques et pratiques qu’il faut bien assumer depuis le plus fondamental au plus opérationnel comme le fait l’Humanisme Méthodologique.
Poly-centration, architecture de positionnements, hiérarchie des points de vue
La possibilité pour l’homme d’adopter différents points de vue interroge sur leur possible simultanéité. On imagine à quel morcellement, quel éclatement, quelles schizophrénie cela peut conduire.
On imagine aussi que cela puisse s’organiser en “moments de vie” différents ou en activités de “distraction” de certaines positions ou de “centration” sur d’autres avec de nombreux artifices facilitateurs (une adresse, une habitation, un nom, des lieux familiers, des cadres de vie, des rituels, des méthodes, des habitudes, des objets familiers, des sentiments, des idées, des conditions de vie privilégiées ou préférées, des rôles aussi…).
Il est possible, sous réserve d’en avoir la maîtrise ou de pouvoir bénéficier de celle d’autres humains, d’articuler c’est-à-dire de conjuguer différents points de vue. Passer de l’un à l’autre tout en gardant un méta point de vue sur l’ensemble. Faire varier certains paramètres d’un point de vue pour passer à des points de vue secondaires.
Dans tous les cas cela revient à adopter un point de vue comme centre organisateur d’une pluralité de points de vue. Cela réclame un niveau de maîtrise plus avancé qui est le fruit de la culture de positions favorables dans le Sens du bien commun.
On aperçoit là un visage de l’humanité dans cette capacité et la culture de cette capacité qui lui est propre.
Une définition de l’humanité de l’homme, englobant l’inconscience qui en fait le jouet d’autres et de déterminations méconnues et aussi le développement d’une maîtrise. Elle devient un enjeu majeur d’humanité dans toutes les situations de l’existence, individuelle et collective, le Sens même du progrès de l’humanité en chacun, en communautés, en tous.
Centrations, positions et points de vue intérieurs
Il nous faut éclairer maintenant ce qu’il en est des positions et dispositions d’être en l’Instance de la personne.
Nous le ferons de manière imagée sachant que ce qui est de l’Instance échappe à toute réduction dans un langage ou une réalité “extérieure”.
L’Instance est le lieu de “carrefours de Sens”. Autant de ces carrefours, autant de “problématiques humaines”, autant de verbes infinitifs.
Se tenir à l’un ou l’autre de ces carrefours est déjà une première position. Se tenir dans l’un des Sens de ce carrefour achève la prise de position, établi une “disposition d’être”.
Pourquoi ce carrefour là, on y reviendra plus loin mais disons que se pose la question de la communauté de partage de ce carrefour, de cette problématique, ce qui fonde dans un tel partage d’une part d’humanité, toute communauté humaine.
La question du choix de Sens renvoie à ce qui a été déjà évoqué,
– choisir le Sens qui permet de cultiver une plus grande concourance, une plus grande maîtrise, une plus grande liberté.,
– choisir le Sens du bien commun qui est le même Sens mais reconnu comme partagé par une communauté par laquelle se cultive et s’exerce cette liberté, une communauté de culture, une communauté de Sens, une communauté de devenir et de projet.
La question de centration personnelle nous renvoie avec l’Instance aux problématiques humaines qui sont justement ces carrefours où se pose la question du discernement, du choix et de l’adoption du “bon sens” tel que défini ci-dessus. Elle nous a amené à la question des consensus fondatrice de toute communauté.
Elle va nous amener à la question des réalités qui sont toujours des “réalités communes” faisant le lien entre position intérieure et position extérieures par la médiation du fait communautaire.
Il faut approfondir la théorie du Sens et des cohérences humaines pour comprendre tout cela.
On se contentera ici de quelques aperçus.
D’abord le Sens. L’Humanisme Méthodologique en fait le propre de l’homme d’où son importance pour tous les hommes même dans des reflets extérieurs.
Pas de connaissance sans significativité et donc Sens.
Pas de choix, de préférence, d’orientation sans valeurs et donc Sens.
Pas d’engagement, d ‘organisation, d’action sans rationalité et donc Sens.
Les positions de Sens sont simultanément épistémologiques, axiologiques, praxéologiques. Elles sont paradigmatiques. Changer de Sens c’est changer d’angle de vue avec toutes les conséquences sur ses registres précédents dont ils constituent le principe d’unité.
Les positions de “carrefours de Sens” sont des choix de communauté, de mondes, de situations où se joue, on l’a vu, le choix d’une position de Sens.
Une centration intérieure suppose les deux, choix d’un carrefour de Sens, choix d’un Sens au carrefour. Cela se fait inconsciemment mais peut se faire en toute conscience.
Les consensus communautaires relationnels constituent l’expérience humaine, l’extériorité, c’est-à-dire aussi l’ex-istence, tout ce qui se tient au dehors de l’Instance, de l’intériorité de l’homme.
L’Humanisme Méthodologique montre qu’une structure ternaire, dite cohérencielle, correspond à une trialectique sujet-objet-projet détermine la réalité extérieure et sa réalisation consciente.
Ainsi chaque “point de vue extérieur” pose une structure référentielle (un référentiel disent les scientifiques notamment après Galilée, Poincaré et Einstein) qui nait de l’expérience du Sens en consensus qui constitue et structure la “réalité commune”.
De ce fait cette réalité commune, sa structure cohérencielle de référence (ou référentiel) et tout point de vue qui s’y installe et l’adopte comme centre (centration) est-il le pendant, l’actualisation, la présentation ou la re-présentation d’un point de vue intérieur, partagé en consensus par une communauté humaine.
Il y en a “de proximité”, il y en a de “culturels” dans des collectivités, institutions, villes ou pays, il y en a d’universels s’il s’agit de la communauté humaine entière. Il ne faut pas confondre les champs de référence comme on le fait trop souvent.
La prétention à un point de vue strictement individuel, centré sur telle ou telle part de la réalité existentielle de l’individu, revendique une liberté propre en en ignorant le lieu en soi et oublie le fait communautaire sans lequel il n’y a pas de réalité individuelle (schizophrénie de l’individualisme systémique par exemple).
La prétention à un point de vue universel est trop souvent soit un fascisme individuel (partagé par la foule) soit le totalitarisme d’une position relative, culturelle, érigée en absolu sans accès aux sources intérieure de positionnement où se joue et se situe la liberté proprement humaine.
Évidemment la liberté de carrefour est celle du choix de communautés, non sans rapport avec les héritages, et la liberté de Sens est celle d’une position responsable. Elle réclame une certaine maîtrise, maîtrise dont c’est l’enjeu même du choix du “bon” Sens, Sens du bien commun. C’est ce qui s’exprime enfin dans tous les enjeux, les affaires et les situations humaines.
C’est donc comme cela et pour cela que l’Humanisme Méthodologique préconise l’adoption en toute circonstance du point de vue humain, pleinement humain sachant qu’il n’y en a d’autres que parce qu’ils s’ignorent comme humains mais aussi que le choix prête à conséquence tant sur la façon de voir les situations, de poser les problèmes et de les résoudre.
C’est pour cela que cet Humanisme doit être Méthodologique pour assurer les conséquences dans l’action.
C’est une ingénierie du Sens et des cohérences humaines qui est développée pour cela. Elle repose sur de tels principes. Positionnement et centration en sont des clés essentielles. Elle en assume aussi les implications : discernement de Sens, prises de position de Sens (direction), partage de Sens (travail de consensus), développement dans le Sens voulu (projets, réalisations, évaluation).
Cette ingénierie du Sens et des cohérences humaines se déploie ensuite dans tous les domaines avec leur problème, leur langage, leurs solutions, leur culture.
Cette flexibilité lui vient de cette position “transdisciplinaire” liée à l’adoption choisie de “points de vue” autant que nécessaire, fondés dans une transcendance, celle du Sens et de l’Instance et s’exprimant dans l’immanence des réalités existentielles.
Les conséquences du “point de vue de l’homme”
Elles sont considérables tant pour la pensée que l’action. Elles le sont pour répondre aux questions les plus aiguës du temps mais aussi aux intuitions les plus communes et les plus simples. Ce sont souvent les experts en référentiels extérieurs qui ont du mal à se centrer en eux mêmes, lâchant momentanément les prothèses mentales, affectives ou matérielles. Le point de vue de l’homme n’est pas en effet un artifice intellectuel mais une position intérieure, un rapport au monde et à soi-même. Il suppose de ne pas se tromper d’assise.
Alors on peut se demander dans quelles conditions ce “point de vue de l’homme”, si “révolutionnaire” notamment sur le plan théorique, peut être utile dans les affaires humaines. D’une part au travers de démarches et de méthodes repensées comme l’Humanisme Méthodologique en produit autant que l’on veut mais aussi avec des exigences de professionnalismes et de maîtrise professionnelles souvent oubliées mais pas si révolutionnaires que cela. Des techniques d’efficience humaine, basées sur la culture de l’intelligence symbolique en sont les meilleurs appuis.
Après ces considérations comment peut-on prétendre parler d’un autre lieu que de soi-même. Bien sûr en parler, parler de quelque chose, suppose qu’il y ait de l’autre que soi-même, ce qui fait que l’on peut dire « nous ». On l’a vu c’est par le conSensus que les phénomènes se réalisent…pour nous, mais c’est par inconscience que l’on y fixe le lieu de nos connaissances et points de vue. Cette erreur n’est d’ailleurs possible que parce que c’est de nous que se réalisent ces lieux qui appaissent autres parce que nous n’en sommes pas chacun le tout. Sans cela fixer un « point de vue », un centre explicatif hors de nous ne permettrait d’en tirer aucune considération. Cela confirme que ce type de position exocentrée ne se tiens que d’une position endocentrée qui s’ignore et donc ne s’assume pas. Parler « au nom de » ou « du point de vue de » qui n’est pas un « je » ou un « nous » est donc une erreur et même une imposture, posture fallacieuse, mensongère.
Il n’y a qu’à « lâge du Sens » que cela se révèle pleinement sauf pour le bon sens et les justes.