Evaluation et référentiels de valeurs

Communication au congrès international de Casablanca 20 avril 2005 CIMQUSEF 2005.

L’évaluation fait référence à un système de valeurs. Les valeurs sont des indicateurs du Sens du bien commun. Sur ces bases sont construits de façon concertée des référentiels de valeurs. La déclinaison locale d’un référentiel général permet de faciliter et assurer la cohérence des évaluations. L’évaluation devient une activité formatrice qui développe aussi une intelligence collective.

La question de l’évaluation dans l’éducation et la formation est l’une des plus banale qui soit. Et pourtant, c’est l’une des plus essentielles et des plus difficiles à comprendre et à maîtriser. Tout reste à faire dans ce domaine.

En effet le premier point à observer est le suivant; Il n’y a pas d’évaluation sans référence à la valeur, à des valeurs et c’est là une notion très difficile à définir et encore plus à utiliser. D’un côté l’intuition est souvent bonne conseillère pour apprécier des valeurs mais aussi source de graves erreurs de jugement. D’un autre côté on mesure des critères dont on ne sait pas s’ils sont significatifs ou ce qu’ils signifient.

Le Sens est la deuxième question de fond. Quel rapport entre Sens et valeurs? C’est là que l’apport de l’Humanisme Méthodologique est décisif.

Il répond d’abord à la question, qu’est ce que le Sens et sa réponse est que le Sens est le propre de l’homme, être de Sens. Il répond ensuite que tous les Sens ne se valent pas, ils donnent le pire ou le meilleur et qu’il faut poser la question du “bon Sens” ou du meilleur Sens possible.

Il faut s’arrêter là pour dire que les valeurs sont des indicateurs du Sens du bien commun et c’est là la définition que nous retiendrons. Cela suppose qu’il y ait une “communauté de référence” pour laquelle puisse être élucidé le Sens du bien commun différent de toute autre communauté. Cela suppose que l’on sache expliciter les valeurs de références correspondant au Sens du bien commun et comme on le verra, en construisant un référentiel de valeurs, outil de base de toute évaluation.

L’anthropologie de l’Humanisme Méthodologique nous donne les concepts mais aussi les méthodes pour renouveler profondément la conception et la pratique de l’évaluation.

Avant de rentrer dans le vif du sujet il nous faut encore alerter sur différents points.

Le flou habituel de la question du sens trop souvent réduite à une construction, à une production sans source et sans racines, sans héritage et donc sans avenir.

La question du “bon” Sens des enjeux et des actions humaines qui renvoie à celle des origines et des fins et en particulier à celle d’un accomplissement et d’une progression humaine qui justifie éducation et formation.

La nécessaire référence au “Sens du bien commun” qui demande de prendre en considération les communautés humaines et la complexité de leur construction.

La notion de valeur qui peut être attachée à n’importe quels Sens même les pires. L’éducation et la formation ne sont pas indifférentes à cette question du meilleur ou des pires Sens et aussi aux “valeurs” à la mode.

Nous allons entrer de façon schématique dans la découverte des propositions théoriques et pratique de l’Humanisme Méthodologique qui donne sans doute une importance et un contenu renouvelés à ces questions.

PREMIÈRE PARTIE : ÉTABLIR UN RÉFÉRENTIEL DE VALEUR POUR ÉVALUER

1) Le référentiel de valeurs

La première chose est de déterminer la communauté de référence dans laquelle se pose le problème de l’évaluation. C’est la condition pour pouvoir élucider ce qui est pour elle le Sens du bien commun. Cette première étape qui relève de méthodes d’élucidation de Sens (analyses de cohérences culturelles par exemple) a pour intérêt de prendre en considération la communauté humaine, ses racines, son devenir, son identité, sa culture propre. On ne peut évaluer sainement sur des critères abstraits indépendamment des enjeux et des oeuvres humaines qui sont toujours attachés à une communauté. C’est évidemment le cas de l’éducation et de la formation.

Le Sens du bien commun élucidé, c’est la trialectique sujet-objet-projet, structure de l’expérience humaine d’après l’Humanisme Méthodologique, qui va permettre d’expliciter le Sens du bien commun en termes de valeurs.

– Il y aura de ce fait une dimension subjective attachée aux valeurs ou, si on veut, des valeurs subjectives ou valeurs essentielles.

– Il y aura en outre une dimension objective avec des critères “objectifs” ou valeurs objectives comme dans l’économie ou la gestion par exemple.

– Il y aura enfin, et en conséquence des deux autres, une dimension projective avec les critères hiérarchisés d’une échelle de valeur à gravir pour atteindre à des buts. On parlera de valeurs projectives et d’échelle de valeurs.

Les valeurs sont des indicateurs du Sens du bien commun, leur expression appartient à la culture de la communauté de référence. Cependant elles expriment toujours des contributions au développement dans le Sens du bien commun.

Avec ces trois dimensions, ces trois types de valeurs, on a construit un référentiel de valeurs qui va permettre par la suite d’évaluer ce que l’on veut en conséquence. On soulignera que l’absence d’un des trois termes du référentiel met en péril toute évaluation, il suffit d’en faire l’expérience par la pensée. Par contre le référentiel peut être complété utilement par le choix de trois types de contributions au bien commun qui vont servir à illustrer le référentiel et donner corps à un usage collectif étayé.

Pour cela on identifiera:

– des rôles, des relations, des situations exemplaires,

– des faits, des événements, des actions, des comportements significatifs,

– des représentations, modèles, images, scènes qui font appel à l’imaginaire et facilitent l’identification.

C’est donc tout un bagage de matériaux issus de l’histoire communautaire, de l’actualité ou même d’ambitions prospectives qui est rassemblé pour donner de la chair au référentiel de valeur. En fait, toute évaluation va inscrire dans le référentiel de valeurs d’autres matériaux et l’ensemble constitue un “système de valeur” toujours structuré autour des trois dimensions de bases et porté par le Sens du bien commun de la communauté de référence.

Nous faisons appel ici à votre intuition et votre expérience pour donner corps à ces notions.

2) L’unité et la diversité des “valeurs de références” dans l’éducation et la formation

C’est un niveau de complexité supplémentaire qui est ici soulevé. En effet deux types de variables vont rapidement intervenir:

Quelle est la communauté de référence pour une évaluation?

La réponse est liée au fait majeur qu’il n’y a pas d’évaluation dans l’absolu pas plus d’ailleurs que d’éducation mais toujours dans une communauté de référence. Il faut donc s’attendre à devoir différencier les évaluations selon les communautés de référence avec leur système de valeur et leur référentiel propre. Un niveau national est évidemment pertinent, mais aussi un niveau régional, celui d’une institution et pourquoi pas d’une classe, d’un groupe, d’une équipe. Renoncer à confondre les évaluations et les référentiels est déjà une chose importante. Cependant la question du lien et de la cohérence entre les différentes communautés est aussi posée. On en verra les solutions.

Le deuxième type de variable correspond à la diversité de ce que l’on veut évaluer.

En matière d’éducation et de formation, cela peut être une institution, un projet pédagogique, un module, des apprentissages, des moyens, des connaissances, des compétences, etc. Le lien de cohérence entre les multiples évaluations possibles dans un même contexte est aussi un problème posé et donc à résoudre.

Ce que nous pouvons en dire là dans les deux cas c’est que l’on peut toujours évaluer par rapport à un référentiel général ou bien par rapport à un référentiel local qui est décliné du précédent.

Cela introduit deux choses:

– La possibilité d’établir des référentiels locaux à partir d’un référentiel général et on voit bien l’importance que cela prend dans des contextes complexes.

– La possibilité d’établir localement soit un référentiel local décliné d’un référentiel général ou bien un référentiel général spécifique, original. Les deux sont possibles.

3) Cohérence et déclinaison d’un référentiel de valeurs dans un établissement

Une fois construit le référentiel général il est possible ainsi de le décliner dans tous les aspects que l’on souhaite. On établira donc, si c’est justifié, des référentiels locaux par déclinaisons (application, traductions, transpositions) du référentiel général. Il est possible ainsi de multiplier les déclinaisons et de constituer un portefeuille de référentiels de valeurs cohérents et localement praticables.

Cet exercice peut donc être effectué à partir du plus haut niveau. On peut partir par exemple du niveau national (ou au-delà), construire un référentiel de valeurs et le décliner ensuite, par région, par institution, dans les institutions mais aussi selon tous les critères que l’on peut souhaiter. C’est la condition d’une cohérence nationale des évaluations, même les plus localisées. Par ailleurs il et possible d’établir des référentiels propres, originaux partout où on le souhaite et de les décliner ainsi autant que l’on veut, même au niveau les plus généraux. Cette réciprocité des points de vue d’évaluation ouvre d’ailleurs à des perspectives très nouvelles.

4) La concertation condition d’élaboration et de partage d’un système de valeur et de référentiels de valeurs

C’est une clé essentielle de l’élaboration de référentiels de valeurs et de l’évaluation. Il est en effet crucial que les valeurs soient partagées pour qu’une évaluation le soit. L’élaboration concertée des référentiels de valeurs est donc primordiale en même temps qu’elle génère un effet de consensus et de cohésion d’un grand intérêt. Il faut cependant se garder de vues simplistes consistant soit à enregistrer passivement ce qui est déjà établi, soit à faire abstraction de la discipline d’une référence constante au Sens du bien commun. Il importe aussi que la concertation se situe au niveau de responsabilité voulu.

La concertation présente un deuxième intérêt c’est de forger un langage commun pour établir des référentiels de valeurs et des systèmes de valeurs parlants, significatifs, loin des abstractions formelles ou des formules à la mode. Cela rendra possible des évaluations partagées et enrichissantes.

Enfin la concertation pour l’élaboration des référentiels et leur déclinaison apporte un apprentissage collectif d’un grand intérêt par rapport aux enjeux, aux structures, aux projets et tous les aspects envisagés ainsi qu’aux conditions et intérêts de l’évaluation.

C’est une sorte d’intelligence ou compétence collective qui est ainsi cultivée. C’est souvent une condition pour assumer ensemble la singularité humaine des situations au lieu de subir passivement la pression des conformismes.

DEUXIÈME PARTIE: L’ÉVALUATION DANS L’ÉDUCATION, L’ENSEIGNEMENT ET LA FORMATION

On a vu le caractère primordial de la définition des concepts et la construction des référentiels de valeurs. Nous allons nous pencher maintenant sur l’évaluation proprement dite pour en découvrir des aspects particulièrement importants.

1) Les trois modes d’évaluation

Pour évaluer quelque chose on va évidemment établir une comparaison avec un référentiel de valeur préalablement établi et concerté. Seulement ce n’est pas le même mode d’évaluation qui s‘attache aux valeurs subjectives, objectives et prospectives. Plus précisément l’évaluation devra se faire aussi dans un certain ordre.

D’abord un jugement de pertinence pour évaluer selon les valeurs subjectives, les valeurs essentielles donc. Il y faut exercer un discernement dont l’intuition n’est qu’une approche imparfaite et aussi un jugement qui suppose en outre une prise de responsabilité, ancrée au jugement. Est-ce que cela va dans le bon Sens? C’est, au fond, la question ici posée.

En second lieu c’est la question de cohérence qui implique les valeurs projectives et l’échelle de valeurs de référence. C’est un moyen d’apprécier la contribution aux buts fixés qui ne peut être ni du tout ou rien, ni valoir quoi que ce soit en dehors du cadre de référence projective. C’est aussi un moyen de situer une contribution particulière parmi d’autres et par rapport à un projet commun.

En troisième lieu c’est la mesure de performance qui intervient avec les critères objectifs. La mesure, expérience souvent plus familière, doit cependant être rapportée à la “performance » qui indique aussi un “degré de contribution” plutôt qu’un absolu.

Cette évaluation ternaire permet donc d’établir la valeur relativement à un référentiel de valeur. Il est assez évident qu’une évaluation concertée aura là un double intérêt de facilitation et aussi d’appropriation partagée.

2) Les trois moments de l’évaluation : avant, pendant, après

Évaluer un projet, une méthode, une démarche parait intéressant avant de s’engager. L’évaluation servira à optimiser l’action, la pédagogie, l’apprentissage et tout ce qui est préparation, anticipation.

Évaluer pendant l’action, pendant le déroulement d’un processus permet aussi un réajustement tant de la démarche que de l’engagement. L’évaluation est donc un moyen de pilotage de l’action, ou du travail d’apprentissage par exemple.

Enfin évaluer après l’action permet de porter une appréciation non seulement sur les conséquences ou résultats mais aussi sur les pratiques.

Cette analyse simple des moments de l’évaluation doit nous conduire à deux considérations:

– celle de l’organisation appropriée de points d’évaluation,

– celle d’une évaluation permanente qui va devenir, on le verra, une part majeure de la maîtrise professionnelle ou encore du travail éducatif.

3) Les trois fonctions de l’évaluation

Après tout, pourquoi évaluer, à quoi cela sert-il? Trois réponses complémentaires sont à apporter maintenant:

– L’évaluation est un moyen de développement de la conscience des choses et des connaissances. Elle au coeur même de l’acte d’apprendre.

L’évaluation permet le développement d’une meilleure maîtrise des choses et des situations pour mieux agir. Elle sert ainsi au développement des compétences et de la maturation personnelle et collective.

L’évaluation partagée permet de développer une plus grande “intelligence collective” à tous les niveaux de concernement et de responsabilité. A ce titre elle contribue à qualifier la participation au bien commun.

Ces trois considérations introduisent maintenant à nos conclusions.

CONCLUSIONS

– L’évaluation est une activité personnelle et collective. Elle ne peut être seulement l’une ou l’autre et encore moins le fait d’un dispositif mécanique ou programmé. En effet c’est bien dans le rapport du personnel au collectif qu’elle se joue.

– L’évaluation est au coeur de la fonction pédagogique elle-même, un vecteur majeur de l’acte d’apprendre, de savoir faire et de progrès collectif. Ce n’est donc pas un simple artifice accessoire.

– L’évaluation fondée sur la valeur et sur le Sens du bien commun a besoin, pour être développée, de compétences quelque peu nouvelles. Le discernement du Sens, la connaissance des valeurs humaines et leur infinies déclinaisons, la maîtrise de processus d’évaluation réclament la création d’une école du Sens, de la valeur et de l’évaluation.

Il faut bien en effet donner une valeur à l’évaluation et fonder les connaissances et les pratiques qui s’y attacheront à un haut niveau d’ambition. L’Humanisme Méthodologique propose un bagage conceptuel et méthodologique et une expérience à la hauteur d’une telle ambition.

La valeur des valeurs

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Le module de présentation de la Méthode des Référentiels de Valeurs Partagés est en ligne MRVP