L’eau bien public ou bien marchand
Une lecture humaniste de la problématique. Pour sortir du piège dualiste.
Dans un monde stable les mots valent par l’usage habituel qui en est fait. Dans un monde en mutation il faut avoir recours à leur Sens. Les formules hâtives risquent d’obscurcir la compréhension des situations et paralyser l’action ou l’entraîner dans des errances préjudiciables à tous.
Aramon, trois mètres d’eau dans ce village du Gard le 9 Septembre 2002. Distribution d’eau en bouteille aux habitants. L’eau ; bien public ou bien marchand ? On voit que ces notions sont ici inadéquates. L’eau n’est pas toujours un bien, bien public et bien marchand ne sont pas toujours opposables.
Les rapports à l’eau sont souvent chargés d’imaginaire, de sentiments, de passions même. La raison technique quelque fois s’en empare et tente illusoirement de s’abstraire de toute subjectivité. C’est pour cela qu’un effort de discernement de la problématique ici soulevée est indispensable.
Il est possible de la lire en quatre sens différents, chacun ayant sa cohérence interne, sa logique et ses conséquences pratiques.
L’eau écologique
Elle est conçue comme une matière circulant au travers de processus d’échanges et de transformation et catalysant des phénomènes naturels physiques ou biologiques.
Le système naturel qui se définit en soi, vaudrait pour lui même et ne devrait pas être perturbé par des interventions ou des prélèvements « contre nature » forcément dégradants.
Dans cette vision la valeur de « bien naturel » ne peut être définie ou rapportée à aucune activité humaine ou aucun usage. Seuls ceux qui seraient mandatés pour assurer la préservation du système naturel pourraient dire quel usage est compatible ou non avec lui. De ce fait l’eau ne peut être un bien particulier, ni un bien communautaire. Elle est posée comme bien universel à mettre sous le contrôle de ceux qui auraient mandat de « gérer l’universel ». Qui ? Là est le problème, celui de la mise en question de la démocratie au nom de cet universel.
L’eau, ressource précieuse
Elle est conçue comme une substance porteuse de richesses de pouvoirs, de puissances. Sa possession est donc l’objet de tous les enjeux et de ce fait les jeux de pouvoir, d’emprise, d’appropriation de la ressource sont à la base des systèmes de valeur qui s’y attachent. Un bien est là précieux lorsqu’il n’est pas accessible à tous.
L’accaparement est le mobile de l’action organisant le conflit entre tous les « intérêts particuliers » (conflits d’usages) et légitimant un « intérêt général » par opposition aux jeux des intérêts particuliers avec lesquels il rentre à son tour en conflit.
C’est alors l’intensité du conflit qui fait monter la valeur de l’eau et qui en fait un bien. L’organisation par les uns de la pénurie pour les autres se fait au nom de l’intérêt général le plus souvent. Il en va de même lorsque la pénurie est systématiquement annoncée insistant sur la fragilité de la ressource et la malignité des acteurs.
Bien public et bien marchand sont alors ici deux conceptions antagonistes de l’appropriation de la ressource. La valeur du bien nait du conflit, pas de la jouissance. C’est pour cela que l’eau est ici considérée comme un patrimoine dont il faut s’assurer du contrôle, jeu de puissance et d’emprise fort en usage actuellement.
L’eau moyen utilitaire
L’eau vaut ici par ses propriétés utiles aux activités humaines économiques, esthétiques, ludiques, biologiques, etc.
Sa valeur est donc qualifiée et mesurée par ces utilités. L’eau n’a pas de valeur en soi mais uniquement par les usages qu’elle permet.
La gestion des questions d’eau relève des mêmes rationalités que la gestion des activités humaines : mesure, prudence, efficacité, rationalité.
On ne peut plus dire que l’eau est un bien en soi, ni public, ni marchand puisqu’il n’y a rien de commun entre l’eau qui sert à l’évacuation des déchets (égout), l’eau minérale vendue en bouteilles, l’eau d’un lac, celle qui fait tourner des turbines hydro électriques, etc.
Il y a des usages publics, des usages particuliers et des prestataires de services qui répondent à leurs besoins.
L’eau au service du bien commun
Dans cette optique la poursuite du bien commun est le critère de toutes valeurs. Il n’y a de bien que de ce qui y contribue, qui le sert.
L’eau fait partie des biens d’une communauté autant qu’elle en sert les fins. Elle vaut non en tant que substance mais en tant que service potentiel.
Or le service du bien commun est affaire de chaque communauté (et communauté de communautés). Il est le critère de participation responsable à la vie communautaire (citoyenneté). Le bien commun ne s’évalue en final qu’à la mesure du service des membres de la communauté en tant que tels.
Ici le seul critère c’est la mesure de la contribution au bien commun.
Chaque communauté a donc à en définir les enjeux et les modalités qui lui sont propres, dire ce qui est service public marchand, service public non marchand, service assuré par des particuliers ou des entreprises, services assurés par des organisations communautaires.
Il n’y a de réponse que dans la culture propre à chaque communauté et cette réponse relève du politique et seulement du politique. C’est sa vocation même.
Définir une politique de l’eau, c’est prendre une position qui a un Sens et dont la mise en œuvre sera alors cohérente.
Conclusions
Choisir parmi ces quatre Sens, c’est un choix politique par excellence. Cependant en cette période de crise du Sens, il est temps aussi de faire la différence entre :
– Une conception humaniste du politique au service de la communauté (la cité) où l’eau vaut en tant qu’elle sert le bien commun.
– Une conception archaïque du politique, affrontement des volontés de puissance où l’eau est une ressource précieuse à accaparer (privation des autres).
– Une conception naturaliste du politique, régulation des systèmes naturels et de l’eau écologique.
– Une conception idéaliste et utilitaire du politique, organisateur et gestionnaire des activités humaines et de l’eau utilitaire.
Pour l’Humanisme Méthodologique, dont s’inspire cette analyse, l’eau n’est pas un bien en soi. Ce qui vaut c’est le service du bien commun quelque soient ceux qui l’assurent ou en bénéficient. C’est ce qui doit focaliser les intelligences et les compétences. Le Sens du bien commun s’exprime notamment dans la projection dans le futur du Sens de la communauté c’est-à-dire son projet. Encore faut-il que la communauté ait une identité, puisse dire « nous ». Ce sont donc les deux préalables à toute politique de l’eau : l’identité collective de la communauté territoriale, sa projection dans le futur au travers de son projet de développement sans lesquels le Sens du bien commun ne peut être défini et par suite la valeur de l’eau faute d’échelle de valeur communautaire. En déposséder la communauté relève toujours d’une autre logique dont on peut montrer qu’elles ont toutes un fondement anti-humaniste.
Pour en savoir plus sur l’Humanisme Méthodologique et l’approche des territoires et politiques territoriales : http://www.journal.coherences.com