Doctrine de l’armée de terre
Il y a quelques années l’armée du terre a été amenée à repenser sa doctrine remettant en question fondamentalement des décennies d’expériences et de traditions. Ces réflexions d’une haute tenue se sont trouvées alimentées par l’expérience de la Bosnie. La question du Sens y est placée au premier plan.
Un guide et deux directives en ont été tirées qu’il m’a été donné de commenter en son temps ce qui donne un aperçu de ce qui y est en question. En la matière comme en d’autres les citoyens de ce pays ne sont guère informés de questions qui les concernent. Est-ce le fait d’un peuple tenu trop longtemps sous tutelle par une République jacobine peu démocratique où celui d’un peuple tenu sous un régime de terrorisme intellectuel qui l’a rendu incapable de discuter publiquement de choses essentielles.
I – COMMENTAIRES DU GUIDE
Il est clair que les commentaires ci-après ne peuvent être tenu du lieu d’une position de compétence vis-à-vis de la chose militaire. Ils sont tenus du lieu d’une position (l’Humanisme Méthodologique) appuyée sur :
une anthropologie fondamentale qui envisage le phénomène humain en question,
une théorie du Sens comme principe d’humanité (l’homme est un être de Sens) qui éclaire sous un jour particulier le phénomène humain (1),
leur application dans une lecture des phénomènes de notre époque, (mutation et entrée dans un “âge du Sens” après un “âge de la Raison”) et dans une “ingénierie du Sens” qui considère dans toute situation pratique :
– la question du discernement des Sens comme principes de connaissance et d’intelligence des situations et des problématiques.
– la question de la détermination du Sens, personnel et collectif, comme principe d’autorité de direction et de responsabilité décisionnelle,
– la question de l’engagement du Sens comme principe de toute action stratégique, opérationnelle, pédagogique, coercitive, etc…
Ces trois dimensions structurent la question de la maîtrise :
– celle du service (de la nation)
– celle de l’institution (Armée de Terre)
– celle de l’action (constitution et emploi de la force).
PREMIÈRES OBSERVATIONS
1) Le texte témoigne d’une pertinence radicale avec les problématiques du moment: mutation, situations, incertitudes, ce qui pose évidemment le problème du caractère “avancé” des questions soulevées par rapport à d’autres acteurs (internes ou externes à l’armée) qui n’ont pas forcément une vision cohérente de ce qui se produit et des problématiques essentielles.
2) Le document s’engage dans une position qui place le Sens en tant que “… l’essentiel, la clé de voûte…”. Ceci est la marque d’un “dépassement” d’une culture de la Raison qui pose un double problème en tant qu’un des enjeux de la mutation et en tant que référent prédominant de la culture nationale française.
3) Deux problématiques prédominent :
– La problématique de “communauté” qui se retrouve aussi bien dans le rapport : Communauté nationale, communauté militaire, le rapport individu/communauté citoyenneté et surtout tout ce qui relève du “groupe armé” et des rôles et responsabilités qui y sont assumés.
– La problématique de l’emploi de la force tant vis-à-vis des situations qui le réclament que des conditions de son exercice: maîtrise de la violence, maîtrise de la force.
4) Deux champs de préoccupations sont plus implicites bien que clairement posés :
– Celui du bouleversement des situations dans ce contexte de mutation,
– Celui de la “refondation” culturelle que tout cela implique pour l’Armée de Terre ne laissant échapper aucune des dimensions de cette culture et en particulier :
– sur le plan relationnel et communautaire,
– sur le plan des représentations identificatoires et cognitives,
– sur le plan de l’organisation et du fonctionnement de toutes ses activités.
5) En conséquence il semble que la réflexion et l’action inspirés par les principes refondateurs dont le guide fait état, doivent être soutenues :
– par un effort continu d’analyse et de compréhension de la mutation et des bouleversements engagés,
– par un effort continu de “mutation culturelle” de l’Armée de Terre qui suppose une formation – appropriation en même temps qu’une formation – action pour réinventer les nouvelles compétences, ainsi que les nouveaux rôles et comportements.
II – QUELQUES ÉCLAIRAGES
La lecture que nous pouvons faire des questions en jeu est facilitée par des analyses résultant de l’application de la théorie des Sens et des Cohérences Humaines.
La première porte sur la théorie des âges et de l’évolution humaine qui éclaire particulièrement les enjeux de la mutation, l’émergence de la centralité de la question du Sens et l’importance décisive du renouvellement des questions de communauté.
La seconde porte sur cette question de communautés. Lorsqu’elles sont reconnues comme “communautés de Sens” cela permet de réenvisager les différents aspects qui en sont évoqués dans le document.
La troisième analyse porte sur la question de la “maîtrise de la force” qui renvoie à des questions anthropologiques théoriques et pratiques d’une grande actualité.
A – THÉORIE DES ÂGES ET DE L’EVOLUTION HUMAINE POUR ÉCLAIRER ENJEUX ET NATURE DE LA MUTATION
Le fondement et l’ampleur de la question sont tels qu’il ne peut être question ici que d’indications lapidaires. Cela nécessite de poser quelques jalons théoriques préalables.
1) La théorie des Cohérences Humaines postule que l’homme est un “être de Sens” (un autre mot pour esprit, d’une “âme spirituelle” par exemple). Les Sens sont imaginables comme des positions ou dispositions orientées selon lesquelles se rencontrent les autres (conSensus faisant relations et communautés de Sens), se “réalise” le monde (entendement et production ou transformation) et s’évaluent les devenirs (valeurs, éthique, directions…).
2) Toutes les réalités d’expérience humaines sont, au fond, expérience de Sens partagés et, dans leur consistance, constituées des contenus même de l’expérience humaine dont les trois plans de base sont :
– l’affectivité ou expérience de l’éprouvé,
– le factuel ou expérience du fait matérialisé,
– le mental ou expérience des représentations.
Les trois plans sont comme les faces indissociables d’une même expérience. Le Sens (des êtres humains) est “transcendant” à cette expérience qui n’en est que l’effet (effet de ConSensus).
3) La théorie (Théorie des Cohérences Humaines) montre que cette expérience en trois plans est structurée par trois vecteurs :
– Le vecteur intentionnel, expérience d’être sujet, lieu de Sens, de vouloir, d’initiative, de maîtrise… (expérience subjective).
– Le vecteur attentionnel, expérience qu’il y a de l’autre, du distinct qui en sont “objets de considération” (expérience objective).
– Le vecteur rationnel, expérience de l’ordonnancement d’objets selon un même Sens, une même logique, une ratio dans l’espace temps (expérience projective).
4) L’expérience du temps, de l’historicité et de la progression de cette histoire dans une évolution en découlent si bien qu’une séquence de phases et de seuils d’évolution humaine peut être dégagée.
5) Trajectoire d’évolution :
1° Phase : l’expérience “archaïque” structurante, celle des affects (ex: période de gestation, voir “Boris Cyrulnick” la naissance du Sens).
Expérience première fondatrice mais aussi enjeu de régressions.
La réalité y est confusionnelle, pulsive, magnifiée ou terrifiante, nuancée ou contrastée.
1° Seuil : Distinction, séparation, objectivation, sortir de la confusion naissance-renaissance ambivalence progression-régression.
2° Phase : Le factuel, les faits et leurs effets, expérience des corps, des opérations, de la production matérielle, des choses et de leur gestion. L’affectif semble au début régir le factuel s’y exprimer, ou en être l’enjeu.
Vision du monde comme un monde de choses (bonnes ou mauvaises) en interaction. Les hommes comme choses, monde du “court” terme: l’âge du faire.
2° Seuil : Rationalisation, ordonnancement, raisons des choses, individualisation dans un corps social. Seuil “d’adolescence”, projections individuelles dans un cadre collectif, ambivalence (jouer avec les choses ou tenir une place dans la société).
3° Phase : Le mental, l’âge des représentations, images, identités, modèles, savoirs, cadres sociaux, fonctions, organigrammes, idées, idéaux, visions, schémas… La raison y est l’instrument de maîtrise dans un monde du “moyen terme”.
Cette expérience du monde comme représentations devient schyzophrénique lorsqu’elle se sépare du factuel et/ou de l’affectif. Un des problèmes de notre époque identifiant le réel à ses représentations (ex. les lois mathématiques de la physique, l’autonomie des institutions ou des idées, la déification de la Raison, l’autoréférence des savoirs universitaires, etc…).
3° Seuil : Le seuil de maturescence, maîtrise de l’intentionalité, de la question du Sens, de la position de vie ou d’engagement, dépassement de la “suffisance” des représentations.
4° Phase : l’âge du Sens comme principe gouvernant les représentations des faits éprouvés. Le Sens principe intégrateur (axe de cohérence).
Les communautés humaines sont des communautés de Sens partagés (con-Sensus). Les rôles se définissent par rapport aux “réalisations” d’un monde commun, à la poursuite du bien commun, au concours à l’évolution des personnes et des groupes au travers des âges, aux missions de protection, sécurité, régulation, rétablissement, etc. qui permettent aux communautés de Sens d’accomplir leur évolution, leur vocation, vis-à-vis d’elles-mêmes et des autres communautés.
6) La mutation. Le passage du seuil de maturescence est une continuité et une rupture. Continuité d’évolution, rupture par rapport au niveau d’appréhension et de maîtrise de l’essentiel et au terrain principal de la maîtrise (âge du Sens après l’âge de la Raison)(2).
Caractéristiques :
Crise des représentations (3) : La représentation, le modèle, l’idée peuvent être indicateurs de Sens mais ne sont pas le Sens (ex: l’idée de démocratie ne dit pas le Sens de la démocratie, cf. élections “démocratiques” de dictateurs).
La “suffisance” des modèles, références et surtout de la “Raison” sont mises en question.
Réactions de défenses, crispations sur des références antérieures, régressions au factuel et à l’archaïque, fuite en avant dans la vanité des représentations, proliférations médiatiques, réglementaires, discours, images, flash, etc.
Son dépassement réclame d’affronter la crise de Sens et non de la fuir.
Sentiment de perte de Sens, d’égarement (ça va dans tous les Sens). Quête de Sens: valeurs, orientations, significations, vocations. Sollicitation d’engagement personnel, responsabilité (de Sens), autorité (de position de Sens).
Remises en question et refondations. C’est un signe de maturité lorsque c’est assumé. Tous les domaines du monde précédent sont et seront mis en question pour être refondés (politique, droit et justice, armée, économie, familles, nations, métiers, religions, sciences, technologies, trajectoires de vie…).
Le Sens et le ConSensus sont principes et conditions refondatrices.
Conclusions
La plupart des thèmes du guide et des problèmes abordés peuvent trouver là des éléments d’éclairage de leur actualité.
B – LE TEMPS DES COMMUNAUTES DE SENS
La notion de communauté (humaine) ne peut être comprise qu’en rapport avec une vision de l’homme. Une “communauté” d’objets physico-chimiques ne peut répondre qu’aux lois de la physique et de la chimie, une communauté humaine ne peut être que de “nature humaine” (3).
A l’âge de la Raison, la communauté humaine se veut produit de Raison commune d’où l’importance du droit (constitution) et du rôle d’un État structurant rationalisant.
A l’âge du Sens la communauté humaine est d’abord communauté de Sens (Con-Sensus) et se “réalise” comme un monde associant (au mieux) le plan des affects, le plan des faits (territoires, biens matériels, usages…), le plan des représentations (constitution, règles, cadres, droit, institution, identité(s)).
A l’âge du Sens, la “mondialisation” peut faire découvrir la “communauté humaine” dans son ensemble mais aussi la pluralité des communautés humaines ayant chacune leur “monde”.
Chaque personne participe de plusieurs communautés (plusieurs mondes) non exclusives, ni forcément inclusives.
(France et Europe ni ne s’excluent, ni ne s’incluent, on notera que pour l’Europe la France est une des parties de son monde et que pour la France l’Europe est une partie de son monde. On notera là le problème du rapport entre communautés qui ne répond pas aux principes d’inclusion/exclusion du monde physique. C’est une question de “position de référence” et donc éventuellement de choix, simple ou complexe).
Dans cette perspective quatre réflexions majeures :
– le problème des cultures, de leurs Sens et de leur vocation,
– le problème de la nation,
– le problème de l’Armée dans la nation
– le problème du rapport personne, communauté.
Le problème des cultures, de leurs Sens et de leur vocation
Les communautés humaines sont des communautés de Sens (ensembles de Sens partagés —> Con-Sensus) qui se “réalisent” en tant que mondes dont les dimensions sont affectives, factuelles, mentales et leurs multiples contenus.
Leur réalité est culturelle en tant qu’elle est un monde, une “terre” à cultiver, un espace d’habitus dont le culte renforce l’appartenance, un enjeu de devenir où se cultivent des valeurs, vertus et qualités humaines.
Cependant (et c’est là un apport important de la théorie) chaque communauté humaine est fondée sur une problématique humaine qui est une part d’humanité. Cette problématique humaine se présente comme un ensemble de Sens où se côtoient les pires et les meilleurs se “réalisant” chacun différemment (1).
Les uns renforceront tels ou tels travers dont l’aveuglement, la négation de l’autre, d’autres au contraire favoriseront la conscience, l’évolution, la maturation, l’autonomie et la responsabilité et le service.
On peut montrer que chaque communauté humaine porte en elle une “vocation”, son meilleur Sens parmi tous les autres possibles.
Cette question est très importante parce que chaque communauté peut être provoquée, encouragée dans son meilleur Sens ou dans d’autres, dans sa capacité et son identité la meilleure ou dans ses pires travers. Elle peut être plus ou moins capable de se tenir dans l’un ou l’autre Sens selon sa maturité, les leaders dont elle s’est dotée et aussi les attitudes des autres communautés.
Une paix durable suppose le recouvrement par une communauté de Sens de sa vocation en rapport avec d’autres communautés se tenant dans la leur propre.
Si, bien sur, les difficultés inhérentes à la possible maturité de cette tenue sont grande (et peuvent réclamer force et coercition mais aussi pédagogie et encouragement) la tenue de tout autre Sens même si elle semble supprimer la violence patente ne peut déboucher sur une paix durable. (C’est un grand chapitre de réflexion, la notion de paix a plusieurs Sens dont tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, nient l’altérité de l’autre communauté vont tôt ou tard à l’échec).
Étant possible d’élucider le Sens de la vocation d’une communauté culturelle il est pensable de construire des stratégies de paix en conséquence désactivant ainsi les autres Sens générateurs de violence.
Cette approche des communautés culturelles et leur vocation est riche de très nombreuses ressources pour comprendre les situations, les spécificités culturelles et les voies et moyens de “cultiver” une vocation collective.
Ceci est valable pour les nations, les institutions, les organisations et tous les groupes humains.
La nation. Allant vers une généralisation des “communautés de Sens” (d’affinité, d’intérêt, de projet, de devenir, de valeur, de destin, etc.) et une plus grande autonomie des choix personnels de participation, se pose la question de l’intérêt d’une communauté spécifique: la nation (remise en question de toute part comme seule communauté de référence).
La nation a pu quelques fois être pensée comme la seule communauté légitime, source du droit et souvent négatrice de toute altérité. Cette remise en question est d’un côté salutaire, mais tout l’édifice sur lequel repose l’Armée risquerait de s’effondrer ou aller effectivement vers une “banalisation”. Toute communauté, même mafieuse, pourrait se constituer une armée, c’est en route.
Par ailleurs le terme de “nation” qui renvoie justement à “nature”, “naissance” donne une piste pour la légitimité de sa spécificité.
En effet, si une autonomie des personnes se développe, elle n’est pas un donné mais le fruit d’un long chemin d’éducation, de culture et d’accomplissement. On ne naît pas autonome mais comme porteur d’une réalité déjà là d’un monde déjà là, dans lequel nous avons en général à nous construire.
Ce monde déjà là est spécialement celui de la nation posé comme recevant la personne “venue au monde” et lui offrant (collectivement) les cadres d’éducation, de vie collective, de défense et d’engagements qui permettront de grandir, humainement parlant.
De fait parmi les communautés auxquelles les personnes participent, la nation joue un rôle privilégié, relatif certes mais en général unique pour la plupart.
Si fondamentalement la nation est une communauté comme une autre, elle est pour l’existence et le développement humain celle qui offre spécifiquement les cadres et les conditions nécessaires. Entre l’absolutisation de la nation et sa négation, il y a place pour une refondation de l’idée de nation. Ce n’est qu’un rééclairage, un nouveau regard permis par l’entrée dans un “âge du Sens” qui montre aussi que c’était “déjà là” mais non encore aperçu dans sa plénitude.
Ayant aperçu la vocation des nations, chacune dans sa culture, son monde propre, on en découvrira d’autant plus facilement les déviances de tous ordres (nationalismes paranoïaques, rivalités immatures, banalisations stérilisantes…).
Ainsi si les hommes participent de multiples communautés, ils ont intérêt à privilégier celles qui, pour chacun, offre un monde dans lequel il pourra grandir pour y être “venu au monde” et y avoir été accueilli.
Seulement la communauté nationale est avant tout une communauté de Sens (des Sens humains partagés) et secondairement un monde qui peut être changeant.
Ainsi la liaison, nation/territoire, n’est-elle plus un absolu (on en voit les impasses).
Une communauté est plus un foyer qu’un espace clos, elle a besoin d’un centre (de référence) plus que de frontières. Cela résoudrait quelques problèmes autrement insolubles.
Le rapport de l’Armée avec la nation
Il est évidemment dépendant de la conception de cette dernière notion et donc de l’évolution ou de l’approfondissement de celle-ci.
Dans l’optique qui est la nôtre on voit bien comment une nation peut légitimement se doter d’une armée, on voit bien aussi que cette nation peut être tentée d’employer cette armée dans l’un quelconque de ses Sens les pires ou les meilleurs.
On voit bien qu’identifier de façon préférentielle la nation à ses “valeurs” essentielles (celles de sa vocation…) est crucial. On voit bien le grave problème de responsabilité des dirigeants d’une armée (ou tout autre institution nationale mais aussi tout citoyen responsable) de servir la nation (c’est-à-dire la communauté nationale). Mais servir c’est contribuer au bien, au bien commun, c’est-à-dire à la vocation singulière (interne et externe) et non pas au pire.
C’est là un problème qui ne devient pensable qu’avec l’âge du Sens, le Sens du bien commun devient identifiable (le Sens de la vocation propre), le Sens de l’engagement devient repérable et la cohérence de l’institution et de son action intelligible.
Quelle est le Sens de la vocation (Sens du bien commun) de la nation française ? On en a des signes, reste à en élucider le Sens (c’est possible avec les études de cohérences culturelles).
L’armée peut donc être une expression de la nation, l’une de ses fonctions vis-à-vis de ses membres et des autres communautés humaines selon cette vocation propre. Elle est cependant aussi une communauté humaine. Cela pose le problème théorique et pratique de l’articulation de deux communautés envisagé par exemple entre la France et l’Europe.
Si d’un côté l’armée est l’émanation de la communauté nationale, notamment dans une de ses fonctions au service de sa vocation, elle est d’un autre côté une communauté propre, responsable et qui à ce titre ne peut qu’assumer cette responsabilité vis-à-vis de la nation elle-même le cas échéant (comme toute autre institution nationale ou tout responsable, es-qualité).
Ainsi l’armée comme toute autre communauté nationale a-t-elle une responsabilité non seulement dans l’accomplissement de la vocation commune mais aussi dans la poursuite de cette vocation plutôt que toute autre tendance.
Cela demande évidemment de repenser la question du pouvoir politique et de la démocratie à l’âge du Sens ce qui fait partie des refondations en question dans la mutation actuelle.
La “grande muette” doit tenir une parole parmi les paroles à tenir des responsables du devenir de la nation.
Parole intra-nationale dans la vie de la cité, parole extra-nationale dans le concert des nations. On sait le sujet délicat mais à repenser néanmoins.
Le problème du rapport personne/communauté
Pourquoi l’armée doit-elle être conçue comme une communauté et pas un instrument ?
Parce qu’à l’âge du Sens tout groupe humain engagé dans une mission ou une action est une communauté d’engagement, de Sens, de projet, de devenir… et c’est à l’anthropologie des communautés humaines qu’il faut avoir recours pour les penser, les diriger, les conprendre et les évaluer.
Ensuite, pour des raisons particulières liées au fait que la spécificité de l’engagement militaire est une épreuve que seule la communauté permet d’assumer.
Le rapport personne/communauté doit être éclairé pour être éventuellement étendu aux cas: petit groupe – communauté ou communauté – communauté plus large.
En tant qu’être de Sens la personne ne peut établir de relation, au fond, qu’avec ce qu’il en est de la nature humaine: les Sens. Toute relation est, au fond, ConSensus, évidemment le plus souvent inconscient dans son essence. Son Sens peut être tel que la relation puisse même dans certain cas apparaître comme durablement conflictuelle (5).
Toutes les relations humaines interpersonnelles et même professionnelles relèvent de ce principe. Cette question devra être reprise pour ce qui concerne les rôles d’autorité.
Une communauté humaine est une communauté de consensus, le(s) Sens en constituant le lien.
Or c’est l’expérience personnelle et donc en quelque sorte partagée de ce qui est, au fond, conSensus qui est “réalisée” sous les formes de la réalité (6). Cela constitue le monde commun, les choses et les situations, les affects et sensibilités, les représentations communes mais aussi les existences individuelles et leurs interactions.
De ce fait, les personnes si elles sont être de Sens en elles-mêmes n’existent, en tant qu’individu, que par et dans la communauté. Cette existence au monde commun est le théâtre où s’engagent les péripéties de l’existence selon les Sens sous-jacents qui en sont les clés essentielles. La vie et la mort mais aussi l’accomplissement de soi et celui de la vocation commune s’y développent.
Ainsi rien de l’existence d’un individu ne se tient sans la (les) communauté(s) où il existe. N’ayant pas une parfaite maîtrise de cela tout ce qui touche aux questions essentielles de l’existence nécessite particulièrement une réassurance collective et au-delà le service d’une aide à une plus grande maturité et une plus grande maîtrise.
Si l’homme parfaitement accompli se tiendrait de lui même, dans ce monde il ne peut se tenir que par les autres, la communauté et tous les rôles et fonctions dont elle se dote culturellement à cet effet.
On notera que selon le niveau de maturité le lien “d’appartenance” assurant la cohésion sera vécu sur le monde affectif, factuel ou celui des représentations (identitaire). Il est de toute façon de tous ces registres et s’y exprime. Il importe néanmoins de ne pas donner à l’un ou l’autre le rôle de fondation qui est celui du Sens.
Il faut maintenant souligner qu’une personne qui s’identifie à ses seuls modes d’existence n’a pas de liberté quant à cette existence. Il lui faut soit être guidée, soit errer au fil des modes et des conventions qui font autant de certitudes.
S’il y a un certain discernement du Sens, expérience banale et extraordinaire, donc une liberté de Sens par rapport aux tendances dominantes de la communauté, s’instaure par suite la possibilité d’un choix et d’un engagement qui n’est pas forcément dans le Sens du courant et qui peut néanmoins se tenir malgré certaines influences fortes.
Alors s’instaure le rôle d’autorité (auteur de sa position) de responsabilité (répondre de l’engagement du Sens). Il est ainsi un rôle de repère (de Sens) aidant d’autres à se tenir et ainsi il permet une hiérarchie de repérages et d’encadrement telle que la chaîne hiérarchique puisse se tenir dans le meilleur Sens.
Ce tenir dans un Sens c’est pro-voquer autrui au con-Sensus.
Cela est vécu comme provocation ou comme soutien. Cette tenue oriente la réalité commune (lui donne Sens), l’explique, la projette et mobilise. C’est le rôle dirigeant. Elle interpelle et invite au cheminement et, par la quête de Sens au discernement (des Sens), à l’engagement (responsable) (7).
Évidemment comme cela une communauté peut “élire” celui qui incarne son Sens dominant, fusse-t-il le pire. De même celui qui se tient dans un Sens influence dans ce Sens la communauté (dans une mesure qui dépend de la “puissance de ConSensus” dont il dispose).
Le travail dans la communauté ou à l’égard d’autres communautés dépend de cette “puissance de ConSensus”.
C’est tout le champ de la pratique qui s’y fonde.
C – LA VIOLENCE ET LA FORCE MAÎTRISÉE
Ces questions peuvent être revues sous un nouvel angle du point de vue du phénomène humain, phénomène de Sens.
On peut définir la violence comme un viol de l’altérité, un déni d’être.
La personne est atteinte par la médiation de son existence tant de son individualité que de son monde. L’une et l’autre en sont les cibles. Ces cibles sont de la consistance même de la réalité d’expérience humaine :
– affective,
– physique,
– mentale.
L’acte de violence emprunte plus ou moins les trois vecteurs pour atteindre à l’Etre.
La terreur est affect, la destruction physique est factuelle, la disqualification identitaire est mentale. Les trois sont solidaires.
Étrangement le troisième vecteur n’est pas souvent considéré comme celui d’une violence avérée or il porte atteinte à la réalité humaine et peut être le vecteur du déni d’être.
La violence procède aussi de la réduction de l’être à tel ou tel de ses modes existentiels. Par exemple, l’affect peut être un lieu de gratification négateur d’être (étouffement de la personnalité), la gratification factuelle peut être aussi un déni d’être aliénant, la gratification narcissique (identitaire) peut être aussi une violence lorsqu’elle nie l’être qu’elle réduit à cela.
Cette analyse est importante parce que les formes et les modes de la violence, viol de l’altérité, expriment aussi un auto déni d’être autre. Celui-ci est souvent la réaction à une violence subie.
Si l’on veut maîtriser la violence, en comprendre les sources et les mécanismes n’est pas inutile.
La réassurance est certainement la meilleure façon d’éteindre la source de violence. Cependant les situations de violence sont les plus difficiles à maîtriser, en soi-même tout d’abord.
C’est donc en lui-même que le corps armé a à résoudre le plus difficile pour maîtriser la violence des autres.
Il y faut une force qui est simultanément cette force intérieure que confère la maîtrise et cette force extérieure qui exerce une tenue à laquelle les autres sont fermement invités.
La force peut être aperçue comme une pression coercitive exercée sur autrui. Elle emprunterait alors les mêmes registres: affectif, factuel, mental. On voit bien que la faiblesse de l’un ou plusieurs d’entre eux fragilise l’édifice et que dans son exercice la force doit tenir les trois termes ce que seul le Sens maîtrisé permet de faire.
Au passage un corps armé qui ne tiendrait que la force physique sans les deux autres composantes serait bien vulnérable.
De même qu’il y a des instruments et des armes pour exercer la force physique, de même serait-il intéressant de penser quelles armes existent sur les autres plans et qui les manie (l’opinion publique n’est-elle pas une arme puissante travaillant représentations et affects et dont la maîtrise pose problème ?).
Si la force emprunte les vecteurs de l’expérience humaine pour s’exercer, elle ne se tient d’une part que de la tenue de Sens de ceux qui l’exercent et provoquent le Sens de ceux à qui elle s’adresse.
Il est question d’un côté d’exercice d’une maîtrise, de l’autre de provocation à un autre Sens.
Si, en effet, la force avait pour visée le déni de l’altérité de l’être violent, elle serait violence elle-même et génératrice de violence. Si la force a pour visée le changement de Sens de l’autre alors elle est aussi acte de considération. C’est cela que l’on peut appeler “force de paix”.
Il est clair alors que son effet n’est pas celui d’une toute puissance mais réclame la contribution de l’autre à ce changement de Sens. Il est clair aussi que lorsque cela s’adresse à une communauté chaque individu peut réagir différemment et l’exercice de la force conduire celle-ci à différencier en elle-même ce qui vise à son bien commun et ceux qui l’engagent au pire. La communauté vis-à-vis de laquelle s’exerce la force de paix est donc aussi l’alliée potentielle de ce combat.
Ces quelques considérations ouvrent évidemment à mille questions et analyses que l’on peut aisément développer.
On s’attachera ici aux conditions d’exercice maîtrisée de la force.
La tenue d’un Sens de paix dépend d’un côté d’une maîtrise personnelle qui suppose une maturité et un discernement avancés (8).
S’il s’agit de n’importe quel autre Sens, la rigidité suffit à faire effet de maîtrise ce qui suppose le choix de certaines personnalités. Force de paix et force de violence ne sont pas équivalentes.
La tenue d’un Sens dépend aussi d’une prédisposition (vocation personnelle) et enfin d’un ConSensus. C’est le plus souvent le ConSensus qui assure la tenue d’un Sens par les individus.
Dans un corps armé les trois conditions sont nécessaires :
– l’effet de corps, de communauté, par le conSensus,
– la vocation des personnes qui les amènent à ce type de situation et de service,
– la maîtrise personnelle qui donne le Sens lui-même véhiculé par toute la hiérarchie.
Il faut alors observer le lien qu’il y a entre le Sens de la vocation de la nation, le Sens de la vocation de l’armée, le Sens de l’action du corps armé, le rôle des hiérarchies, de la composition des troupes et de “l’esprit de corps” qui est Sens en conSensus.
Il y a là cependant une certaine complexité liée aussi au fait que la question du Sens se pose à de multiples niveaux pour de multiples réponses.
Enfin, le Sens étant principe de cohérence et principe de réalisation, la tenue du Sens qui constitue la maîtrise de la force se “réalise” selon des moyens, stratégies et actions spécifiques.
S’il s’agit d’encourager une communauté à se tenir dans le Sens de son bien commun alors il faudra se soucier d’une tenue culturelle de ce Sens et de moyens culturellement significatifs.
III – QUELQUES COMMENTAIRES SUR LES DIRECTIVES ACCOMPAGNANT LE GUIDE
A – DIRECTIVE RELATIVE AUX COMPORTEMENTS DANS L’ARMEE DE TERRE
La lecture de ce texte peut paraître aux uns tout à fait surannée et aux autres tout à fait d’avant garde.
Elle touche à un problème qui est sans doute l’une des plus graves déficience de notre époque: la question du rapport de l’individu au collectif.
L’appréciation du document demanderait un système de référence socialement partagé et qui n’existe pas de façon évidente. De ce fait, l’appréciation des uns ou des autres risque de se faire en fonction de sensibilités ou d’éducations très variées et dans tous les Sens.
En réalité on peut repérer la présence de notions toutes cruciales dans l’émergence d’une nouvelle ère.
1) Service. C’est une notion conceptuellement plus difficile que la banalité du terme le laisse entendre. Nous entrons dans l’ère du “Service (9).
2) La mission. Elle fait un lien entre le service et l’engagement de soi. Cela renvoie à des questions de type dévouement, voué à, vocation… essentielles dans un “âge du Sens” (10).
3) La maîtrise. Notion à refonder anthropologiquement parlant et qui se retrouve structurellement liée à la force et que l’on retrouve dans la racine européenne WIR présente notamment dans les notions de valeur, vertu, courage et … virtuel (cf…). Il y est question aussi d’âge d’évolution et de maturité humaine (8).
4) Obéissance, de “ob” (au-delà, au-devant) “ouïr” (entendre). Une notion cruciale aujourd’hui par l’incompréhension radicale dont elle est l’objet. Une faiblesse d’entendement qui est au coeur de nombreux malentendus ce qui exige sans doute un travail en profondeur et une pédagogie réactualisée (l’au delà à entendre est de l’ordre du Sens et de la parole donnée et tenue…).
5) Initiative. Terme banal d’un monde qui la nie le plus souvent, la confondant avec une réactivité souvent réactionnelle et immature. L’initiative suppose de se faire auteur, autre, responsable vis-à-vis des autres…
6) Professionnel. Terme commun plus intuitif que consistant. Il comporte l’idée d’une “profession de soi” et l’idée d’une profession pour le service des autres dans une société. La technicité n’en est que l’accessoire.
La notion de “maîtrise professionnelle” en est un aspect majeur et la compétence technique un aspect secondaire.
7) Modèle d’une communauté solidaire et fraternelle. La proximité des termes solidarité et fraternité quasiment antinomiques dans une certaine histoire ou le refus du deuxième terme a scellé le succès du premier. Un renversement s’amorce qui amènera à découvrir la complexité de la notion de fraternité et son actualité dans un “âge du Sens”.
8) Attention aux autres. Le point aveugle d’une société individualiste et de toutes celles qui sont incapables de saisir ce que c’est que l’altérité. Si l’être de l’autre n’est pas visé il ne peut y avoir d’attention à l’autre pas plus qu’au “bien commun” mais seulement à des leurres. (cf. Problème de la “dignité” présent dans la déclaration universelle des droits de l’homme et pas dans la déclaration française).
9) Ouverture et respect des différences. Le plus souvent l’ouverture va étrangement avec la négation défensive des différences (normalisations). La conjugaison des deux réclame une maturité et une “prise de risque”, surtout en contexte tendu et anxiogène. D’où la nécessité de soutiens indispensables (12).
10) Réserve et neutralité. Un problème très difficile dans un contexte où les différences et leurs expressions sont légitimées. Cela suppose une position de recul et donc aussi une maturité suffisante pour ne pas les confondre avec absence de position ou indifférence.
11) Fierté de l’engagement. Question d’identification qui repose sur le lien personne – communauté d’appartenance – communautés tierces. Rejoint les problématiques de la mutation et de la question des communautés.
B – DIRECTIVE RELATIVE AUX RELATIONS DE L’ARMEE DE TERRE AVEC LA COMMUNAUTÉ NATIONALE
On voit bien la corrélation de ce souci avec les implications de la fin de la conscription.
Quelle relation avec la communauté nationale ? Telle est la question qui semble devoir être envisagée sur deux plans.
Le plan factuel qui réclame une position à tenir dans l’immédiat et qui fait l’objet de la directive.
Le plan fondamental lié aux problématiques de refondation et de la mutation dans lesquels sont posés simultanément :
– Le problème du concept de nation ou d’état nation ainsi que des relations entre nations ou communautés de nations à l’avenir.
– Le problème du rôle de l’armée au “service” de la nation.
La “défense” nationale ou la “re-conquête de la paix” dans le cadre de missions extérieures ne sont pas la même chose et ces hypothèses n’épuisent pas le sujet.
C’est surtout le second plan que nous pourrions explorer pour répondre aux exigences du premier (factuel) à moyen et long terme.
TEXTES SIGNALES
(1) La Théorie des Cohérences Humaines Principales thèses et commentaires
(2) La mutation Bienvenue à l’âge du Sens
(5) Communication et Jeux d’identités suite de textes
(6) Les structures de la réalité et le réel
(8) Sens et Cohérences Humaines, maîtrise
(12) Cohérence de la culture Européenne
(15) Communication, crise et mutation