Richesse et valeur

Béatrice Noir Notes prises le 1er IX 97 (d’après le séminaire du CRI à Soyans des 3, 4 et 5 VII 97).

Exposé de Roger Nifle

Nous nous plaçons dans le champ général

des problématiques économiques et entrepreneuriales.

Principes généraux

Tous nos travaux s’appuient non pas sur une logique binaire,

condition d’un échange équilibré, mais sur

la trialectique, logique ternaire qui favorise la création

de richesses.

Dans un raisonnement secondaire, la valeur est subordonnée

à ce qui concourt à l’équilibre de l’échange,

elle se mesure. Dans cette perspective, la notion de valeur

est seconde, quasi instrumentale. Nous sommes dans un monde binaire,

où les relations sont envisagées en face-à-face

entre 2 termes ou individus.

Dans un raisonnement ternaire, la richesse est principale,

donc la valeur aussi. La création de richesses devient

l’enjeu principal, la condition. L’échange est une modalité

de cette création de richesses, il n’est pas évalué

en fonction de l’équilibre, mais en fonction de la création.

C’est un renversement considérable qui établit

une relation par rapport à un troisième terme.

Le lien humain entre personnes, envisagé non pas en

face-à-face mais partageant le même but, qui entraîne

alors de la création de richesses, est une relation fructueuse,

une « concourrance ».

On ne peut parler de valeur en dehors de l’être humain.

Qu’est-ce qui vaut pour lui ? Cette question renvoie à

l’anthropologie, avec de multiples réponses possibles

inhérentes à la nature de l’être humain.

Quand nous sommes disposés dans un sens au sein d’une

problématique humaine, ce qui nous apparaît bon,

c’est le sens dans lequel nous sommes. Il y a donc de nombreuses

ambiguïtés possibles, d’où des tentatives

d’éliminer le Sens de la détermination de l’échange

; or, cette position de Sens est négatrice du Sens.

Valeur et richesses sont corrélatives. La valeur se

rapporte aux intentions humaines et aux apports du service ou

du bien dans un marché ou une culture donné(e).

La détermination des valeurs d’usage et/ou d’échange

dépend de l’échelle de valeurs de la communauté.

Conditions de la création de richesses

cohérenciel de la création de richesses

richval.png

Il n’existe pas de richesse :

· sans intention d’en créer ou d’augmenter

la valeur de ceci ou cela : notion de sens ;

· sans ressources à valoriser : notion d’objet

dans son contexte ;

· sans réalisation novatrice (création

ou transformation) : notion de service rendu.

Ces trois axes entraînent :

· sur le plan de la production : le critère

de l’utilité et de l’efficacité : la valeur d’usage;

· sur le plan des représentations : le critère

d’identité et /ou d’identification (des représentations

du service ou du bien, qui enrichissent notre représentation

de nous-même ; par exemple le prestige lié à

l’obtention d’un diplôme)

· sur le plan des relations : le critère de

communauté : la valeur d’échange (des relations

qui, de proche en proche, impliquent la communauté

en entier ; quel(le) rôle, charge ou responsabilité

est induit(e) en tant que concours ; par exemple avec ou par

cette formation, la contribution due à la communauté

)

Le « bon » sens

Chaque sens est le vecteur d’une « tentative de résolution ».

Toutes échouent sauf celle portée par le sens qui

permet la maîtrise de la problématique. Dans chaque

situation sous-tendue par une problématique, il n’y aura

de création directe de richesse -évaluée

humainement- que si l’intention est dans le « bon » sens

; à moins que quelqu’un d’autre n’utilise la production

en tant que ressources, l’investisse avec une intention visant

le bien commun de tous ceux qui partagent la même problématique,

et, de par cette intention, la convertisse et crée alors

de la richesse. La production initiale est devenue ressources

uniquement par l’intention de l’autre.

Ainsi, un tas de pierres n’est pas une ressource en soi :

il ne le devient que si l’on projette de s’en servir pour une

construction.

L’intention peut n’être qu’une velléité

qui s’oppose à la réalisation : « l’enfer est

pavé de bonnes intentions ». On peut dire qu’on cherche

le bien dans le sens dans lequel on se place, le bien est alors

cherché dans ce sens et jugé à cette aune.

Prenons l’exemple de l’humanisme. Les néo-nazis le

lient à l’affectivité, donc de leur point de vue,

l’amour du prochain n’est pas l’amour du lointain.

Aucun acte n’est bien ou mal en soi : il faut s’interroger

sur le sens qu’il a dans la communauté de référence.

Toutefois, le point de vue, la cohérence ou le consensus

ne sont en aucun cas le critère du bien, et ce quelque

soit le système d’auto-évaluation ; sinon, tous

les sens se valent. Rappelons que Hitler a été

élu démocratiquement …

Le partage d’un système de valeurs est, par ailleurs,

conscient ou inconscient (les fonctionnaires de l’administration

nazie recherchaient l’efficacité, voir aussi l’expérience

de Milgram relatée dans le film « I comme Icare »).

Il n’existe pas de bon sens en dehors de la nature humaine.

N’est considéré comme bien que ce qui permet à

l’homme de devenir maître de son humanité, de s’accomplir,

de trouver en lui-même sa propre liberté. Tout ce

qui y concourt sert l’homme, ce qui n’y concourt pas le dessert.

L’intention ou le souci de servir quelqu’un ne peut faire

abstraction de la communauté à laquelle il appartient.

La simple production de richesses est uniquement un indicateur

de richesses, il faut également une intention dans le

sens du bien commun. Faire abstraction de ce bien commun, de

l’individu, ne pas prendre en compte la communauté ne

peut permettre la réalisation d’un service (peut-être

un mensonge).

Si on s’interroge sur un certain nombre de traditions, on

peut ressentir le bien commun, ce qui est une aide au discernement.

On peut trouver des critères objectifs, mais pas de critères

absolus et définitifs. Qu’est-ce que du bon pain ? Aucune

réponse ne suffit, mais, en actes il faut une réponse.

La transformation

Il doit s’opérer au moins une transformation de ce

qui existe. La notion de service rendu peut être un indicateur

: si cela ne donne pas de fruits, de bénéfices,

il n’y a pas de richesses. La valeur de ce qui ne produit pas

de fruit est nulle.

Mesure de la création de richesses

Les instruments de mesure de la création de richesses

peuvent être transposés à d’autres domaines.

Ils sont parfois utilisés de façon non appropriée.

Chaque communauté doit se forger ses propres instruments.

Se souvenir de l’histoire en faisant la part de l’amnésie

contemporaine …

Enrichissement individuel, enrichissement collectif

Dans une logique binaire, peut se poser la question de la

conciliation de l’enrichissement individuel et collectif. Dans

une logique ternaire, le premier n’existe pas sans le second.

Le service est la réalisation d’un consensus, qui s’inscrit

dans une ou plusieurs communautés, et c’est au sein de

celle(s)-ci que se pose la question des services entre individus

(l’utilisation individuelle d’une voiture est impossible en dehors

d’infrastructures collectives : routes, essence…). Servir l’individu

suppose d’engager la problématique dans le bon sens, condition

pour servir le bien commun.

On ne peut analyser une relation inter-individuelle sans l’inscrire

dans un champ commun. Il n’y a pas de relations entre individus

qui ne s’inscrivent dans une culture qui leur soit commune. La

« communauté » dans laquelle ils se situent est

sous-tendue par une problématique humaine sous-jacente,

en consensus entre l’ensemble de ses membres, y compris les 2

protagonistes.

Rendre service consiste à faire progresser l’autre

vers un plus grand bien, bien individuel et collectif, commun

à la communauté en consensus.

Illustration : aide à la recherche d’emploi

Aider quelqu’un à trouver un emploi est irréalisable

en dehors d’un contexte où se situent à la fois

le problème de l’emploi et les solutions. Le service est

rendu par rapport à la problématique du bénéficiaire

de l’aide, celle d’en trouver. On suppose que son bien est d’en

trouver, en même temps que c’est un service à la

communauté : diminuer le taux de chomage.

Dans une logique binaire, si, dans le cadre d’utilisation

d’une subvention publique, il prend le poste d’un autre, il n’y

a pas de création de richessses : l’un est servi, mais

l’autre est desservi. Idem si le travail est une forme d’esclavage.

Alors que dans une logique ternaire, le problème n’est

pas strictement d’avoir un emploi, mais aussi de participer à

la production de richeses.

Exemple du paysan cultivateur de plantes hallucinogènes

Prenons l’exemple d’un paysan bolivien dont l’unique source

de revenus est la culture du pavot. L’usage modéré

de la drogue, habitude culturelle, n’a rien de commun avec le

commerce mafieux de la drogue.

Ce système d’esclavage dans lequel le paysan est prisonnier,

existe de par l’intention de quelqu’un. L’enjeu est l’autonomisation

du paysan, qui passe ici par le refus d’un consensus. Qu’est-ce

qui est bien : entretenir ce système ? raser le champ

?

Le paysan sert le mal commun. Étant dans une logique

d’aliénation, il se dessert lui-même. Servir le

bien commun ne consiste pas à priver le paysan de son

unique source de revenus, ce qui conduirait à l’affamer

: ce serait servir le bien de quelques uns, pas de tous.

Communauté de référence

Complexité de l’interférence des communautés

Chaque situation particulière réalisée

par quelqu’un est aussi la réalité d’une communauté,

et peut souvent s’envisager aussi dans d’autres communautés.

Qu’il soit conscient ou confus, le choix de la communauté

de référence est un acte majeur. On doit prendre

position sur la problématique retenue, et renoncer ainsi

à une certaine omnipotence. D’où l’importance du

choix du lieu d’être …

Les intérêts particuliers et collectifs se conjuguent

dans une logique de concourrnce, à l’articulation des

différentes communautés (voir « Économie

appropriée »). S’il y a une confusion des niveaux

ou un choix inapproprié, la divergence de sens provoque

des conflits d’intérêts. Si un chef d’entreprise

se positionne en tant que citoyen, la problématique change.

Si les services ne sont pas sur le même plan (un médecin

et un boulanger par exemple), la question de leur cohérence

ne se pose pas. La question de la cohérence de services

municipaux se pose au sein même de la commune.

Une problématique d’ordre familial ne peut être

en général résolue à l’échelon

d’une entreprise ou d’une région.

Exemple de la mondialisation des échanges

La mondialisation des échanges peut être interprétée

de deux façons.

1/ Le niveau où cela se traite est mondial.

C’est le niveau possible où se pose la question de

la responsabilité intentionnelle de l’être humain.

World / Welt / Vir = âge d’homme. L’humanité accède

à un certain niveau de conscience, voire de maturité.

La mondialisation permettra alors d’embrasser l’ensemble des

communautés.

Le service du bien de la communauté française

peut servir le bien de la communauté européenne.

La « communauté France », en tant que membre de

la communauté européenne, est différente

et donc traitée différemment de la « communauté

France » envisagée en tant que nation.

2/ Les lois de l’économie mondiale s’imposent à

tous.

C’est une croyance destructrice, qui dépossède

l’homme de ses lois économiques et qui entraîne

l’effondrement des économies nationales ou régionales

sous-jacentes. Les discours sur les lois de l’économie

mondiale sont souvent des leurres utilisés par les dirigeants,

avec la complicité des intellectuels : il faut établir

un distingo entre les faits et les discours médiatiques.

Prenons l’exemple du paysan de la Drôme, producteur

traditionnel d’ail. En vertu d’accords commerciaux conclus entre

la France et la Chine, celle-ci exporte de l’ail tandis que celle-là

exporte des centrales nucléaires. Le paysan se trouve

placé en compétition avec Framatome. Le marché

à sa mesure est celui qui correspond à sa sphère

relationnelle, marché de proximité et/ou export.

Le transformer de fait en opérateur planétaire

présuppose une autre organisation ; or il se trouve placé

sur une scène où il est défaillant.

Ressources

Il n’y a pas de création de richesses ex nihilo, mais

à partir de ressources matérielles, culturelles,

intellectuelles ou autres, qu’il faut s’approprier. La question

se pose de savoir à qui elles appartiennent.

Ces ressources se situent sur le vecteur de l’altérité,

de l’attention (par exemple les actionnaires, le milieu dans

lequel on évolue …)

La création de richesses transforme le contexte et

fait évoluer les ressources communes. Cela participe alors

de l’augmentation du patrimoine collectif.

Par le sens qui la spécifie, c’est aussi un facteur

d’évolution, corrélatif de l’accroissement du potentiel

humain de maîtrise. (voir la Qualité qualifiante

: spirale vertueuse)

Une intention bonne et juste est nécessaire : dans

quelle problématique rendre le service ?

Pour une entreprise, celle du client, de la communauté,

des actionnaires … Pour un service marketing, l’intention du

producteur doit rencontrer un consensus chez le consommateur.

Si elles créent véritablement des richesses, les

entreprises contribuent par leur activité à l’évolution

humaine, à la civilisation. Il ne devrait pas être

accepté qu’elles jouent simultanément sur deux

tableaux : prétendre participer à la création

de richesse et s’exonérer de charges et de responsabilités.

La richesse n’est pas uniquement financière …

Exemple d’une crise de surproduction

Une crise de surproduction peut s’interpréter de deux

façons.

1/ La production est inadéquate.

L’intentionalité du producteur n’est pas en phase avec

les consommateurs.

2/ Il y a consensus sur un sens qui n’est pas le bon.

Cela peut être une entente entre consommateurs pour

acheter à bas prix, ceci impliquant une surproduction

pour casser les prix.

Certaine entreprise américaine de fabrication d’articles

de sport, qui utilise de la main d’oeuvre du tiers-monde à

très bas prix, a un comportement de type mafieux. Elle

dupe le consommateur et exploite le travailleur ; il n’y a pas

création mais destruction de richesses humaines. La satisfaction

du client n’est pas un critère de richesses. Les critères

sont toujours relatifs.

Le « bon » sens

Le sens appartient notamment à l’acteur et au bénéficiaire.

Mais la satisfaction du bénéficiaire n’est aucunement

un critère de création de richesses. Certains consensus

ou conventions, y compris des démocraties, se fondent

sur un sens qui n’est pas le bon. Pour le trouver, il faut se

référer en amont au plus profond de la nature humaine.

Les êtres humains n’ayant pas été créés

par l’homme, aucun d’entre eux ne peut décréter

ce qui est le bien de l’homme. Vaut-il mieux, pour autant, masquer

la question ? En tentant de l’élucider, on peut opposer

une réponse aux tiers. A chaque acte, on présuppose

une bonne intention, mais il ne faut pas évacuer la question.

Le totalitarisme vient d’un abus de position, d’une négation

de l’autre puisque la question n’est pas posée. En tant

qu’autre, je ne puis me substituer à l’autre pour son

bien, mais je peux lui proposer, en fonction de sa capacité

et de son niveau de conscience, ma propre position par rapport

au bien. C’est en camouflant l’essentiel qu’on peut faire n’importe

quoi sur l’éducation.

Les termes dans lesquels est exprimé le « bon »

sens dépendent des circonstances.

La progression de l’être humain

La voie de l’homme est la progression. L’enfant est un être

humain en devenir, en voie d’accomplissement de lui-même.

Mais il est plus facile d’activer la régression que la

progression, c’est-à-dire d’obtenir un consensus sur un

mauvais sens, puis de mesurer la demande, puis de la légitimer.

Ce processus entraîne une perte du sens civique, une décivilisation.

C’est une oeuvre de dégradation de l’être humain,

de destruction de richesses humaines.

La notion de crime contre l’humanité correspond au

déni de l’être humain. La quantité n’est

pas un critère déterminant. A un degré différent,

certaines thèses purement intellectuelles vont dans ce

sens.

Théorie du penchant originel

La première conscience de l’être humain, prénatale,

est d’ordre affectif. La naissance est une coupure plus ou moins

brutale du milieu. Le nouveau-né se confond avec son affect,

la nouveauté est source de souffrance. Tout au long de

sa vie, à chaque fois que son existence est menacée,

il aura tendance à régresser en recherchant ce

climat affectif, en effectuant un repli archaïque.

Régression

Certaines chaînes de télévision, certaines

publicités qui utilisent l’enfant comme objet de désir,

agissent -efficacement- sur les tendances régressives.

Elles peuvent objecter que c’est à la demande du public,

qu’il existe donc un consensus. Or le nombre n’est pas le critère

déterminant.

Placer les téléspectateurs dans des situations

de régression absolue, c’est les rendre complices et dénier

leur humanité. Ceux qui fabriquent ce type d’images se

retrouvent dans ce schéma. Il s’agirait plutôt de

recréer des liens entre les activités humaines

et le devenir commun au lieu de les rompre.