La crise des télécom

Après les effondrements qui ont en particulier laissé des sommes colossales à la charge des contribuables, on peut s’interroger sur cette coalition des erreurs. Nous sommes là en face d’un déni perséverant du Sens d’une mutation par des prédateurs formés dans nos meilleurs écoles. Service public dit-on. Paru dans la lettre Internet actu 10 Octobre 2002

Devant les déboires de quelques

grandes puissances, Vivendi, Alcatel, France Télécom

(et bien d’autres ailleurs) nombreux sont les messieurs Homais

qui en concluent "Internet c’est fini", ce n’était

qu’une illusion. Cela leur permettra de tirer gloire du "retard

français" encore dénoncé par le ministère

de l’Industrie tout particulièrement en ce qui concerne

les PME et l’utilisation de sites Web.

Or ce qui commence seulement à s’effondrer,

c’est un premier pan de la grande mystification. En effet comment

expliquer le rapport entre la chute de la "bulle spéculative",

start-up et grandes puissances, et la continuelle montée

en puissance des usages d’Internet et du nombre d’usagers dans

le monde?

Tout simplement parce que le Sens du phénomène

de développement d’Internet et celui du système

de croyance présidant au gonflement de la bulle sont divergents.

La "volonté de puissance"

qui a seule guidé les investissements colossaux s’est

appuyée sur un modèle interprétatif du phénomène

Internet totalement faux, la puissance tenant lieu de critère

de vérité.

Non Internet n’est pas essentiellement

un media, un tuyau équipé d’un compteur par lequel

on peut distribuer des contenus au sein des foyers, des entreprises

et même partout grâce aux mobiles.

Le mythe des contenus qui appartient à

cette seule logique s’appuie sur deux principes:

– Captation et appropriation des sources (ex. AOL-Time Warner,

Vivendi, etc…).

– Captation de clientèle,

C’est ce qui a conduit à valoriser

ces deux activités de façon délirante et

qui a gonflé les dettes des grands groupes.

Internet c’est un nouveau champ relationnel

permettant d’établir de nouvelles "relations de proximité

à distance", relations familiales, amicales, sociales,

professionnelles, éducatives, etc.

Les organisations de travail, de vie collective,

de vie personnelle en seront toutes bouleversées et la

question de l’animation et la constitution de communautés

de Sens (de projet, d’affinité, d’intérêt)

est la grande affaire du futur qui révèle le Sens

de la mutation de civilisation que le phénomène

Internet incarne.

Première mystification la distribution

des contenus: une source – beaucoup de consommateurs alors qu’Internet

c’est beaucoup de sources, beaucoup de participants aux échanges,

émetteurs et récepteurs.

Il existe des millions de sites Web "personnels",

même en France, qui s’en préoccupe? Ce n’est pas

dans le schéma contenu-contenant qui obnubile les volontés

de puissance.

Ne parlons pas des autres manifestations

de cette logique inadéquate, bien impuissante à

changer le Sens de l’histoire, aveugle à ce qui n’est

pas ses interprétations opportunistes: logique de monopole,

pratiques anticoncurrentielles hors la loi, élimination

d’innovations prometteuses par rachat…

Une deuxième erreur est celle qui

consiste à expliquer que l’ordinateur c’est bien trop

compliqué pour le consommateur lamda. Les abonnés

à Internet ne doivent pas le savoir qui s’équipent

à tour de bras et équipent même les enfants

des écoles.

Or la télévision, scène

de théâtre ou écran de cinéma en appelle

à un consommateur spectateur passif dont on vante la seule

liberté, celle de zapper.

L’ordinateur c’est un "poste de commande"

ce qui est symboliquement cohérent avec le mouvement du

monde qu’incarne Internet, un espace d’autonomie et d’initiatives

(pour le meilleur et pour le pire). Bien sûr la perspective

du pire tant stigmatisée par les media et les organismes

de contrôle en tous genres sert à condamner par

avance celle du meilleur et même à l’ignorer.

Tous les projets centrés sur les

techniques "push", envoi automatique d’information

ou de "contenus" ont échoué et malgré

les prophéties intéressées, Internet par

la télévision ça n’a jamais marché

dans le public. On continue à croire que la passivité

consommatrice est le seul horizon pour l’humanité et surtout

pour les calculs spéculatifs.

Venons en au thème qui rassemble tous les contempteurs

de la grande mystification, c’est-à-dire l’UMTS.

Que ne dit-on pas sur sa responsabilité

dans la crise, sur le fait que les terminaux ne sont pas au point,

que le modèle économique n’est pas sûr, que

des investissements colossaux sont à réaliser,

que les ponctions des différents gouvernements ont été

meurtrières, etc.

Je vous livre une autre interprétation.

La grande mystification voulait que grâce

au robinet mobile UMTS équipé des capteurs appropriés

(où "poste de commandes" prend un sens différent

du précédent) on allait pouvoir distribuer des

contenus ou des services (de distribution de contenus, toujours)

qui ,eux ,seraient la véritable poule aux oeufs d’or.

L’effondrement du mythe des contenus se

répercute sur les tuyaux et sur les robinets compteurs

et donc le système UMTS.

Or le système UMTS dans la logique

de la mutation de civilisation et du développement d’Internet

c’est bien autre chose.

C’est la possibilité de connecter

un ordinateur (ou équivalent) à Internet de n’importe

quel lieu, partout où l’on se trouve, à haut débit,

émission et réception.

Cela veut dire que les moyens de relation

acquièrent la souplesse et la performance qui permettent

d’accomplir les promesses d’Internet. Imode, MMS, WAP n’en sont

que des versions dégradées.

La possibilité d’enrichissement

audio visuel des échanges relationnels est ouverte à

tous. Il n’y a plus d’obstacle à ce que des systèmes

relationnels interpersonnels, sociaux, professionnels, citoyens,

se développement, limités qu’ils sont par les performances

actuelles et la fixité des ordinateurs de commande et

de navigation.

Cette autonomisation de tous est bien sûr contraire aux

logiques captatrices qui réclament des consommateurs passifs

et ficelés et, surtout, non seulement elle disqualifie

le fantasme des contenus mais, pire, elle met en péril

la vache à lait des communications téléphoniques

et même télévisuelles. La catastrophe intégrale.

Si le bien commun et la volonté

de puissance se trouvent en radicale divergence, c’est bien là.

Quand ce sont des entreprises publiques qui se fourvoient jusqu’à

en faire payer un prix exhorbitant au pays alors là il

est temps de s’interroger sur bien des processus de décisions

en commençant par l’organisation consensuelle de telles

mystifications.

Mais au fond cela fait partie des "résistances

au changement" qu’une société organise lorsqu’un

"dépassement" est en question et déstabilise

par définition les positions acquises.

Cela n’est qu’un début, A suivre…