La retraite

La retraite est conçue comme la fin d’une période d’activité et le début d’une période de prise en charge par la collectivité (les générations futures). Or elle se produit à un âge où se révèle l’émergence d’une autre phase de l’existence la phase de maturité au-delà d’un seuil de maturescence qui fait pendant à celui de l’adolescence. Tout le problème vient d’une conception erronée de l’évolution humaine et donc des phases de la vie. Comme toujours il faut que le problème devienne massif pour que les experts en idées reçues, incapables d’anticiper, s’aperçoivent que le monde change.

Le système des retraites est en crise. On pense d’abord à la crise de financement bien réelle, que l’on attribue aux seules variations démographiques. Ce n’est que le symptôme et fonder une solution sur sa seule réduction est bien sur inopérant. La situation peut être analysée par la conjonction de deux problèmes;

 

 

Un problème de fond, complexe mais plus aisé à résoudre.

 

 

Un problème conjoncturel, simple mais plus difficile à résoudre.

 

 

ll ne faudrait pas que le second masque le premier obérant toute possibilité de résolution véritable comme c’est le cas depuis des années.

 

 

LE PROBLEME DE FOND : UNE MUTATION DE SOCIETE

 

 

Le système actuel des retraites a été la solution d’un problème évalué en 1945 et ainsi la base du système de sécurité sociale.

 

 

Caractérisons le par quatre facteurs déterminants:
1) L’insécurité sociale des personnes âgées était patente suggérant le besoin d’une assurance, d’une rente qui matérialiserait un « droit à la retraite » et donc une retraite décente.
2) La durée de vie des « retraités » était relativement courte et inversement proportionnée à la pénibilité physique du travail.
3) Une aspiration à un « ordre des choses » rassurant, s’incarnant dans un monde encore à dominante rurale, par un modèle industriel et bureaucratique où la prise en charge salariale par une grande structure et la sécurité sociale participaient d’une même conception. Elle consistait à confier à une structure, au fond matricielle, le soin et l’obligation de sécurité éventuellement vivement revendiquée. Un Etat providence forcément tutellaire était aussi instauré.
4) L’invention d’une solidarité intergénérationnelle d’un nouveau type. Ceux qui partent à la retraite engagent la contribution des générations suivantes. Autrement dit, les générations suivantes partent avec une hypothèque, une dette sur laquelle ils n’ont aucune prise ayant à assumer leur subsistance, celle de leurs enfants et celle des retraités. Drôle de solidarité intergénérationnelle. Elle ne pouvait passer inaperçue que dans une conjonction démographique et économique qui a duré plus d’un demi siècle.

 

 

Or la situation n’est plus la même:
1) Globalement la richesse nationale est plus grande pour la majorité (mais pas pour tous loin de là).
2) La pénibilité du travail et l’usure de l’âge sans commune mesure avec le passé. L’espérance de vie est devenue bien plus large et continue à progresser de façon rapide.
3) Ce n’est plus dans la « prise en charge matricielle » que se situe la recherche de sécurité pour un plus grand nombre. Même au sein des services de sécurité sociale, l’idée de « prise en charge » est peu à peu remplacée par l’idée de « service ». L’ère industrielle est terminée et l’ère bureaucratique de plus en plus mal supportée (sauf pour ceux qui en profitent).
4) La vision du parcours de l’existence, enfance – études – travail salarié – retraite est en train de changer pour un schéma de ce type :

 

 

– enfance éducation
– formation tout au long de la vie
– utilité fréquente d’une période salariée « formatrice » comme première phase professionelle (sous contrat de subordination mais sécurisée)
– accès à une période plus autonome, plus responsable, plus « contractuelle » dans une troisième phase de l’existence (penser à la période 50-75 ou 80 ans, à plus ou moins 10 ans près).
– retrait du grand âge avec ses « dépendances ».

 

 

La retraite classique dans cette projection en train de se développer, est devenue un anachronisme dont tous les symptôme font la preuve puisque rien ne tient plus de cette conception. Il n’y a donc pas à réparer une système obsolète mais à assurer sa mutation.
5) Néanmoins toute une part de la population, minoritaire, est dans une situation plus proche des critères de 1945 par l’insécurité qu’elle vit encore:
– pauvreté réelle
– immaturité (intéressée ou/et entretenue)
– perte des repères fondateurs et des légitimités anciennes.
Elle vit néanmoins dans un contexte tout à fait différent.
Cette situation actuelle ne peut permettre de trouver des solutions à un système ancien dont les fondements sont caducs. Il ne faut donc pas le réformer mais le faire muter.

 

 

Quelques pistes sont à étudier
– Allocations d’étude et de formation tout au long de la vie et notamment pour le passage de la seconde à la troisième phase de l’existence.
– Retrait de la vie salariée avec une pension bien moindre (exemple : les retraités de l’armée après 15 ans de service) basée sur des cotisations dans la période en question sans que cela soit une retraite puisqu’au contraire cela doit permettre d’autres engagements entreprenants.
– retraite finale à un âge avancé garantissant une sécurité de subsistance et d’assistance-dépendance après une grande période d’autonomie professionnelle et économique (y compris bénévole).
Nous ne sommes plus non plus dans une vision du travail-aliénation dont l’aspiration aux loisirs (vacances, retraite) était la seule issue.

 

 

Le modèle industriel et bureaucratique est passée de mode, même si il est loin d’avoir disparu.

 

 

Traiter le problème des retraites dans ce contexte:
– C’est nommer ce qui se passe pour en favoriser la conscience collective
– C’est soutenir, faciliter, accompagner ce qui va dans ce Sens,
– C’est inventer les solutions pour cette nouvelle conception de la trajectoire de vie et la diversité des positions.
– C’est dégonfler la pression en dévoilant des perspectives plus attractives (et plus responsables).

 

 

LE PROBLEME DES RESISTANCES

 

 

L’autre problème est celui des milieux qui se nourrissent du système ancien (industriel et bureaucratique) et y ont fondé leur raison d’être et leurs rentes de situation. Ceux-là veulent profiter des catégories fragiles pour maintenir leurs positions.
Ils s’opposent à la réalité de l’évolution et des aspirations (négation, dénonciations, déformations…) pour « maintenir un système » dont ils profitent massivement.

 

 

Le problème est simple, la situation difficile.

 

 

Elle est difficile parce que le non dit règne dans ce pays où trop souvent l’hypocrisie se glorifie d’habileté et fait figure de compétence. La nuisance a eu souvent plus droit de cité que l’authenticité des mouvements de société.

 

 

Comment combattre cela? Le combattre, c’est placer le système ancien à la base de toute tentative de solutions.

 

 

La meilleure stratégie serait de bâtir, encourager, développer un système attractif et cohérent avec l’évolution, en éliminant tout ce qui le freine et laisser « l’ancien système » mourir d’épuisement. (méthode de la dissolution de problèmes)

 

 

On voit bien là que la question des retraites n’est que l’un des symptômes indissociables du changement général que la société française doit accomplir avec ses anciens systèmes, rigidifiés dans leur défensive, de plus en plus incompétents et délabrés et arc-boutés contre l’évolution du monde, l’ouverture au monde, le regard des autres, contre l’émergence d’une société majeure qui n’est plus la société « sous tutelle » de 1945.

 

 

Le temps de battre en retraite devant ces questions semble terminé.

 

 

Nota. Ces réflexions sont alimentées par l’humanisme méthodologique et notamment par l’analyse anthropologique des changements profonds qui sont en cours et celle des mutations de société, des personnes et des organisations qui les accompagnent.


Voir aussi La retraite à 55ans