La constitution européenne

Participation aux travaux de la convention de préparation de la constitution. La méthode est inappropriée. On ne peut résoudre les problèmes du futur avec les instruments d’un passé en passe d’être révolu, du fait de la mutation de civilisation maintenant engagée.

LA CONVENTION EUROPEENNE, : FONDATRICE OU CONVENTIONNELLE ?

Les travaux de la commission me donnent l’impression d’un grave problème méthodologique directement issu d’un grave problème des fondements.

On a le sentiment d’une double doctrine implicite, celle des arrangements cyniques; on aboutit lorsque des technocrates habiles (pléonasme) mènent les choses en veillant à ce que leurs habiletés ne soient pas « débordées » par des questions de fond qu’ils ne maîtrisent pas (le Sens de l’Europe).

L’autre doctrine « idéaliste » consiste à penser qu’un brassage des idées en désordre (l’essentiel et l’accessoire, les parties et le tout…) est le meilleur garant d’un fonctionnement démocratique et, en tout cas, que c’est bien de la base (pas du fond) qu’émergera la conclusion finale par un processus mystérieux dont on chercherait volontiers les clés du côté de quelques lois de l’équilibre mécanique ou systémique…

Association de l’aveugle et du paralytique? Association réciproquement indispensable pour maintenir l’illusion. Deux conceptions de l’Europe : arrangement cynique, système démocratique idéal. La présence des deux exonère chacun d’avoir à dire ses fondements, ses visées et à évaluer ses méthodes.

Alors quoi d’autre?

D’abord si l’essentiel c’est le Sens partagé (ce qu’un projet ne fait qu’incarner et signifier) alors il faut commencer par là, élucider le Sens, le révéler, le partager (signification, valeurs, rationalité…) et petit à petit lui donner corps pour marquer un engagement commun (charte, contrat, constitution) ou tout acte formel à forte valeur symbolique parce qu’il dit le Sens partagé, parce qu’il le dit en volonté, en ambition commune, parce qu’il fonde une identité commune, parce qu’il trace les premières bases d’une construction commune.

Alors pour la construction c’est la multiplicité des domaines, des partenaires, des différences, des talents, des concours qui se mobilisent autour du principe d’unité (au lieu de s’y substituer).

C’est alors non seulement la maîtrise des affaires communes de façon différenciée qui se construit mais aussi un mouvement, une dynamique qui doit être de longue portée, faite d’initiative multiples.

Présider et diriger c’est donner le Sens (non pas comme on distribue des chocolats) mais où le dire fait écho avec ce qui est déjà là et ainsi le repère, le révèle, le fait partager, rassemble et entraîne. Ensuite il faut, bien sûr, donner objet et concrétude à cela intégrant les milles acteurs et les mille choses de la réalité (et bien plus encore).

Il y a là un formidable problème épistémologique et praxéologique et au fond axiologique et anthropologique.

Parce que, à l’échelle de l’humanité et de l’histoire, construire cette Europe n’est pas accessoire ni un simple arrangement d’opportunités, ni un gentil exercice d’idéalités simplistes…

Et cela vient dans un monde de l’histoire au moment d’une mutation radicale où les modèles antérieurs, autrefois pertinents, font preuve de leur vanité, de leur obsolescence. Ça marche encore oui mais dans l’espace verbal et le simulacre. Si le Sens est l’essentiel il faut commencer par là et le reste viendra beaucoup plus aisément.

Le Sens est le cœur de l’homme et c’est au cœur des européens qu’il faut fonder l’Europe pas sur une scène de théâtre aussi respectables en soient les acteurs. C’est d’auteurs qu’il est d’abord besoin.

L’humanisme méthodologique propose cela :

– une conceptualisation de nature à comprendre autrement les problèmes qui nous sont posés et les perspectives qui peuvent être ambitionnées,

– Une méthodologie qui relève d’une discipline du cœur, du Sens et qui mobilise néanmoins la raison mais au service du Sens.

– Un Sens, humaniste bien sûr, mais d’un humanisme renouvelé qui pourra reprendre l’héritage mais le dépasser pour résoudre les questions que pose l’Europe d’aujourd’hui et de demain. Quels critères d’humanisme peuvent aider à résoudre la question de la Turquie par exemple !

Quand à la constitution, moment et texte re-fondateurs et intégrateurs des volontés et des aspirations, elle doit comporter les dimensions suivantes:

– Dire le Sens (il faut l’élucider),

– Définir le champ (initial) et ses composantes

– Ebaucher le projet et sa progressivité

– Mobiliser les valeurs vécues et investies par les différentes parties prenantes

– Dessiner les représentations, images et visages identificatoires de l’Europe

– Programmer les opérations marquantes de la construction au départ.

Il ne s’agit surtout pas d’exhaustivité mais de références symboliques auxquelles on fera jouer ensuite le rôle de repères d’unité, d’intégrateur communautaire, de point d’appui pour le déploiement ensuite de la vie communautaire.

Un document juridique ne doit il être que formel, sans âme, sans le Sens et l’expression symbolique qui signifie à tous leur conSensus?

Présidence, conseil, commissions, parlement, etc. pourquoi pas, oui probablement mais si on ne refonde pas une doctrine « européenne » alors l’empirique ne donnera pas plus de résultats que les millénaires anciens.

Ne ratons pas la marche qu’une mutation du monde nous invite à franchir. Ne construisons pas l’Europe en réponse seulement aux problèmes d’hier avec les méthodes du passé.

Décembre 2002