Au coeur du sujet – Chapitre 6
Une base fondamentale dont les développements épistémologiques continuent à se prolonger.
Chapitre 6 : THÉORIE DES COHÉRENCES. THÉORIE DE LA CONNAISSANCE 253
I. – COHÉRENCE DES RÉALITÉS 255
Cohérence et sens de la notion de réalité 263
Théorie des cohérences culturelles 269
II. – THÉORIE DE LA CONNAISSANCE 273
1) Connaissance essentielle et connaissance existentielle 274
2) Connaissance essentielle pour son sujet 275
3) Connaissance essentielle pour son objet 278
4) Connaissances existentielles 279
5) Perspectives de la théorie des connaissances 281
Objets de connaissance essentielle : exemples 283
La carte de cohérence de l’éducation 291
SIXIEME CHAPITRE
THEORIE DES COHERENCES
THEORIE DE LA CONNAISSANCE
THEORIE DES COHÉRENCES ET DE LA CONNAISSANCE
La théorie de l’Instance et de l’Existence dessine l’articulation
Instant, Instance, Existence. A son achèvement l’Existence est celle de
la multiplicité des existants qui constituent le monde. Ces existants
sont, comme on le sait, le fait de consensus, ces consensus étant des
ensembles de sens activés et partagés entre Instances. Mais ces ensembles
de sens sont aussi ce que l’on appelle des cohérences.
Dans la vie courante cette considération là est d’une très grande
importance. Toute réalité à laquelle nous nous confrontons est la
manifestation d’une cohérence (en consensus). C’est par là que s’ouvrent
toutes les possibilités:
– celle d’abord de la connaissance et de la reconnaissance des choses
qui ouvre à la connaissance et la reconnaissance de soi,
– celle de la liberté et du choix, choix éthique dans toute situation
choix pratique en toutes circonstances.
– celle de l’action et de la pratique. C’est en effet en agissant au
principe des choses, c’est-à-dire leur cohérence, que l’on peut les
influencer et les transformer.
C’est ainsi que la connaissance et l’élucidation des cohérences
ouvre la porte à un foisonnement de pratiques:
– celles de la connaissance et du savoir,
– celles de la responsabilité et du choix,
– celles de la conception et de l’action.
C’est parce que la théorie des cohérences est une méta-physique
qu’elle peut prétendre (et à cette condition seulement) être une théorie de
la connaissance et une théorie de la pratique, et cela, parce qu’elle se
situe au coeur du sujet.
Théories et philosophies ont la réputation d’être inutiles dans la vie
courante. C’est malheureusement souvent le cas. L’originalité ici, est de
sortir de cette contradiction… en allant au fond des choses, au coeur
transcendant du sujet, à leur cohérence.
254
1
COHERENCE DES REALITES
La théorie de l’Instance nous entraînait à envisager les existences
du Point de vue métaphysique de l’Instance: un Consensus fait réalité
par le Moment d Existence. La réalité y est conséquence de ce consensus.
Cependant, dans le contexte contemporain, on aura tendance à
prendre les choses à l’envers en partant d’une réalité donnée pour s’y
confronter, la connaître, s’y situer ou la transformer. C’est dans cette
perspective que se formule la théorie des Cohérences.
Toute réalité existante est la manifestation d’une cohérence.
Cette cohérence est l’ensemble des sens d’un consensus Autre-
ment dit, on peut expliquer et justifier la nature spécifique d’un objet
quelconque par la cohérence qui le sous-tend. Cette cohérence est
comme le « Réel » de la réalité, son lieu est l’Instance et sa condition
le consensus.
Si maintenant on analyse une réalité comme composée d’une
multiplicité d éléments, cette réalité là sera considérée comme une
comme une entité, un existant particulier, parce que l’on considère au
moins implicitement qu’il y a une unité de ses parties. Autrement dit
pour que 1’on puisse considérer, désigner, nommer cette réalité là il
faut supposer que ses parties sont liées en une unité, qu’il y a cohésion
entre les parties ou aspects de cette réalité. Cette cohésion, en plus doit
continuer au travers de l’évolution même de ces parties pour toujours
constituer le même tout. Par exemple, un objet matériel peut être posé
en deux lieux différents. Ces deux positions ne doivent pas changer le
fait qu’on le reconnaisse comme le même… changé de place.
Si on prend une institution, on la considérera comme une réalité si
quelque chose unifie et fait la cohésion de tout ce qui la constitue dans
1’espace et le temps, malgré le changement éventuel de la quasi totalité
de ses parties. Des organisations ont ainsi une durée de vie supérieure
à celle de leurs membres. Les éléments qui les constituent, membres,
activités, lieux, événements, etc… sont d’une extrême diversité sou-
vent d une grande mobilité et pourtant elles restent toutes la même
entité, la même réalité, changeante cependant.
Or, ce qui fait la cohésion de tous les éléments actuels ou temporels
d’une réalité, c’est sa cohérence.
255
THEORIE DES COHERENCES ET DE LA CONNAISSANCE
L’unité et la cohésion, c’est-à-dire la permanence (au moins tem-
poraire) de l’unité sont des caractères indispensables de toute réalité.
Ils proviennent de sa cohérence.
La cohérence d’une réalité est ce qui fait sa cohésion, c’est-à-dire
unité et permanence.
Si on parlait de changer la cohérence d’une réalité cela reviendrait
à en perdre l’unité et la permanence, c’est-à-dire à la faire disparaître
au profit éventuel d’une autre chose, de cohérence différente.
Ainsi une réalité quelconque, désignée comme telle, a toujours la
même cohérence bien qu’elle soit éventuellement très changeante.
Tout cela peut se comprendre à partir d’une analyse plus précise de ce
qu’est une cohérence et de ce qui fait changer l’existence d’une réalité.
Si celle-ci est toujours la manifestation d’une cohérence (consensus),
c’est bien là qu’il faudra trouver les sources de ses variations éven-
tuelles.
Telle entreprise était prospère hier, au bord de la faillite
aujourd’hui. Qu’est-ce qui a changé, dans sa cohérence, pour que cela
se produise. C’est toujours la même entreprise, dans un autre état,
donc la même cohérence, mais mobilisée (activée) autrement.
Un concept est pris dans un sens ou dans un autre et pourtant c’est
le même terme donc la même cohérence mais selon des « sens »
différents.
Une plante est graine un jour, arbre géant un autre. Il s’agit de la
même plante, de la même cohérence. Qu’y a-t-il de changé? Qu’y a-t-il
de commun entre la réalité graine et la réalité arbre géant que l’on sait
être de la même plante? On peut dire, pour le moins que, la plante, son
état graine et son état arbre ont une même cohérence, sous des aspects
très différents. Leurs réalités sont homologues.
Avant d’étudier de plus près ce qu’est une cohérence et les propriétés
qui se manifestent au niveau de l’existence de la réalité, assurons
nous d’avoir bien repéré ce qu’est une réalité donnée, notre point
de départ ici.
Une réalité est un existant caractérisé par la permanence de l’unité
de ses parties, c’est-à-dire sa cohésion.
Chaque fois que l’on pourra dire ce… ou cette…, nommé par un
terme ou une périphrase ou simplement désigné du geste ou même
uniquement évoqué, il s’agira d’une réalité.
Sa localisation et son indication suffisent à repérer une réalité. On
appellera cela l’acte de centration.
Les réalités dont il s’agit peuvent être constituées plus ou moins
par les trois aspects de l’existence: des faits, des représentations, des
relations, un objet matériel, une idée, un sentiment, un concept, un
événement, une idéologie, un phénomène, un rêve, un message, une
phrase, un geste, un projet, etc…
256
THÉORIE DES COHÉRENCES ET DE LA CONNAISSANCE
L’inventaire est, bien sûr, infini, dans lequel toutes les typologies
sont possibles.
Il n’y a donc pas besoin d’un critère de matérialité ou de vérité
quelconque pour prendre en considération une quelconque réalité mais
simplement d’y focaliser son attention, de la faire objet de considé-
ration, ce qui lui donne du même fait le statut de réalité.
Pour être plus rigoureux on devrait dire que ce qui caractérise et
détermine le constat d’existence d’une réalité ce sont les critères
d’unité et d’extension. La permanence en est la traduction temporelle.
C’est la théorie de l’existence qui nous dit que tout objet de réalité est
en extension selon toutes les dimensions de son espace-temps.
Cependant, les entités de l’Instance: les cohérences, les sens, les
consensus et tous les processus de l’Instance, ne sont pas des réalités
existantes. Elles n’ont pas, en effet, d’extension définie. Seules leurs
représentations en ont, comme, par exemple, les cartes de cohéren-
ces.
Les cohérences
Rappelons qu’une cohérence est ici un ensemble de sens, locali-
sable dans l’Instance, parmi toutes celles qui constituent cette Ins-
tance, jusqu’aux plus primordiales.
L’Instance, espace infinitif, est telle que ses cohérences sont
aussi des espaces infinitifs. Sans reprendre ici les caractéristiques de
cet espace, soulignons qu’une cohérence est d’un nombre infini de
dimensions, pour rappeler qu’une carte de cohérence en sera une
projection à deux dimensions (ou à 3). C’est en considérant ces
cartes que l’on dégagera les principales propriétés d’une cohérence.
Tout d’abord les sens représentés par des vecteurs partent d’un
point central, le centre de cohérence. En ce point tous les sens
s’annulent. Mais c’est de ce point aussi qu’ils rayonnent. C’est ce
centre qui, à la fois renvoie vers l’Unique: l’Instant dont il procède
et vers l’unité de l’existant manifesté dont il est la source.
257
THÉORIE DES COHÉRENCES ET DE LA CONNAISSANCE
La cohésion de la réalité vient de sa cohérence. Il faut revenir
ici au processus de l’Instance: activation, actualisation. La durée
propre de l’existence est l’extension temporelle de l’actualisation.
Elle provient donc de l’activation de ses sens et donc de sa cohé-
rence. C’est la source de la permanence mais pas de l’unité. Pour
celle-ci, on pourrait analyser la réalité existante comme l’ensemble
des moments de chacun des sens de la cohérence. Pour que tous ces
existants partiels forment alors un tout il faut encore qu’il y ait une
liaison entre eux.
Celle-ci, on s’en doute, est inscrite dans le centre de cohérence.
Il faut cependant rappeler ceci. L’actualisation dans un moment
d’existence est « tentative de résolution », c’est-à-dire d’annulation
du sens activé. Par exemple le sens de la dégradation s’actualise
dans la destruction de son objet et du même coup la disparition de
son sens même. Le sens du naturalisme s’actualise dans un rap-
prochement adaptatif avec la Nature, dont la réussite annule le
mouvement même. La quête de l’équilibre aboutit à sa propre
annulation: à l’équilibre.
Ainsi sur une carte de cohérence, le rayonnement des sens et de
leur activation est la source de la focalisation de tous les existants
partiels de la réalité globale.
Figure 47
Ce qui, pour chaque sens, est extension dans une réalité par-
tielle est, pour l’ensemble, concentration et donc cohésion.
On peut lire au passage que les couples de sens opposés dans
l’Instance, formeront des contradictions dans la réalité correspon-
dante.
THÉORIE DES COHÉRENCES ET DE LA CONNAISSANCE
Il est à noter que l’on retrouve là une généralisation d’une
conception dialectique de la réalité. En elle-même on peut en effet la
voir comme résultant de contradictions, non pas mécaniquement,
mais par sa cohérence, composée de toute la diversité de ses sens et
leurs inverses. Cependant, chaque réalité est la résultante d’une
infinité de contradictions, comme issue d’une infinie diversité de
sens, celle de sa cohérence propre.
La complexité d’une réalité est le fait de la diversité de ses sens
sous-tendant la complication inhérente à la multiplicité de ses par-
ties, de leurs rapports et de leurs évolutions propres.
On a donc une cohésion de la réalité, éventuellement enfer-
mable dans une représentation, un modèle, un schéma qui délimite
le champ commun de ses parties et cette cohésion est issue d’une
cohérence, dont le centre noue l’unité.
La compréhension de cette cohésion nous permet d’envisager
maintenant la question du changement dans une réalité. Il y a deux
facteurs de changement d’un existant:
– l’un est en rapport avec le vecteur attention, ce qui pourrait se
traduire par le «contexte», «l’environnement», «les espaces»,
mais aussi par les partenaires du consensus.
– l’autre est changement de sens, ou même d’intensité de l’acti-
vation du sens dans une cohérence. Ce dernier point est celui qui
nous intéresse ici, et en particulier sur cette question d’intensité
d’activation.
En effet, si tous les sens d’une cohérence sont simultanément
actualisés dans la réalité correspondante, ils ne le sont pas forcément
de la même façon. Examinons d’abord le cas d’une uniformité
d’activation.
Représentons alors par un cercle cette uniformité, on pourra
dire que les contradictions internes de la réalité (ou forces de cohé-
sion) sont équilibrées.
259
THEORIE DES COHÉRENCES ET DE LA CONNAISSANCE
Cette réalité s’épuisera en existant jusqu’à une réactivation
actualisante. Elle sera immobile sur elle-même, animée du seul
rythme des actualisations, entre elles équilibrées.
Si maintenant l’un de ses sens est plus fortement activé que les
autres (on parlera de sens dominant), le nouveau profil d’activation
sera celui ci par exemple:
La cohésion, bien que maintenue, sera déséquilibrée et la réalité
se trouvera animée, non seulement du rythme de sa cohésion, mais
d’un mouvement de l’ensemble. La réalité apparaîtra comme ayant
un sens: sens du déplacement, sens de l’événement, sens du concept,
sens de l’objet de cette réalité.
On peut imaginer toutes sortes de profils d’activation et la
variation de ces profils pour une même cohérence.
L’évolution de tels profils d’activation et notamment le chan-
gement de sens dominant se traduira par l’évolution de l’équilibre
des contradictions de la réalité et de l’importance relative de ses
parties et donc par sa transformation.
260
THEORIE DES COHÉRENCES ET DE LA CONNAISSANCE
Maintenant sa cohésion, une réalité se transforme donc à con-
texte égal, par le changement du profil d’activation de sa cohérence
tout en conservant celle-ci avec la totalité de ses sens.
On pourrait alors, par exemple, repérer sur une carte de cohé-
rence huit profils à sens dominant, représentés comme ceci:
261
THÉORIE DES COHÉRENCES ET DE LA CONNAISSANCE
Selon chacun, une version différente de la même réalité peut
être envisagée, avec chacune son sens (ou modalité de sens),
c’est-à-dire son « orientation » différente.
Chacune des versions pourra être considérée comme la réalité
du sens dominant correspondant. C’est ce que l’on a fait en exa-
minant séparément tel ou tel sens des cartes générales de cohérences
et que l’on reprendra comme approximation simplificatrice pour
chaque carte de cohérence particulière. Chacune des versions RI,
R2, etc… est néanmoins porteuse de toute la cohérence, ce qui les
rend toutes homologues.
Ainsi la cohérence de l’une de ces versions particulières, d’un
état particulier d’une réalité, révèle les autres versions possibles,
c’est-à-dire ses potentialités. Cela suggère alors la possibilité d’un
choix et d’une intervention. Faire évoluer le profil d’activation
d’une cohérence permet d’en faire changer la réalité manifestée.
C’est une donnée majeure qui sous-tend les pratiques issues de la
Théorie des Cohérences.
262
THÉORIE DES COHÉRENCES ET DE LA CONNAISSANCE
COHERENCE ET SENS DE LA NOTION DE REALITE
Qu’est-ce que la réalité? A cette question s’opposent les
réponses des réalistes, et celles des idéalistes. Pour les pre-
miers, la réalité c’est ce qui existe, en soi, indépendamment de
toute présence humaine.
L’idéalisme nous dirait que la réalité est un reflet, celui de
quelque modèle premier (structure, raison, idée ou norme et, a
la limite, pure illusion de l’observateur humain.
La théorie de l’Instance invite à poser une autre question
Qu’elle est la source de ces deux hypothèses, humaines, et celle
de quelques autres.
La seconde carte générale de cohérence propose, selon ses
sens, autant de réponses à la question initiale, toutes des
réponses humaines.
On peut y reconnaître le réalisme le plus absolu dans le
sens du matérialisme. La « réalité » est fondée dans la maté-
rialité, absolument. Cet absolutisme est la source de tous les
totalitarismes (dans la réalité). L’idéalisme pur serait centre
sur l’axe de l’organiscisme structuraliste où toute réalité n est
rien d’autre que le déploiement d’un « modèle de base », d’une norme.
Ce sont ainsi les trois quarts du champ des épistémologies
qui se trouvent couverts par le réalisme et l’idéalisme tels que
nous les définissons ici.
On notera par exemple deux variantes de l’idéalisme: le
rationalisme dont la raison et les raisons, constituent les
modèles premiers et le naturalisme positiviste, où la nature et
ses lois sont la cause de toute réalité qui n’en est que consé-
quence. Deux types de réalismes sont notamment à distinguer.
Dans l’animalisme empiriste ou matérialisme subjectiviste, la
réalité est celle de l’expérience, de l’évidence qui « s’impose ».
Dans le naturalisme positiviste ou matérialisme objectiviste,
la réalité est l’ensemble des choses matérielles telles que les
constatent les observations, « scientifiques » notamment, qui
prétendent s’abstraire de la subjectivité de l’observation hu-
maine et de toute humanité.
Dans ce dernier cas on pourrait parler de réalisme idéa-
liste. En effet, d’une part est présupposée l’existence absolue
d’une réalité, d’autre part cette réalité est supposée conforme
aux schémas, lois, modèles, formulés par la science ou l’ob-
servation objective, présentés comme des lois naturelles.
263
THEORIE DES COHERENCES ET DE LA CONNAISSANCE
COHERENCE ET SENS DE LA NOTION DE REALITE
Le savoir objectif est sensé représenter une bonne
approximation de la vérité de la réalité. La preuve en est
recherchée dans l’élimination de toute subjectivité, notam-
ment par la méthode « scientifique ».
Notre propos n’est pas d’entreprendre ici une critique
systématique du réalisme et de l’idéalisme, mais d’abord de
noter la pluralité et non pas la dualité des réponses à la
question: qu’est-ce que la réalité? Il est ensuite de remarquer ce
« réalisme idéaliste » qui domine probablement la pensée con-
temporaine sous l’égide de la science, auquel s’oppose la
réponse proposée par la théorie des Cohérences.
La carte générale des épistémologies nous éclaire sur les
conceptions qui s’opposent au réalisme et à l’idéalisme. A
l’opposé du réalisme-matérialiste on trouvera l’humanisme.
La mesure de toute réalité, c’est l’humanité. La « réalité » de
l’Homme en est exemplaire. Selon cet humanisme la réalité est
ce qui est humainement désigné, nommé et qualifié comme
tel. Il n’y a pas, selon ce sens, de réalité qui ne soit réalité
d’hommes. Il n’y a pas de réalité qui soit connaissable hors de
la connaissance des hommes. La réalité connue par d’autres
que des hommes n’est pas réalité pour ceux-là. Pour l’homme
elle n’existe pas. Il faut bien voir là que l’Homme et l’huma-
nité ne sont pas ici le particulier de chacun, mais la perfection
potentielle d’une humanité universelle réalisant ainsi l’univers
entier comme sa réalité, la réalité humaine.
Cet humanisme a un versant idéaliste avec le rationalis-
me. Ce seraient alors des raisons, idées humaines, dont la
réalité du monde serait le reflet. Ces raisons peuvent bien être
le reflet supposé de Raisons divines sans que cela change le
sens de cette conception rationaliste, à moins que des hommes
en profitent pour cautionner ainsi leur propre appréhension à
contre sens.
Il y en a cependant un autre versant qui s’oppose à
l’idéalisme, celui du culturalisme symboliste, ou se situe notre
perspective.
A l’inverse de l’idéalisme le sens du « personnalisme »
suggère que derrière toute réalité qui manifeste sa présence se
trouve un être, une âme, une personne, un sujet que l’on
pourrait nommer par exemple le Réel.
La réalité serait alors la façon dont se présente le réel. On
peut ainsi concevoir que ce réel ne peut être aperçu que par sa
réalité, c’est-à-dire ce qu’il montre, en ne confondant pas la
réalité manifestée avec le réel manifestant. Le réel serait com-
me la réalité en personne, la réalité n’étant que la présentation,
264
THÉORIE DES COHÉRENCES ET DE LA CONNAISSANCE
COHERENCE ET SENS
DE LA NOTION DE REALITE
aux yeux des tiers notamment. Autrement dit, le réel serait
l’essence ou l’essentiel et la réalité son existence accessoire.
Cette conception, définition personnaliste ou essentialiste
de la réalité, peut se combiner au réalisme dans le « matéria-
lisme subjectiviste » ou « empirisme ».
Le « c’est comme ça », « cela s’impose d’évidence » rend
le réel inatteignable, intouchable, inconnaissable; la réalité
actuelle étant imposée d’autorité.
Le réel de cette réalité ne peut alors être que de l’ordre de
la toute puissance, source de l’absolutisme du réalisme. La
réalité est à la fois toute impuissance (y compris la réalité
humaine) mais investie de la toute puissance qui l’habite.
Dans ce sens et cette définition de la réalité, il n’y a rien à
connaître de la réalité, sinon dans l’affrontement d’une menace
terrible, menace appropriée par qui prétendrait à cette con-
naissance. C’est là que savoir et pouvoir se confondent; à
propos de la réalité « possédée ». Celui qui prétend connaître
la réalité se fait le réel de celle-ci. L’affirmation « c’est comme
ça » impose une réalité dont la certitude est à la mesure de la
«toute puissance» supposée de celui qui l’affirme ou du
moins celle à laquelle il se réfère. Cette toute puissance, en
toute hypothèse, reste inconnaissable à tel point qu’elle n’est
même pas citée dans le « c’est comme ça », qui ne dit pas son
sujet.
Cette appréhension de la réalité, opposée à l’humanisme
idéaliste, est fort courante mais s’assortit d’une déclaration de
vanité de toute recherche de connaissance.
Reste enfin à croiser cette appréhension personnaliste ou
essentialiste de la réalité, avec la conception humaniste.
La réalité est alors la «réalisation» (qualification) par
l’homme du réel, qu’il est lui-même; du réel, d’être humain. Le
réel, essentiel de la réalité, est la personne humaine (l’Instan-
ce). La réalité en est la manifestation, humainement qualifiée,
c’est-à-dire une réalité par l’homme et pour l’homme (univers
par et pour l’homme universel). Il ne s’agit pas ici de nommer
«Homme universel» la toute puissance de la réalité empiri-
que, ce qui reviendrait à y retourner. La théorie de l’Instance
ne va pas sans la nécessite de l’Instant auquel sont subordon-
nées les Instances, à l’universalité et aux personnalités des-
quelles sont subordonnées la réalité et les réalités « faits des
consensus ».
Rappelons ce que la théorie de l’Instance nous dit de la
réalité.
265
THÉORIE DES COHÉRENCES ET DE LA CONNAISSANCE
COHERENCE ET SENS
DE LA NOTION DE REALITE
Le terme de réalité d’abord doit être rapproché de celui
d’existant. Une réalité c’est un existant. Cependant la théorie
de l’existence met en évidence l’aspect représentatif, relatif et
factuel de tout existant, donc de toute réalité. Or dans de
nombreux cas et notamment ceux du réalisme, la réalité sera
souvent ramenée à son seul aspect factuel. Il est intéressant de
noter que le réalisme-idéaliste confondra le plan représentatif
et le plan factuel, la nature des choses et le savoir, la vérité de
celui-ci avec la réalité. L’autre versant du réalisme réduit la
réalité au factuel de l’existence, occultant les autres aspects,
investis justement de cette toute puissance, rendant la réalite
absolument inquestionnable.
La Réalité considérée dans la plénitude de ces aspects
d’existence, est le « moment d’actualisation » d’un consensus
entre Instances. Autrement dit, à chaque réalité considérée,
peut être associé un consensus que l’on sait ensemble de sens
ou cohérence dans les Instances. Ainsi chaque réalité particu-
lière est bien le manifesté pour et par l’homme d’un « réel »
qui se situe en lui-même, en son Instance: une cohérence.
On pourrait alors considérer comme réalité globale l’exis-
tence actualisée d’un consensus total de toute l’Instance: l’uni-
vers de l’universelle humanité. Cette Réalité est-elle réalisée?
Selon l’épistémologie humaniste elle serait en devenir. La
« réalisation » de la réalité universelle ne serait que l’achève-
ment de l’édifice humain, de la création divine en l’hom-
me.
Dans notre conception, même si cette réalité peut être
envisagée, ce n’est que comme ultime manifestation. Bien
souvent, une réalité particulière peut être prise pour la seule
réalité. C’est le cas des conceptions «réalistes».
Pour nous, toute réalité existante est relative à un con-
sensus, une cohérence. C’est l’ignorance de ce consensus, de
son lieu, des sens des réalités, qui peut notamment donner un
caractère absolu à la réalité.
C’est le cas de ce réalisme-idéaliste sur lequel il est utile de
s’attarder de par son opposition à notre conception et son
caractère relativement dominant au travers de la démarche
« scientifique ».
Rappelons que pour celle-ci la réalité existe absolument
indépendamment de l’homme (factuel) et qu’elle existe telle
que l’observation scientifique (représentations) la décrit, du
moins avec une bonne approximation.
Cette approche ignore:
que ses représentations sont humaines,
266
THÉORIE DES COHÉRENCES ET DE LA CONNAISSANCE
COHERENCE ET SENS
DE LA NOTION DE REALITE
– que l’absolu factuel de la réalité: « la nature des choses » est
un postulat humain.
La méthode pour « connaître » (ce terme est tout à fait
impropre) la réalité, dont le terme de « scientifique » est sou-
vent le garant de rigueur et de validité, est une méthode
d’objectivation, mais prise ici comme « abstraction du sujet ».
Il s’agit aussi bien d’abstraction du sujet humain, sujet de
science et de connaissance que du sujet de la réalité, son
éventuel réel, y compris pour l’homme objet de science.
La Réalité est définie et connue par une méthode de
dénégation du sujet humain, d’un non objectivable en l’hom-
me, c’est-à-dire de la transcendance de son Instance.
En effet, par définition, l’Instance est transcendante en
tant que non objectivable, non réalité, c’est-à-dire irréducti-
blement d’un autre ordre que celui de la réalité existante.
Il est logique qu’une méthode qui ignore son sujet, ignore
le sens, et instaure son objet comme absolue réalité, supposée
atteignable en vérité.
L’observateur n’y a aucune incidence sur le phénomène
observé. C’est ce que remettent en question nombre de scien-
tifiques dont l’effort d’objectivation échouerait à liquider tota-
lement le sujet de ce verbe qu’est « objectiver ». Ce verbe, en
effet, peut rapprocher apparemment ces deux conceptions
opposées de la réalité.
Le réalisme objectiviste atteint à la réalité par une démar-
che d’objectivation dont le fruit serait indépendant du sujet
objectivant et de la démarche elle-même. Pour cela, il lui faut
bien poser que la Réalité existe absolument (objectivement)
indépendamment de tout sujet.
A l’inverse, l’objectivation est une façon pour le sujet
d’être dans une perspective de connaissance; son fruit: l’objet,
la réalité, n’étant rien d’autre que ce qui se présente à la
rencontre ou l’intersection de sa démarche d’objectivation et
du Réel qui n’est rien d’autre pour sa part que l’Instance, ou
les Instances des autres en consensus.
Objectiver est ainsi « faire objet » de cette rencontre, de ce
consensus ou encore « faire réalité ». La réalité est le nom et
l’existant de l’intersection entre les Instances. Elle est, pour le
sujet qui l’objective, ce qu’il perçoit et « réalise » de sa par-
ticipation à un consensus; comme la réalité d’un réel que serait
ce dernier. Tout se passe, en effet, comme si le sujet de l’ob-
jectivation rencontrait un Réel, consensus d’autres Instances,
indépendant de lui et que cela faisait réalité à ses yeux. S’il
ignore qu’il en est un sujet, cette réalité objective lui apparaîtra
267
THÉORIE DES COHÉRENCES ET DE LA CONNAISSANCE
COHERENCE ET SENS DE LA NOTION DE REALITE
donc comme existant absolument, indépendante de lui et de
tout sujet puisqu’il n’en connaît plus l’être, même en lui-
même. La réalité, fruit de son objectivation sera bien consi-
dérée par lui comme le tout et l’absolu en soi, c’est-à-dire une
réalité dite objective. Son « objectivité » revient bien à élimi-
ner, à dénier tout sujet, en lui comme en les autres, et tout
consensus que nous considérons comme nécessaire pour faire
objet.
Il n’est plus besoin d’humain, d’autrui pour qu’existe la
réalité, sa realité même, plus besoin d’oeuvre humaine, de
communauté humaine, de responsabilité humaine, etc… La
mort en est la sanction paradoxale. A dénier l’être transcen-
dant de l’homme la mort de son existence en devient l’issue
fatale au lieu d’être la limite (effective) de sa réalité objectivée.
Revenons à l’autre version où l’objectivation est une
démarche d’homme, et même de connaissance, ne serait-ce
déjà qu’en tant que rencontre, participation aux consensus.
Son fruit: objet, réalité; existant, devient alors repère, révéla-
teur de lui-même, « objectivement » et des autres « objective-
ment » dans leur consensus. La réalité objective ne joue alors
que ce rôle de repère révélateur, autrement dit de symbole de
cette rencontre, du consensus partagé.
De ce fait, toute réalité est symbolique en tant qu’elle
signifie le sujet personnel de sa considération et le consensus
collectif de sa participation. En tant que telle, elle peut média-
tiser la connaissance de ce consensus et de la personne, en
elle-même. Tout objet ou réalité existante est objet d’objecti-
vation, pouvant être objet d’élucidation, autrement dit de
connaissance (de la réalité, de soi et des autres), autrement dit
de conscience de sens, autrement dit d’accomplissement.
C’est ce sur quoi repose la théorie des Cohérences et ce
que propose l’analyse de cohérence, méthode de connaissance…
268
THÉORIE DES COHÉRENCES ET DE LA CONNAISSANCE
THEORIE DES COHERENCES CULTURELLES
Une culture est une réalité, dès qu’on la désigne comme
telle. Comme toute réalité elle a une unité qui englobe une
grande diversité d’aspects partiels évolutifs. Elle a aussi une
permanence (qui n’est pas éternelle) qui, comme l’attestent
certaines cultures, peut s’étendre sur des millénaires.
Au départ, une culture doit être désignée par un critère
central. Il s’agit de la culture d’une population donnée, d’un
territoire, d’un champ linguistique, d’une religion, d’une tra-
dition philosophique ou même d’une profession ou d’un cri-
tère d’existence quelconque.
Dès que l’on peut rassembler une population autour de
l’un de ces critères, cette population a une existence commune
(même si toute l’existence de chacun ne s’y réduit pas). Il y a
en effet consensus, au moins autour de l’existence du critère
commun (même s’il n’y a pas conscience de ce consensus). La
théorie des cohérences culturelles, corollaire de la théorie des
cohérences, porte donc aussi bien sur la culture d’un territoire
comme l’Afrique entière, ou d’une micro région, que sur la
culture d’une collectivité territoriale, état, département, com-
mune, cité. Elle porte aussi sur la culture d’un groupe social,
comme les adolescents, ou d’une institution, entreprise, orga-
nisme, association. Elle porte enfin sur la culture des popu-
lations réunies autour d’une religion, l’Islam par exemple, ou
une philosophie comme le marxisme, une langue, une tradi-
tion, une activité, etc…
La théorie des Cohérences Culturelles se situe donc au
coeur de toutes les questions de sociétés.
La culture d’une population, sur le plan de sa réalité, est
justement tout ce qui fait existence commune: le monde de
cette population. En effet, c’est le consensus propre de cette
population qui fait toute son existence commune. Si, comme
le laisse entendre l’énumération précédente, chacun peut se
trouver situé à l’intersection de multiples cultures, son exis-
tence est donc multiple, multiculturelle. Cependant chaque
fois que l’on se rapporte a telle culture, l’existence devient
coexistence dans cette culture. Etre français n’empêche pas
d’être breton mais les deux mondes ne sont pas totalement
superposables.
Ainsi on peut parler du monde d’une culture qui est
l’existence, fait de son consensus, coexistence de sa population
où toutes les réalités sont réalités dans ce consensus.
269
THÉORIE DES COHÉRENCES ET DE LA CONNAISSANCE
THEORIE DES COHERENCES
CULTURELLES
Les réalités d’une culture ce sont notamment:
– ses langages propres,
– ses représentations du monde, de l’homme, de son devenir,
– son histoire,
– son actualité avec ses moeurs et pratiques,
– ses productions, artistiques ou non,
– son développement, ses devenirs et ses dynamiques.
Tout cela vaut pour toutes les cultures. Il va sans dire que
les réalités, d’une culture à l’autre, sont plus ou moins riches,
plus ou moins variées. La culture d’un petit groupe d’indivi-
dus; réunis pour peu de temps, est probablement infiniment
moins riche que celle d’une population réunie pendant des
siècles.
Il s’agit donc, tout d’abord, de bien apercevoir qu’il existe
une réalité culturelle pour chaque culture. Cette réalité, cepen-
dant, est toujours changeante et variée. Variée, parce que
chaque personne, chaque sous groupe, ont leur façon particu-
lière de participer à leur culture. La réalité culturelle n’est pas
sans différences ni même sans contradictions ni oppositions.
En outre, selon les circonstances et les époques, la réalité
culturelle est changeante. On voit des cultures en régression et
qui se réveillent, on voit des moeurs disparaître et en naître
d’autres. Des transformations incessantes, lentes ou rapides,
agitent les réalités de toute culture.
Cette existence des réalités culturelles, selon la théorie des
Cohérences, est sous tendue par une cohérence, la Cohérence
Culturelle.
Cette cohérence c’est le consensus spécifique de la popu-
lation concernée, intersection de leurs Instances. Elle a, pour la
culture, toutes les propriétés d’une cohérence.
La cohérence culturelle de chaque culture est un ensemble
centré, de sens divergents à partir d’un foyer, et qu’une carte
de cohérence culturelle peut représenter. La cohérence cultu-
relle fait l’unité, la permanence et la cohésion de la réalité
culturelle.
La cohérence culturelle est comme l’âme de cette culture,
son esprit, et on l’appellera aussi la personnalité culturelle.
Cette personnalité culturelle a plusieurs traits, comme toute
cohérence, c’est-à-dire plusieurs sens.
270
THÉORIE DES COHÉRENCES ET DE LA CONNAISSANCE
THEORIE DES COHERENCES CULTURELLES
La multiplicité de ces sens fait déjà la variété des signi-
fications, des dynamiques agissantes dans la culture. Selon
l’intensité des activations relatives, tel ou tel sens dominera et
la réalité sera plus ou moins importante, avec une population
plus ou moins impliquée dans sa culture commune.
La considération de cette cohérence culturelle ouvre la
porte:
– à la connaissance profonde des cultures, par élucidation des
sens. Cette connaissance « essentielle » peut s’acquérir par une
« analyse de cohérence » qui permet d’établir la carte de cohé-
rence de chaque culture.
– au problème de l’orientation collective, problème politique
par excellence, celui du discernement et du choix d’un devenir
commun.
– au problème de l’action collective (et de la communication),
lorsqu’il s’agit d’intervenir sur les réalités d’une culture
(développement, innovations, dynamisations, conversions,
enrichissements, dialogues, etc…).
En effet, c’est au coeur de la culture, à sa source même, sa
cohérence culturelle, que peuvent se jouer connaissances,
choix et interventions, là où les activations s’actualisent en
existence de réalités communes.
C’est encore au coeur du sujet que la théorie des cohé-
rences culturelles permet d’accéder pour la connaissance et la
pratique, c’est-à-dire pour une quelconque maîtrise des pro-
blèmes de société qui ne soit pas exclusivement empirique. Il
faut bien reconnaître que dans ce domaine, que ce soit sur les
plans politiques, sociologiques, économiques ou même reli-
gieux, il ne semble pas y avoir aujourd’hui une grande maî-
trise. La théorie des cohérences culturelles pourrait contribuer
à développer une science et un art nouveau de ces questions.
Quelques considérations sont encore à faire ici pour sus-
citer la méditation à propos de cette conception des cultures.
Toute culture étant fondée sur une cohérence, elle représente
une part de l’humanité et ce, de deux façons:
– Dans la réalité, comme part de la population humaine et
du monde,
– Dans l’ordre du sens, comme cohérence qui est une part de
l’Instance humaine.
Chaque cohérence de l’Instance humaine peut être con-
sidérée comme sous tendant un type de problématique humai-
ne qui s’actualise dans une infinité de réalités homologues,
dont celles d’une culture donnée.
271
THÉORIE DES COHÉRENCES ET DE LA CONNAISSANCE
THEORIE DES COHERENCES CULTURELLES
Ainsi, on peut dire que chaque culture a en charge une
part de l’humanité. C’est ce qui fait que chaque homme peut se
retrouver, partiellement, dans toute culture humaine lorsqu’il
en partage le consensus, sur la même cohérence qui est aussi la
sienne.
Si chaque culture a en charge une part de l’humanité, c’est
pour elle même et pour les autres. Chaque culture, parmi tous
les sens qui sont les siens, peut s’orienter vers un sens qui est
d’accomplissement de l’homme, ou le permet. On peut dire
ainsi que chaque culture à une mission: maîtriser l’orientation
de son existence et choisir le sens du bien de l’humanité, celui
de son accomplissement en l’homme. C’est aussi sa vocation
pour en témoigner auprès de tous les hommes de toutes les
autres cultures et ainsi, contribuer à l’accomplissement de
tous.
Il est certain que ceux qui assignent à toute culture des
objectifs ou des modèles existentiels pour leur bien et leur
devenir, dénient la personnalité de chacune et en méconnais-
sent la vocation propre. Ils ignorent que tout objectif et tout
modèle, comme toute réalité, sont culturels. Ils méconnaissent
leur propre culture, leur propre vocation, leur propre person-
nalité tout en voulant s’imposer aux autres. C’est malheureu-
sement la règle la plus fréquente dans le monde contemporain.
Les échecs des injonctions ou des actions pour le développe-
ment des pays pauvres, prouvent l’inanité de ces conceptions
et l’ampleur des conversions qui seraient nécessaires. La prin-
cipale est celle de la reconnaissance des personnalités cultu-
relles, de la spécificité culturelle de toute réalité (faits, repré-
sentations, vécus); ce qui conduit à une autre conception de
l’homme et de la personne humaine et à l’abandon des réa-
lismes et des idéalismes qui méconnaissent le lieu d’où existe
toute réalité: l’Instance de l’homme dans ses consensus cul-
turels. La théorie des cohérences culturelles propose une telle
conversion.
272
II
THEORIE DE LA CONNAISSANCE
Le monde qui nous entoure est rempli d’objets d’interrogations.
Que ce soit pour nos préoccupations quotidiennes, que ce soit lors de nos
activités professionnelles, que ce soit pour nos recherches ou question-
nements plus généraux, nous sommes toujours en quête de comprendre
et de connaître.
Il est logique de penser qu’une théorie des cohérences de la réalité
ait à envisager spécifiquement le problème de la connaissance.
Chaque épistémologie tout d’abord, chaque sens de la carte des
épistémologies, sous-tend une certaine théorie de la connaissance. Pour
chacune, connaître et la façon de connaître sont différents. Ils sont
différents parce que la réalité des choses n’est pas la même, parce que
les postulats ne sont pas les mêmes, parce que les dipositions de
l’homme vis à vis des choses et de lui-même sont différents. La nature
du savoir et le rapport à ce savoir sont très différents, ainsi que sa nature
et son usage dans les pratiques de l’existence et le devenir personnel et
collectif de l’homme.
Trop de théories de la connaissance ne débouchent sur aucune
pratique. Trop de théories de la connaissance ne débouchent sur aucune
finalité pour l’accomplissement de l’homme. La connaissance, telle
qu’elle est envisagée ici, est au contraire, ce qui permet d’aller au coeur
du sujet, là où se joue son devenir et se sourcent toutes ses prati-
ques.
Il s’agit alors d’une connaissance essentielle, celle qui porte au
coeur du sujet. Nous ne négligeons pas pour autant une connaissance
existentielle, celle des sujets et objets de considération, celle des réali-
tés.
Comme on le verra ces deux connaissances sont très différentes
mais ont quelques rapports mutuels.
Il faudra, pour définir ces deux types de connaissance, revenir à la
théorie de l’Instance, celle des Cohérences, de l’Existence et des cons-
ciences de sens et de réalités.
273
THEORIE DES COHERENCES ET DE LA CONNAISSANCE
1) Connaissance essentielle
et connaissance existentielle
Les énoncés de la théorie des Cohérences tels que: « une réalité est
le manifesté de sa cohérence » peuvent se situer sur l’axe du person-
nalisme dans la carte épistémologique. La cohérence y est comme
«l’âme», «l’essence», de la réalité considérée.
Cependant dès que l’on rappelle que la cohérence appartient à
l’Instance de chacun comme part de son humanité, nous nous trou-
vons sur l’axe vertical de l’humanisme.
Le consensus qui fait réalité nous renvoie à la rencontre de ces
deux sens avec la culture et le symbole. C’est là le sens majeur de la
théorie que nous développons, donc celui de la connaissance, de ses
méthodes et ses utilités.
Reprenons donc maintenant, à l’aide de l’ensemble de la théorie,
cette question de connaissance, située parmi d’autres versions récla-
mant d’autres théories (que l’on pourrait d’ailleurs reconstituer).
Tout d’abord, c’est en rapport avec un existant que la question
peut se poser. Disons même que l’existence de la question suppose
celle de celui qui la pose et d’un objet à propos duquel il la pose. On
retrouve là les vecteurs intention, attention, du schéma de l’existence.
La question de la connaissance dans l’existence nous renvoie donc
d’abord à la ternarité de l’existence. La question de la connaissance s’y
situe d’emblée dans l’affectation du sujet par son objet, c’est-à-dire
dans le plan relatif, où d’ailleurs, on l’avait déjà rencontrée.
Mais ce schéma de l’existence n’est-il pas celui de la réalité même
qu’il est question de connaître. Cette réalite peut ainsi s’envisager selon
ses trois aspects: le plan factuel, représentatif et relatif. Or nous avons
vu avec la théorie de l’existence que les plans relatifs et représentatifs
étaient les deux volets de ce que nous avons appelé conscience de
réalité: la conscience sensible et la conscience formelle.
274
THÉORIE DES COHÉRENCES ET DE LA CONNAISSANCE
Nous voilà donc ramenés au fait que la connaissance d’un existant
correspond justement à ces deux plans de son existence. La conscience
formelle et la conscience sensible sont immanentes au factuel de
l’existant Ainsi lorsque nous envisageons une réalité donnée, en même
temps que désignée, elle est connue de deux manières selon cette
double conscience. Cependant nous avons vu aussi, que selon les sens
qui s’actualisent dans le moment de l’existence de cette réalité, ces
plans sont plus ou moins étendus, c’est-à-dire que 1’existant est plus ou
moins connu. Il serait à ce propos intéressant de reprendre à nouveau
la carte des épistémologies pour, selon chaque sens, envisager le poids
de ces différentes consciences de réalité. Pour celui qui nous concerne
ici nous savons déjà que c’est celui de l’existence pleine, celle ou les
trois plans de l’existence coexistent et donc où se trouvent déployés ces
deux volets de la conscience des réalités, d’une « connaissance exis-
tentielle» des choses:
– la conscience formelle: représentation de l’existant,
– la conscience sensible: connaissance, « intuitive », par exemple, de
l’existant.
Il est possible aussi de comprendre l’intuition comme à l’intersection
de ces deux types de consciences, selon le vecteur intention
C’est ce qui peut la faire prendre pour l’accès à l’être des choses
et de l’homme. Cependant elle reste dans l’immanence de 1’existence
là où en restent la plupart des philosophies de la connaissance
et de l’être, à l’intuition limite de l’essence de l’existence qui n’est
pas encore l’Etre-Instance transcendante.
Nous sommes, là encore, au seuil de la connaissance que nous
visons une connaissance essentielle, celle du réel de 1’essence et donc
de la cohérence de l’existant connu existentiellement.
Nous en venons à la conscience de sens. La connaissance d’une
cohérence ne peut être obtenue que par élucidation, c’est-à-dire cons-
cience de sens. C’est donc ce qu’encadrent les plans relatifs et repré-
sentatifs, c’est-à-dire le vecteur intention, qui est le repère existentiel
de ce qui, pour le sujet de connaissance, est le lieu d accès (le seuil) au
sens et à la cohérence de l’existant.
Nous en verrons les conséquences sur le plan de la démarche et de
la méthode, notamment en situant dans le sujet de la question le lieu
d’accès à la réponse. Quelle est la cohérence de telle réalité exis-
tante?
2) La connaissance essentielle pour son sujet
Ainsi nous avons pu maintenant assimiler la connaissance essen-
tielle d’une réalité, au delà d’une connaissance existentielle, à la cons-
cience des sens d’une cohérence qui ne peut s’atteindre que par élu-
cidation. Envisageons maintenant ce qu’est et ce que procure cette
connaissance d’une réalité donnée.
275
THÉORIE DES COHÉRENCES ET DE LA CONNAISSANCE
Tout d’abord, par la conscience des sens d’une cohérence, c’est en
lui-même que le sujet trouve le lieu de sa connaissance. Cela indique,
non seulement qu’il est le sujet de «connaître», mais que ce qu’il
connaît c’est justement d’être sens. De ce fait, on peut dire que toute
connaissance essentielle de quelque chose est une reconnaissance de
soi en tant qu’Instance, du moins au lieu particulier de cette cohérence
dans l’Instance.
De là, certainement, cette idée que chacun porte en lui potentiellement
la totalité des connaissances. Nous dirons qu’il suffit pour
cela de l’élucider, ce qui n’est pas si simple.
Il ne faudrait pas voir là une version idéaliste qui voudrait qu’il y
ait en l’homme une sorte de reflet du monde, ou l’inverse. Les cohé-
rences et les sens ne sont pas des idées, ni des images, ni des structures.
Ils ne sont pas immanents au monde mais transcendants, c’est-à-dire
notamment, irréductibles à une quelconque des catégories d’existants
possibles y compris sensibles ou formels. En outre, il n’y a pas non plus
une correspondance bi-univoque entre cohérences et existants. A une
cohérence de l’homme on pourrait associer l’infinité de ses actualisations,
c’est-à-dire des réalités homologues.
Voilà la clé d’un aspect important de ce qu’est et procure la
connaissance essentielle d’un objet d’intérêt, ramenant au seul lieu
connaissable par l’homme: lui-même en son Instance, s’il y accède.
C’est de ce lieu que l’on peut en envisager les conséquences.
D’abord en tant que cohérence personnelle, c’est toute son histoire
personnelle, depuis éventuellement les premières expériences instau-
ratrices, qui se trouvent élucidées. Uniquement ce qui est de cette
cohérence là bien sûr. Toute recherche de connaissance peut donc
renvoyer ainsi à une anamnèse. Le sujet y trouve à se reconnaître et,
s’il l’envisage, à reconstituer son historicité, essentiellement selon cette
cohérence élucidée (ou en cours d’élucidation). Cette anamnèse peut
porter aussi bien sur l’histoire personnelle que sur l’environnement
familial, social, culturel, correspondant. C’est donc une (reconnais-
sance du contexte familial, culturel, social qui se trouve éclairé du
même coup pour l’intéresse. On retrouve là l’indication de l’implica-
tion personnelle et de ses effets, et aussi de problèmes éventuellement
rencontrés lors d’une recherche de connaissance à propos d’une réalité
quelconque. D’une certaine façon, c’est le chercheur qui se trouve
lui-même à l’issue de sa recherche. Cela n’empêche pas que sa con-
naissance soit en même temps celle de l’objet de son attention. Cepen-
dant, toute recherche de connaissance essentielle ne peut s’inscrire que
dans une confrontation à soi-même et aussi dans une démarche
d’accomplissement personnel. Cela indique les limites, les conditions
et les exigences d’une telle connaissance.
Qui ne veut ni ne peut élucider les sens en lui-même dans cette
recherche à propos d’une réalité, ne peut connaître cette dernière. C’est
pour cela que la « méthode scientifique » est en ce sens une méthode
de « méconnaissance essentielle » active. Cela ne veut pas dire pour
autant qu’elle soit sans apports sur le plan existentiel.
276
THÉORIE DES COHÉRENCES ET DE LA CONNAISSANCE
Revenant en ce lieu où réside pour le sujet la cohérence de son
objet d’étude, nous y trouvons donc ce que nous pourrions appeler la
cohérence d’une «problématique» personnelle, qui lui fait ou non
problème, mais dont l’élucidation ouvre l’intéressé au choix et au
changement éventuel. La connaissance essentielle d’une réalité quel-
conque peut donc changer la vie de celui qui y parvient.
Par ailleurs, on peut dire que chaque cohérence personnelle est
aussi une cohérence universelle de l’homme, en laquelle les uns ou les
autres se trouvent plus ou moins concernés.
Nous en tirerons deux conséquences pour la connaissance.
D’abord elle devient connaissance de l’homme (en ce lieu partiel) et
des existants qui l’actualisent, problèmes humains, actualisations so-
ciales, culturelles, intellectuelles, etc… Elle ouvre donc vers la possi-
bilité d’une « maîtrise », au sens déjà envisagé de ce terme, dans tous
les espaces d’existence correspondants, par exemple professionnel.
Depuis l’objet initial, la connaissance essentielle qui est aussi recon-
naissance de soi, ouvre ainsi à la connaissance (ou maîtrise) de tout un
pan de « l’humaine condition ». Soulignons que ce terme de maîtrise
n’a rien à voir avec un pouvoir qu’un supposé savoir donnerait, mais
plutôt à la possibilité d’un «témoignage de soi» profession de soi,
profitable à d’autres, autant qu’ils s’y retrouveraient. Cette connais-
sance donne « autorité » comme témoin (expert?) et ouvre à la ques-
tion de liberté et de responsabilité assumée en conséquence.
Nous voilà, semble-t-il, loin de notre objet initial à propos duquel
s’engage une recherche de connaissance. En fait, cela nous y ramène.
En effet, comme toute réalité, elle est réalité d’un consensus d’une
population, impliquée dans cet objet par cette même cohérence. C’est
donc vis à vis de cette population et aussi à propos de cet objet initial
que les conséquences précédentes de la connaissance essentielle trou-
vent leur intérêt. C’est le cas par exemple d’un enseignement autour de
l’objet, celui aussi d’une intervention dans un milieu social ou dans la
problématique personnelle d’un tiers. Il faut considérer que c’est cette
connaissance même qui « autorise » une « expertise » auprès des per-
sonnes intéressées par cette réalité initiale. Cette connaissance, ancrée
dans la personne du chercheur, lui procure maîtrise pour lui même et
lui indique aussi quelle « problématique humaine » se joue dans le
milieu concerné par cette réalité. On trouvera par exemple qu’une
institution, réalite commune pour ses membres, les rassemble autour
d’une certaine problématique humaine qui se manifeste, par exemple,
dans le type de leurs communications, leur idéologie, îeur activité,
leurs difficultés, etc…
Plus largement c’est toute une culture qui peut être concernée
autour d’une réalité qui lui est propre, légendes, faits historiques,
système politique, activités, etc…
La connaissance essentielle d’une réalité peut donc être considérée
comme celle d’une part de l’humanité en chacun et dans le monde où
c’est la part spécifique des populations, particulièrement concernées
par les réalités de cette même cohérence, celles de leur culture.
277
THEORIE DES COHERENCES ET DE LA CONNAISSANCE
En poussant encore l’analyse on s’aperçoit que la connaissance
essentielle d’un objet particulier est aussi connaissance de toutes ses
réalités homologues, c’est-à-dire de toute une partie de la Réalité; aussi
bien des faits, des représentations que des relations.
Chaque analyse de cohérence un peu poussée ouvre à de telles
perspectives. L’expérience confirme la théorie. Toute connaissance
essentielle d’une réalité particulière est, selon sa cohérence spécifique,
connaissance de soi, connaissance de l’homme en général; connais-
sance de l’homme en particulier, en rapport avec la réalité initiale ou
des homologues selon cette cohérence, connaissance particulière du
monde selon ses réalités particulières homologues.
S’agissant d’une connaissance essentielle, il ne s’agit pas automa-
tiquement d’une connaissance existentielle. Cette connaissance essen-
tielle ne procure pas immédiatement par exemple une connaissance
formelle exhaustive de tout ce qui précède (l’exhaustivité étant là une
fiction). Il y a deux limites à cela. La première provient du fait que ne
peuvent être connues existentiellement que les réalités «actuelles»
pour l’intéressé, c’est-à-dire celles qui sont actualisation d’un consen-
sus auquel il est participant.
On ne peut utiliser cette conscience essentielle pour une réalité qui
n’existe pas pour soi. On peut cependant y accéder plus facilement si
elle se présente.
L’autre limite est celle de l’élucidation même. La conscience de
sens ne procède pas d’un tout ou rien mais d’une «lumière» pro-
gressive. Le discernement obtenu peut être plus ou moins aigu et, en
conséquence, la connaissance et ses bénéfices. Il faut dire aussi que l’on
verra des pseudos connaissances se prendre pour une vraie conscience.
Ce n’est pas nouveau qu’un aveuglement se prenne pour l’illumination,
aveugle qu’il est sur son propre regard. Seule la connaissance sait
son ignorance, même si elle ne sait pas la mesurer. C’est ainsi que la
connaissance essentielle invite à la prudence.
3) La connaissance essentielle pour son objet
Revenons maintenant à l’utilité de la connaissance essentielle
pour l’objet initial de la recherche. A quoi cela sert-il de le connaître
ainsi? Il y a deux réponses corollaires. La première est celle-ci: la
connaissance essentielle ouvre la possibilité de toutes connaissances
existentielles de cette réalité, donc de ses aspects, parties, mouve-
ments, changements, etc… C’est celle que l’on développe ici. L’autre
réponse, est liée à l’action, c’est-à-dire l’intervention personnelle dans
l’existence de cette réalité pour y participer ou, plus généralement,
contribuer à la transformer. C’est l’enjeu de toutes les activités humai-
nes. La connaissance essentielle n’est pas, bien entendu, la condition
de l’action mais elle ouvre la possibilité d’une action plus juste, plus
efficace, plus pertinente parce que touchant à l’essentiel, au lieu méta-
physique de toute réalité, et aussi plus libre et donc responsable.
278
THÉORIE DES COHÉRENCES ET DE LA CONNAISSANCE
L’action « lucide » a toutes les chances d’être meilleure. Cependant il
ne s’agit pas pour autant d’action « miraculeuse », limitée qu’elle reste
d’abord par une connaissance jamais absolue et, d’autre part, par le fait
qu’en tant que réalité d’un consensus, elle est toujours coexistence et
hors de la maîtrise d’un seul.
Ainsi se retrouve le paradoxe de la liberté, de la responsabilité et
de la maîtrise personnelle qui adviennent en même temps que la
découverte de la part des autres dans toute action et réalité. Le résultat
reste ainsi « à la grâce de Dieu » au travers de celle des hommes, qui
n’en savent souvent rien. C’est encore à la prudence et aussi à
l’humilité que ramène cette connaissance tout en offrant les perspectives
que l’on a développées et qui restent à envisager.
Reprenons la question de l’utilité de la connaissance existentielle
dont les bénéfices se retrouvent, bien sûr, dans l’action.
4) Connaissances existentielles
Connaissant l’essentiel, la cohérence d’une réalité existante, l’accès
est possible à la connaissance de l’existence même de cette réalité,
selon toutes ses dimensions et ses aspects. C’est en prenant le schéma
ternaire de l’existence que l’on peut envisager en quoi consiste cette
connaissance existentielle.
Le vecteur intention nous indique les différentes directions, orien-
tations, logiques, dynamiques, etc… de l’existant, selon les divers sens
de la cohérence, comme autant de potentialités, suivant que tel ou tel
sens domine. La connaissance (essentielle) du sens dominant d’une
réalité ouvre alors sur la connaissance (existentielle), perspective et
rétrospective de cette réalité; de quoi expliquer le passé et prévoir ou
projeter l’avenir ou du moins son principe.
Le vecteur attention. Sa connaissance est indicatrice des « objets
significatifs » de cette réalité. C’est donc à partir d’une connaissance
essentielle que peuvent être déterminés les caractères ou critères signi-
ficatifs, et non l’inverse, comme le tenterait une détermination à priori
de ceux-ci. Les «objectifs» et repères véritables ne seront reconnus
tels, que par une connaissance essentielle préalable. Les objets déter-
minants de la réalité connue peuvent être classés selon le sens de la
cohérence pour lequel ils sont significatifs. C’est aussi le principe de
toute analyse qualitative.
Le vecteur extension. Il caractérise le développement (spatio-
temporel) de la réalité, son historicité comme son étendue. Cette
connaissance est à nouveau prospective, cette fois-ci sur le plan dia-
chronique, c’est-à-dire celui par exemple, d’une séquence événemen-
tielle. C’est ce qui permet de connaître le mouvement de la réalité.
Par ailleurs la diversité des sens de la cohérence et celle des
« objets » (vecteurs intention et attention) présupposent la multiplicité
des extensions. Cela revient à dire que chaque réalité existante est
elle-même composée d’une multitude d’existants (ses parties), classa-
279
THEORIE DES COHERENCES ET DE LA CONNAISSANCE
bles, soit selon leur sens dominant (vecteurs intention), soit selon les
«objets» auxquels ils se rapportent (vecteurs attention), avec les
combinaisons des deux. Chaque existant partiel, appartenant à l’exis-
tence de la réalité considérée, lui est homologue. Autrement dit, si on
considère la réalité selon son extension, chaque partie locale est
homologue à l’ensemble global. Cela donne une perspective hologra-
phique de la réalité. Le commun c’est (au moins) la cohérence com-
mune (toute réalité est ainsi et plus généralement, toute la Réalité).
Cela permet d’envisager que, visant une réalité partielle locale dans
l’action, on atteigne la réalité globale et vice versa par le biais de leur
source commune: la cohérence.
Cette connaissance existentielle selon l’extension, complète, avec
les deux précédentes, ce qui est nécessaire pour comprendre « la nature
existentielle» de la réalité et les principes de l’action sur elle. Les
variables sont les sens dominants et leur pendant intentionnel, ainsi
que les objets visés ou domaines d’exercice de l’intention, c’est-à-dire
les objets d’attention. La résultante en est le changement d’extension
dans ses parties et son tout.
La connaissance existentielle ne s’arrête pas là, puisqu’elle est celle
des différents aspects: la conscience sensible du plan relatif, connais-
sance des liaisons (significations), relations du vecteur intention à
l’attention. C’est par exemple, la compréhension intuitive du contenu
des communications dans la réalité étudiée. La conscience formelle
nous donne la forme descriptive de cette réalité, modèles, théories,
images, figures, trajectoires, idéalités… (ce que bien souvent on assi-
mile au savoir) et ses représentations ou formulations.
Le plan factuel, non envisagé comme conscience, pourrait être
assimilé à une connaissance empirique ou un constat de fait. On
pourrait l’assimiler à une connaissance expérimentale où, la présence
participante du sujet, valide et se confond avec le fait de la realité de
l’objet. C’est une sidération du sujet qui est prise comme fait, « l’effet
pour les faits », auxquels on peut croire « dur comme faire » ou l’en-fer.
Quelques jeux de mots pour remettre à sa place cet aspect de la
connaissance existentielle qui, si elle s’y réduit, dénote l’absence de
toute connaissance essentielle. Cette connaissance existentielle est
néanmoins celle qui nous permet de poser des actes au bon endroit et
d’en peser les effets et on pourrait la dire instinctive, sinon animale, ou
même végétative.
L’accessibilité à la connaissance existentielle et ses différentes
dimensions et aspects, se trouve largement déployée par la connais-
sance essentielle, sans que celle-ci en soit la condition. En effet, une
connaissance existentielle partielle et limitée peut être acquise sans
conscience de sens. Mais l’absence de celle-ci interdit toute véritable
explication de la réalité à moins de la réduire à une interprétation. Par
ailleurs la conscience existentielle se trouve immédiatement acquise
avec la connaissance essentielle en tout aspect considéré actuellement
de la réalité ainsi connue.
280
THÉORIE DES COHÉRENCES ET DE LA CONNAISSANCE
5) Perspectives de la théorie des connaissances
Comme pour les cultures, sur chaque type d’objet de connaissance
peut se reformuler une version adéquate de la théorie des cohérences,
intégrant une pratique particulière de l’analyse de cohérence et débou-
chant sur des utilités spécifiques.
C’est ainsi, que l’on peut dire que la théorie des cohérences est une
méta-théorie, de laquelle on peut tirer des théories corrolaires, répon-
dant à des domaines spécifiques, caractérisés par leurs objets. Il en va
de même pour les pratiques.
Le thème de la connaissance essentielle est commun à tous les
domaines avec ces conséquences générales. Parmi elles, on a déjà
évoqué l’accès à une connaissance existentielle spécifique de chaque
réalité existante. Il reste cependant deux conséquences générales de
toute connaissance essentielle: celles de la liberté et de l’accomplisse-
ment.
Il y a un savoir qui égare et une connaissance qui rend libre. La
liberté qui résulterait de la connaissance d’un très grand nombre de
portes fermées ne serait pas très libératrice. C’est celle que propose un
savoir objectivé, qui éreinte toute recherche de libération, par l’im-
possibilité et la vanité de tout choix dans la multitude des objets et des
signes qu’elle propose. C’est un peu comme la babélisation qui dis-
perse l’homme et l’égaré. La connaissance essentielle à propos d’une
réalité, amène à s’y reconnaître, ce qui est la condition pour prendre
position, c’est-à-dire choisir, en se différenciant, en tant que sujet, de
l’objet de son choix.
La liberté dont il s’agit, se présente sous plusieurs aspects:
– liberté de n’être pas réduit à l’existence des choses, quelles qu’elles
soient, en tant qu’Instance, lieu des sens, transcendante à l’existence où
se place la réalité.
– liberté de participer ou non au consensus, autrement dit d’exister
ou non avec la réalité en question ou de mesurer sa participation. Cela
revient à pouvoir éviter des situations, des réalités dans la mesure ou
la connaissance essentielle de leur cohérence en permet à temps la
connaissance des sens.
– liberté de choisir un sens parmi ceux d’une cohérence pour la
réalité considérée. C’est celle qui permet de choisir une orientation,
une direction et qui offre la seule véritable responsabilité de direction
(de gouvernement, d’orientation) celle qui résulte à la fois d’un con-
sentement (consensus sur certains sens) et d’un renoncement (non
consensus sur d’autres sens possibles).
– liberté de choisir parmi les sens possibles d’une cohérence, ceux
dont l’existence est de nature à ouvrir à d’autres connaissances essen-
tielles. Autrement dit: liberté d’accroître sa liberté dans la réalité en
question.
281
THÉORIE DES COHÉRENCES ET DE LA CONNAISSANCE
Par la conscience de sens qu’elle suppose, la connaissance essen-
tielle offre donc une liberté qui est autonomie, responsabilité, accom-
plissement ; cela, en outre, non seulement lors de la connaissance de
réalités exceptionnelles mais aussi des réalités les plus banales. C’est
ainsi que toute activité de connaissance essentielle des réalités de
1’existence est aussi accomplissement de celui qui s’y exerce. Le béné-
fice de cette activité se situe moins, pour l’intéressé, dans le résultat
pour les autres et le salaire qu’il en reçoit, que dans son propre
accomplissement. Cependant cette connaissance essentielle est aussi ce
qui permet de faire le choix de la même liberté pour les autres, par
consensus sur les mêmes sens d’accomplissement.
Liberté et accomplissement se trouvent donc indissociables. L’un
facilite l’autre. Cependant le paradoxe de la liberté est que pour la
choisir encore faut-il l’avoir. Pour la connaissance essentielle il en va
de même: pour la chercher et l’obtenir, encore faut-il y être disposé et
pour cela elle serait bien utile.
Rappelons à ce propos que ce sont les sens de l’accomplissement
qui permettent la conscience de sens, le problème est donc de s’y
trouver activé. Pour cela il y a deux possibilités: soit d’en faire le choix
si une conscience préalable le permet, soit d’y être activé par l’envi-
ronnement. Dans ce dernier cas, cela peut être tout à fait indépendant
de soi ou bien résulter du fait, qu’en temps utile, on choisisse les
conditions pour s’y réactiver. Les activités d’analyse de cohérence en
sont l’un des moyens.
La connaissance essentielle des réalités est donc ainsi, non pas la
simple satisfaction d’une curiosité ou la recherche d’une utilité immé-
diate, mais le chemin de la liberté de poursuivre un chemin d’accom-
plissement dans l’existence.
282
THÉORIE DES COHÉRENCES ET DE LA CONNAISSANCE
OBJETS DE CONNAISSANCE ESSENTIELLE: –
EXEMPLES
Un mot. En tant que réalité du langage il est fait d’un
consensus (culturel) et a sa cohérence, autrement dit tout un
ensemble de sens. C’est l’usage qui le situe dans telle ou telle
dominante de sens, à tel point qu’il peut passer d’un sens à son
inverse entre un milieu et un autre, d’une époque à l’autre.
Sa connaissance essentielle nous instruira non seulement
sur ses usages particuliers, mais sur sa genèse même: phonè-
mes, orthographe, etc… rapportés à ce qui de l’homme et du
monde s’y condense.
Un concept. Il peut être repéré par un terme ou plusieurs.
Sa cohérence n’est pas le concept mais elle le sous-tend. Com-
me sa cohérence a plusieurs sens, le concept peut prendre
plusieurs acceptions. Réduire un concept à l’une de ses accep-
tions, c’est réduire le sens à sa formulation et détruire la source
vivante du concept en l’homme. Privilégier une acception est
au contraire une nécessité, résultant du choix différencié d’une
prise de position qui le signifie et le révèle. L’analyse du dis-
cours selon son énoncé, son énonciation, ses significations
relationnelles notamment, est purement existentielle. Elle sera
donc encore plus accessible par la connaissance essentielle de
sa cohérence. Celle-ci dévoilera immédiatement, par exemple,
le mensonge apparent éventuel et ses mécanismes, restituant
au discours son authenticité dans l’Etre qui parle. Ses diverses
«interprétations» possibles sont aussi accessibles, selon ses
sens, ainsi que le repérage de ses véritables destinataires, selon
son sens dominant.
Un mythe. La cohérence du mythe sera souvent parmi les
plus primordiales de l’homme. Celui-ci est alors profondément
concerné, ainsi que toute population qui le fait sien et qui
trouve là une manifestation des plus significative de son iden-
tité collective. La connaissance essentielle du mythe ouvre
l’accès à la connaissance existentielle (et essentielle) de ses
homologies dans l’existence et dans la nature humaine ainsi
qu’à ses homologies dans les réalités culturelles où il prévaut.
Il peut être pris, ainsi, comme modèle, homologue de bien des
circonstances de la vie présente ou historique des individus et
de leurs sociétés. N’est-ce pas ce que la psychologie freudienne
fait du seul mythe d’Oedipe? Cependant il ne faut pas con-
fondre le mythe-modèle et sa cohérence qui est seule expli-
cative. La connaissance de celle-ci ouvre aussi sur la connais-
sance existentielle des différentes versions du mythe et des
différentes directions possibles pour des réalités homologues.
Représentant une problématique humaine, le mythe peut ain-
si, selon ses versions, servir de modèle exemplaire des diffé-
rentes voies de résolution possibles, personnelles et culturel-
les.
283
THÉORIE DES COHÉRENCES ET DE LA CONNAISSANCE
OBJETS DE CONNAISSANCE ESSENTIELLE: –
EXEMPLES
Une production de l’imaginaire. Elle peut s’exprimer dans
l’art par exemple, mais aussi dans le rêve et dans toutes sortes
de langages. En tant que réalité, elle manifeste une cohérence
et sa connaissance essentielle débouche sur la compréhension
de 1’auteur comme du monde, dont il révèle quelquefois là
1’actualité du consensus culturel. La production de l’imagina-
tion est utile pour disposer de réalités homologues élucidables
afin d’accéder à la connaissance essentielle d’une réalité pre-
mière. C’est ce qui se fera dans les techniques de l’analyse de
cohérence. C’est aussi le matériel, souvent facile d’accès qui
révélant le consensus d’une population, permet d’élucider le
sens dune réalité qui lui importe. Les productions imaginai-
res, enfin, peuvent constituer des pré-visions, représentations
existentielles préalables, de réalités en changement dont on a
une connaissance essentielle. C’est ainsi, qu’à partir d’une
connaissance essentielle on pourra produire des représenta-
tions existentielles de types, plans, programmes, stratégies
expressions verbales, illustrations, etc… Ces productions
«imaginaires» interviendront très souvent à l’amont et à
1’aval d une connaissance essentielle.
Une idée, une théorie. Ce sont des réalités à dominante
représentative qui expriment une cohérence. Leur connaissance
révèle ce que cette idée ou cette théorie disent de l’homme
de même que du monde existant où elles se valident. Ainsi
toute théorie et, plus généralement toute formulation de lois,
de modèles, de représentations de l’homme ou du monde, sont
des voies d’accès à une connaissance essentielle. La condition
est qu’elles ne se confondent pas avec la vérité objective
absolue, déniant son sujet et n’offrant, ainsi, rien d’elles mêmes
à élucider (selon leurs auteurs, bien sûr).
A l’inverse la connaissance essentielle d’une réalité facilite
sa connaissance existentielle et notamment la formulation de
telle idée ou théorie. La connaissance essentielle est méta-
théorique.
Ainsi tout le bagage scientifique de l’objectivisme peut
être subverti et cela, symboliquement, donnant accès au sujet
qui n’a cessé de s’y trouver, malgré ses dénégations. Cette
connaissance essentielle est en même temps un moyen de
poursuivre cette même objectivation scientifique, avec cette
fois une science qui ne se contente plus de rimer avec cons-
cience mais s’y arrime pour se faire connaissance.
La connaissance des idées, modèles et théories n’est-elle
pas aussi l’enjeu ou plutôt la médiation de projets pédagogi-
ques? Connaître le sens de… n’est-il pas la meilleure voie
éducative comme celle qui favoriserait la connaissance exis-
tentielle des réalités et de leurs représentations. C’est le champ
284
THEORIE DES COHERENCES ET DE LA CONNAISSANCE
OBJETS DE CONNAISSANCE ESSENTIELLE: –
EXEMPLES
de l’éducation et de l’étude qui s’ouvre ici à de nouvelles (ou
anciennes) méthodes.
Une idéologie. Comme d’ailleurs bien des théories dites
ou non dites, elle est réalité d’une cohérence dont l’élucidation
dirait aussi les sens dominants, selon les lieux ou les époques,
et révélerait les différentes versions des réalités qu’elle pro-
pose. Qui ne serait pas ainsi intéressé par une connaissance
essentielle du socialisme ou du libéralisme, mais aussi de bien
des courants de pensée, des philosophies et des façons de voir
qui ne s’expriment même pas en pensées structurées?
Chacune, de part sa cohérence, concerne une probléma-
tique humaine et mondaine pour laquelle elle prend une ou
plusieurs positions selon ses sens dominants. C’est alors une
« position » de l’homme face à lui-même dans le monde, cen-
tre sur une part de son humanité. Cette part, cette cohérence,
est souvent prise pour le tout et la position de sens est prise
pour l’unique envisageable, sauf à mettre en danger l’homme
même. La connaissance essentielle, puis existentielle, des idéo-
logies est non seulement intéressante pour la connaissance en
soi mais aussi pour repérer, comparer et prendre des positions
libres et responsables dans ces contextes.
Un événement. Qu’il soit historique ou actuel, il est tou-
jours le « fait d’un consensus » ou encore, dit autrement: c’est
un fait pour une population qui le considère comme tel dans
son consensus. Un événement est donc à prendre comme la
manifestation « événementielle » d’une cohérence. Sa cohéren-
ce essentielle nous renseigne sur le sens de cet événement, sens
de l’histoire ou sens de l’avenir. Connaissant ce qu’il peut
signifier pour une population il peut y jouer un rôle révélateur,
dans un travail d’historien. Par ailleurs, selon tel ou tel de ses
sens, l’événement se caractérise par des objets ou «critères
significatifs ». Ceux-ci peuvent alors s’observer pour caracté-
riser l’évolution de l’événement, rétrospectivement ou pros-
pectivement.
La connaissance essentielle d’un événement permettra, en
outre, la connaissance des positions ou sens particuliers de
ceux qui le relatent, y réagissent. Elle débouche sur une con-
naissance existentielle de la place respective de différents pro-
tagonistes. Une sorte de sociogramme, fruit du discernement
des positions (de sens) permet de sortir des dualismes stériles
et meurtriers, de prendre position en « connaissance » de cau-
se, d’envisager toutes stratégies utiles. C’est la base de l’action
et de pratiques nombreuses.
Une situation. L’état actuel d’une population, d’une orga-
nisation, d’un problème, peut être considéré comme une situa-
285
THEORIE DES COHÉRENCES ET DE LA CONNAISSANCE
OBJETS DE CONNAISSANCE ESSENTIELLE: –
EXEMPLES
tion. Ce n’est rien d’autre après tout, que ce qui advient. L’état
des événements pourrait-on dire. L’analyse de cohérence des
situations en permet la connaissance essentielle et donc celle,
non seulement de leur sens dominant, de leurs sens potentiels,
mais aussi du rôle et de la place de tous les objets et parte-
naires concernés. La situation est comme une scène où objets
et personnes jouent un jeu selon tel ou tel scénario. La con-
naissance essentielle d’une situation, par la conscience de sa
cohérence, ouvre vers la connaissance existentielle de ses
différentes orientations ou directions possibles, c’est-à-dire tous
les problèmes de choix et de direction. Elle ouvre en outre vers
le repérage du scénario en jeu et des scénarios possibles, avec à
chaque fois la distribution des rôles adaptée. C’est ainsi que
l’analyse de cohérence des situations, avec la connaissance
essentielle qu’elle procure, fonde l’exercice des activités de
direction, c’est-à-dire de gouvernement des situations, au ni-
veau des choix et celui des stratégies.
La théorie des cohérences se fait la théorie de l’action;
l’analyse de cohérence en étant l’instrument fondamental,
débouchant sur des méthodes et stratégies d’action.
Un rite sacramentel. Les situations peuvent nous faire
penser au théâtre, dont on devine maintenant le bénéfice qu’il
y aurait à connaître la cohérence de ce qu’il montre. On
pourrait le voir aussi comme «une stratégie» pour «signifier»
ce que la cohérence d’une pièce peut comporter de
sens.
Du théâtre aux rituels, on peut envisager comment la
cohérence d’un rituel «justifie» ceux qui y participent. En
effet, devenant cohérence de leur consensus, ils s’en trouvent
ajustés sur ses sens et, plus spécialement, sur tel ou tel qui
prédomine.
Tous les rituels peuvent être connus essentiellement selon
leurs sens, débouchant sur la connaissance existentielle de leur
« stratégie opératoire » sur la population concernée.
Les rituels sacramentaux, de type religieux ou non, peu-
vent être compris alors comme de telles stratégies amenant les
personnes et leurs communautés à se centrer sur telle ou telle
cohérence principale, selon tel ou tel sens dominant. C’est
ainsi que l’on peut découvrir que des rituels baptismaux
manifestent un sens dominant parmi ceux d’une cohérence de
la naissance au monde. Ainsi on peut reconnaître le rituel du
baptême comme une stratégie pour faire de la naissance un
événement orienté selon un sens privilégié parmi d’autres
possibles.
286
THÉORIE DES COHÉRENCES ET DE LA CONNAISSANCE
OBJETS DE CONNAISSANCE ESSENTIELLE:
EXEMPLES
La connaissance ou reconnaissance des rituels sacrés ou
profanes traditionnels, ouvre non seulement à une connais-
sance de l’homme mais aussi de ses stratégies sur lui même et,
pourquoi pas, d’un emploi actualisé opportun.
Une institution. Une entreprise, une association, une orga-
nisation sont les réalités d’une cohérence. Celle-ci en assure
l’unité et la permanence. En tant qu’ensemble des sens elle en
est une sorte d’âme profonde ou de « personnalité culturelle ».
Ce sont ses différents sens qui en constituent les différentes
potentialités. L’analyse de cohérences des institutions, avec la
connaissance essentielle, en permet non seulement le diagnos-
tic mais aussi une connaissance existentielle prospective. Elle
ouvre évidemment aux pratiques de gouvernement et de direc-
tion et aux stratégies qui constituent ses projets.
Chaque sens de la cohérence sous-tend existentiellement
une direction possible, c’est-à-dire une politique qui peut se
traduire selon une stratégie. Politique intentionnelle, objectifs
attentionnels, développements ou extensions, représentations
stratégiques (scénario), relations et communications, faits,
actes, produits, résultats, représentent toute la panoplie exis-
tentielle dont la connaissance et l’exercice découlent d’une
connaissance essentielle.
Un problème. Il n’y a de problèmes qu’humains. C’est une
façon de dire que l’existence de tout problème repose sur une
cohérence humaine. On pourrait apercevoir aussi, qu’en
dehors des problèmes que l’homme se pose, on ne voit pas
comment il pourrait en connaître d’autres. De ce fait, toutes
les questions, les interrogations, qu’elles portent sur la réso-
lution de difficultés ou sur la satisfaction d’une curiosité, sont
le fait de l’homme. Mieux que cela, nous pouvons faire nôtre,
la réponse à l’énigme du Sphinx: l’Homme. Le sens de toute
énigme c’est l’homme, auteur de la question, auteur de la
réponse; sujet de la question, sujet de la réponse. Il est la
question et la réponse, en leur sens dans son Instance. Elles ne
sont distinctes que sur le plan existentiel, comme deux mo-
ments différents. Sur le plan essentiel du sens, question et
réponse sont de mêmes sens, c’est-à-dire isomorphes.
C’est ainsi que toute question, tout problème que l’hom-
me se pose à titre personnel ou collectif, particulier ou général,
est susceptible d’une connaissance essentielle. La réponse peut
se chercher dans la question elle-même. Le problème est à la
source de ses solutions. Aussi peut-on procéder à l’analyse de
cohérence, d’une question, d’un problème. La connaissance
essentielle qui en résulte dégage d’abord les différents sens de
287
THÉORIE DES COHÉRENCES ET DE LA CONNAISSANCE
OBJETS DE CONNAISSANCE ESSENTIELLE:
EXEMPLES
sa cohérence et ainsi révèle: tant le sens dominant qui éven-
tuellement «fait problème», que les autres sens, autant de
voies possibles de résolutions.
Chaque fois que l’homme se trouve en face d’un problè-
me, personnel ou collectif il peut, par une connaissance essen-
tielle, accéder à une possible résolution. C’est la base de bien
des pratiques visant les problèmes ou troubles personnels, par
exemple psychologiques, relationnels, physiologiques, comme
difficultés ou maladies. C’est aussi celle de pratiques sociales,
culturelles, institutionnelles, etc…
Un objet quelconque. Tout objet est objet de considération.
Ce livre n’est livre (pour moi) que parce que je le con-
sidère comme tel. Cependant il est réalité d’une cohérence
dont les différents sens portent autant de façons de le considérer
et de l’investir dans une réalité plus vaste: le lire, le jeter,
en contempler la reliure, s’en servir comme cale, en faire
cadeau, etc… La connaissance essentielle d’un objet débou-
cherait ainsi sur la connaissance existentielle de ses usages
mais aussi du rôle de l’homme dans ceux-ci, de telle façon que,
directement par conscience de sens ou indirectement via la
conscience de ses réalités, l’homme s’y retrouve dans la con-
naissance de ses objets. Ceux-ci, dans un monde objectiviste,
tendent à prendre toute la place et se multiplier, pauvreté de
connaissance mais richesse des possibilités subversives de
connaissance; égarement dont la subversion entraîne aux re-
trouvailles; renversement néo-testamentaire qui d’objets
monstrueux, fait des objets montrant, révélateurs de leur
sujet: l’Homme; retournement de la diabolicité en symbolicité.
De quels objets s’agit-il? De tous. Le cosmos, la croix, un
animal, une plante, un livre, une fleur, un outil, un objet d’art,
une forme «naturelle», un paysage, un organe, etc… Com-
ment ne pas s’interroger, par exemple, sur la cohérence du
coeur dont la réalité des bondissements n’est pas sans corré-
lation «objective» avec nos émotions et dont les maladies
pourraient être symptômes de maladies d’amour. Il s’agit bien
là d’un coeur, incarnation d’un ensemble de sens qu il con-
dense ou cristallise, homologue de tous ces coeurs métapho-
riques de l’existence humaine; intelligence du coeur, sensibi-
lité, générosité, affection, foyer vital, centre, implication cou-
rageuse, etc… qui s’incarnent dans une fonction ou un aspect
de l’existence de l’objet cardiaque.
On pourra noter à son propos, la dominante du plan
relatif faisant du coeur un lien privilégié, moteur des distri-
butions de sang, version existentielle des partages de sens.
288
THÉORIE DES COHÉRENCES ET DE LA CONNAISSANCE
OBJETS DE CONNAISSANCE ESSENTIELLE: –
EXEMPLES
Ces quelques indices ne font que présenter dans un exem-
ple la richesse de toute connaissance essentielle d’objet, qui,
pris comme symbole, s’enchante de la présence humaine. C’est
le propos même de la théorie des cohérences de considérer
tout objet comme symbole, rejettant l’expression de «pur
symbole » qui en liquiderait l’aspect factuel et même existen-
tiel. L’objet est aussi bien symbole que réalité, en tant que
réalité d’une cohérence humaine.
289
290
THÉORIE DES COHÉRENCES ET DE LA CONNAISSANCE
LES SENS DE L’EDUCATION
Il n’est pas possible de communiquer directement la cons-
cience de sens. Par contre il est possible de proposer un outil
indicateur pour guider la recherche: une carte de cohérence.
Une carte de cohérence s’élabore au cours d’un travail d’élu-
cidation spécifique, portant directement sur l’objet d’intérêt et
visant au coeur du sujet.
La carte proposée ici est celle de l’éducation. Elle est ainsi
la carte des sens de tous les aspects de l’éducation:
– le résultat de l’éducation: qu’est ce qu’être éduqué?
– les finalités de l’éducation,
– le processus éducatif,
– le rôle des éducateurs,
– les méthodes éducatives,
– les rôles parentaux,
– et, pourquoi pas, les institutions et les philosophies ou
politiques de l’éducation.
Une carte de cohérence, ramenée aux sens de tout cela,
est, de fait. extrêmement dense, bien qu’elle soit ici sommai-
rement présentée. Il faut toute l’attention et le travail du
lecteur pour qu’il discerne en lui-même les sens indiqués et les
univers existentiels correspondants. La carte de cohérence
indique des sens donc des tendances, des logiques, des
dynamiques, des significations.
Elle n’indique pas toutes leurs conséquences et ne décrit
pas ainsi le monde de l’éducation.
Si chaque situation réelle de l’éducation comporte tous les
sens, il ne faut pas en déduire que c’est cela la bonne éducation.
Ce serait comme une conduite en tous sens. Il importe
qu’une dominante soit affirmée. Elle n’exclue alors aucune
circonstance, aucune situation mais elle les prend toujours
dans le même sens.
Celui-ci supporte alors la finalité, les modalités, les résultats
de l’éducation et aussi le sens du rôle des éducateurs et de
leurs pratiques et relations.
Ainsi, une éducation de type maïeutique est celle qui
prépare et permet l’accomplissement de l’homme personnel et
collectif. Elle s’oppose à l’éducation «disciplinaire» sans être
pour autant laxiste. Au contraire c’est toute une discipline,
mais dans un sens de ce terme qui est justement donné là.
291
THÉORIE DES COHÉRENCES ET DE LA CONNAISSANCE
LES SENS DE L’EDUCATION
La « civilisation », idéal classique, si elle permet une bon-
ne socialisation, coupe l’homme de lui-même, et, au lieu d’en
faire un vivant en fait un acteur qui sait « s’en sortir » habi-
lement en toutes circonstances par sa maîtrise des règles du
«jeu» social et son art de l’esquive.
L’éducation disciplinaire vise à « faire perdre la tête » en
embrigadant sous la coupe d’un ordre impersonnel. La régle-
mentation arbitraire (abusive ou laxiste) est son instrument
d’aliénation, instrument manié machiniquement par ceux qui
s’y sont déjà abîmés.
L’éducation sauvage, idéal naturaliste, laisse la personne
aux prises avec les pulsions les plus violentes, sans aucun
moyen de maîtrise et de mesure. Elle cultive de la violence, de
la terreur, de l’avidité, de la compulsion, pour un monde de la
jungle ou des prisons, zoos humains.
Remarquons sur cette carte que l’axe de gauche corres-
pond à un certain rôle traditionnel de la mère, sollicitude,
sollicitation, acceptation, permissivité. A l’inverse à droite on
pourrait parler de mère absente ou abusive, rôle souvent rem-
pli par les institutions, les règles et les systèmes.
Sur l’axe vertical en haut, on trouvera un rôle traditionnel
du père, repère, guide, indicateur de direction (c’est cela la
directivité). Il témoigne d’une certaine maîtrise et de mesure
dans les circonstances de l’existence. A l’inverse en bas, il
s’agirait du père absent ou abusif, celui dénoncé avec la notion
de pouvoir, lorsqu’elle est le contraire de l’autorité ou sa
caricature, l’autoritarisme.
En haut et à gauche, le sens de l’éducation réclame une
position parentale tutélaire, dont le sens est à mi chemin des
deux sens voisins. C’est alors, soit une affaire de couple, soit
l’affaire d’éducateurs qui assument seuls cette position.
292