Les Sens de la gestion

La gestion nous a habitué aux ratiocinations, ratios, réductions comptables de la réalité ou à un contrôle de gestion qui se cherche (vainement) une âme. L’analyse des Sens de la gestion nous montre sur quelles postures, discutables, se fondent les pratiques habituelles. Elle nous montre aussi qu’une perspective nouvelle est à développer où des « modèles virtuels » de gestion sont à inventer pour donner les moyens d’évaluer ensemble les situations. Jusqu’à quand préfèrera-t-on les comptes irréalistes mais indiscutables aux évaluations réalistes mais à disctuter.

Partant d’une interrogation sur la notion de gestion, l’analyse des sens et cohérences a débouché sur un horizon inattendu par son ampleur et ses incidences.

Le champ des « sciences de gestion » comme première approche a conduit à la mise en évidence de la difficile définition de cette notion de gestion non seulement par la multiplicité des acceptions et des discours mais l’impossibilité de définir la gestion par elle-même sans se référer aux situations qu’il s’agirait de gérer. Dès lors est apparu d’une part que la gestion était toujours une pratique vis-à-vis d’une situation et plus spécifiquement une pratique de contrôle.

Que signifie contrôler ? Et bien il y a autant de réponse que de Sens donnés à la gestion et réciproquement autant de Sens des conceptions et pratiques de la gestion que de Sens donnés au désir de contrôle.

On pourrait dire que la gestion est une pratique d’exercice du contrôle, y ayant une cohérence (unité de Sens) entre la signification du contrôle et les moyens, méthodes et pratiques de la gestion. Cela étant et c’est là un résultat important, le sens de la gestion et du contrôle est donné par la conception même de ce qu’est une situation. Par exemple si la situation est comprise comme fonctionnement d’un système automatique alors la gestion et donc son contrôle s’inscriront dans la même logique mécaniste.

Si à l’inverse la situation est conçue comme un jeu de rôles alors la gestion et son contrôle s’inscrit dans une logique de type « managériale ». Ou encore une situation analysée comme un « champ de risques » générera un contrôle devenu gestion de la menaces. Alors qu’une situation envisagée comme « champ de potentiels » ressources et opportunités se traduira par une logique de gestion de type reconnaissance et développement des potentiels.
Il s’avère aussi que derrière le terme de gestion résident des attitudes plus interventionnistes (gérer c’est diriger, conduire, piloter) ou au contraire plus « distanciées » (gérer c’est surveiller, vérifier, comptabiliser…). Cela dépend complètement de la conception des situations et du rapport que nous pouvons avoir avec. Si nous avons un rôle à y jouer c’est sur ce rôle que portera la gestion. Si nous ne sommes qu’instrument d’observation d’automatismes répétitifs alors c’est en tant « qu’automate de contrôle » que se pense la gestion… et le gestionnaire.

Dès lors on comprend qu’une typologie des conceptions et pratiques de la gestion doivent se construire sur une typologie des modes d’appréhension des situations. A l’inverse il deviendra intéressant d’examiner le type de conception ou de pratique de gestion en vigueur ici ou là pour comprendre le rapport aux situations qui y prévaut.

On pourra discerner le Sens de tel ou tel outil de gestion au travers par exemple de l’argumentation de son utilité ou la logique de son opérationalité, et comprendre quels sont les implicites sur lesquels il repose. Il deviendra clairement illusoire de vouloir faire évoluer conceptions et pratiques de la gestion sans mettre en question le rapport aux situations qui les sous-tendent et les justifient.

A ce stade doit être précisé le champ du « rapport aux situations ».

Au premier chef on pense situations d’entreprises, situation d’un projet, d’une équipe, d’une action et pourquoi pas situation comptable, financière, etc… Il existe même l’expression « situation de gestion ». C’est peut être cette dernière qui justifie le concept de « contrôle de gestion » qui serait alors gestion de la gestion, redoublement particulièrement interpellant quant on sait quel trouble s’attache traditionnellement à la définition du contrôle de gestion.
Mais au delà et pour mieux comprendre les enjeux il faut penser à toutes les situations auxquelles nous avons à faire face ou bien à comprendre, ou bien à transformer, etc. Ce qui est en question est notre rapport général aux situations, petites et grandes, dès lors qu’il nous vient d’avoir à les « gérer » ou quelque peu les contrôler. Mais c’est aussi notre rapport au monde, on devrait dire aux mondes auxquels nous sommes confrontés et à tous les champs de préoccupation qui sont les nôtres. C’est bien sur le cas aussi de tous les responsables qui par définition ont quelque chose à voir avec la gestion ou le contrôle des situations.

Pensons alors aux responsables politiques à toutes les échelles. Gestion de crises, gestion de l’opinion publique, gestion des problématiques de la vie collective, gestion des projets, etc… On pourrait parler de la situation mondiale, celle de l’Europe, la situation électorale, la situation économique, générale ou locale, etc. On aperçoit vite que ce sont tous les rapports au monde qui sont impliqués par l’interrogation sur le Sens de la gestion. Non que cette dernière question épuise la précédente mais qu’on ne peut rien y comprendre sans que la précédente soit quelque peu clarifiée.

Dès lors les représentations, termes, concepts, illustrations ou exemples que nous devrons utiliser peuvent se situer dans de multiples champs. On partira, pour faciliter la compréhension toujours difficile d’un tel écrit, d’images fortes que l’on s’efforcera de retraduire dans différents univers.

Ce faisant on découvrira aussi mais c’est inhérent au recours au Sens, que se trouvent liées des conceptions « philosophiques » implicites et des paris méthodologiques, des positions épistémologiques et des mobiles humains.
On découvrira aussi pourquoi restent vains les efforts et les propositions de « producteurs de sciences de gestion » venant à contre sens des logiques de situation posées par les acteurs.

Pourquoi aussi, cherchant à rendre cohérentes des logiques incompatibles, ce ne sont plus que des slogans ou des formules toutes faites qui occupent le champ de la réflexion en matière de gestion pendant que le mimétisme des pratiques reste le principal vecteur de choix des acteurs.

Enfin l’analyse des Sens et cohérences de la gestion débouche on le verra par l’ouverture d’une perspective aussi inattendue.

En effet la mutation dans laquelle nous sommes engagés fait émerger de nouvelles appréhensions du monde, des réalités et des situations. Dès lors c’est une nouvelle conception de la gestion et le développement de pratiques tout à fait neuves qui sont redonnées. Pensons d’ores et déjà au virtuel, entreprise et économie, aux « modèles économiques » qui se cherchent et s’expérimentent, à la reconnaissance du caractère déterminant de « l’immatériel », des valeurs, et ainsi à de nouveaux rapports à l’espace temps et au Sens de l’expérience et de l’activité humaine, éthique et bien commun…

Ainsi ce travail d’élucidation qui aurait pu déboucher sur un simple reclassement des logiques et pratiques d’une activité si ancienne et traditionnelle ouvre un champ immense de problématiques, celles du rapport et du contrôle des situations. Il trace déjà les premiers dessins d’un nouveau type de sciences de gestion, celles qui aident à contrôler ce que la mutation nous apporte comme nouvelles situations. Il s’agit là d’un enjeu de refondation.

SENS ET COHERENCES DE LA GESTION LA CARTE DE COHERENCES

L’analyse débouche sur une élucidation des Sens de la gestion et donc du contrôle des situations. Cette élucidation réclame un mode de traduction qui en favorise la transmission. Il faut cependant savoir que les Sens en question ne seront accessibles au lecteur qu’en référence à des matériaux de son expérience.

Les formulations, explications, illustrations que nous lui donnons ici, ont pour but non pas de saisir le Sens dans une formulation définitive mais de l’évoquer en résonance avec les expériences du lecteur sans lesquelles ces présentations resteraient lettre morte. En outre la représentation des Sens dans une carte des Sens et cohérences favorise l’appréhension des divergences, des oppositions et de l’orientation de chaque conception.

La carte fonctionne comme une rose des vents, une boussole même, si on considère que le Sens s’y révèle à chaque fois comme une tension, une attraction, un vecteur portant un type de signification, des logiques, des valeurs et des pratiques.

Pour déployer les résultats de l’analyse nous allons commencer par saisir les deux couples de polarités antagonistes qui structurent le champ.


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1) Logique naturaliste et logique culturaliste

Logique naturaliste

La première voit les situations comme le produit de lois et mécanismes déterministes. L’économie, le marché, le processus de fabrication, le système d’information, sont volontiers pensés comme cela et même l’entreprise serait le fruit de déterminations « calculables ». Dès lors on ne peut penser le « contrôle » de telles situations que comme un aspect ou une dimension de la situation elle-même.
Ainsi dans son principe le contrôle ne peut être un acte exogène à la situation mais une « prise en compte », un comptage intégré. Dans cet esprit on conçoit qu’un idéal de mécanisation, automatisation des pratiques et façons d’agir soit poursuivi, cherchant à atteindre un fonctionnement nominal, c’est-à-dire présentant le moins d’écart possible aux standards.

La gestion tend à être conçue comme un mécanisme, automate, de prise en compte de la situation gérée et à ce titre cherche à « coller » à celle-ci pour qu’aucun écart n’échappe au contrôle.

Dans cette optique la gestion débouchera sur un « système » « collant » à la situation.
Il en devient comme le double, l’exemplaire de contrôle. Au bout du compte le contrôle ne pouvant être lui-même qu’une activité répondant aux mêmes « lois naturelles » le système de contrôle et la situation peuvent en arriver à se confondre. Gérer c’est alors reproduire la situation et réduire celle-ci à cette reproduction. Dans cette logique il arrive que l’activité gestionnaire devienne la seule activité concevable.

Parmi les exemples on peut citer le reporting qui devient l’unique activité de certains cadres et, à la limite, toute autre activité pouvant s’externaliser, l’entreprise devient une entreprise de gestion pure.

Comme toujours avec le Sens il y a lieu de relire maintes situations d’actualité notamment à cet éclairage. Pensons notamment aux marchés financiers et aux lois de gestion qu’ils semblent imposer comme lois de nature.

Pensons aussi plus traditionnellement aux gestionnaires dont le fondement de « l’appareil » (de gestion), informatique ou manuel, en vient à être vu comme le tout de la situation ou du moins l’essentiel. La logique de mécanisation n’est d’ailleurs pas sans incidence historique sur le passage des méthodes traditionnelles aux conceptions et pratiques de l’informatique de gestion.

Remarquons enfin que l’opérateur, gestionnaire ou « agent » du processus à contrôler sont sensés répondre aux lois de la nature de la situation en question. En tant qu’être humain subjectif, ils ne manquent pas de susciter quelque écart dont l’enregistrement pour le contrôle peut conduire à réduire « ce maillon faible », c’est-à-dire à déshumaniser. Si on se trouve confronté à des pratiques « déshumanisantes » regardons quelle logique de gestion et surtout quel type de conception et de rapport aux situations est en jeu. Nous ne pouvons pas ici rentrer dans une telle exploration que chacun pourra réaliser.

Logique culturaliste

Elle aide à comprendre la précédente en en prenant le contre-pied. La logique culturaliste considère que les situations à gérer sont le fruit de traditions culturelles, de civilisations, de conventions sociales et professionnelles. Il y a ainsi de « bonnes pratiques » référées à ce que le progrès et l’expérience ont apporté, rôles, compétences, fonctions et leur jeu.
Articuler les rôles, les compétences, les fonctions, c’est le fait des méthodes, des stratégies, des organisations dédiées à leurs usages selon des modèles culturellement élaborés (selon le professions, les activités, les fonctions, les enjeux, etc.).

Dès lors le « contrôle des situations » n’est rien d’autre que leur organisation, la reproduction des structures et modèles types, l’encadrement et le management. La gestion des situations en ce Sens est en quelque sorte leur management, c’est-à-dire l’orchestration des scènes qui conviennent.

Les « sciences de gestion » et celles des pratiques professionnelles, les méthodes et stratégies mais aussi les modes proposent des comportements collectifs et individuels, des façons de faire structurées qu’il s’agit d’adopter au plus près de ce qui se fait de mieux ou de l’adapter à ce qui est possible de faire.

Dans cette logique le gestionnaire est dans la situation mais en même temps il peut l’envisager dans sa globalité. Il en est au sens propre un acteur, tenant le rôle assigné sur la scène convenue. Le reste est accessoires. Remarquons que c’est certainement le terrain le plus propice a une transmission traditionnelle par la formation et par le conseil qui sont les meilleurs véhicules culturels des modèles de gestion des situations.

La logique culturelle réclame écoles et références, la logique naturelle réclame adaptation et automatismes.

2) Logique du manque et de la rareté, logique de la richesse et de l’abondance

Cela recouvre deux attitudes types qui se traduisent en logiques, rationalités et en définitive méthodes et pratiques de gestion.

La logique du manque et de la survie

On pourrait aussi la nommer logique du défaut, de la pénurie, de la faute et de la défaillance, de la menace et du risque fatal, logique catastrophique et par essence pessimiste.

Il est intéressant d’examiner comment les situations sont conçues et décrites autour de nous. Quel état du monde ou de la société nous livrent les média. Le ciel à nouveau risque de nous tomber sur la tête ou nous prendre dans ses serres.

Le développement des logiques victimaires renforce cette tendance dans l’appréhension de toutes les situations. De ce fait les situations de gestion deviennent fréquemment gestion du risque, gestion des défaillances. Les impératifs du type zéro défaut l’ont encouragé faisant du défaut, de la faute, du danger, du dysfonctionnement, l’objet exclusif de toutes les attentions.

Bien sûr le contrôle de la situation sous une dominance fataliste ne peut que se réduire à une surveillance de plus en plus tatillonne et la dénonciation anticipée des catastrophes sans cesse annoncée et fantasmée.

La gestion – surveillance, les yeux fixés sur les anomalies, les failles, ne fait que suspendre le temps d’une saisie, l’inexorable présence du mal que toute situation porte en puissance.
C’est une logique de survie. Aussi « subjectif » que ce rapport aux situations apparaisse, il se traduit, on le verra bien souvent, par un débordement d’objectivation, normalisation, rationalisation, quantification, réglementation qui tentent de compenser et masquer le Sens sous-jacent. Principe de précaution ou de l’évitement?

La logique de la richesse et du développement

Toute situation est au contraire perçue comme un potentiel de richesses, déjà une richesse parce que porteuse de promesses et toujours évaluable par ces promesses. Il en va des hommes, comme des choses, les situations peuvent toujours être considérées comme des opportunités à condition de savoir reconnaître, évaluer et ainsi mobiliser ces potentiels.
Le contrôle des situations définit une conception de la gestion, se définit clairement comme cela. L’évaluation et la reconnaissance des potentialités, valeurs et richesses. La mobilisation de ces potentiels par les moyens appropriés.

L’intérêt pour la qualité, les valeurs, les potentiels humains, les ressources de compétences et de richesses immatérielles et matérielles est prédominant. Mieux vaut pense-t-on dépenser son énergie à créer des richesses qu’à se focaliser sur les catastrophes imaginables, à développer les potentiels plutôt qu’à scruter les risques.
L’optimisme prend la place du pessimisme, la couleur du monde en est changée, les conceptions et les pratiques de gestion aussi. L’abondance de potentiels entraîne à une économie de l’abondance a l’inverse de celle de la rareté qui a trop longtemps prévalu.

Quatre conceptions types de la gestion et des situations à contrôler

Les deux dialectiques antagonistes permettent, en en croisant les termes, de discerner quatre autres Sens qui les combinent et supportent un modèle de gestion des situations dont on verra l’actualité et la portée

1) Gérer les opportunités. L’investissement spéculatif

Conjuguons la logique des richesses et la logique naturaliste. Les situations sont bien riches de potentiels mais ceux-ci ne peuvent se développer que si les conditions sont favorables.

Dès lors seule une spéculation portant à la fois sur la situation-conjoncture et les conditions de fructification de celle-ci est possible. On cherchera donc à investir dans les situations où l’on aura aperçu des opportunités et où pourront être mis en place les mécanismes de fructification (entreprises). On retrouve là l’une des logiques les plus dominantes ou l’optimisme est conjoint avec un calcul sur l’efficacité des moyens. Il ne s’agit pas là de moyens de production mais de moyen d’obtention d’un « retour sur investissement ».
Ainsi différents courants très actifs, très dynamiques visent à exploiter des situations spéculatives mais leur naturalisme confie aux lois mystérieuses de la nature des choses ou des marchés le soin de porter des bénéfices (toutes sortes de mains invisibles).
Tout un appareil de gestion qui tente de coller à cette logique s’est évidemment développé. Evaluer et saisir les opportunités, évaluer la valeur « retour sur investissement » (EVA), trouver les dispositifs qui marchent (entreprises, produits spéculatifs, compétences spéculatives…) en sont les principales fonctions. De grands magiciens sont consultés et tous les jours la fluctuation des choses est suivie de très près.

Evidemment on s’intéresse peu aux situations humaines en tant que telles ce qui n’empêche pas de spéculer sur des « hauts potentiels » dont les qualités recherchées sont alors évidentes mais aussi sur les valeurs propitiatoires du moment. l’analyse éclaire d’un nouveau jour la logique de l’abondance qui s’exprime dans la « bulle financière » abondance imaginaire mais bien réelle dans l’univers des signes monétaires.

La gestion est le moyen de prendre acte des situations et des expériences pour dévoiler les probabilités qui déterminent les choix à venir: choix de gestion c’est-à-dire d’investissements naturellement.

2) Gérer la défiance. L’administration réglementaire

A l’inverse de l’optimisme des affaires revient le pessimisme qui porte cette fois sur les situations humaines. Les situations sont ici des configurations humaines dont le pire est toujours à envisager. La défiance est de mise et se transforme en exigences, en vigilance. Celles-ci ne peuvent s’exercer qu’au travers de la formalisation des situations humaines.
Règles, normes, procédures sont autant de moyens de régir les fonctionnements, de les encadrer afin de détecter rapidement les failles, de prendre en défaut les comportements déréglés (dérégulés).

La gestion des situations est assimilée à une administration réglementaire, formaliser les modèles de comportement, les modèles de réalisation, établir des protocoles d’exigences tels que tout dérapage sera immédiatement enregistré (traçabilité).
Bien évidemment obnubilé par son instrument de contrôle le « gestionnaire » administrateur n’aura pas le temps de se préoccuper de développement et d’enrichissement, de valeurs et de potentiels.

L’administration réglementaire comme esprit de gestion est largement répandue (bureaucratie) de même que la logique d’appréhension des situations qui s’accorde bien avec le cynisme ou simplement la défiance vis-à-vis des hommes et de soi-même sans doute. Elle cherche par la pression de conformité à restreindre le champde liberté des acteurs forcément défaillants.

On voit aussi comment règles, grilles de lectures, tableaux normatifs…peuvent proliférer comme prolifèrentlois et règlements au moment oùlalogique d’investissement spéculatif est particulièrement exacerbée.

Il sera facile au lecteur avisé de reconnaître dans cette opposition deux courants fortement présents, dans l’actualité économique notamment.

3) Gérer la menace systémique. L’obsession des ratios

Les situations ne promettent rien de bon et sont sous le régime de mécanisme « naturels ».

La surveillance des « écarts » aux standards « naturels » est l’objet de toutes les préoccupations. Des ratios portant sur des facteurs accessoires – ceux qui sont mesurables – feront l’objet d’une attention souvent obsessionnelle. Les yeux fixés sur les ratios, un sécateur à la main et le « bon » gestionnaire saura trancher dans le vif s’il y a lieu. C’est une question de survie.

Le discours largement entendu témoigne d’une appréhension des situations et du seul type de contrôle qui est laissé au « bon » gestionnaire celui qui n’a pas d’état d’âme. Il en va ainsi pour de nombreux « gestionnaires » dont l’absence de maîtrise de la situation se traduit par ce type de fixation.

Si les lois de la nature économique disent qu’un ratio de rentabilité calculé sur les seuls « résultats » eux-mêmes déduits de calculs fiscaux sur d’autres ratio, est inférieur à une certaine valeur l’activité doit être supprimée.

On voit bien qu’il n’y a « que le résultat qui compte » les potentiels sont inconnus, autant que les finalités humaines et plus généralement toutes considérations humaines.

Cette logique s’illustre par une sorte d’ascèse, de dépouillement et d’appauvrissement d’humanité celle-ci étant réduite aux reliquats, aux ratios et résultats accessoires. Si on pousse l’analyse, la déshumanisation est le mode d’action du gestionnaire tant pour ce qui concerne la chosification des comportements humains que pour la réduction d’effectifs. Derrière le maniement conjuratoire des ratio se profile l’instrumentation du « sacrifice humain ».

Chacun retrouvera dans son expérience cette ambiance gestionnaire et chosifiante. Il trouvera aussi la logique de l’argument de survie qui a largement prévalu au cours des dernières décennies et qui a fait la vulgate de générations de gestionnaires.

4) La gestion des virtualités. La fécondité de l’expérience

Toute situation, humaine par essence, est riche de potentiels. Elle est l’occasion de tirer des enseignements qui développeront ces potentiels et enrichiront de ce fait ceux qui en ont fait l’expérience. Il n’y a richesse que de potentiels et gestion que du développement des potentiels au travers de situations enrichissantes. Les situations sont à considérer ici comme le théâtre d’expériences enrichissantes.

Le contrôle des situations visera justement à créer des scènes révélatrices de qualités et potentiels et réalisatrices d’un développement de ces potentiels. C’est la finalité de toute organisation.

C’est ce qui est potentialisé qui mesure la richesse acquise et le potentiel la richesse actuelle. Pensons aux compétences, à l’expérience, au professionnalisme mais aussi au « crédit », aux « portefeuilles » de l’entreprise, au capital de confiance etc.

Pour concrétiser on soulignera ici que la valeur d’un bien ou d’un service est liée aux promesses de bienfaits qu’ils portent . On peut déjà lire ici certaines caractéristiques de ce qu’on appelle nouvelle économie, économie de l’abondance et on le verra économie du virtuel. La gestion y est une fonction à la fois stratégique et pédagogique consistant à « mettre en scène » des situations évaluatrices et mobilisatrices (des potentiels). C’est toujours un management mais de type maïeutique, accoucheur de richesses.

Les projets et le management des projets peuvent être compris comme cela. Un projet est une situation d’engagement collectif construite pour faire s’exprimer les richesses collectives (compétences, intelligence collective) dans des réalisations qui enrichissent en retour ceux qui s’y sont investis en proportion de leur concours au projet (principe de concourance).

Ces situations sont riches de virtualités tant comme potentiels que comme promesses. La « gestion » de ces situations consiste à les rendre « révélatrices » des virtualités qui pourront « s’exprimer » et « réalisatrice » de ces virtualités. La logique du virtuel lorsqu’on se réfère plus à l’étymologie qu’aux emplois abusifs, plus au mouvement du monde qu’aux interprétations défensives ou spéculatrices est très exactement celle là.

Entreprises, projets, pratiques, institutions sont autant de réalités – situations que l’on peut qualifier de virtuelles en tant qu’elles sont dédiées à l’accomplissement de virtualités (toujours humaines) pour produire biens et services. Elaborer ce type de situations virtuelles et les « manager » est ce qui peut être considéré comme un nouveau type se gestion Il ne s’agit plus d’une gestion de l’accessoire mais d’une maîtrise de l’essentiel.
La gestion relève du discernement du Sens, de l’évaluation des virtualités, de la construction de parcours et processus de réalisation, c’est-à-dire de situations expériencielles fécondes.

La mutation, avec une « mondialisation » généralisée, ouvre à la construction de mondes virtuels, mondes en projet, de communautés de devenir, entreprises virtuelles dans une économie du bien commun. Le développement d’Internet contribue largement à cette virtualisation.

Il y faut des modèles virtuels de gestion, c’est-à-dire la construction et le pilotage de situations révélatrices, qualifiantes, mobilisatrices et en définitive réalisatrices.

Par exemple un processus collectif d’évaluation de situations, un processus de concertation et d’appropriation, une stratégie macro-pédagogique, un processus de maturation et de changement sont autant de scènes types ou ad hoc à construire et à piloter, des scènes virtuelles de gestion en quelque sorte.

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Roger NIFLE Juin 2001

avec la collaboration pour l’analyse de Dominique BESSIRE et Geneviève NIFLE