Ethique de la considération

L’éthique de la considération a été conçue à partir de deux expériences. Celle de tous ceux qui gèrent des choses et ne voient plus les hommes opposant règles et fonctionnements à la présence humaine aux autres et à eux-mêmes. L’autre est celle constante de l’efficacité de la « considération » pour favoriser des changements. L’Humanisme Méthodologique apporte ses bases anthropologiques pour comprendre et mettre en pratique.

La question éthique est éclairée par l’humanisme méthodologique. D’abord on peut considérer que l’éthique c’est le choix du bien de l’homme et sa poursuite. Dès lors apparaissent deux niveaux d’appréhension. Sur le plan du Sens, le bien de l’homme c’est la culture du Sens de l’accomplissement parce que ce Sens, parmi tous ceux de l’Instance, de l’humanité en chacun et en tous, est celui qui permet à l’homme de devenir pleinement humain en découvrant d’ailleurs en même temps ce que cela signifie.

Seulement chaque Sens peut prétendre s’ériger en critère du bien de l’homme. Différentes conceptions de l’homme, même celles négatrices de l’humanité de l’homme, placent toujours dans leurs perspectives un bien qu’ils pourront qualifier d’éthique.

Cependant, pour l’Humanisme Méthodologique l’éthique ne peut être conventionnelle. Elle est identifiable à la culture du Sens de l’accomplissement en toute problématique humaine et donc dans toutes situations de l’existence. Il n’y a aucune neutralité en la matière.

A un deuxième niveau l’éthique peut être la question des modalités d’existence. Le cohérenciel nous met en face des rapports indissociables entre les dimensions et composantes impliquées dans toute situation éthique.

Seule la culture du Sens d’accomplissement, Sens éthique par excellence, permet cette appréhension intégrale de l’expérience. Tout autre Sens donnera à telle ou telle dimension un rôle particulier où seront recherchés les critères de l’éthique critères affectifs pour les uns, critères factuels ou comportementaux pour les autres, critères idéaux pour les modernes. Les critères relationnels et de responsabilité communautaire n’apparaissent qu’avec l’intégration existentielle.

Les modalités d’existence éthique dépendent du Sens mais aussi du conSensus. De ce fait il ne peut y avoir de critère éthique existentiel absolu puisque toute modalité existentielle dépend du conSensus. Ainsi on ne pourra trouver de "guide" ou de critère éthique pertinent que dans un ConSensus donné, une communauté culturelle par exemple.

Quand à la possibilité de critères universels, la recherche d’une éthique planétaire (Hans Kung) montre bien la difficulté. Soulignons que les termes utilisés dans toute discussion sont chargés de Sens culturels.

La seule issue c’est alors :

– La parole de qui peut témoigner de l’accomplissement de l’homme,

– Toute convention culturelle lorsqu’elle est prise dans le Sens de l’accomplissement (sous réserve d’un discernement).

Les critères ou références resteront relatives dans leurs formes même si elles sont symboliquement justes. Ainsi la question éthique ne peut être véritablement assumée qu’à un "âge du Sens". Elle utilise des palliatifs aux âges antérieurs espérant que les autorités repères sont, elles, éclairées.

L’éthique de la considération

Il y a différentes manières de poser une éthique sur un repère. On signalera par exemple l’éthique de la responsabilité ou l’éthique de la conviction (Max Weber) ou encore l’éthique de la discussion (Habermas).

Il est clair pour l’humanisme méthodologique que ces termes ne suffisent pas s’ils ne sont rapportés à une anthropologie (bien de l’homme) et au Sens de ces termes dans tel ou tel contexte culturel.

En effet ces termes peuvent prendre de multiples Sens et dans le contexte d’une crise de Sens, ils perdent leur statut de repères décisifs.

Le terme de responsabilité peut être situé dans le champ de la culpabilité, de la nécessité fatale où le "responsable" assume par exemple un acte criminel "nécessaire". On peut être "responsable" comme Eichmann ou tel fonctionnaire qui applique "vertueusement" des directives iniques sans considération d’humanité. Ici on les juge crimes contre l’humanité, là l’inhumanité "théorique" passe pour le dernier cri de la mode intellectuelle et laisse à l’affect le soin de juger de l’humanité pratique.

L’éthique de conviction ignore sur quoi sont fondées ses convictions (cf. les racines de la certitude) et donne au pire le bénéfice du non doute.

L’éthique de la discussion semblerait vouloir considérer l’argument ou les discours de l’autre. Quand on sait l’habileté ou l’art du maniement des représentations des sphères idéologiques ou des thuriféraires de la Raison divinisée, on se prend à douter que l’espace de la discussion soit vraiment celui de la considération de l’autre.

Toutes ces conceptions éthiques sont néanmoins valides si et seulement si ces termes sont posés comme repères circonstanciels, culturellement appropriés d’un Sens de l’accomplissement humain, c’est-à-dire repères de Sens avant d’être référents existentiel.

Il en va de même pour l’éthique de la considération. Celle-ci a été posée par l’auteur devant l’expérience de non considération, touchant au déni d’humanité, constatée dans les pratiques "technocratiques" courantes au non d’une vertu de conformité normative.

L’éthique de la considération suggère que chaque fois qu’une question, qu’un problème, qu’une situation, qu’un projet sont envisagés, ils le soient comme une affaire humaine, c’est-à-dire précisément comme l’affaire de telles ou telles personnes, de telles ou telles communautés.

Dès lors qu’une règle, une loi, à plus forte raison une méthode, une procédure sont posées comme s’imposant à toute personne ou communauté par sa consistance même alors le "crime contre l’humanité" n’est pas loin, non tout de suite en fait mais dans l’esprit, le Sens.

Il y a deux manières de résoudre cette question. D’abord si on n’oublie pas qu’il s’agit toujours d’une expression humaine dont l’intention, le Sens, les circonstances font seules foi (la lettre tue et l’esprit vivifie dit St Paul). L’arme ou le rempart que constituent les règles ou la procédure permettent tant de s’exonérer de toute responsabilité personnelle que de substituer à "l’intention", à l’esprit de la loi celui propre d’un individu ou d’une caste.

L’âge des représentations s’est révélé incapable de contenir cela malgré l’épreuve du nazisme et toutes celles meurtrières du 20° siècle dont on aurait pu tirer enseignement.

Là où la Raison seule fait la loi, l’humanité trépasse puisqu’en fait, derrière la raison il y a toujours l’humain qui renonce ou dénonce l’humanité ou bien qui légitime n’importe quel Sens (notamment la raison du plus fort, ou bien la force de la raison des technocrates).

L’autre approche, pragmatique, est celle de la considération de l’autre, en personne et en communauté (indissociable ni confondable).

Par exemple dans le discours, le comportement, les intentions ou les affects, toujours considérer l’autre personne c’est-à-dire une Instance humaine radicalement autre mais dont les expressions individuelles participent singulièrement d’un monde commun. Derrière le discours tenu il y a celui qui parle à écouter pour l’entendre comme par un entendement qui fait appel en soi à l’être autre, mais aussi à l’humanité même au-delà de l’expérience du discours reçu.

On ne peut entendre l’autre qu’au lieu de l’être en Soi mais par la médiation des modes d’expression existentiels. Il s’agit d’une "écoute du coeur", le coeur de l’homme étant ici Instance de Sens, le lieu de son humanité.

Pour entendre le problème de l’autre, il faut le rejoindre non seulement dans les modalités existentielles mais aussi dans l’être de Sens qui participe (toujours avec d’autres) au conSensus.

C’est cela la con-sidération, "être avec". La grande difficulté c’est qu’il n’y a pas d’autre lieu qu’en son Instance propre pour "entendre" l’altérité du même (le semblable).

L’entendre suppose ici discernement pour situer, sans les confondre, le lieu soi et le lieu de l’autre.

En effet il y a couramment conSensus sans conscience ni discernement. Le conSensus n’est pas considération par lui même puisqu’il faut une "conscience d’être – Sens" pour que cette considération soit effectivement possible.

Alors cette éthique de la considération serait elle inaccessible à ceux qui n’ont pas atteint l’âge du Sens y compris à ceux qui se veulent maîtres des représentations?

Cela serait si la considération était posée comme une pratique et non comme un repère de Sens. C’est à cela qu’il faut tendre depuis là où on est.

L’enfant est appelé à prendre en considération les autres spécifiquement pour eux mêmes et pour leur rôles dans la communauté (prénoms, noms, rôles;..). L’éducation en est un terrain d’apprentissage. Il est moins fréquent que l’on place au sommet de la vertu à l’âge des représentations la considération du lieu de l’autre, c’est-à-dire de son point de vue, de son expérience, de sa réalité. La normativité tue toute considération d’humanité et, disons le, toute pertinence humaine de l’action.

L’éthique de la considération est une exigence d’humanité partagée, elle n’est pas néanmoins un exigence de confusion ou d’acceptation de la position (de Sens) des autres. Ce serait faire du conSensus le critère supérieur du bien même lorsque ce sont des Sens négatifs de l’humain qui seraient à partager.

Reconnaître l’autre dans la considération, c’est aussi assumer sa propre position de Sens tout en discernement celle des autres.

Acceptation de l’autre pour le rejoindre comme tel, exigence de Sens pour la position éthique (accomplissement humain) sont indissociables de l’éthique de la considération.

Les principes et les méthodes de l’action de l’Humanisme Méthodologique sont fondés à l’identique. La "centration" est une discipline de l’éthique de la considération pour engager toute action humaine (discipline du coeur). C’est là qu’elle se situe. Reste à engager tout processus de changement ou de confortation de Sens selon l’infinie diversité des affaires et des actions humaines à toutes les échelles.

Une dernière remarque concernant les communautés humaines. L’éthique de la considération impliquera le plus souvent d’élucider ce qui est leur "cohérence culturelle" sans quoi la "considération" risque d’être défaillante. La non reconnaissance des cultures communautaires ou la tentation de les réduire au formel (textes, représentations, règles, traces, cartes) participent des mêmes errements auxquels l’éthique de la considération s’oppose.

A contrario la pratique de l’éthique de la considération relative aux "territoires", pays, nations et communautés culturelles fait découvrir l’extraordinaire variété et profondeur humaine des cultures dont on s’est contenté souvent d’observer les manifestations et ainsi de les rendre anecdotiques.

L’éthique de la considération replace l’humanité au centre de soi, des autres et de toutes les affaires humaines. Le considérer en est le premier pas, indispensable, de l’Humanisme Méthodologique.

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