La mutation et après

La mutation n’est pas qu’un passage elle prépare un futur dont les horizons sont entièrement nouveau. En même temps il ne s’agit que d’accomplir l’humanité à un autre stade laissant entières les différentes phases de l’évolution humaine qui sont toujours et sans cesse en question.

Pour commercer il faut expliciter et situer le titre de la conférence.

La mutation et après . C’est l’affirmation que nous vivons une mutation et qu’une mutation c’est un passage entre un avant et un après. L’image de la métamorphose de la chrysalide en papillon est évocatrice du fait que après ne ressemble pas à l’avant mais que c’est le même être, que l’après s’appuie sur l’avant.

Elle suggère aussi qu’il est bien difficile avant d’imaginer quoi que ce soit de l’après.

C’est le problème de cette transition. Les moyens de lecture et d’analyse antérieurs sont insuffisants pour comprendre ce qui vient ensuite.

La deuxième affirmation sans doute étonnante dans un monde baigné de culture humaniste, c’est la naissance d’un monde à visage humain .

Cela veut dire que quelque chose de plus spécifiquement humain, de plus essentiellement humain se révèle et commence à se déployer.

Non pas que ce ne fut déjà là depuis que l’homme existe mais que c’est une civilisation qui est en train de naître et qui se reconnaîtra plus ancrée dans la nature humaine que jamais.

Cette affirmation peut paraître paradoxale dans un moment où la nature des choses semble vouloir s’imposer au travers de certaines interprétations des sciences, les progrès de la génétique et une meilleure appréhension des systèmes physiques. L’antihumanisme, théorique et pratique, est en effet particulièrement actif.

La théorie des Cohérences Humaines est le moyen conceptuel sur lequel les éclairages et les analyses que je veux proposer sont appuyés.

Je ne pourrais bien bien sur qu’en tracer les grandes lignes.

1) LE PLAN HUMAIN DE CIVILISATION. Le seuil de maturescence.

Si on admet qu’il y ait un processus progressif de civilisation , ce qui n’exclue ni les régressions, ni les diversions alors il faut se demander sur quelle échelle de progrès spécifiquement humaine se produit-il et comment caractériser les étapes, les degrés, les seuils de ce chemin de l’humanité.

Le plus souvent quand on parle des « âges » on les caractérise par des phénomènes extérieurs à l’homme.

Par exemple on parle de l’âge industriel ou de l’âge du fer mais ce ne sont que des indicateurs dont le contenu échappe.

A ce titre le développement des technologies, s’il est un indicateur possible ne dit rien de ce qu’il en est d’une évolution humaine .

J’ai pris les choses à l’envers et j’ai pu mettre en évidence anthropologiquement une structure d’évolution qui nous servira de base pour l’analyse et la réflexion et dont voici quelques assises.

1) D’abord la structure même de l’expérience humaine n’est autre que l’expérience de Sens partagés (de ConSensus).

La théorie des Cohérences Humaines est une théorie du Sens, de l’homme comme être de Sens.

2) L’existence humaine comporte certaines dimensions qui sont à la fois celles de la conscience et celles des réalités que nous appréhendons.

Ces dimensions sont celles-ci :
– Le plan affectif, de l’éprouvé
– Le plan factuel de l’interaction
– Le plan mental des représentations et des identifications.

Nous ressentons les choses et les apprécions ainsi,

Nous interagissons avec elles et les transformons,

Nous nous les représentons et les inscrivons dans des systèmes de représentations plus ou moins sophistiqués.

Au delà de ces trois dimensions en vient une quatrième qui les intègre et les transcende, le plan du Sens, des communautés de Sens, du virtuel. Mais je le développerai plus loin.

3) Il y a un troisième aspect qui est l’intervention du temps. Il serait intéressant de montrer comment l’expérience du temps est une expérience du Sens mais ici je voudrais simplement souligner que d’un certain point de vue il y a une hiérarchisation temporelle dans l’appréhension de l’expérience humaine et que cela dessine une échelle de progrès, de maturation, de conscience et, en définitive, de révélation et de réalisation de l’humanité.

Cette échelle de progression vaut aussi bien pour les personnes, les groupes humains, les organisations, les sociétés et l’humanité entière.

Encore une fois ce n’est pas parce qu’il y a une échelle qu’on est obligé d’y monter. C’est là un des grands enjeux de la liberté humaine.

On a ainsi ce que j’ai appelé un plan humain de civilisation que l’on pourrait appeler un plan humain de maturation.

SCHEMA DES AGES DE L’HOMME

schema1.png

Ce schéma peut être vu autrement et l’échelle d’évolution se présenter comme une spirale,

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Elle montre que le 4 âge reprend à un autre niveau l’âge archaïque ce qui est une source de difficulté et permet à certains de confondre la progression de l’humanité avec un retour à l’archaïque qui est présent par ailleurs.

Ce schéma permet aussi de pointer l’existence de seuils de passages. Si on les réfère à l’existence personnelle et ses niveaux d’expérience, de conscience ou de maturation alors sont à franchir le seuil de la naissance avec la « venue au monde », le seuil de l’adolescence avec le passage à l’âge adulte et un seuil de « maturescence » qui est un autre passage beaucoup moins connu et pour cause parce que nous sommes collectivement parlant en train de le découvrir.

Je ne citerai qu’un exemple de ce dernier point en signalant le trouble autour de la notion de retraite ainsi que la découverte d’un âge dont on ne sait pas trop quoi faire.

La maturité humaine ne rencontre pas encore clairement les fonctions sociales appropriées mais on les devine.

Voilà un indicateur de la mutation.

Voilà le schéma de base: nous sommes aux prises avec une mutation, celle du seuil de maturescence qui suit une phase que l’on pourrait appeler l’âge de la raison et pour entrer dans ce que l’on peut appeler l’âge du Sens.

2) L’EMERGENCE DE L’AGE DU SENS

Dépassement de l’âge de la raison, cohérences humaines et ingénierie humaine.

C’est de cette transition que je voudrais parler maintenant, des problèmes que cela pose et des moyens de les dépasser.

Tout d’abord précisons que l’âge des représentations, l’âge de la raison est celui dans le quel nous sommes. Quand commence-t-il ? Peu importe il y a au moins 2 ou 3 mille ans.

Ce qui le caractérise, c’est une certaine maîtrise des représentations mentales à partir desquelles nous avons construit des systèmes, des modèles philosophiques, politiques, culturels, scientifiques et toute une organisation sociale.

Il nous faut prendre en compte qu’une grande partie de la réalité dans laquelle nous travaillons, nous nous organisons, nous vivons est de l’ordre des représentations partagées (plus ou moins). La république, la démocratie sont des « idées » à partir desquelles nous construisons des modes de vie en commun, mais une entreprise, une institution, des représentations juridiques, imaginaires, structurelles, identificatoires, nos lois, nos règles, nos systèmes de connaissance, nos modèles en sont aussi.

On voit bien comment cela nous aide à organiser, maîtriser le factuel de l’existence. On voit bien aussi comment la Raison peut en être la maîtresse. On voit bien aussi l’intérêt de ne pas dissocier mais de hiérarchiser les différents niveaux de l’expérience.

Par exemple il est bon de penser avant d’agir et agir peut viser, pour le moins, le bien être ou à éviter le malheur (concepts affectifs s’il en est).

Or il se produit que le règne de la Raison, que notre pays a déifié en son temps pour en faire un absolu, est remis en question :

– d’une part cela éclaire quelque peu l’origine des difficultés particulières de notre pays pour ce changement là. La raison de chacun se veut souveraine.

– d’autre part ce que peuvent être les références et les résistances au changement qui se manifestent.

Ils sont notamment de trois types:

1) La régression , puisque la Raison ne nous donne plus la puissance d’antan alors liquidons là au profit :

– d’une plus grande obsession du factuel, du concret, de l’économique, du court terme,

– de la réhabilitation de l’archaïque comme valeur, idéal et mode de vie.

Une sorte de décivilisation.

2) La crispation , elle se traduit par une rigidification, une fixation incantatoire sur les « modèles » qui ont marché en d’autres temps. On se croit défenseur de la civilisation et même de la Raison jusqu’au prix de la paranoïa délirante. Tout ce qui bouge fait peur et taxé des pires intentions.

Si le pire existe il n’est pas pour autant la seule alternative au conservatisme qui essaie ainsi de se justifier.

3) La fuite en avant dans la diversion . La perte du contrôle par le biais des représentations conduit à leur prolifération dans une course à la vanité qui les disqualifie:

– prolifération des images, des discours qui pour faire effet ont recours aux manipulations de l’archaïque,

– prolifération des lois et règlements souvent pour garder un contrôle qui échappe d’autant et disqualifie la loi elle-même.

Reste le dépassement

Il se caractérise par de nombreux aspects :

– La crise des représentations , c’est ce que je viens de décrire en partie. Les représentations ne suffisent pas à maîtriser le réel et surtout à progresser. Ainsi l’idée de démocratie a été rectrice d’une marche de progrès et peut l’être encore. Elle ne suffit plus maintenant puisqu’on découvre que l’on peut donner n’importe quel Sens à la démocratie, même les pires.

La crise des représentations, c’est la découverte de leur insuffisance malgré les bénéfices que l’on en a tiré.

– La crise du Sens. Au fond elle en est l’autre facette. Elle permet de découvrir que le Sens ne va pas de soi, que la prolifération des modèles, des formes, des règles, des idées et des idéaux ne suffit pas à donner le Sens.

C’est à la fois inquiétant, sentiment de déboussolement, perte des repères et des valeurs « sures », réengagement dans des logiques que l’on croyait dépassées (ex. nationalismes) et encourageant parce que les hommes découvrent que le Sens est leur affaire, que c’est l’essence de leur liberté, que c’est aussi leur responsabilité et mieux que c’est le gage de l’efficacité de leurs projets.

La crise du Sens ouvre à l’importance du Sens proprement humain.

L’enjeu de la mutation c’est l’émergence du Sens « humain » comme principe et comme vecteur:

– Le Sens, c’est le principe et le vecteur de toute connaissance,

– Le Sens, c’est le principe et le vecteur de toute réalisation,

– Le Sens, c’est le principe et le vecteur de toute orientation.

En définitive, la raison se révèle servante du Sens pour le pire ou le meilleur et c’est la maîtrise du Sens qui fait la différence. Elle reste le meilleur instrument de construction et de maîtrise des représentations pour l’action une fois que l’on en a déterminé le Sens.

La mutation et après ? C’est un âge du Sens qui réclame de nouvelles compétences plus spécialement humaines.

L’ingénierie humaine qui deviendra indispensable repose d’une part sur une certaine maîtrise du Sens et d’autre par sur la structuration de réalisations qui intègrent toutes les dimensions de l’expérience humaine, subjectivité, objectivité et rationalité (j’en ai montré l’articulation notamment dans la trialectique S.O.P.).

Je noterais les trois moments principaux de l’ingénierie humaine:

– Le discernement des Sens dans les situations, dans les motivations humaines, dans les cultures et groupes humains, dans les projets.

– La détermination du Sens , décision de direction, décision politique par excellence qui engage la personne mais aussi le collectif et réclame de nouveaux modes de travail collectif (les tensions actuelles en montrent la nécessité, si on ne s’entend pas sur le Sens comment se mettre d’accord sur des stratégies ou des modalités).

– Le développement dans un Sens. Tout projet est projection dans un Sens, toute action un cheminement ordonné, rationalisé dans ce Sens, le plus souvent à partager pour coordonner l’action.

Il existe donc un appareillage de concepts et de méthodes d’ingénierie du Sens qui sont à la base de la prospective opérationnelle.

Je voudrais maintenant montrer quelques aspects de cet « et après », quelques caractéristiques de cet « âge du Sens » au travers de quatre pistes majeures auxquelles je vous invite.

1) La naissance de l’homme Vir – La mondialisation des réalités humaines

La racine VIR vient de WIR qui veut dire homme et que l’on retrouve dans vertu, courage, valeur, virtuosité, virilité.

En fait cela nous parle de la volonté et de l’intentionalité humaine.

L’homme VIR est celui qui sait ce qu’il veut, qui donne un Sens à son action, qui en assume la détermination.

L’homme VIR est l’homme majeur, celui qui justement assume la question du Sens et la pose comme essentielle.

S’il se reconnaît dépendant par tous les aspects de son existence, il en assume l’autonomie et la liberté de Sens et notamment dans le partage avec les autres.

Vaste chapitre. Qu’est-ce qu’une société où le plus fort niveau de maîtrise est de cet ordre et pas seulement de l’ordre de la « maîtrise des représentations » qui a fait la gloire de nos grandes écoles…

Je voudrais y opposer une autre version qui est plus celle d’une globalisation planétaire qui va avec encore moins d’humanisation puisque cette « mondialisation », c’est celle des systèmes qui s’imposent à l’homme jusqu’à en dissoudre même la nature spécifique.

C’est un des enjeux de la crise de Sens, l’avènement ou la dénégation de l’humanité de l’homme. Je développerais ce thème dans la conférence sur le nouveau paradigme.

La mutation pose le problème et le but de toute crise, c’est d’avoir à trancher entre plus d’humanité ou moins d’humanité.

Si on prend le Sens de la civilisation alors il y a un « et après », si on prend le Sens de la décivilisation le « et après » est un retour en arrière, une régression désirée et programmée. Le Sens n’est plus le propre de l’homme (principe de sa dignité, sa liberté, sa responsabilité) mais de la nature des choses (qui n’en a que faire).

C’est un nouveau visage de l’homme qui se découvre et plus on le reconnaît plus on s’aperçoit de sa nouveauté et de l’écart qu’il y a avec les « modèles » antérieurs mais c’est toute une conception de l’homme qui est en jeu.

Quel rapport avec la « mondialisation », d’abord étrangement World vient de WIR-OLD qui veut dire âge d’homme, même chose en allemand avec Welt.

Les anglo saxons parlent plus de globalisation que de mondialisation et c’est dommage, selon cet éclairage.

En fait, la mondialisation est au fond la reconnaissance que le monde est humain, que nos réalités sont humaines, que nous vivons dans des « mondes » humainement construits, que nous en avons de ce fait la charge et la responsabilité mais aussi la liberté de leur devenir. On peut parler d’une conscience d’un autre niveau plus large et plus profonde.

2) Le temps des communautés de Sens

Implications pour les communautés humaines.

Qu’est-ce qu’une communauté humaine :

1 âge d’affect

2 âge de fait, cohabitation, organisation (territoire)

3 âge de droit représentation, identité reconnue

4 âge de Sens

Une communauté de Sens, Sens humain partagé, le lien social, c’est le Sens:

– connaissance et vision partagée,

– orientation et projets,

– structuration, développement, engagement

Une communauté de devenir

Une communauté culturelle

– son sacré c’est le Sens partagé

– sa culture celle d’un Sens

– le produit de sa culture: ses réalités et ses oeuvres.

A l’âge du Sens ce n’est plus le territoire, le droit qui suffisent à déterminer l’existence, l’unité d’une communauté humaine, mais le Sens partagé.

On le retrouve dans les communautés anciennes, les cités mais aussi dans un foisonnement de nouvelles communautés « virtuelles ».

Cela touche :

– au politique,

– aux communautés de communautés, nationales, européennes, etc.

– aux institutions et collectivités diverses.

L’ingénierie du Sens offre de toutes nouvelles conceptions et solutions.

Un exemple , pour faire la cohérence d’un pays, d’une agglomération, ce n’est pas la rationalité qui suffit surtout si elle ignore le Sens.

Pour connaître ou reconnaître le meilleur Sens, la « vocation culturelle » du lieu permet ensuite d’en construire les rationalités significatives.

Internet et les communautés virtuelles . Un support de construction de lien social qui suppose la coalition d’initiatives et qui supporte mal les modèles anciens.

3) La prospective opérationnelle

Mutation refondatrice, une méthode

– Vision du futur, Quel Sens général?

– Evaluation prospective. Quel Sens propre développer?

– Stratégie de mutation. Quel engagement partager (consensus)?

Aujourd’hui la conduite du changement, l’élaboration de projet, pose ces problèmes et défie les instruments précédents. C’est ce qui donne cette impression de « méprise » et de perte de contrôle, là même ou on veut le plus de maîtrise. L’Etat, les entreprises, les collectivités, les institutions sont aux prises avec ce problème.

Actuellement les projets d’avenir sont le plus souvent soit des projets de mutation, soit de résistance ou même de régression.

4) L’avènement de l’homme

Connaître l’homme, reconnaître ce qui est spécifiquement humain, le révéler et le réaliser c’est l’enjeu même de toute civilisation humaine.

Chaque étape en dévoile une partie, le met à l’épreuve et contribue à l’accomplir.

La Raison en a été une approche mais son absolutisation devient aussi un obstacle, un écran.

– Au delà de la Raison, le Sens

– Le propre de l’homme,

– La mutation, c’est l’accès au Sens, l’avènement d’un monde de Sens, un monde à visage humain…