Les cercles de prospective opérationnelle
La prospective est un exercice difficile par temps de mutation parce que les instruments de pensée habituels sont inadaptés. Il faut au contraire retrouver des fondements des racines plus profondes, développer une imagination du futur pertinente et engager un processus de projection et d’appropriation collective indispensable pour changer en profondeur et à moindre coût.
Nous entrons dans un temps de mutation annoncé par une période de crises incessantes depuis 25 ans et ce au cours d’un siècle où les transformations du monde ont été les plus importantes de l’histoire.
La caractéristique d’une mutation, c’est d’introduire une rupture dans le fil de l’histoire, ce que n’a pas fait le 20e siècle qui a plutôt accompli les promesses (ou les menaces) du 19e siècle.
Avec la mondialisation, le champ des enjeux est à l’échelle de l’humanité entière et, avec Internet par exemple, cela ne concerne pas seulement les Etats et les organisations importantes mais tout un chacun par le simple jeu de l’économie, de la communication et maintenant des relations rendues possibles à grande distance.
Cette situation de mutation exige de la part de tous les responsables des engagements de l’avenir, de préparer sinon mettre en oeuvre des projets qui intègrent cette mutation.
Projets d’entreprises, projets sociaux, projets politiques et culturels, projets de développement ou d’aménagement, projets de ville et projets des institutions, des professions ou des collectivités sont à l’ordre du jour.
Or nous nous trouvons devant une série de difficultés:
– Les cadres de pensée et d’action disponibles, qui ont fait leurs preuves en d’autre temps, ne sont plus valides dans un contexte de mutation qui les remet profondément en question. De nouvelles conceptions et de nouvelles pratiques sont necessaires.
– La mondialisation pourrait faire craindre une uniformisation faisant perdre de vue l’autonomie, l’originalité et la singularité de chaque culture ou communauté humaine et la technologie pourrait y conduire. Une réappropriation est nécessaire pour que chacun y trouve l’occasion d’un nouvelle expression de ses potentialités propres.
– La prospective très féconde après la dernière guerre en France avec Gaston Berger ou Bertrand de Jouvenel par exemple, est restée en retrait dans la période de croissance et même de crise malgré des "vigies" toujours actives (ex. Futuribles, Sté des Conseillers de Synthèse notamment). Ce n’est plus une démarche familière et il faut en renouveller maintenant les méthodes et les usages.
– Une grande confusion règne quant aux informations significatives pour le futur. L’abondance d’informations scientifiques et techniques va avec un défaut de vision éclairante des scénarios du futur. Il faut donc favoriser les éclairages qui donnent une intelligence des phénomène de mutation et permettent d’en imaginer les scénarios.
– Outre les distorsions dues à la communication publique, différentes interprétations sous-jacentes s’expriment sans que le phénomène humain de société, de culture et de civilisation soit mis au clair laissant les intéressés responsables des affaires collectives sans grands éclairages, ni moyens de préparer et mettre en oeuvre, là où ils sont, la mutation engagée. Des repères et des moyens de discernement sont nécessaires pour ne pas confondre les courants régressifs ou réactionnels avec le mouvement de dépassement qui est engagé.
– Enfin, l’élaboration de projets pour les années à venir ne peut plus être déconnectée de cette mutation. Une démarche prospective systématique est devenue indispensable (songeons à l’évolution des projets conçus il y a tout juste trois ans dans le domaine des media et leur bouleversement par le phénomène Internet).
La prospective opérationnelle est une réponse à ces difficultés tout en offrant une méthode pour préparer aujourd’hui les projets d’avenir, et conduire les changements nécessaires.
Elle a alors un double rôle à jouer :
– Apporter des éclairages sur le phénomène de mutation et les nouvelles configurations qui se préparent ou émergent.
– Permettre aux responsables des engagements de l’avenir de prendre une position propre, libre, autonome pour participer fructueusement par leurs projets, aux nouveaux développements qui se dessinent.
L’exigence, aujourd’hui incontournable, d’une prospective pour un temps de mutation, n’est pas seulement d’éclairer mais aussi de permettre à chacun de se projeter concrètement et avec succès dans un monde en pleine créativité, (personnes, collectivités, entreprises, institutions, pays, cités, etc.). C’est une première définition de la "prospective opérationnelle".
La "prospective opérationnelle" est née de ces exigences mais aussi des travaux de l’Institut Cohérences.
En effet, elle intègre :
– Une vision anthropologique des phénomènes de mutation du monde actuel qui permet d’en comprendre le sens, les enjeux, les difficultés et les conditions de réussite.
– Une conception de la démarche de prospective opérationnelle que toute entité qui veut accomplir sa mutation doit assurer pour la réussir.
Sur le premier point, la théorie des Cohérences Humaines a forgé les outils de discernement et d’analyse qui permettent non seulement de comprendre le phénomène d’ensemble mais d’en éclairer chaque aspect d’intérêt général ou particulier pour pouvoir élaborer des "visions du futur" éclairantes et structurantes.
Sur le second point, le théorie des Cohérences Humaines et l’ingénierie humaine qui s’y fonde ont permis de clarifier la problématique de mutation et la réponse de prospective opérationnelle avec les conceptions, les méthodes, les outils, les pratiques nécessaires à sa généralisation.
Ainsi la prospective opérationnelle comporte :
– Une vision éclairante de la mutation engagée,
– Une conception pertinente de la façon de s’y engager,
– Des méthodes et des outils pour la mettre en oeuvre.
LA PROSPECTIVE OPERATIONNELLE :
UNE METHODE D’ELABORATION DE PROJETS EN PERIODE DE MUTATION
Tout d’abord, elle intègre trois dimensions qui interviendront ensuite dans la démarche :
Le contexte en mutation.
S’il y a un foisonnement d’éléments significatifs de la mutation, il est indispensable d’en dégager des scénarios du futur qui soient appropriés à l’instance qui s’engage dans cette démarche.
La position originale à tenir.
Le futur n’est pas le produit mécanique des facteurs exogènes, il dépend aussi des positions et orientations originales prises par les responsables des projets d’avenir. Ils doivent donc éclairer sur quels potentiels propres s’appuyer pour être cultivés et actualisés dans le futur.
Le projet stratégique à élaborer
C’est l’enjeu de la prospective opérationnelle de définir et engager un projet qui croise les meilleurs potentiels avec les conditions et opportunités du futur.
Un projet d’avenir suppose d’intégrer les différents termes, long, moyen et court terme et les processus d’évolution et de mutation des acteurs, structures, compétences et populations concernées. Il faut en effet tenir compte des problèmes de changement et des apprentissages qui seront nécessaires. Le projet stratégique en période de mutation est aussi toujours un projet de mutation humaine.
Ces trois dimensions structurent les trois étapes de la méthode spécifique :
L’élaboration des scénarios du futur
On croisera pour cela :
– Les visions du futur et les informations significatives en provenance de plusieurs sources (observatoire).
– Une analyse critique et explicative à partir des clés de compréhension de la mutation (éclairage) (cf. annexe) .
– Un travail de créativité, approprié au contexte particulier où l’on veut s’engager pour se donner les repères nécessaires au projet (référentiel).
L’évaluation prospective
Il s’agit d’évaluer les potentiels propres qui pourront être utilement mobilisés. Pour cela il faut en faire une élucidation, une qualification et en définitive en tirer le Sens d’une vocation ou d’une position à faire valoir dans les nouvelles conditions de la mutation.
Ce travail très original peut être un travail d’analyse de potentiels, vocationnel ou un travail d’analyse de cohérence culturelle pour des populations assez importantes (organisations, collectivités…).
L’élaboration du projet stratégique
On utilisera la méthode de créativité générative pour intégrer les dimensions précédentes. Elle permet aussi de concevoir les modes de progression et de transformation de l’existant et aussi les processus de maturation et d’apprentissage. De ce fait, cette phase de travail peut être construite de façon plus ou moins participative au départ selon les besoins tout en prévoyant l’entraînement d’une dynamique d’appropriation et de changement sans laquelle aucune mutation n’est possible.
LES CERCLES DE PROSPECTIVE OPERATIONNELLE
La démarche de prospective opérationnelle doit intégrer non seulement les éclairages et le travail de conception de projets mais aussi un processus de maturation et d’apprentissage de nouveaux horizons et de nouvelles pratiques. Sans un travail qui intègre les phénomènes de changement de modèles on risquerait de susciter plus de craintes et de résistances que de progrès et rendre difficile l’appropriation des enjeux.
Or tous les spécialistes de la conduite du changement et de l’accompagnement des personnes savent que de tels changements demandent de ménager des processus progressifs de maturation et d’intégration des nouveaux horizons. Depuis longtemps on sait que le travail en groupe facilite ce type d’évolution. C’est pourquoi la méthodes des cercles de prospective opérationnelle a été conçue. Elle permet une créativité collective, une élaboration partagée entre des personnes de préoccupations semblables avec éventuellement des expériences différentes.
Ainsi les Cercles de Prospective Opérationnelle sont-ils animés par des spécialistes de l’accompagnement du changement avec les méthodes de l’institut cohérences. Ils comportent tous, quelque soit leur objet, les trois dimensions de la PO : scénarios du futur, évaluations prospectives, projets stratégiques.
Les cercles de prospective opérationnelle sont le moyen privilégié de partager des éclairages et des analyses, d’acquérir des connaissances et des compétences nécessaires et aussi d’engager des réflexions partagées devant déboucher sur des projets appropriés.
ANNEXE
CLES POUR UNE MUTATION
– La mutation en cours correspond au passage d’un seuil de maturescence dans l’évolution humaine (des hommes, des organisations, des sociétés).
– Ce seuil vient après une phase caractérisée par une certaine maîtrise des représentations humaines grâce, notamment, au primat de la Raison (modèles, structures de pensée, règles et droits, conceptions du monde et des choses, systèmes…).
– La mutation traverse une crise des représentations où les modèles anciens se révèlent insuffisants. Elle se traduit aussi par des régressions, des crispations, des fuites en avant qui masquent ou déguisent la mutation.
– L’effet de crise se répercute à différents niveaux et réactive aussi des crises anciennes (remontée des problèmes du passé) et peut se confondre avec des étapes antérieures d’évolution.
– Les résistances à l’évolution tendent à fixer l’attention sur des objectifs, des préoccupations anciennes de façon excessive aggravant les difficultés de la société et des personnes. Les tentatives de réparation, de sauvegarde ou de restauration des systèmes anciens en est une forme commune.
– Le seuil de la mutation est centré sur la crise du Sens qui touche à la fois la dimension explicative du monde et de la vie, la dimension intentionnelle de l’autonomie, la liberté et les responsabilité propre des personnes et communautés, et la dimension éthique ou spirituelle.
– Le seuil de maturescence ouvre à une nouvelle phase d’évolution où le Sens jouera le rôle qu’a joué la Raison antérieurement. C’est la clé de toute conscience, de toute maîtrise, de toute orientation. On peut l’appeler l’âge du Sens.
– L’âge du Sens est aussi l’âge des communautés humaines engagées. Une nouvelle appréhension des collectivités ou sociétés humaines comme communauté de Sens (compréhension, engagement, valeurs…) fait aussi des communauté et des cultures le coeur des préoccupations et des actions au futur.
– Le monde du Sens est aussi celui qui intègre toutes les dimensions de l’expérience humaine et qui ouvre un nouveau champ de développement et de réalisation : l’espace virtuel, c’est à dire aussi celui de l’expression des virtualités humaines.
– L’ère qui s’amorce est aussi l’âge de l’entreprise en ce sens que les activités y sont comprises comme entreprises humaines et que les communautés en tant qu’elles sont justifiées par leur vocation, leurs projets, leur développement sont aussi à considérer comme des entreprises humaines (ce qui ne les enferme pas dans un modèle gestionnaire primaire pour autant).
– A l’âge du Sens les questions éthiques, épistémologiques et praxéologiques sont essentielles et doivent être culturellement appropriées dans un contexte de mondialisation de l’universel.
– La transdisciplinarité est maintenant indispensable pour l’appréhension des réalités d’expérience humaine