Concertation et gouvernance

Adorateurs des formules magiques nous sommes bien vite rassasiés par l’emploi des mots tels que « concertation », « gouvernance », « développement durable » « environnement »… Or les mots on un Sens qui lui, atteste des positions humaines, des stratégies et des pratiques réelles. Quels Sens pour les termes ici employés? C’est une spécialité de l’Humanisme Méthodologique que le discernement des Sens comme d’autres ont comme spécialité le détournement de Sens.

Il est manifeste qu’une crise se prépare quant au sens et à la manière de conduire les politiques territoriales notamment dans le domaine de l’aménagement et de l’environnement.

Entre les démarches dénoncées comme « technocratiques » et le recours, au moins verbal, à la concertation, entre la difficulté d’appropriation par les acteurs locaux et les intentions « participatives », entre le concept de « bonne gouvernance » et les attitudes de défiance vis-à-vis des élus ou des intentions réelles de tel ou tel service de l’Etat, montent en puissance crispations, malaises, inefficacités, remises en question sinon excès ou confusion.

Il n’est pas inutile de proposer une clarification grâce à une grille de lecture et d’analyse des logiques en présence ne serait-ce que pour discerner ce qu’il en est des pratiques au delà des discours, et aussi quel sont les Sens et cohérences qui réunissent intentions véritables et résultats réels au travers des processus d’action ou de mise en scène choisis.

Quelques repères

On partira de deux couples de démarches :

Le premier oppose des démarches dites « bottom up » ou « top down » Le second oppose des démarches dites endogènes et exogènes.

S’agissant d’une carte des Sens et cohérences, chaque terme vient caractériser ici une logique, une conception implicite, une rationalité de l’action. Il serait vain de tenter d’y rechercher un équilibre idéal sinon à vouloir disqualifier l’analyse. Il est cependant clair que les « hésitations » existent dans certaines pratiques effectives et surtout que le Sens du discours convenu et celui de l’action ne coïncident pas toujours, quelques fois malgré leurs auteurs.

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Quelques éclairages et commentaires sur les différentes positions.

1) Démarches « bottom-up »

Elles consistent à faire progresser les choses à partir d’une base de départ, d’un fondement existant, en le projetant dans l’avenir.

C’est une logique de projet associé à l’idée de progrès tant la visée est de « s’élever » par rapport à un existant, de faire mieux, d’aller plus loin ou plus haut, de progresser.

Par contre cela n’exclue en rien que soit associée une hiérarchie de compétence, d’anticipation, de conduite, bref que l’action soit dirigée au sens propre, guidée, orientée, conduite, ce qui ne veut pas dire contrainte ou imposée.

La négation de cette dimension de la conduite de l’action en vue de cette « élévation », au nom d’une horizontalité mythique, est toujours manipulatoire (les sciences humaines et particulièrement la psychosociologie l’ont bien mis en évidence dans la pratique de l’animation des groupes).

La concertation dans cette démarche a pour but de faire émerger puis élaborer réflexions, analyses, projets, réalisations. Elle ne se réduit ni à un échange, ni à une expression mais se traduit par une édification collective nécessitant en général une forme de conduite du processus, un cheminement construit.

2) Démarches « top-down »

Elles consistent à obtenir un résultat préétabli par le biais d’une contrainte ou tout autre moyen de pression (séduction, menace, peur, manipulation…).

La position supérieure s’impose en imposant ses analyses, ses conclusions, ses plans, ses règles et ses schémas. Elle a donc comme souci en général de se doter des moyens de constituer son savoir ou ses conclusions pour ensuite les « faire passer » (par des moyens de pression en général) pour que le terrain s’y conforme et si possible se les incorpore.

La concertation est alors conçue comme un procédé pour « faire passer » ce qui a été préconçu.

C’est malheureusement là la plus grande demande en actions de communication, considérées elles aussi comme un procédé qui se doit d’être habile pour arriver à ses fins.

Ce type de démarche est donc entièrement tourné vers:

– l’acquisition de matériaux nécessaires pour forger une réponse exhaustive aux problèmes posés,

– des procédés pour « faire passer » et « verrouiller » les conclusions à faire adopter.

3) Démarches endogènes

Elles sont construites sur le principe de l’expression d’un potentiel original et singulier;. C’est celui de personnes, de collectivités, d’institutions dont on sollicitera l’initiative, la créativité, la mobilisation des ressources propres.

Les méthodes sont des méthodes de sollicitation de l’expression de ces ressources et potentiels propres. Il faut donc les repérer et les mobiliser pour qu’ils s’expriment.

La concertation est alors ce moyen de repérage et de mobilisation.

Si on a pu identifier potentiels, valeurs propres, richesses spécifiques, la concertation visera à les exprimer. Il y faudra d’abord une écoute et ensuite une sollicitation à l’expression ou à la créativité. Par définition les solutions et même les cheminements pour traiter les problèmes sont non standards puisqu’ils expriment l’originalité de ceux que l’on aide à se faire auteurs de leurs réalisations.

4) Démarches exogènes

A l’inverse tout originalité est exclue. La règle, le modèle, la procédure, le schéma sont à « appliquer » de façon normative.

La démarche consiste de même à suivre un protocole formel où, à chaque étape, s’applique la formule préétablie. Il est clair que tout ce qui fait originalité, particularité, initiative, autonomie, singularité fait obstacle ou réclame des structurations toujours plus complexes et un formalisme d’autant plus détaillé.

On n’attend pas, bien sur, de ceux qui appliquent la procédure, pas plus que de ceux à qui elle s’applique une quelconque « personnalisation » des choses.

En quoi consiste alors la concertation ? Il s’agit, bien sûr, d’une règle ou d’une procédure formelle à appliquer. Le seul fait de la « mettre en place » et de la « faire fonctionner » est sensé suffir, suffir à respecter la conformité de la règle qui prévoit telle ou telle réunion ce qui exonère évidemment de bien des problèmes quand à la compréhension ou la maîtrise de ce qui peut s’y produire et, pire, à s’arranger pour qu’il ne s’y produise rien de peur que de l’inattendu ou de l’originalité s’y manifestent.

De l’analyse de ces quatre logiques de référence on aperçoit déjà que la seconde et la quatrième ne sont pas centrées sur les acteurs et leur devenir propre mais sur la règle ou bien les réponses préétablies, les idées préconçues, évacuant du même coup le sujet en situation, le problème des acteurs et tout leur potentiel d’appropriation, de maîtrise et de responsabilité, une sorte de dééducation à la responsabilité.

On peut examiner maintenant plus précisément quatre autres logiques intermédiaires combinant les précédentes.

A – CONJUGAISON DES LOGIQUES ENDOGENES ET BOTTOM-UP

La démarche consistera à faire s’exprimer des potentiels pour édifier progressivement des réponses appropriées tant à la situation que par les acteurs, coauteurs.

La conduite doit en être de type maïeutique, toute d’écoute et d’accompagnement, de discernement et de pilotage.

Elle suppose que l’on laisse apparaître de l’inattendu tant sur les potentiels que sur les démarches ou sur les résultats, sans tomber dans le spontanéïsme.

La concertation est un processus de type pédagogique non pas pour transmettre un savoir préétabli mais pour progresser dans une maturation et une maîtrise suffisante. C’est toujours un cheminement original à construire et à parcourir, un processus d’appropriation active par exemple.

Il y faut une bonne connaissance de l’humain et des cohérences humaines pour laisser toute la liberté de leur expression, mais aussi toute une compétence d’ingénierie humaine pour la piloter dans une élaboration pertinence et dans le sens approprié.

B) CONJUGAISON DES LOGIQUES EXOGENES ET TOP DOWN

Dans une époque de moindre discernement, de moindre exigence (auto exigence), de moindre culture des affaires humaines se déploient des démarches qui viseront une conformation à des schémas, idéologies, visions préétablies, par le biais de procédures, de « mécanismes » ou de systèmes qui en imposeraient automatiquement les termes (de référence).

L’artifice technicien y prospère en perdant d’ailleurs son génie propre ou son originalité. La croyance y supplée à la méconnaissance des problématiques humaines qui sont obstacles et sources d’échec (le retour de l’humain refoulé). C’est comme cela que des démarches qui se veulent rigoureuses jusqu’au scrupule s’abîment dans la confusion une fois confrontées au réel des situations et des problèmes.

Il leur reste l’espace verbal, le jeu des apparences, le jeu des (faux) semblants pour entretenir l’illusion d’une efficience qui rejette autant qu’elle le peut la confrontation à l’épreuve du réel et de la vérité.

La concertation y est considérée à la fois comme un procédé plus ou moins magique, réparateur, sinon expiatoire tout en étant inquiétante parce qu’incontrôlable. On peut la confier à des opérateurs vigilants qui ne laisseront rien déborder.

C) LA CONJUGAISON DES LOGIQUES ENDOGENES ET TOP-DOWN

Ferventes d’authenticité, de proximité, d’admiration pour les ressources du terrain et les valeurs traditionnelles, ces démarches cherchent à les employer pour arriver à leurs fins qui consistent à imposer leurs solutions quitte à adopter la souplesse nécessaire.

Ce sont des pratiques de manipulation qui, bien sur, travaillent pour le » bien » des gens et l’intérêt général pour qu’au fond s’y soumettent et s’y plient les acteurs et surtout les responsables en place dont l’autorité doit être suspectée, disqualifiée, sinon trompée afin qu’elle ne fasse pas obstacle à l’avancée du bien, c’est-à-dire ici du pouvoir?

Les manoeuvres habiles, les paroles séduisantes, les promesses alléchantes mais aussi les menaces latentes, les culpabilisations, les mises en dépendance font partie de ces démarches hégémoniques. Ne leur plaisent évidemment ni analyses trop poussées, ni évaluations intempestives, ni confrontation aux exigences de légitimité dont on abuse volontiers.

La concertation est opportune. L’art du maniement des hommes (qui n’est pas celui d’une conduite de progrès) est bien connu et communément pratiqué, avec ou sans experts dont on peut s’acheter les talents.

La tromperie est la meilleure technique d’efficacité, on le sait bien et on en use et abuse. Mais au bout du compte si on a obtenu allégeance, soumission, dévoiement, c’est en trahissant les fins propres de ceux au nom de qui ou pourquoi on travaille, qu’ils soient l’Etat ou les acteurs locaux.

D) LA CONJUGAISON DES LOGIQUES EXOGENES ET BOTTOM-UP

La démarche d’édification et d’élaboration progressive si elle ne se fonde pas sur des ressources et potentiels propres endogènes peut, à l’inverse, s’appuyer, pour sa structuration, sur des règles exogènes, un modèle standard, une procédure, une organisation à priori, affirmer un cadre de conformité ou cheminement de progression.

On se retrouve dans des modèles de rationalisation classiques où, partant des données du terrain et y appliquant un cadre, une méthode, une procédure standard on construira peu à peu une solution dûment référencée.

La vertu de conformité conjuguée avec la prise en compte d’un existant, permet des réponses rationnelles et structurées.

Cependant il n’y a guère de place pour l’originalité, la singularité et surtout la personnalisation culturelle des problèmes, des méthodes et des solutions.

Il est vrai que par la concertation on cherchera une plus grande exhaustivité et précision dans la prise en compte des données du terrain de même qu’une adoption conformative des règles et méthodes d’élaboration des solutions.

La concertation est ici un procédé d’organisation du travail qui en optimise l’efficacité.

Conclusions

De ces repères, structurant une sorte de boussole des orientations, on peut tirer analyses de l’existant et indications pour agir.

Il faut pour cela ne pas céder à la dénonciation mais de façon réaliste proposer, promouvoir, et favoriser l’exigence de considération et le primat du service de l’altérité (« autrui » disait-on en d’autres temps).

Cette carte des sens et des cohérences porte à d’autres analyses amenant des rapprochements éclairants en dégageant des cohérences toujours plus larges.

A titre d’exemple on laissera au lecteur le soin de retrouver dans les quatre « conceptions » de la notion d’environnement ci-après auxquelles des quatre logiques de gouvernance elles s’associent et à quelles pratiques de concertation elles ont recours.

QU’EST-CE QUE L’ENVIRONNEMENT ?

Cette question semble trop évidente pour qu’on se la pose. Et pourtant dès que l’on passe au plan de l’action ou même sa préparation alors les difficultés surgissent, les malentendus se cristallisent en obstacles, notamment dans la mise en oeuvre des politiques publiques.

S’il y a malentendu, c’est sans doute qu’il y a un problème d’entendement et qu’en fait, à cette question il faut chercher réponses non pas d’abord au plan descriptif de l’objet ou des objets de l’environnement mais celui, explicatif, de ses Sens.

Pour l’exercice l’outil approprié est une carte des Sens et cohérences (un outil dérivé de la théorie des Sens et Cohérences Humaines, Institut Cohérences). On se limitera pour la lisibilité à y reconnaître quatre sens ceux des diagonales du schéma précédent.

A) L’environnement comme lieu de rencontre de l’altérité, lieu de respect.

L’autre, proche mais distinct, fait espace et cet espace c’est le lieu (anthropologique tout autant que géométrique) où se situent les relations et leurs réalités communes : l’environnement.

Dès lors le respect de l’environnement n’est rien d’autre que le respect de l’autre (des autres) dans le lieu même de l’espace intermédiaire, médian, celui de ses réalités communes. Il est tenu ouvert par la distance à tenir avec ses proches (respectueuse) pour se tenir mutuellement autres.

Le respect de l’environnement est proprement éthique, fondamental pour une communauté humaine majeure, communauté d’autres (et pas seulement de mêmes).

La logique du respect de l’environnement est celle de la recherche du bien commun dans le respect de toute altérité.

Son objet ce sont les choses de la vie quotidienne jusqu’aux plus vastes, celles de la mémoire et aussi celles de futurs autres. L’écologie est alors d’objet et de sens humain et donc d’ordre politique

B) L’environnement comme nature originelle

C’elle dont toute progression éloigne, à laquelle toute civilisation tourne le dos. C’elle que toute revendication humaine trahi avec sa prétention d’altérité. Lorsque le milieu occupe le centre comme la périphérie, lorsque l’alentour est premier, principal, central. Lorsque le global est le tout, il n’y a évidemment pas d' »Autre » sauf péchant originellement contre nature, incarnation du mal.

L’accusation de l’homme! Seul procès possible et son sacrifice seule voie de retour aux sources, au paradis perdu d’avant la naissance de l’homme.

Logique victimaire, judiciarisation de l’espace, contrôle top-down de l’horizontalité.

L’embarras du territoire.

C) L’environnement comme territoire d’emprise

L’environnement c’est le territoire auquel on appartient et qui est, pour ceux qui le tiennent ainsi, leur propriété, comme un prolongement d’eux-mêmes, et dont les propriétés sont comme les leurs.

Dès lors toute altérité qui s’y risque est altération, pollution, menace.

Il est alors d’élémentaire précaution d’en prévenir le risque, celui de l’empiétement par toute altérité (pression anthropique ?).

De cette logique peuvent se déployer facilement discours et politiques, arguments et attitudes « objets de préoccupation » principaux et stratagèmes, jeux de rôle et toujours combats, luttes et conflits.

Logique de territoire, retour au sauvage.

D) L’environnement comme lieu de commodités

L’organisation rationnelle de la vie collective suppose une gestion optimale des utilités.

L’environnement est le lieu ressource de toutes les commodités qui satisfont aux aspirations de progrès comme aux nécessités d’usages.

Il y a donc lieu d’en assurer une saine gestion, préservation et entretien, aménagements de commodités (d’espace, d’agrément, de matières premières, de fonctionnement, d’activité…). Qualité de la vie, qualité de la cité.

Il est clair qu’une bonne connaissance des ressources et des usages ainsi qu’un calcul d’optimisation des utilités permettra de dresser les plans et programmes que tous attendent pour poursuivre projets et activités implantés en ce lieu.

Aménagement du territoire.

Peut-on au carrefour des Sens ne pas choisir ? A l’épreuve de la liberté ne pas s’engager ? A la confusion ne pas répondre discernement ?

Les mots ne sont pas le Sens mais le véhiculent. Chacun est carrefour de Sens, opaques trop souvent. C’est en se réalisant qu’ils se révèlent.

CONCLUSIONS

Cet exercice d’élucidation du sens et de la cohérence des pratiques de mise en oeuvre de politiques publiques ou de projets territoriaux n’est pas anodin. Il est révélateur des grands courants qui traversent notre époque et chacun, personne, institution, l’Etat lui-même. S’il y est question de méthodes, de moyens et d’efficacité, il faut bien voir les enjeux humains qui y trouvent Sens, tant pour justifier telle ou telle conception des choses et de l’action que pour accomplir leurs visées.

Ainsi les logiques ABC et D peuvent être qualifiés ainsi:

A – Le progrès de l’esprit humain au travers de façons plus justes et responsables d’assurer le devenir commun,

B – « L’esprit de système » qu’il soit économique, écologique, administratif, juridique, technique et même sociologique et qui a pour effet d’aliéner l’humain à la gestion des choses en disqualifiant pour cela tout ce qui ressorti de l’humanité de l’homme.

C – La logique de possession ou de pouvoir, tellement traditionnelle, qui fait du territoire l’enjeu de toutes les emprises, tout prétexte étant bon, et pour laquelle il faut beaucoup de discernement pour déjouer les écrans manipulatoires sans cesse renforcés.

D – La logique de rationalité limitée, très classique qui élimine tout ce qui est personnel, culturel et même essentiel aux hommes et communautés humaines pour optimiser la gestion de l’accessoire, certes important mais qui met l’homme au service des moyens et des règles plutôt que l’inverse.

Dans une société en mutation, en maturation, où la recherche du Sens de l’avenir et le souci d’autonomie et de responsabilité individuels et collectifs à cet égard, se font plus grands, alors les démarches exogènes et top-down entrent en conflit avec l’évolution de la société ou en favorisent les rigidités ou les régressions.

Tels sont les enjeux derrière « l’anodin » des choix méthodologiques et des pratiques qui, il est vrai, ne préoccupent pas grand monde. L’essentiel serait-il définitivement masqué, le bien commun définitivement disqualifié? Nous pensons que tout cela est à nouveau en question.